Par Éric Belouet
Né le 27 mars 1927 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), mort le 18 décembre 2020 ; chaudronnier puis professeur technique adjoint de chaudronnerie ; permanent de la JOC (1951-1954), syndicaliste CFTC puis CFDT, militant du PSU (1971-1989) puis de Clamart-Autogestion (1989-2001).
Son père, Belkacem Hadj-Amar (1896-1958), originaire de Draâ-El-Mizan près de Tizi Ouzou (Algérie), venu à Sète (Hérault) en 1913 où il devint docker, se maria avec Alphonsine née Rancon (1891-1973), originaire de la Haute-Loire, malgré l’opposition de sa famille. Il se fit baptiser et prénommer Victor et ne revit jamais l’Algérie. Le couple s’installa à Clermont-Ferrand où Victor Hadj-Amar devint ouvrier chez Michelin. La famille vécut au 28 rue de la Foi, dans un logement avec jardin de la Cité de la Plaine. Pierre Hadj-Amar effectua toute sa scolarité (école maternelle, école primaire et cours complémentaire) dans les établissements scolaires Michelin. En 1943, il fut admis sur concours à l’école professionnelle Michelin et suivit pendant trois ans les cours de la section chaudronnerie. Il obtint trois CAP : chaudronnier, soudeur oxy-acétylélique (OA) et soudeur à l’arc électrique. Dès le mois d’octobre 1944, il s’engagea à la CFTC dans le sillage de Robert Dumas*, l’un des dirigeants de la fédération jociste de Clermont-Ferrand, et devint responsable syndical « Jeunes », assurant la liaison avec le syndicat et l’Union départementale.
En mai 1945, Pierre Hadj-Amar participa à une session de l’Institut de culture ouvrière (ICO) à Marly-le-Roi (Seine-et-Oise, Yvelines) et, trois mois plus tard, adhéra à la JOC lors d’une session d’études à Neussargues-Moissac (Cantal). Il devint rapidement dirigeant fédéral de Clermont-Ferrand. L’une des principales revendications de la JOC à la Libération consistait à obtenir un « délégué des jeunes ». Les militants jocistes lancèrent la campagne à l’école Michelin. Lors d’une consultation des jeunes, Pierre Hadj-Amar fut élu. Recueillant les revendications de ses camarades, il allait les présenter à la Direction et obtint ainsi quelques résultats. En mai 1946, il plaida la cause d’un jeune injustement sanctionné ; le conseil de discipline leva la sanction, mais un de ses professeurs, membre du conseil, vint lui présenter les félicitations du directeur et ajouta : « Il faut que tu saches que la porte de l’usine ne sera jamais ouverte pour toi. » En septembre 1946, l’apprentissage terminé, tous les apprentis furent intégrés chez Michelin à l’exception de Pierre Hadj-Amar.
Pierre Hadj-Amar entra alors dans une chaudronnerie d’une douzaine d’ouvriers où il put s’affirmer professionnellement. Il continua de militer à la CFTC et à la JOC. Après avoir effectué son service militaire en 1947, Pierre Hadj-Amar entra dans l’entreprise métallurgique clermontoise Ollier, une entreprise de mécanique et de chaudronnerie fabriquant des presses et des réservoirs qui comptait environ 800 salariés. Ayant appris que ses jours dans l’entreprise étaient comptés – il s’était fortement impliqué dans une grève –, il partit en novembre 1948 suivre une école d’apprentissage dans une entreprise en expansion – les bennes Poclain – au Plessis-Belleville (Oise). Au bout d’un an, en conflit avec la direction de Poclain, il prit la direction d’un foyer de jeunes travailleurs (FJT) situé 48 rue du capitaine Guynemer à Courbevoie (Seine, Hauts-de-Seine) d’une quarantaine de lits, le foyer Branly.
Sollicité par la direction nationale de la JOC, Pierre Hadj-Amar devint permanent national le 1er juillet 1951, d’abord au sein de la province jociste Picardie-Champagne, puis, à partir de 1953, au service « Soldats » de l’ACJF (fédérant les divers mouvements d’Action catholique spécialisée de la jeunesse : JOC, JAC, JEC et JIC) en remplacement de Jean Sivet*.
Au printemps 1954, Pierre Viallefond*, son ami d’enfance, lui-même ancien permanent jociste, travaillant depuis un an chez Thomson à Asnières (Seine, Hauts-de-Seine), lui signala que cette entreprise cherchait des chaudronniers et qu’il pourrait y militer syndicalement. Après avoir passé son essai de chaudronnier P2, Pierre Hadj-Amar entra chez Thomson en avril 1954, à l’usine d’Asnières. Il prit des responsabilités syndicales en janvier 1956 après avoir passé son essai de chaudronnier P3 et s’être déjà montré au cours de la première grève victorieuse chez Thomson en septembre 1955. Élu délégué du personnel CFTC en janvier 1956, il s’imposa comme le délégué de son atelier de chaudronnerie. Il participa aux réunions du groupe Reconstruction pour l’évolution de la CFTC.
Pierre Hadj-Amar fit également partie du bureau de la section syndicale regroupant les sept ou huit principaux responsables et se réunissant une fois par semaine après le travail pour coordonner l’action de la section et son fonctionnement, prévoir et organiser la formation des militants (un ou deux week-ends par an au Centre de formation confédéral, à Bierville). Le bureau de la section devait en outre se préoccuper du développement de la CFTC dans les autres usines Thomson afin que sa voix soit entendue au sein du comité central d’entreprise (en 1955, Thomson comptait huit usines : quatre en région parisienne et quatre en province) et que l’action syndicale suive le développement de l’entreprise (de 1957 à 1961, Thomson créa une usine à Angers et trois en banlieue parisienne). La Fédération CFTC de la Métallurgie n’ayant pas les moyens d’assumer cette tâche de développement syndical, les responsables de l’usine de Gennevilliers devaient l’assurer. Pierre Hadj-Amar y contribua largement et aida les délégués des usines de Lesquin (Nord), de Bohain (Aisne) et de Chauny (Aisne).
Pierre Hadj-Amar se maria à Clamart (Seine, Hauts-de-Seine) le 24 avril 1959 avec Élise Prunault. Pupille de la Nation (son père était mort des suites d’une blessure de guerre quand elle avait dix-huit mois), militante jociste du Finistère, celle-ci était entrée à la Seita à Morlaix (Finistère), puis, en concertation avec d’autres jocistes de cette manufacture, était partie travailler à la manufacture de la Seita à Issy-les-Moulineaux (Seine, Hauts-de-Seine) afin d’y développer la CFTC et y était devenue secrétaire syndicale et membre du bureau fédéral. Le couple s’installa à Clamart en 1959 et une fille naquit de cette union le 27 mai 1960 (Catherine, devenue professeur de technologie en collège).
Pierre Hadj-Amar fut à nouveau élu délégué chaque année de 1957 à 1962 à Gennevilliers-Asnières. Il fut en première ligne dans l’action syndicale intense de cette période au cours de laquelle Thomson ouvrit – en 1957 – une usine à Bagneux en y transférant des services de Gennevilliers et de l’Amiral-Mouchez (Paris XIIIe arr.) et où treize semaines de grève et de manifestations se terminèrent le 13 décembre 1957 par un succès syndical sur les salaires et la retraite complémentaire. Une autre grève, en 1959, aboutit à la mensualisation des ouvriers et – chose rare – à des augmentations de salaire inversement hiérarchisées : 2,5 % pour les cadres, 11 % pour les femmes de ménage. Dès 1958, la CFTC avait conquis le secrétariat du CCE et était devenue majoritaire sur l’ensemble de l’entreprise.
Thomson, qui avait acquis à Sartrouville (Seine-et-Oise, Yvelines) l’ancienne usine Latecoère (devenue ensuite Radio-Industrie), décida d’y transférer l’usine d’Asnières (vendue en 1962). La Direction accepta de muter certains salariés dans un établissement plus proche de leur domicile mais refusa à Pierre Hadj-Amar d’aller à Bagneux. De 1962 à 1965, il se rendit donc de Clamart à Sartrouville dans cette usine qui compta rapidement 1 200 ouvriers et techniciens. Il y organisa la section syndicale CFTC (CFDT à partir de 1964) qui obtint la majorité dès la première élection. Là encore, il fut élu délégué du personnel chaque année, de 1962 à 1965. En 1965, Pierre Hadj-Amar obtint enfin sa mutation pour l’usine de Bagneux, plus proche de son domicile (quinze minutes de trajet en voiture au lieu d’une heure et demie pour aller à Sartrouville). Il était toujours ouvrier P3, comme en 1955.
Pierre Hadj-Amar refusa à plusieurs reprises les sollicitations d’Eugène Descamps* pour devenir permanent. Il soupçonnait en effet ce dernier de vouloir détourner les principaux militants de la CFTC de la Thomson pour les faire venir à la Fédération de la Métallurgie, et fut ainsi souvent en désaccord avec les militants qui répondaient favorablement aux sollicitations fédérales. Cela lui valut une solide réputation de « basiste » qu’il assumait pleinement.
À l’usine de Bagneux, Pierre Hadj-Amar, désireux de « souffler » un peu, milita dans son atelier mais ne fut pas délégué et refusa d’être candidat au cours de la période 1965-1967. Lorsque, dès le 17 mai 1968, l’usine de Bagneux entra en grève et que l’occupation fut décidée, il entra toutefois au comité de grève et en fut l’un des leaders. Son autorité et son expérience s’imposèrent et il alla négocier pour la CFDT à la Direction générale les conditions de la reprise du travail qui eut lieu le 19 juin. Thomson fut la dernière entreprise importante à reprendre le travail.
Les conséquences physiques d’un accident de voiture dont il fut victime en septembre 1968 – il ne put reprendre le travail qu’en mars 1969 – le contraignirent à envisager une reconversion professionnelle. En juillet 1970, ayant passé avec succès le concours d’entrée à l’École normale nationale d’enseignement technique, Pierre Hadj-Amar quitta la Thomson et entra en septembre, à l’âge de quarante-trois ans, dans cette école située rue de la Roquette à Paris (XIe arr.), d’où il sortit un an plus tard professeur technique adjoint de chaudronnerie. Il adhéra alors au SGEN-CFDT et fut nommé au lycée d’enseignement professionnel de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine), un vieux bâtiment mal équipé où la section de chaudronnerie n’avait quasiment pas de matériel pour faire travailler les élèves, et aucun crédit pour acheter des machines. Pierre Hadj-Amar démarcha la direction Thomson de Bagneux et obtint qu’elle lui livre le matériel de chaudronnerie mis à la réforme. Sur le plan syndical, il représentait le SGEN à la commission de la carte scolaire. En 1976, il quitta Suresnes pour le lycée professionnel Carrefour des fainéants (devenu Les Côtes de Villebon) à Meudon jusqu’à son départ à la retraite en 1991.
Sur le plan politique, Pierre Hadj-Amar envisageait dès 1968 d’adhérer au PSU, mais ne franchit le pas qu’en 1971. Il milita activement au sein de la section de Clamart. Après 1974, les départs au PS de Michel Rocard* et de Jean Le Garrec* (candidat aux législatives de 1973 dans la circonscription incluant Clamart) créèrent des tensions entre des militants qui en vinrent à se suspecter et à s’accuser de déviation ; Pierre Hadj-Amar fit donc le choix de recentrer son militantisme sur la vente de Tribune socialiste tous les samedis matins au marché du Trosy, à Clamart.
L’activité du PSU fut assurée à Clamart jusqu’à la dissolution du parti au niveau national en 1989. Avec certains de ses militants et des écologistes, Pierre Hadj-Amar participa alors au développement de « Clamart Autogestion » (association créée dix ans auparavant par la section PSU de Clamart dans le prolongement du « front autogestionnaire » des élections législatives de 1978) pour intervenir sur les problèmes locaux d’environnement et d’aménagement et s’opposer à la réalisation du projet « pharaonique » du département des Hauts-de-Seine qu’était le tunnel autoroutier. Pierre Hadj-Amar figurait sur la liste présentée par cette organisation lors des élections municipales en 1983, 1989 et 1995. En 2000, « Clamart Autogestion » se transforma en « Alternative Clamartienne » qui devait présenter des listes aux municipales de 2001 et 2008, mais Pierre Hadj-Amar refusa d’y adhérer.
Retraité, Pierre Hadj-Amar continuait à aider les militants qu’il avait connus jeunes techniciens à la Thomson et qui avaient pris des responsabilités politiques ou syndicales. Il se retrouva avec eux et quelques-uns des leaders Thomson des années 1950 le 20 novembre 1996, manifestant devant le siège sis 173 boulevard Haussmann contre la cession de la première entreprise française d’électronique.
En 2010, Pierre Hadj-Amar, veuf depuis novembre 1990, était toujours domicilié à Clamart ; il signa l’appel au rassemblement du cinquantième anniversaire de la fondation du PSU les 10 et 11 avril 2010.
Par Éric Belouet
SOURCES : Arch. JOC (SG), fichier des anciens permanents. — André Gueslin (dir.), Les hommes du pneu. Les ouvriers Michelin (1940-1980), Les Éditions de l’Atelier, 1999. — Notice biographique rédigée par Louis Moulinet. — Nombreux entretiens et conversations informelles avec l’intéressé. — Notes de Roger Barralis. — État civil de Clermont-Ferrand. — Des archives personnelles de son activité militante sont à l’ITS rue de Malte et une partie - sur la Thomson - à la CFDT.