Par Jean Maitron
Née le 10 octobre 1897 à Aunay-sur-Odon (Calvados), morte le 26 décembre 1986 à Aunay-sur-Odon ; institutrice ; militante syndicaliste et socialiste.
Fille de Chaeles Langlois, ouvrier sellier-garnisseur dans une carrosserie occupant une dizaine d’ouvriers et de Joséphine Pélicia, couturière devenue employée de commerce, Marie Langlois fut destinée dès l’enfance à être institutrice par son père qui souffrait de n’avoir qu’une mauvaise instruction. La vie fut difficile après la mort prématurée du père (1907). Marie fréquenta un cours complémentaire, puis fut reçue à l’École normale d’institutrices de Caen (promotion 1912-1916) où plusieurs professeurs exercèrent sur elle une forte influence, notamment la directrice, Mme Schercher, et son professeur d’histoire, Mme Vidalenc. Nommée institutrice dès 1916 dans de petits villages, mais désireuse de préparer le baccalauréat et une licence d’histoire, elle obtint une nomination à Caen. Grâce aux Vidalenc, elle fut engagée comme secrétaire à l’Institut technique de Normandie que Ludovic Zoretti avait fondé près de l’Université de Caen. Elle s’engagea avec lui dans l’action politique (au Parti socialiste) et syndicale (à la CGT).
Après le congrès socialiste de Tours (1920) et syndical de Lille, elle resta au Parti socialiste et à la CGT, bien que les communistes aient obtenu la majorité dans le Calvados et, notamment, conservé la Bourse du Travail. Les quelques syndicats demeurés confédérés ouvrirent une Maison du Peuple, dont Marie Langlois assura (sans le titre) le secrétariat. Élue à la commission administrative de l’Union départementale confédérée, elle en devint secrétaire adjointe en 1924 avant que lui soit confiée, en 1928, la charge de secrétaire générale. Elle occupa cette fonction jusqu’en 1939 avec une interruption de 1931 à 1933. Elle fut ainsi la première femme en France secrétaire d’une UD. A ce titre, elle assistait à toutes les réunions du Comité confédéral national (CCN) de la CGT et aux congrès confédéraux où elle fut vite connue de tous les dirigeants pour son activité inlassable et son franc parler.
En 1930-1931, elle représenta les syndicats CGT de Basse-Normandie au Conseil économique du travail. Comme elle exerçait en même temps son métier d’institutrice (en 1928 elle fonda une école maternelle et joua un rôle de pionnière dans ce secteur de l’enseignement), on lui adjoignit, après l’afflux des adhérents en 1936, un secrétaire permanent appointé, Marceau Dégardin, ouvrier du Livre, de formation anarchisante, qui venait de la Somme. L’Union départementale du Calvados allait être, sous leur direction et celle de Zoretti, un des pôles de la résistance à la « colonisation » de la CGT par les communistes.
Marie Langlois pratiqua une politique de collaboration avec les autorités départementales. Elle fut appelée par le préfet, en octobre 1926, à siéger à la commission régionale d’études relatives au coût de la vie. Elle devint membre, en 1934, de diverses sous-commissions du comité départemental de surveillance des prix et participa aux travaux de l’Office de placement. Elle n’hésitait pas à apporter son soutien aux grévistes : à Isigny ou encore à Caen, en 1930, où elle expliqua aux ouvriers menuisiers des établissements Doré l’intérêt que représentait la loi sur les assurances sociales et où elle participa aux négociations qui débouchèrent sur une augmentation de salaire.
Outre son travail proprement syndical (création de syndicats, soutien des revendications, conventions collectives), elle créa, à l’Union départementale, des œuvres culturelles (Collège du travail) et sociales : fourneaux économiques pour les chômeurs, les économiquement démunis et, pendant la guerre, pour les réfugiés ; colonie de vacances ; caisse d’assurances sociales « Le Travail ». Elle anima le mouvement de grèves de 1936 et prit part aux négociations. A la même époque, elle demanda qu’une aide soit apportée aux réfugiés espagnols, fut déléguée par son syndicat au congrès GGT de Toulouse (2-5 mars 1936) et participa au meeting de protestation contre l’attentat dont Léon Blum avait été victime. En novembre 1938, elle intervint pour dénoncer les décrets Daladier, critiquer la non-intervention française en Espagne et inviter les salariés à suivre le mot d’ordre de grève lancé par la CGT. Elle siégeait au Conseil syndical de l’enseignement primaire.
Marie Langlois militait en même temps à la Fédération socialiste du Calvados, mais, l’essentiel de son action étant consacré à l’UD-CGT, elle ne s’intéressait guère aux débats politiques que sous l’angle de la lutte contre la guerre. Membre de la tendance « Redressement socialiste » du Parti Socialiste SFIO elle fut du « parti de la paix » et donna sa signature à un grand nombre de manifestes. C’est pourquoi, sur le conseil de Pierre Vigne, Louis Lecoin mit son nom, en octobre 1939, comme celui de Zoretti, sur le tract « Paix immédiate », bien qu’elle eût refusé de le signer quand il lui avait été présenté par ailleurs, parce qu’une phrase qui semblait appeler les soldats à la rébellion, lui avait fait soupçonner une manœuvre policière.
Suivant fidèlement Ludovic Zoretti dans son évolution politique, elle participa avec lui et Marceau Degardin à la constitution du RNP du Calvados en février 1941. En 1944, elle faisait encore partie du bureau départemental, au sein duquel elle était chargée de la section des universitaires. À l’ »Union de l’enseignement », animée par Pierre Vaillandet, député socialiste du Vaucluse, elle continua, jusqu’en 1944, à s’occuper d’action sociale, notamment la gestion de la Caisse d’Assurance sociale, l’évacuation des enfants de Caen et leur logement dans un petit village de la Suisse Normande (avec l’aide de Leroy-Ladurie père qui en était le maire). Nommée membre du conseil supérieur du travail par décret du 31 décembre 1943, elle est qualifiée alors de « secrétaire de l’Union départementale des syndicats du Calvados ». En 1944, sa maison de Caen fut endommagée par les bombes et sa famille maternelle dans son village natal (quatorze personnes dont six enfants) périt toute entière dans un bombardement. Marie Langlois, qui avait quitté la Normandie et s’était réfugiée sur la Côte d’Azur, fut arrêtée en même temps que Ludovic Zoretti en 1946. Quelques mois plus tard, la chambre civique du Calvados la condamna à la dégradation nationale.
Par Jean Maitron
SOURCES : Arch. Nat. F7/13081. — Arch. Dép. Calvados, M/11 938. — Informations communiquées par l’Institut d’histoire sociale. — Le Populaire normand. — Le Pays normand. — Le Réveil des travailleurs. — Redressement. — 50 000 adresses du Calvados. — M. Simon, Le mouvement ouvrier dans le Calvados, 1919-1931, Mémoire de Maîtrise, Caen, 1973. — Mazou Sadou, Le mouvement ouvrier dans le Calvados, 1930-1939, Mémoire de Maîtrise, Caen, 1972. — G. Lemarchand, Le Front populaire à Caen, 1934-1936, DES, Caen, 1961. — Témoignage écrit. — État civil d’Aunay-sur-Audon. — Notes de G. Désert.