ZORETTI Ludovic

Par Justinien Raymond

Né le 29 juin 1880 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 22 janvier 1948 au camp de Carrère près de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) ; professeur ; créateur et secrétaire de la Fédération CGT de l’Enseignement ; fondateur de l’Institut supérieur ouvrier ; militant socialiste, membre de la CAP de la SFIO (1938) ; fondateur de la tendance « Redressement » (1938) ; délégué du RNP en zone-Sud.

Ludovic Zoretti
Ludovic Zoretti

Le père de Ludovic Zoretti, Italien naturalisé lors de son mariage, était commis dans une compagnie maritime. Sa mère était la fille d’un capitaine au long cours. Ludovic Zoretti fut orphelin de père à trois ans. Il put poursuivre ses études grâce à une bourse obtenue par concours (il fut reçu premier) en octobre 1890. Brillant élève au lycée de Marseille, il surmonta les difficultés matérielles rencontrées : « L’enfant pauvre, au lycée, ne court pas pleinement sa chance. Je pourrais évoquer mon propre cas bien qu’un peu lointain, et les difficultés que j’avais à travailler sans livres, et sans argent pour m’en procurer... », devait-il écrire en 1935 (Élite, sélection, culture, op. cit.).

Chaque année, Ludovic Zoretti reçut le prix d’excellence. En 1894, il étonna son professeur de mathématiques en résolvant les épreuves du concours de Saint-Cyr. En juillet 1896 et 1897, il obtint la mention « très bien » aux deux épreuves du baccalauréat et un accessit au concours général de mathématiques. Second des candidats admis à Polytechnique et premier au concours d’entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1899, il choisit l’ENS. En 1902, il fut reçu premier à l’agrégation de Mathématiques. D’octobre 1902 à juillet 1904, il remplit les fonctions de bibliothécaire rue d’Ulm. Après avoir remplacé un professeur décédé du lycée Michelet à partir de mai 1904 jusqu’à la fin de l’année scolaire, en octobre 1904, il fut nommé au lycée de Rochefort (Charente-Inférieure) comme enseignant dans la classe préparatoire à l’École navale. En janvier 1905, il soutint sa thèse sur Les Fonctions analytiques uniformes qui possèdent un ensemble parfait discontinu de points singuliers, devant un jury qui rassemblait Paul Appell, doyen de la faculté des sciences de Paris, Paul Painlevé, Jacques Hadamard, professeur de calcul différentiel. Sa thèse complémentaire s’intitulait : Mécanique : déformation des milieux continus ; équation de l’élasticité. Docteur en mathématiques, Ludovic Zoretti poursuivit son enseignement à Rochefort jusqu’en 1908. Il s’était marié en août 1906 à Villemomble (Seine).

En novembre 1908, il fut nommé maître de conférence à la faculté des sciences de Grenoble (Isère) et y demeura trois ans. Parallèlement, il donna des cours au Collège de France qui furent rassemblés, en raison de l’écho rencontré, dans la collection des monographies sur la théorie des fonctions. Il collaborait également aux Annales de l’École normale. Après y avoir été chargé d’un cours de mécanique rationnelle et appliquée de janvier à octobre 1911, en novembre 1911, il fut nommé à la faculté des sciences de Caen (Calvados) et devait y enseigner la mécanique rationnelle et appliquée pendant vingt-neuf ans, sauf pendant la guerre qu’il fit dans le service auxiliaire en raison de sa forte myopie. Après la Première Guerre mondiale, Ludovic Zoretti créa à Caen l’Institut technique de Normandie pour la formation des ingénieurs chimistes et des ingénieurs électro-mécaniciens. Il fonda également une section d’ingénieurs du Génie civil et obtint la création à la faculté de Caen d’une chaire de mécanique des fluides et d’un corps de recherches aéronautiques.

Ludovic Zoretti ne fut pas seulement un grand professeur. Il se soucia de la défense des intérêts et des droits de ses pairs et réfléchit sur la mission de l’enseignement. Il fut à l’origine du syndicalisme de l’enseignement supérieur lié au syndicalisme ouvrier de la CGT. En 1917, il adhéra à la CGT et, pendant plusieurs années, fut le seul professeur de faculté, avec Paul Rivet*, à appartenir à une grande organisation ouvrière. Après la scission syndicale de 1921, il créa la Fédération des membres des enseignements secondaire et supérieur adhérant à la CGT, appelée « Fédération Zoretti », qui ne comptait qu’une centaine de membres. En 1928, les amicales de l’enseignement supérieur la rejoignirent.

Depuis longtemps il avait été défenseur de la constitution d’une fédération de l’enseignement dans la CGT, projet qui put enfin être réalisé lors de son congrès constitutif le 11 octobre 1928. Ludovic Zoretti en rédigea les statuts, en fut le secrétaire administratif jusqu’à la dissolution des syndicats en 1940, et la représenta régulièrement dans les congrès internationaux.

Pour Ludovic Zoretti, le syndicalisme universitaire ne se résumait pas à la seule défense des intérêts corporatifs. Il devait aussi réfléchir sur les objectifs, les moyens et les méthodes de l’enseignement. En 1918, dans son ouvrage Éducation, il traça un projet de réforme totale de l’enseignement, le premier à défendre la gratuité du secondaire. Ses arguments furent repris par Hippolyte Ducos, à propos des réformes accomplies par le gouvernement Herriot et le Cartel des gauches. Ils inspirèrent également le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, Jean Zay. En 1919, au congrès CGT de Lyon (15-21 septembre), Ludovic Zoretti transposa en projet précis une « réforme de l’Enseignement ».

Dans L’Éducation nationale et le mouvement ouvrier en France, Ludovic Zoretti, retraçant les étapes de la réflexion menée par les socialistes depuis Gracchus Babeuf* jusqu’à Fernand Pelloutier*, insistait sur « l’œuvre à entreprendre par les organisations ouvrières ». Pour lui, la CGT devait promouvoir « un enseignement libre syndicaliste à l’intérieur de l’enseignement officiel, aux frais de l’État ». Reprenant une idée de Pelloutier, des manuels scolaires devaient être élaborés sous le contrôle syndical et édités par les coopératives de librairie et d’édition. L’idée selon laquelle le socialisme ne peut se réaliser qu’à condition d’une éducation suffisante des prolétaires, est récurrente dans sa pensée. Finalement ses propositions prirent leur forme définitive dans les rapports adoptés par la commission fédérale de l’enseignement et de l’éducation ouvrière (1929-1931), joints au compte rendu du Congrès confédéral de Paris (1931).

En 1935, Ludovic Zoretti recueillit ses principaux articles du Populaire et du Peuple dans son livre Élite, sélection, culture. Il y réaffirmait une thèse formulée dès 1918 : « Le problème de la culture des masses [est] au moins égal en importance au problème de formation des élites ». Il ajoutait : « Mieux encore que les connaissances, l’enseignement doit développer, cultiver chez l’enfant certaines qualités d’une importance essentielle. Et, parmi ces qualités, je placerai, tout à fait en premier lieu, l’esprit critique ! Voilà ce qui manque le plus à la classe ouvrière, à l’humanité. »

Ces objectifs assignés à l’enseignement, Ludovic Zoretti chercha à les atteindre également au plan international : il fonda le Secrétariat international de l’enseignement qui rassemblait tous les groupements d’éducateurs, instituteurs et professeurs des divers degrés au sein de la Fédération syndicale internationale. Il était le directeur-gérant de l’édition française de l’organe de ce groupement Éducation et Culture, revue d’éducation internationale et de culture ouvrière. En 1931, il fit admettre par la CGT la nécessité d’organiser un enseignement syndicaliste à l’exemple des autres centrales syndicales belge, anglaise ou allemande. Né l’année suivante, l’Institut supérieur ouvrier prodiguait un enseignement répercuté dans les unions départementales par le biais des Collèges du Travail. Ludovic Zoretti en fit confier la direction à Georges Lefranc. « Université libre pour travailleurs », selon sa formule, l’ISO commença à fonctionner en octobre 1932. Six ordres d’études étaient proposés : études juridiques et économiques ; histoire générale et économique ; géographie générale et économique ; histoire du mouvement d’organisation ouvrière et patronale ; science et technologie ; philosophie, lettres et arts. Un enseignement par correspondance prolongeait cet enseignement direct pour répondre à deux catégories d’élèves, ceux qui, boursiers des organisations, consacraient tout leur temps à l’étude pendant six à neuf mois et ceux qui conservaient leur emploi salarié et parcouraient le cycle en deux ou trois ans.

Chez Ludovic Zoretti, l’action syndicaliste, les conceptions du professeur se rattachaient à la vision d’une société socialiste. Il avait été élevé par une mère protestante et s’il perdit la foi très tôt et ne fit pas baptiser ses deux filles, il est certain, qu’à cette première éducation, il devait le caractère exigeant du pédagogue. Il adhéra au Parti socialiste SFIO en 1914 et fut pendant un quart de siècle l’animateur de la Fédération socialiste du Calvados (voir Marie Langlois). Secrétaire de cette fédération en 1915-1916 et 1920, il devait en être le trésorier en 1930. Il créa son organe Le Populaire normand dont il fut le directeur et le principal rédacteur. « Minoritaire de guerre », il signa en novembre 1920 la motion du Comité pour la reconstruction de l’Internationale et, après la scission de Tours (décembre 1920), créa Le Pays normand. Il collaborait au Populaire, au Populaire du Centre, ainsi qu’à La Bataille socialiste. Il ne brigua jamais un mandat parlementaire, tout en acceptant de se présenter dans des élections locales perdues d’avance. Le 15 mars 1931, candidat au conseil général dans le canton de Caen-Ouest, il obtint 334 voix contre 1645 au candidat de droite.

A veille de la guerre, Ludovic Zoretti, proche de Syndicats (voir René Belin) et du Pays socialiste (voir Paul Faure), était partisan de la négociation et de la paix à tout prix. Après l’exclusion de la Gauche révolutionnaire (Royan, juin 1938), il s’efforça de rassembler les certains pivertistes et, avec l’apport d’anciens de Révolution constructive, de créer un nouveau pôle au sein de la SFIO : « Redressement pour la construction du socialisme et la paix », qu’il dota d’un organe du même nom (voir Georges Albertini). Il approuva les accords de Munich et participa à la grève nationale du 30 novembre. Sa tendance présenta une motion en vue du congrès extraordinaire de Montrouge (24 décembre 1938) dans laquelle la conception de la sécurité collective était dénoncée comme “fallacieuse et périlleuse” et appelait à un « désarmement général enfin accompli par la collaboration des peuples dans le cadre d’états libérés de la tutelle des trusts et des banques ».

Mais cette figure du « parti de la paix », devait faire des déclarations qui lui valurent d’être traduit devant les instances disciplinaires du parti. Le 14 septembre 1938 à la veille de Munich, il publia dans Le Pays normand un article dans lequel il accusait Léon Blum de se préparer à rallier une nouvelle union sacrée : « Le peuple de France ne vous suit pas. Il ne comprend pas. Il ne veut pas, dans son sein, faire tuer des millions d’hommes, détruire une civilisation pour rendre la vie plus facile aux cent mille juifs des Sudètes », allusion à une déclaration antérieure de Léon Blum qui avait rappelé que dans les Sudètes, « il n’y a pas que des Allemands, il y a aussi cent mille juifs ». Convoqué devant la commission des conflits, Ludovic Zoretti se vit retirer toute délégation pour une durée de deux ans. Quelques mois plus tard, en mars 1939, il perdit son poste de secrétaire de la Fédération générale de l’Enseignement.

La guerre engagée, Louis Lecoin le porta à son insu et sur les conseils de Pierre Vigne, parmi les signataires du tract « Paix immédiate ». En accord avec Paul Faure, Ludovic Zoretti écrivit à Hans Oprecht, le président du Parti socialiste suisse, pour qu’il examine la possibilité d’une intervention des pays neutres en faveur de la paix. Dans cette lettre dont Léon Blum prit connaissance par l’intermédiaire de Charles Laurent, Ludovic Zoretti attaquait Léon Blum (« Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’empêcher de trop grosses sottises, par exemple la constitution d’un cabinet dans lequel Blum et Herriot rivaliseraient en ce qui concerne le meurtre collectif. »). Il fut exclu du Parti socialiste et le gouvernement Daladier engagea des poursuites contre lui. Il fut exclu du Parti socialiste et le gouvernement Daladier engagea des poursuites contre lui. Il fut condamné à huit mois de prison avec sursis et 1 000 F d’amende par le Tribunal militaire de la Troisième Région le 9 juin 1940 pour trois motifs dont seul le motif d’infraction aux décrets-lois sur la censure fut maintenu. Révoqué de ses fonctions le 9 décembre 1940, en 1942, il quitta Caen pour s’installer chez sa sœur à Antibes. Après avoir publié un ouvrage, France, forge ton destin qui se plaçait dans l’hypothèse de la victoire définitive de l’Allemagne, il adhéra au Rassemblement national populaire de Marcel Déat au sein duquel il fut chargé des problèmes d’éducation et de formation professionnelle. Mis à la disposition du Secrétaire d’État au Travail et de la Solidarité nationale le 11 avril 1944, il remplit les fonctions de délégué général en Zone-Sud. Le 13 mai 1944, après l’arrivée au pouvoir de Marcel Déat, il fut réintégré à la Faculté de Rouen. A la Libération, suspendu de ses fonctions, il fut condamné en 1945, à Caen, à la peine de mort par contumace et révoqué sans pension le 26 juin 1944. Emprisonné à Draguignan, il vit son procès rouvert en octobre 1946 et Ludovic Zoretti fut condamné à huit ans de réclusion et à l’indignité nationale dont il fut relevé peu après.

Incarcéré jusqu’en mai 1947 à la prison de Caen, il fut ensuite transféré à Fresnes puis au camp de Carrère près de Villeneuve-sur-Lot parmi un millier de détenus politiques. Malgré les conditions difficiles et l’altération de sa santé — il perdit presque toute acuité visuelle —, il y écrivit un traité de sténotypie et un manuscrit : Sur la paille humide. Pendant la guerre, Ludovic Zoretti avait écrit également un texte intitulé Les Deux dernières années de la SFIO dans lequel il retraçait son engagement à la veille de la guerre. Ce dernier manuscrit, commencé en juin 1940, révèle quel était son état d’esprit à l’époque : il analysait toute l’action de la SFIO au travers du supposé pouvoir que les militants d’origine juive (Léon Blum, Salomon Grumbach, Charles Lussy, Gaston Lévy) auraient exercé en son sein. Selon sa terminologie, le PS était tenu en mains par « la juiverie belliciste ».

La mort de son épouse, le 3 décembre 1947, lui fut fatale, Ludovic Zoretti décéda deux mois plus tard.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89648, notice ZORETTI Ludovic par Justinien Raymond, version mise en ligne le 9 octobre 2010, dernière modification le 23 octobre 2020.

Par Justinien Raymond

Ludovic Zoretti
Ludovic Zoretti

ŒUVRE : Éducation. Un essai d’organisation démocratique, Plon, 1918. — L’Éducation nationale et le mouvement ouvrier en France, Librairie populaire, s.d. [1923]. — Élite, sélection, culture, Éd. Liberté, 1935. — France, forge ton destin, Éd. Debresse, 1941. — Sur la paille humide et Les deux dernières années de la SFIO (manuscrits inédits).

SOURCES : Arch. Nat., AJ/16/1602, F7/13081, F17/26401. — G. Lefranc, “Une expérience d’éducation populaire : Institut supérieur ouvrier, collèges du Travail, Centre confédéral d’éducation ouvrière, 1932-1939”, Essais sur les problèmes socialistes et syndicaux, op. cit. — A. Thirion, Révisions déchirantes, op. cit. — La Vie socialiste, 21 mars 1931. — Le Peuple, passim. — La Bataille socialiste, n° 111, octobre 1938. — Virginie Hebrard, Ludovic Zoretti, un pacifiste de la SFIO, 1936-1939, Mémoire de Maîtrise, Histoire, Paris X, 1995. — Notes de Jacques Girault et de Claude Harmel. — Rens. de Mademoiselle Emma Zoretti, fille de L. Zoretti. — Jérôme Letournel Socialisme et socialistes dans le Calvados des origines à la fin du XXe siècle (1864-1998), thèse, Université de Caen, 2013 [ce travail renouvelle profondément la connaissance de l’action de Zoretti et son ancrage dans la Calvados). .

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