TOURTEBATTE Blanche Léonie Marcelle. Pseudonyme : « Monique »

Par Daniel Grason, Jean-Pierre Ravery

Née le 1er mai 1921 à Fontenay-le-Fleury (Seine-et-Oise), morte le 2 avril 1986 à Paris (Ve arr.) ; agent des PTT ; militante communiste ; résistante FTP ; déportée.

Fille d’Émile et Yvonne, Blanche Tourtebatte vivait chez ses parents 99, rue Pasteur à Fontenay-le-Fleury. À l’issue de sa scolarité elle obtint le Brevet élémentaire. Pendant le Front populaire elle adhéra aux Jeunes filles de France, milita à Fontenay-le-Fleury. Le père de Blanche, Émile Tourtebatte, maçon de profession, avait été élu conseiller municipal de Fontenay-le-Fleury, sa ville natale, en 1924 sur une liste « d’unité ouvrière ». Il était maire de la commune lorsque le conseil municipal fut suspendu en 1937. Il fut déchu de son mandat deux ans plus tard et soumis à une étroite surveillance policière (plusieurs perquisitions). Sa fille Blanche travaillait aux PTT et était responsable du Foyer des Jeunes Filles de France de la commune. Elle habitait chez ses parents, 99, rue Pasteur. Elle travailla comme employée à la manutention de Saint-Cyr de l’Armée allemande, elle fut ensuite auxiliaire de bureau des PTT au 80, rue Dupin à Paris (VIe arr.) dont elle démissionna en août 1943.
Elle accepta d’entrer dans l’organisation clandestine des FTP (matricule 7098), fut chargée des liaisons du commandant de secteur FTP Roland Cauchy. Cette tâche incluait le transport d’armes sur les lieux des actions projetées. Son pseudonyme était « Monique », son matricule 7098.
Le jeudi 16 novembre 1943 à 14 heures, elle devait retrouver Roland Cauchy sur le pont de Sèvres à Boulogne-Billancourt pour assister à une rencontre avec des Gaullistes. Un membre du Groupe spécial, Paul Quillet, devait assurer la protection du rendez-vous. Mais à l’heure dite, ce sont huit policiers de la BS2 des renseignements généraux parisiens dirigés par l’inspecteur principal adjoint B. qui se présentèrent sur les lieux et s’emparèrent des deux résistants. Blanche Tourtebatte était porteuse de plusieurs cartes d’identité en blanc portant des photographies d’hommes, de feuilles de démobilisation et de certificats de travail en blanc et de nombreux documents destinés aux militants qu’elle devait contacter ce jour-là. La perquisition au domicile de ses parents amena la découverte de cinq grenades et d’un lot de tracts communistes.
Emmenée dans les locaux des Brigades spéciales à la Préfecture de police à Paris, une femme policière a été chargée de la fouiller. Elle portait sur elle : un carnet des PTT, une carte d’identité en blanc portant le cachet de la Police d’État de Seine-et-Oise avec la photographie d’un homme ; un carnet dans lequel figuraient des notes sur l’établissement de cette carte ; un certificat de travail en blanc ; une carte d’identité en blanc portant la photographie d’un homme et portant le cachet de la Police d’État de Seine-et-Oise, et une indication : N° 18076, au 32 avenue Thiers au Raincy (Seine-et-Oise, Seine-Saint-Denis) ; un certificat de travail en blanc ; une carte d’identité en blanc portant la photographie d’un homme, et le cachet de la Police d’État de Seine-et-Oise, et une indication N° 43062, 41 rue Léon Desnoyer ; un certificat de travail en blanc ; une feuille de démobilisation en blanc portant le cachet du centre de Roanne ; ainsi que des documents manuscrits sur les appointements des FTP, et des rendez-vous.
Blanche Tourtebatte fut aussitôt confrontée à Roland Cauchy qu’elle nia connaître. « Il ne tenait pas debout, son attitude était celle d’un homme exténué » témoigna-t-elle après-guerre. Dans le questionnaire du service des cadres qu’elle renseigna en août 1947, elle raconta les interrogatoires subis dans les locaux des BS : « Je suis passée très souvent à l’interrogatoire du jeudi après-midi jusqu’au dimanche presque sans arrêt, à part la nuit. Ils ont tout essayé : la violence, la douceur, la persuasion, l’intimidation. Exemple : « Donne tes rendez-vous ou l’on arrête ton père ». Mon père fut arrêté : « Ou tu nous donneras tes rendez-vous ou ton père sera fusillé. »
Là, sur mon dernier refus, ils furent trois à me frapper et j’ai encore aujourd’hui une cicatrice de quatre centimètres dans la cuisse des coups reçus à ce moment. […] Je fus confrontée avec mon père afin de me faire parler […]. Je demandais cinq minutes de réflexion car vraiment, je ne savais plus quoi faire. Dans la salle 36 où ils me ramenèrent, je demandais conseil à un bon copain, Arnold Leider, et c’est lui qui me conseilla de continuer à me taire en disant qu’ils ne pouvaient rien faire contre mon père, n’ayant aucune preuve contre lui, et j’ai tenu. »
Lors de son interrogatoire, elle déclara assurer les liaisons « depuis deux mois environ », et être en contact avec « Jacqueline » agent de liaison du militaire régional de la 14, et avec « Nadine » chargée du courrier de l’inter-région. Elle fit part d’autres contacts avec des agents de liaison, et elle affirma ne connaître que les pseudonymes. Quant aux grenades destinées à « Janine », elles lui avaient été remises par le responsable militaire de la 89.
Les inspecteurs lui demandèrent des explications sur chaque pièce qui avait été saisie. Elles devaient les remettre à « Nadine », à « Jérôme ». Quant Bruno Trujillo dont l’adresse avait été trouvée à son domicile, elle ignorait qui il était.
Livrée aux Allemands, Blanche Tourtebatte comparut devant le tribunal de guerre de Fresnes en mars 1944 avec une trentaine d’autres FTP, parmi lesquels Joseph Epstein. « J’ignore ma peine puisque je fus renvoyée le 3e jour avec sept de mes camarades. Mes déclarations au jugement : je reconnaissais être agent de liaison (ils avaient toutes les preuves en main), avoir assisté à un attentat (ils avaient trouvé chez Cauchy tous les documents relatifs aux attentats de la région). »
Emprisonnée à la prison de Fresnes, elle fut envoyée en Allemagne pour y être jugée. Elle a été incarcérée à la prison de Lauban à l’ouest de Breslau, avant sa comparution devant un tribunal militaire allemand. Transférée à Breslau (Wroclaw en polonais), elle y fut jugée et condamnée. Elle a été envoyée au camp de Ravensbrück en Allemagne, puis à la prison de Griebo au sud-ouest de Berlin sur l’Elbe, près de Wittenberg, et enfin à Zwodau, kommando de travail du camp de Flossenbürg, situé dans la région de Karlovy Vary en Tchécoslovaquie où les femmes travaillaient pour la firme Siemens. Elle fut rapatriée à une date inconnue.
Blanche Tourtebatte témoigna le 21 septembre 1945 devant la commission rogatoire qui examinait l’activité de l’inspecteur Émile André, celui-ci était dans l’équipe qui l’interpella. Elle déclara notamment : « J’ai été frappée à coups de pied, de poing et de nerf de bœuf par les inspecteurs C. et B. Des blessures subies, le porte encore la trace à la cuisse droite, une plaie consécutive aux coups s’étant envenimée. »
« Le lendemain de mon arrestation, mon père a été arrêté. Il a été interné en France et délivré par les armées anglaises au mois d’août 1944. »
« J’ai été remise entre les mains des Allemands et écrouée à Fresnes. »
Quant à l’inspecteur Émile André, qui était dans l"équipe qui l’arrêta, il ne frappa pas Blanche Tourtebatte, Jean-Marc Berlière écrivit à son sujet : « Qu’il est lourd en effet le poids de la culture d’obéissance. » On peut en mesurer les effets en lisant le dossier d’Émile André, entré à la Préfecture de police comme gardien de la paix en 1935, après quatre ans d’armée ce fils d’un gardien de la paix retraité qui écrit le 23 octobre 1944 son indignation au préfet pour les ennuis que l’on fait à son fils – « Aujourd’hui j’apprends qu’il serait inquiété ayant fait son devoir vu que le gouvernement a changé je n’ose y croire » est accusé d’avoir exécuté les ordres à la lettre ».
Signalé comme tout dévoué à Barrachin, on lui impute l’arrestation de 14 patriotes dont 3 fusillés. Ce policier de devoir, blessé dans une arrestation en janvier 1943, décoré de la Légion d’honneur et de la médaille d’or des Belles Actions, ne comprend pas ce qui lui arrive : « J’aimais mon métier. J’ai cru que la discipline était une chose sacrée. Un fonctionnaire n’est-il pas un soldat ?... Je le reconnais… J’exécutais les ordres reçus. J’ai été placé aux BS par le sort et j’ai fait mon métier. Je ne l’ai pas fait salement. »
Blanche Tourtebatte porta plainte contre les inspecteurs qui l’arrêtèrent et contre ceux qui la frappèrent, et ceux qui arrêtèrent son père qui fut interné.
Après-guerre, Blanche Tourtebatte était membre de la cellule du PCF de Fontenay-le-Fleury. Elle a été homologuée combattante des Forces françaises de l’intérieur (FFI), et Déportée internée résistante (DIR).
Elle épousa José Larreta Garde, républicain espagnol, le 6 décembre 1952 en mairie de Colombes (Seine, Hauts-de-Seine).
Blanche Tourtebatte mourut le 6 avril 1986 à l’âge de 64 ans à Paris (Ve arr.).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89168, notice TOURTEBATTE Blanche Léonie Marcelle. Pseudonyme : « Monique » par Daniel Grason, Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 22 novembre 2020, dernière modification le 28 janvier 2021.

Par Daniel Grason, Jean-Pierre Ravery

SOURCES : Arch. PPo. Rapport hebdomadaire des Renseignements généraux du 29 novembre 1943, GB 133, GB 137, KB 119. – Archives de la CCCP : notes de Jean-Pierre Ravery. – Bureau Résistance GR 16 P 575768. – Jean-Marc Berlière avec Laurent Chabrun, Les policiers français sous l’Occupation, Éd. Perrin 2001, p. 167-168. – Livre-Mémorial, FMD, Éd. Tirésias, 2004. – État civil de Fontenay-le-Fleury. – État civil site internet Match ID. – Nos remerciements à madame Micheline Couillet-Tourtebatte, petite-fille d’Émile Tourtebatte, Présidente de l’association d’histoire locale Fontenay d’Hier à Aujourd’hui.

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