HIRZEL Raymond, dit Raymond BOURT, GASPARD

Par Philippe Bourrinet

Né le 10 août 1920 à Paris (XIVe arr.), mort le 17 octobre 2002 à Nice (Alpes-Maritimes) ; ouvrier chez Renault-Billancourt, directeur de Village d’accueil et d’animations en montagne après 1961 ; trotskyste (POI) de 1936 à 1940 environ, communiste internationaliste (« Contre le courant ») pendant la guerre diffusant la feuille Arbeiter und Soldat ; membre de la Fraction « bordiguiste » de 1945 à 1950, puis du groupe « Socialisme ou Barbarie ». Initiateur et directeur d’une association communautaire en montagne dans le but de favoriser les « rencontres d’hommes […] de nationalités et de milieux sociaux divers ».

A Neige et merveilles en 1992
A Neige et merveilles en 1992
Cliché Claudine Pelletier

Bien que d’origine italienne et suisse allemande, Raymond Hirzel naquit à Paris (XIVe) en 1920. Sa mère Émilie Viale (dite « Yoyo ») était née à Nice en 1900, fille d’Italiens originaires d’Airole (Imperia, Ligurie). Son père Paul Charles était un Suisse allemand né à Zurich.

Toute l’enfance de Raymond Hirzel se déroula en communauté, loin de toute école et de tout signe de « modernité capitaliste », où l’on apprenait à retourner à une vie frugale, placée sous le signe de l’autonomie agricole et artisanale, mais aussi marquée par l’esthétique, celle de la danse et du théâtre. De sa naissance à 1927-1928 environ, il vécut dans la communauté créée par le Californien Raymond Duncan (1874-1966), marié à une Grecque (Pénélope Sikelianos), frère de la danseuse Isadora Duncan (1877-1927) et fondateur de l’Akademia, située au 31, rue de Seine à Paris. Dans « un lieu ouvert à toutes les innovations en théâtre, littérature, musique et arts plastiques », il vécut, comme tous les enfants de la communauté, « vêtu d’une tunique grecque et de spartiates », « portant toujours les cheveux longs » comme une fille. Ses parents, qui avaient quitté la communauté de Duncan, poursuivirent l’expérience à partir de 1929 en fondant leur propre communauté à Meudon, dans une grande propriété dénommée « Maison des Arts » (cédée à son père par une riche bourgeoise russe), disposant de quatre hectares de champs, vergers et jardin potager, où la famille vivait en autarcie, en adoptant le « régime végétarien », sans alcool ni tabac, et vêtue de « toges et de peaux de bêtes ». Cette expérience communautaire, forme de « hippisme » avant la lettre, le marqua durablement.

Mais, en pleine crise mondiale, il se trouva vite confronté aux dures réalités matérielles. En 1935 son père Paul fut expulsé de France vers la Suisse « pour raisons politiques », sa mère restant seule quelque temps à Meudon avec ses enfants. Raymond Hirzel se retrouva très tôt chargé de famille. Il dut travailler comme ouvrier, déjà éveillé politiquement.

À partir de 1936, il adhéra aux Jeunesses socialistes révolutionnaires (JSR) qui étaient autonomes dans le Parti ouvrier internationaliste (POI) de Pierre Naville*. En 1939-40, il rompit avec le POI en désaccord avec la caractérisation de l’URSS comme « État ouvrier dégénéré ».

En septembre 1940, il rencontra Marcel Pelletier (1921-1977), dit le « grand Marcel », qui devint son grand ami. Avec ce dernier, mais aussi Roger Bossière (1922-2006), il déploya une intense activité internationaliste contre la guerre, y compris parmi les soldats allemands. Il travailla en Allemagne, dont il s’enfuit six mois après. Il forma avec le « grand Marcel » un groupe de discussion dans l’Indre-et-Loire, marxiste « au-delà du trotskysme ». Déporté à Vienne par les nazis, il s’évada fin 1943, gagna Paris et travailla à Renault sous une fausse identité. Prenant de grands risques, il aida à la diffusion de la feuille d’agitation Arbeiter und Soldat. Celle-ci écrite à Brest par des soldats allemands internationalistes (juillet 1943-juillet 1944) vit le jour grâce à l’action inlassable du trotskyste berlinois Martin Monat (« Victor Widelin ») [1913-1944], fusillé par la Gestapo le 22 juillet 1944.

Membre de la fraction communiste-révolutionnaire « Contre le courant », au sein du Parti communiste internationaliste (trotskyste), il fut pour quelques jours président d’un Comité ouvrier d’usine à Renault-Billancourt du 21 au 24 août 1944. Mais celui-ci fut transformé par la force en comité syndical, Hirzel destitué, les staliniens « reprenant la situation en main, nous éliminant par des provocations et par l’assassinat de certains de nos amis », en fait l’assassinat le 11 septembre de Mathieu Bucholz (1922-1944), membre du groupe trotskyste de Barta.

Avec Marcel Pelletier, Raymond Hirzel et quelques autres s’éloignèrent de l’OCR – branche française des « Revolutionäre Kommunisten Deutschlands » (RKD), dirigés par l’Autrichien Georg Scheuer* (« Armand ») – et se rapprochèrent après juin 1945 de la mouvance « bordiguiste ».

Il rejoignit en décembre 1945 la Fraction française de la gauche communiste internationale (FFGCI), « bordiguiste », animée par Suzanne Voute et son compagnon Albert Masó (dit Albert Vega)*, et les Italiens Otello Ricceri*, Giulio Bertazzo (« Pataro »)* et Bruno Zecchini*. Il représenta – avec Suzanne Voute et Albert Masó – la FFGCI à la Première conférence nationale du Parti communiste internationaliste à Turin (28 déc. 1945 – 1er janvier 1946), parti internationaliste fondé par Onorato Damen et Bruno Maffi en novembre 1943. Il écrivit alors pour L’Étincelle, puis L’Internationaliste, les organes successifs de la Fraction française.

Raymond Hirzel ne put reprendre un travail politique d’agitation à l’intérieur de Renault qu’au début de l’année 1947, avec les militants de l’Union communiste de David Korner*, dit « Barta », Pierre Bois, André Claisse, et Gilbert Devillard, alors membre de la CNT. Les militants « bordiguistes », dont Hirzel, André Claisse et Jacques Gautrat (« Daniel Mothé ») jouèrent un rôle important dans la grève. Contrairement à Bois et à son groupe l’Union communiste, les militants de la Fraction française de la gauche communiste ne poussèrent pas à la formation d’un nouveau syndicat. Comme l’écrit A. Véga (Albert Masó), dans le journal L’Internationaliste de mai-juin 1947 : « Bien que le rôle joué par les comités de grève soit aujourd’hui fort important, la formation de nouvelles organisations de masse n’en est encore qu’au stade embryonnaire… En ce qui concerne nos propres militants, ils resteront dans la C.G.T. pour y mener un travail de clarification de la conscience des prolétaires syndiqués, de la dénonciation de la politique contre-révolutionnaire des bonzes. Mais sans se faire aucune illusion… » De façon plus nette que Véga, Raymond Hirzel (vers janvier 1950) condamnait l’action syndicaliste de Pierre Bois et de son groupe l’Union communiste et tout « renflouement » de la GGT : « Les camarades de l’‘Union communiste’, sans principes politiques et sans expérience s’acharnèrent à vouloir constituer « leur » syndicat, le syndicat de leur groupe politique, en croyant pouvoir créér un syndicat à prétentions révolutionnaires. Ils sont maintenant à la remorque de la C.G.T. »

En mai 1950, Raymond Hirzel rompit avec le courant « bordiguiste », suite à quatre réunions de confrontation entre les militants de sa Fraction, dont le « champion théorique » était Suzanne Voute, et Castoriadis (« Chaulieu ») en personne. Convaincu, il ne s’engagea cependant qu’à moitié, participant de temps à autre au groupe « Socialisme ou Barbarie », sous une forme autant orale qu’écrite. Son premier acte politique fut d’écrire en janvier 1951 un compte rendu critique d’un séjour en Yougoslavie titiste. Il avait, en effet, participé en juillet-août 1950 – avec Jacques Gautrat et sa compagne Martine Vidal – à un voyage organisé par les trotskystes. Ceux-ci pour soutenir « l’expérience autogestionnaire » « avaient constitué chez Renault une brigade de travail pour la Yougoslavie ». Hirzel en tira une conclusion impitoyable : « les positions idéologiques du PCY depuis sa rupture [avec Staline] en sont restées aux positions les plus traditionnelles du stalinisme… Les militants du PCY ont tous sur leur table de chevet l’histoire du PC (b) de Staline… ».

Raymond Hirzel, avec Daniel Mothé de « Socialisme ou Barbarie », lança l’expérience de Tribune ouvrière, un journal mensuel lancé en mai 1954 destiné aux ouvriers de Renault. Selon Henri Simon*, ancien de S. B., il était « un gars très individualiste, en même temps très actif, se proclamant bolchevik. C’était un animateur d’hommes… Il rassemblait chez Renault facilement trente à quarante gars… À l’époque c’était lui l’animateur de Tribune ouvrière ».

À cette expérience de créer un « journal de boîte », s’associèrent Pierre Bois et Gilbert Devillard vers juin 1954. Tribune ouvrière était conçue comme « un journal d’atelier qui puisse exprimer leurs positions sur des problèmes qui touchent la classe ouvrière », se voulant « le reflet de la vie de l’atelier ». En 1957, Gilbert Devillard et Pierre Bois quittèrent Tribune ouvrière, ayant déjà créé un nouveau bulletin : Voix ouvrière – diffusé alors avec l’aide du groupe de Pierre Lambert* –, embryon de l’organisation connue depuis juin 1968 sous le nom de « Lutte ouvrière ».

L’expérience dura jusqu’à l’avènement de De Gaulle en mai 1958. Selon Henri Simon, la fin fut officialisée en juin 1958 lors d’« une réunion d’oppositionnels syndicaux qui regroupait toutes les expériences plus ou moins autonomes d’entreprise. Dans l’idée qu’une période de lutte allait s’ouvrir, une bonne partie des participants pensaient qu’il fallait développer son influence dans le prolétariat mais chacun pour sa boutique ». Tribune ouvrière mourut donc « faute de combattants », mais aussi en raison des dissensions dans « Socialisme ou Barbarie ». En effet, Henri Simon, Claude Lefort et une vingtaine de membres du groupe créèrent en septembre 1958 le groupe ILO (Informations et liaisons ouvrières) qui publia le bulletin éponyme Informations et liaisons ouvrières, de tendance « communiste des conseils ».

Raymond Hirzel qui s’était formé au mouvement des auberges de jeunesse se concentra sur des activités associatives et culturelles, « organisant… des sorties qui allaient du théâtre au ski, en passant par les randonnées le week-end ou les vacances d’été ». De juillet 1955 à janvier 1956, il avait organisé le « tour du monde » de « cinq de chez Renault » (deux couples et un célibataire) sur une Frégate, avec sa femme Gabrielle Di Falco (d’origine italienne), dactylo chez Renault, qui en écrivit l’épopée. Cette aventure, totalement autofinancée par leurs économies, les mena de Paris et Zurich jusqu’en Turquie, Syrie, Irak, Iran, Afghanistan et Inde, puis de Ceylan à l’Australie (Sydney).

En 1957, il découvrit les ruines du hameau de la Minière de Vallauria (col de Tende), celui d’une ancienne exploitation minière fermée en 1927, le hameau étant vendu à l’armée italienne, puis abandonné en 1943. Il conçut le projet de transformer cet ancien site militaire en un Centre international de techniques artisanales. L’association Neige & Merveilles fut créée par lui le 2 avril 1960), dont l’objet social était « de créer un village de rencontres d’hommes […] de nationalités et de milieux sociaux divers ».

En 1961, Raymond Hirzel racheta le site de la Minière, à la chandelle, pour une somme de 20 000 francs. Le premier chantier de reconstruction put alors débuter à l’été 1961, dans l’enthousiasme du compagnonnage, grâce « au travail bénévole d’une quarantaine de personnes diverses, attirées par une formule de gestion collective ».

Raymond Hirzel, qui avait démissionné de Renault, entama sa troisième existence, celle d’un retour à l’aventure communautaire de son enfance.

Désormais le nom de Raymond Hirzel s’identifia à celui de l’Association, qui peu à peu perdit ses ambitions « militantes » d’origine. En 1994, l’association devint un Village d’accueil et d’animations en montagne.

Raymond Hirzel est mort à Nice le 17 octobre 2002. Conformément à ses volontés, il a été inhumé sur le site de « Neige et Merveilles » à Saint-Dalmas de Tende (Alpes-Maritimes).

Avant de disparaître, il avait mené un projet similaire à Airole (Ligurie), dont il était originaire, dans l’ancienne mine d’argent de Vallauria. Cette fois, cette réhabilitation ne se fit pas avec « ceux de Renault » : en juillet 2012, dix ans après sa mort, une cérémonie se déroula avec la bénédiction de l’évêque de Nice et des autorités civiles et militaires italiennes, la marine de guerre faisant don d’une cloche pour la chapelle.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89352, notice HIRZEL Raymond, dit Raymond BOURT, GASPARD par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 27 septembre 2010, dernière modification le 26 avril 2022.

Par Philippe Bourrinet

Le tour du monde de cinq de Billancourt en 1958
Le tour du monde de cinq de Billancourt en 1958
Livre de Gabrielle Hirzel, au Seuil
Raymond Hirzel (à gauche) chez Paul Thalmann (à droite) à Nice en 1960
Raymond Hirzel (à gauche) chez Paul Thalmann (à droite) à Nice en 1960
Cliché communiqué par Claudine Pelletier
A Neige et merveilles en 1992
A Neige et merveilles en 1992
Cliché Claudine Pelletier
Raymond Hirzel en 1948
Raymond Hirzel en 1948
Raymond Hirzel en 1960
Raymond Hirzel en 1960

ŒUVRE : Raymond Bourt, “Les luttes revendicatives en France. Renault lance à nouveau le mouvement de grève”, Socialisme ou Barbarie, n° 5-6, mars-avril 1950, p. 148-154. – « Voyage en Yougoslavie », Socialisme ou Barbarie, n° 8, janvier-février 1951, p. 3-30. – R. B. (Raymond Bourt), « Les réactions ouvrières au Mans », Socialisme ou Barbarie, n° 25, juillet-août 1958, p. 83-88.

SOURCES : « La vie simple près de Paris », Journal des Débats politiques et littéraires, Paris, 9 octobre 1929. – A. Véga, « Les ‘redresseurs’ de la CGT », L’Internationaliste, mai-juin 1947. – « Un journal ouvrier chez Renault », Socialisme ou Barbarie, n° 15-16, oct.-déc. 1954. – Gabrielle Hirzel, Cinq de Billancourt à travers trois continents, Le Seuil, Paris, 1958. – « De la scission avec Socialisme ou Barbarie à la rupture avec I.C.O. (entretien avec H. Simon) », L’Anti-Mythes n° 6, Caen, déc. 1974. – Pierre Lanneret, Les internationalistes du « troisième camp » en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Acratie, La Bussière, 1995. – Philippe Gottraux, « Socialisme ou Barbarie », un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Payot, Lausanne, décembre 1997. – « Marcel et Janine », lettre de Raymond Hirzel à Claudine Pelletier, Nice, le 9 juin 1993, in Paolo Casciola et Claudine Pelletier (éd.), « Hommage à Jeannine Morel (1921-1998) », Quaderni Pietro Tresso, n° 15, janvier 1999. – Henri Simon, « Toute une génération s’en va. Raymond Hirzel », Échanges et Mouvement n° 103, hiver 2002, p. 73-74. – Paolo Casciola, « Raymond Hirzel (1920-2002) », in « Hommage à Louis Bonnel (1914-2002) », Quaderni Pietro Tresso, n° 40, mars-avril 2003, Bi-Elle, Florence. – Témoignage de Josiane Antony-Hirzel, L’écho de la Minière, juin 2003. – « Rivivono le antiche miniere d’argento di Vallauria in alta val Roya », Sanremonews.it, samedi 1er septembre 2012. – Témoignage écrit d’Henri Simon ; notes, documents et photos de Claudine Pelletier (novembre 2013). – Site « Neige et Merveilles » : http://www.neige-merveilles.com/association/historique.

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