Par André Balent
Né le 28 janvier 1895 à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), mort le 14 décembre 1968 à Paris ; artiste peintre, homme de théâtre et de cinéma, pionnier de la radio, réalisateur de télévision, libertaire, compagnon de route du Parti communiste, syndicaliste.
Albert Riera naquit un peu par hasard à Banyuls-sur-Mer où l’un de ses oncles maternels était alors douanier. Il fut longtemps de nationalité espagnole car son père, Jean Riera, Catalan de l’Ampourdan, était originaire de Cantallops (province de Gérone) village frontalier de la France. Sa mère, Blanche Vigo, catalane également, était française : Cerdane, elle était née à Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales) en 1858. Les deux époux formaient, selon la tradition familiale, un couple assez peu assorti. Jean Riera, personnage fantasque et roublard faisait le négoce des mulets qu’il achetait en France pour les revendre à la remonte de l’armée espagnole. Maquignon porté sur la bouteille, il grugea, lors d’une « négociation » d’affaires des Gitans bordelais. Blanche Vigo était issue d’une vieille famille de l’ « oligarchie » paysanne cerdane, enrichie, aussi, dans le commerce interlope, mais à qui ses parents donnèrent une éducation soignée. Son père, son grand-père, ses oncles étaient aussi des notables politiques bien insérés dans les réseaux de pouvoir, local et départemental. La famille Vigo eut son rejeton maudit, Eugène Vigo*, « Miguel Almeyreda » (1883-1917), père du cinéaste Jean Vigo*.
Albert Riera arriva bébé à Bordeaux (Gironde) où vivaient quelques-uns des Vigo qui avaient quitté les Pyrénées-Orientales. Il y passa son enfance et son adolescence et fit sa scolarité, à l’école Saint-Charles, puis à l’école primaire supérieure de la rue du commandant Archambault. Puis il trouva un emploi de traceur aux chantiers navals de la Gironde. Ayant reçu par ailleurs une éducation musicale, il fut 2e prix du conservatoire de Bordeaux. Mais ses goûts étaient éclectiques, car, avant 1914, il pratiqua assidûment la boxe.
Après qu’eut éclaté la Première Guerre mondiale, Albert Riera découvrit qu’il avait la nationalité espagnole de son père. Celui-ci le dissuada de s’engager : « les Allemands, dit-il à son fils, n’ont rien fait aux Riera », ajoutant que son grand-père avait dû se battre contre la Grande Armée à partir de 1808... Albert Riera ne sera naturalisé français qu’en 1936. Entre temps, il épousa Yvonne Anne Mercier, née à la Rochelle (Charente-Maritime) le 3 août 1903. Le couple n’eut pas d’enfants.
Par l’intermédiaire de ses parents, il maintint le contact avec sa Catalogne natale, revenant épisodiquement, en Roussillon, Cerdagne ou Ampourdan dont il ne cessa de peindre les paysages. Ses toiles catalanes représentaient des campagnes méditerranéennes ou pyrénéennes baignées de lumière. Mais il peignait, avec beaucoup de talent et de sensibilité, les rues et les gens de Paris, d’Aubervilliers ou de Lyon. Ses amis, Paul Guth (« Un peintre de la franchise : Riéra », La Tribune de Genève, 2 octobre 1949) et Pierre Seghers ont exprimé leur admiration pour ce peintre capable de rendre, tout comme Prévert dans un film de 1946 « la même angoisse, un identique univers de grisaille avec ses usines, ses murs blafards, une immense perspective de trottoirs et de ciel que seules la tristesse, la désolation minable de cette « zone » paraissent combler » (Seghers, « Riera ou l’honnêteté », catalogue d’expositions). L’une ses nombreuses expositions, franchit l’Atlantique et obtint à New York un succès d’estime.
Dans les années 1920, il s’installa à Paris, « tâtant aussi les planches (...) joua le poète dans Jean-Gabriel Borgmann d’Ibsen (...) habitait Montmartre, l’Idéal Hôtel, rue des Trois-Frères avec le grand comédien René Lefebvre » (P. Guth, art. cit). Plus tard, il établit son atelier 39 rue Pascal, dans le 13e arrondissement. Il commença à peindre tout en menant une vie de Bohème, fréquentant artistes, acteurs et écrivains et devenant l’ami de beaucoup d’entre eux. Ses amitiés furent aussi durables qu’éclectiques. Il se lia avec René Lefebvre [Lefèvre] (qui parla beaucoup de lui dans son autobiographie), Michel Simon, Blaise Cendrars, Claude Roy, Jacques Prévert (qui l’évoqua nommément dans un de ses poèmes), Paul Guth, Claude Aveline*. Ce fut, par hasard, sans doute en juin 1930, qu’il rencontra son cousin Jean Vigo qui fréquentait les mêmes milieux que lui. Ils devinrent rapidement de grands amis et collaborèrent à des projets communs. Ce fut grâce à Albert Riera que Jean Vigo put renouer avec la famille de son père, visiter la Cerdagne, terre de ses ancêtres paternels où il tenta de soigner sa tuberculose dans un sanatorium.
Albert Riera collabora à la réalisation de l’oeuvre cinématographique de du météorique cinéaste de génie que fut Jean Vigo. Il fut son assistant de réalisation pour son premier et emblématique long métrage, Zéro de conduite (1933). Il assista à nouveau son cousin pour la mise en scène de son second et dernier long métrage un nouveau chef d’oeuvre, L’Atalante (1934) et collabora à la rédaction des dialogues, contribuant à améliorer un scénario indigent. Sans les encouragements de son cousin, Jean Vigo aurait peut-être renoncé au tournage de ce film emblématique. Il lui suggéra aussi d’engager comme acteur son ami Michel Simon.
La mort prématuré de son cousin l’éloigna momentanément du 7e art et l’amena à participer à l’aventure de la radiodiffusion dont il fut l’un des pionniers. Avec René Lefebvre, il participa à la création de Radio Cité. En 1937, il suivit René Lefebvre à Radio 37 où, sous le pseudonyme d’ « Isidore », il anima l’émission Le bar des vedettes. De retour de la guerre, il quitta bientôt la radio de Vichy. Mais nous ne lui connaissons pas d’activités résistantes.
Dès la Libération, il reprit (1944) ses activités à la radio, participant à la relance du poste d’État, Nice-Côte d’Azur dont il fut le directeur artistique. En 1945, il prit la direction de Radio Laboratoire qui fit la transition avec le Studio d’Essai et le Club d’Essais. À partir de 1950, on le retrouva à la fois sur la Radiodiffusion française, Radio Luxembourg et Radio Monte-Carlo où il anima des émissions, toujours avec son ami René Lefebvre. Il continua dans les années 1960 sur France Inter et France Culture. Parmi les grandes émissions culturelles, qu’il réalisa parfois avec Michel Manoll, on retiendra plus particulièrement ses entretiens avec Blaise Cendrars (1950), Francis Carco (1950), Jacques Prévert (1960). Il réalisa et anima le « Carrefour des Ondes ». Il devint également réalisateur de télévision. Il obtint le prix « Italia » pour une émission sur un roman de l’un de ses amis, Claude Aveline. Mais s’intéressant à des sujets sociaux, il fut l’un des premiers qui consacra une émission télévisée à la banlieue. En 1964, il passa à la fiction avec ses séries Histoires pittoresques et, en 1966, il écrivit le scénario et réalisa pour la TV un film, La fin de la nuit. Enfin, en 1964, il participa à l’émission de Jacques Rozier consacrée à Jean Vigo, dans la série Cinéastes de notre temps.
En 1951, il s’essaya à nouveau au grand écran en écrivant le scénario de La grande vie, d’Henri Schneider.
À l’occasion, critique de théâtre, il publia ses chroniques dans Bref et d’autres journaux. Enfin, avec son inséparable ami René Lefebvre, il écrivit un roman, L’inventeur, publié en 1947 et édita chez Denoël ses entretiens radiophoniques avec Blaise Cendrars (1952) et avec Francis Carco (1953). Il soutint, à ses débuts, l’écrivain communiste cerdan de langue catalane Jordi Pere Cerdà [Antoine Cayrol*] dont il devint l’ami et l’introduisit dans les milieux culturels parisiens.
Homme de culture touche à tout, il était nettement engagé à gauche. Dans ses relations, seule celle qu’il entretint durablement avec Paul Guth détone. Il se reconnaissait dans l’esprit libertaire et iconoclaste de Jean Vigo. Proche de la gauche, cet anarchiste anticonformiste fut amené à faire un bout de chemin avec le PC et adhéra à « France URSS ». En 1955, il fit un voyage en Chine populaire dans le cadre d’une délégation officielle de réalisateurs de radio : d’après Jordi Pere Cerdà [Antoine Cayrol*], il fut un dirigeant national du syndicat CGT des réalisateurs de radio.
À l’automne 1968, Albert Riera fut victime d’une attaque cérébrale alors qu’il quittait Paris par avion. Hospitalisé à la Salpêtrière, il se remettait doucement lorsqu’il fut terrassé le 14 décembre 1968. Ayant entretenu des liens familiaux très étroits avec ses cousins issus, comme lui, des Vigo cerdans, il légua ses biens à ses neveux roussillonnais Lise et Osmin Bouvier qui conservent ses archives et une partie de son oeuvre picturale.
Par André Balent
OEUVRE ÉCRITE ET AUDIOVISUELLE : titres principaux cités dans la notice.
SOURCES : Arch. Com. Banyuls-sur-Mer, état civil, acte de naissance. — Archives privées Line et Osmin Bouvier, Opoul (Pyrénées-Orientales), neveux et légataires d’Albert Riera. — André Balent, La Cerdagne du XVIIe au XIXe siècle. La famille Vigo, casa, frontières, pouvoirs, Perpignan, Trabucaire, 2003, 334 p. — Jordi Pere Cerdà [ Antoine Cayrol], Cant alt. Autobiografia literària, Barcelone, Curial Edicions catalanes, 1988, 308 p. — Paul Guth, « Un peintre de la franchise, Riéra », La Tribune de Genève, 2 octobre 1949. — René Lefebvre, Le film de ma vie, Paris, Gallimard, 1937, 221 p. ; 2e édition, Gallimard, 1947, 210 p. ; 3e édition, Paris, France-Empire, 1973, 430 p. — Pierre Lherminier, Jean Vigo. Un cinéma singulier, Paris, Ramsay, 2007, 299 p. — Luce Vigo, Jean Vigo. Une vie engagée dans le cinéma, Paris , Les Petits cahiers, CNDP, 2002, 96 p. — Archives, « De L’Atalante à Jean Vigo », n° spécial thématique (90-91), Perpignan, Institut Jean Vigo, 2002. — Lettre de Line Bouvier, 12 août 2001. — Entretiens avec Antoine Cayrol, Saillagouse, 28 août 2000 ; Line et Osmin Bouvier, Opoul, 18 janvier 2002 ; Luce Vigo, Perpignan, avril 2000.