LAUTISSIER Jean

Par Jean-Pierre Besse, Marc Giovaninetti, Jean-François Poujeade

Né le 20 mai 1920 à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), mort le 4 mai 1986 à Paris (Ve arr.) ; mécanicien ; membre du comité national des Jeunesses communistes (1939) ; résistant, déporté ; membre du comité national de l’UJRF en 1946 ; membre de la Section d’Outre-mer du PCF ; conseiller de l’Union française.

Jean Lautissier était le fils unique d’un manœuvre (qui fut ensuite mineur, sympathisant socialiste, et que la police déclarait en 1950 communiste et marchand de journaux dans sa ville de Montceau-les-Mines), et d’une mère sans profession. Il suivit une formation de mécanicien auto. Adhérent au communisme dès 1936, il serait devenu secrétaire de la section des Jeunesses communistes de Montceau-les-Mines en 1938 en remplacement d’André Loreau, parti au service militaire, d’après une notice de police datée de janvier 1939. Cette même fiche le signale comme secrétaire départemental des JC au départ de Lucien Mathey au service. Cette année-là, il suivit l’école des Jeunesses à Grenoble, et il fut élu parmi les quarante-trois membres du comité national des Jeunesses communistes lors du congrès d’Issy-les-Moulineaux en avril.

Pendant la « Drôle de guerre », il devint livreur chez un épicier, mais menait surtout des missions pour les JC qui le conduisirent jusqu’en Corse. Arrêté pour distribution de tracts en janvier 1940 à Montceau-les-Mines, il ne fut détenu qu’un mois. Après la défaite de 1940 et la coupure de la France en deux zones, il fut responsable, sur la ligne de démarcation, de la réception du matériel de propagande en provenance de la zone Nord, que lui remettaient Jean Merlot et Roger Brazzini en gare de Montceau-les-Mines, et il le redistribuait en zone Sud. Il s’occupait aussi de trouver des planques aux prisonniers évadés. Il fut arrêté à Limoges, torturé, s’échappa pendant un transfert mais fut rattrapé. Condamné à cinq ans de travaux forcés, il fut interné à la centrale d’Eysses à Villeneuve-sur-Lot, une des plus grandes de France. Après l’échec de la révolte de cette prison, le 23 février 1944, à laquelle il participa en tant que responsable d’un des quatre secteurs de rébellion qu’avaient organisés les détenus résistants, il fut sélectionné parmi les cinquante meneurs pris comme otages, mais échappa de justesse à l’exécution des douze qui furent fusillés pour l’exemple. Transféré comme tous les autres détenus (1 200 environ) au camp de Royallieu à Compiègne, il fut déporté avec eux le 2 juillet 1944 vers Dachau. Le voyage fut atroce, les survivants se décrivirent comme « le convoi de la mort ». En Allemagne, Lautissier réussit à s’évader en avril 1945 au cours d’un transfert à l’extérieur du camp, en compagnie de Victor Michaut, Élie Mignot et quelques autres qui avaient été parmi les organisateurs de la révolte d’Eysses. Son action pendant la guerre valut à Jean Lautissier le grade d’Officier de la Légion d’Honneur.

Rapatrié en France, Jean Lautissier épousa en juillet 1945 à Varennes-lès-Nevers Lucienne Michaud, qui avait aussi été une dirigeante régionale des Jeunesses avant la guerre, et rentrait de déportation à Ravensbrück où elle avait survécu de justesse au typhus. Les jeunes gens s’étaient connus en 1942 lors d’une mission commune à Paris. Le couple a eu deux enfants, un fils né en 1949 et une fille deux ans plus tard.

En 1945, Jean Lautissier retrouvait sa place de secrétaire départemental de l’UJRF, qui remplaçait les JC en avril de cette année. Il était également membre du comité fédéral du PCF de Saône-et-Loire. Mais il n’apparaissait pas d’emblée sur les listes des dirigeants nationaux de la nouvelle organisation de jeunesse. Ce n’est qu’en vue de son premier congrès, en août 1946, qu’il était désigné comme en étant le « responsable aux loisirs », et figurait à nouveau dans son comité national.
Mais Jean Lautissier ne tardait pas à orienter son activité dans d’autres directions, vers l’Asie. On peut penser qu’Elie Mignot, son aîné et camarade de prison et de déportation, qui était déjà un responsable important de la Section coloniale avant guerre, a pu influencer sa nouvelle affectation à ce qui s’appelait désormais la Section d’Outre-mer, placée sous la direction de Léon Feix. Mais le goût des voyages et des peuples lointains était commun à Jean et Lucienne ; celle-ci travailla d’ailleurs la plus grande partie de sa vie active dans une agence de voyages.

En 1947-1948, Jean Lautissier fit un long séjour en Inde et en Indonésie. Il arriva dans le premier pays en février 1947 comme membre d’une délégation de la FMJD qui comportait aussi la Soviétique Olga Tchetchiotkina, ancienne kominternienne devenue journaliste, le Yougoslave Rajko Tomović et le Danois M. O. Oleson. Il s’agissait pour eux d’établir des liens avec les mouvements de jeunesse asiatiques. La France avait refusé les visas pour l’Indochine, où la guerre avait commencé. Ils prirent contact avec plusieurs délégations asiatiques venues participer à Delhi à une conférence, et ils rencontrèrent notamment Gandhi. Ils commencèrent à envisager l’organisation d’une conférence pan-asiatique de la jeunesse en Indonésie pour novembre. En mai, ils étaient dans ce pays, et rencontraient des dirigeants de haut niveau, parmi lesquels Sukarno. Ils en profitèrent pour assister au premier congrès de la fédération syndicale indonésienne, rassemblé à Malang. Mais la direction de la FMJD décida d’abord de restreindre la conférence projetée à l’Asie du Sud-Est, puis, en juillet, elle préféra la déplacer à Calcutta du fait de l’offensive néerlandaise sur l’ancienne colonie, ce qui déçut beaucoup les Indonésiens qui avaient commencé les préparatifs. En février 1948, la conférence de la Jeunesse et des Étudiants d’Asie du Sud-Est réunit finalement des délégués de onze pays, y compris la Chine, le Pakistan et l’Union soviétique (représentée par des délégués d’Asie centrale), et Lautissier y représentait la FMJD. Bien que la majorité des délégués ne fussent pas communistes, l’influence soviétique était évidente, d’autant que le Parti communiste indien tenait simultanément son congrès dans la même ville. Cela, plus quelques résolutions critiquant les modalités de l’indépendance récente de l’Inde et de la Birmanie, eut pour effet de provoquer une rébellion d’une partie des délégués indiens. Une attaque contre le banquet que les Soviétiques offraient en fin de session se solda par la mort de deux jeunes gens. Pour certains historiens, cette conférence aurait été le prélude à un plan fomenté par les Soviétiques pour déclencher des guerres civiles en Asie à la faveur des soulèvements indépendantistes. La Malaisie, la Birmanie, l’Indonésie connaissaient en effet bientôt des troubles sérieux. Cependant, la thèse est très contestée, et le niveau hiérarchique de Jean Lautissier, même à la FMJD, ne plaide pas dans ce sens.

En 1947, Jean Lautissier était élu conseiller de la France métropolitaine à l’Assemblée de l’Union française, cette entité qui regroupait la France et ses territoires dépendants. Sous couvert de cette fonction, il effectua en août-septembre 1949 un autre voyage en Asie, en compagnie de sa collègue communiste Germaine Autissier, dans cette Indochine en guerre qu’il n’avait pu pénétrer au titre de la FMJD. Arrivés au Vietnam, il fut menacé par certains chefs militaires pour avoir témoigné en France en faveur d’Henri Martin, ce militaire communiste emprisonné pour son opposition à la guerre. Par l’intermédiaire d’un communiste français résident à Saigon, les deux parlementaires furent mis en relation avec des responsables du Vietminh. À leur retour, rendant compte de leur séjour au Bureau politique, ils auraient fait part des critiques entendues à propos de « l’autodissolution du Parti communiste indochinois », le parti vietnamien se présentant comme une Association culturelle marxiste pour des raisons tactiques. Thorez, présent à la réunion, aurait rétorqué que Ho Chi Minh devait savoir ce qu’il faisait.

Aux élections législatives de 1951, le système des apparentements laminait la représentation parlementaire communiste, et en voie de conséquence, le PCF perdait la plupart de ses conseillers à l’Assemblée de l’Union française. Jean Lautissier comptait au nombre des évincés.

Il n’exerça plus ensuite de responsabilité de permanent au PCF, son épouse pas davantage, mais l’un comme l’autre restèrent jusqu’au bout fidèles à leur parti, avec parfois des réticences face à son orientation, et en tout cas beaucoup d’amertume après son affaissement. Les problèmes de santé peuvent expliquer pour partie ce retrait relatif, l’un et l’autre ayant connu diverses pathologies liées aux épreuves de l’Occupation et de la déportation. Si elle vécut certains épisodes dépressifs, lui était en revanche d’un naturel jovial. La famille, très unie et solidaire, bien que les enfants, puis les petits-enfants, n’aient pas suivi l’exemple militant des parents, vécut essentiellement à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Les parents y enrichissaient leur bibliothèque qui atteignit quelque 5000 ouvrages, dont une importante section consacrée à la Résistance et l’Occupation. Jean Lautissier reprit un emploi dans un garage, puis il travailla comme représentant en publicité, et enfin il rejoignit son épouse comme directeur d’une agence de voyage située du côté de l’Opéra. Les voyages restèrent une de leurs passions communes, lui encadrant surtout des groupes en Méditerranée ou en Scandinavie. Ils adoraient aussi camper avec des familles amies, quand ils en avaient l’âge et que les espaces forestiers de la région parisienne se prêtaient encore à ce loisir.

Leurs activités militantes restèrent alors essentiellement locales, lors des campagnes électorales notamment, mais Michel Lautissier se rappelle des relations chaleureuses que son père entretenait avec Waldeck Rochet dont il partageait le fort accent du terroir bourguignon. Il avait moins d’affinités avec l’autre « bépiste » originaire de Saône-et-Loire, Gaston Plissonnier, dont il n’avait pas apprécié les vues au moment du pacte germano-soviétique. Le militantisme des parents Lautissier s’investit progressivement dans les associations qui préservaient (et « sacralisaient », d’après leur fils) leur mémoire de résistants ou déportés, Eysses et Dachau pour lui, Auschwitz et Ravensbrück pour elle.

Jean Lautissier décéda à Paris le 4 mai 1986, à l’âge de soixante-six ans. Il eut un accident vasculaire cérébral pendant le tournage d’un film consacré à la révolte d’Eysses, au cours duquel il s’était opposé à d’anciens détenus gaullistes. Ses obsèques eurent lieu au cimetière communal de Pantin, où le couple habitait désormais, et l’Humanité lui consacra un article nécrologique substantiel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89320, notice LAUTISSIER Jean par Jean-Pierre Besse, Marc Giovaninetti, Jean-François Poujeade, version mise en ligne le 26 septembre 2010, dernière modification le 25 octobre 2020.

Par Jean-Pierre Besse, Marc Giovaninetti, Jean-François Poujeade

SOURCES : Arch. Dép. Saône-et-Loire, 714 W 81, 703 W 85. — L’Avant-Garde, n° 807, 14 avril 1939. — Arch. Préf. police, activités communistes pendant l’occupation, carton 6. — La Fondation pour la mémoire de la déportation, Le livre mémorial...op.cit. — Mémorial annuaire des Français de Dachau, Francis della Monte, 1987. — Notre Jeunesse, revue de l’UJRF, en vue du 1er Congrès national, août 1946. — Roger Brazzini, Souvenirs de grand-père, inédit, 1996, 80 pages. — Corinne Jaladieu et Michel Lautissier, Douze fusillés pour la République, Association pour la mémoire d’Eysses, 2004. — Archives nationales, Fonds Georges Bidault, 457AP/152, renseignements fournis par le SDECE, notamment sur le voyage en Indochine de deux parlementaires communistes, Jean Lautissier et Germaine Autissier, pour préparer la déclaration gouvernementale du 17 janvier 1950. — Alain Ruscio, Les communistes français et la Guerre d’Indochine, 1944-1954, L’Harmattan, 1985. — Pierre Durand, Cette mystérieuse Section coloniale. Le PCF et les colonies (1920-1962), Messidor, 1986. — <en.wikipedia.org/wiki/Sentral_Organ...>  ; <en.wikipedia.org/wiki/Conference_of...> . — DBMOMS, notice « André Canac », par Jacques Dalloz ; notice « Albert Gueyraud », par Gérard Leidet. — L’Humanité, 7 mai 1986. — Conversation et échanges d’e-mails avec Michel Lautissier, fils de Jean Lautissier. — État civil.

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