Par Justinien Raymond
Né le 23 janvier 1876 à Reims (Marne), mort le 30 mars 1942 à Paris (XVIe arr.) ; docteur en droit, rédacteur au ministère de la Justice, journaliste ; militant socialiste puis communiste puis socialiste-communiste puis socialiste SFIO ; maire de Boulogne-Billancourt (Seine) ; sénateur de la Seine.
André Morizet était le fils d’un notaire rémois, Charles, issu de vignerons champenois et qui fut conseiller municipal radical. Sa mère, née Delius, appartenait à une famille d’origine allemande implantée depuis le XVIIIe siècle dans l’industrie du champagne et elle avait reçu une forte formation protestante. Un père au caractère primesautier et fantaisiste, une mère huguenote ont donné à Morizet une personnalité contrastée alliant « des gaietés d’enfant à des sévérités de pasteur » (Mme Morizet).
Issu d’un milieu bien nanti, André Morizet y avait respiré, au souffle maternel, une atmosphère de ferveur et d’idéalisme et, à l’exemple du père, l’amour de la liberté et de la République. Aussi, l’atmosphère de l’université aidant, il adhéra aux groupes socialistes du Quartier Latin et, en 1900, devint secrétaire du groupe des Étudiants collectivistes. Il conquit à Paris licence et doctorat en droit dans le but de recueillir l’étude paternelle. Mais des revers de fortune obligèrent son père à renoncer à sa charge. Il dut y renoncer aussi et entra comme rédacteur, en qualité de bibliothécaire, au ministère de la Justice. Le voici donc employé salarié et, en somme, plus à l’aise pour poursuivre sa vie de militant socialiste. En 1898, il fonda, à Reims, l’union socialiste de la Marne, groupe socialiste indépendant qui essaima et fut à l’origine d’une fédération autonome, face à celle du POF. Mais, au lendemain du congrès socialiste de Lyon (1901), où il représenta la Marne, André Morizet, qui avait combattu l’entrée de Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau, rejoignit les groupes dits d’unité socialiste révolutionnaire et continua à militer à Paris et dans la Marne. Il participa au congrès de Lille (1904). Au congrès d’unité à Paris (1905), il représenta la Haute-Marne. À partir de cette date, inscrit à la 6° section de Paris, il limita son action à la fédération de la Seine, tout en l’étendant, par la presse, à la France et à l’étranger. Il fut délégué au congrès de Saint-Étienne (1909), mais à Toulouse (1908), il représentait la fédération de Seine-et-Marne ; à Paris (juillet 1910) et à Saint-Quentin (1911), celle du Var ; à Lyon (1912) et à Amiens (1914), celle de Meurthe-et-Moselle. Le 22 juillet 1907, un arrêté du ministre de la Justice du gouvernement Clemenceau révoqua André Morizet du poste où il avait été admis par concours ; motifs : injures au président du Conseil et au corps de la police, plus quelques griefs professionnels dont il entendait parler pour la première fois.
Alors, André Morizet se donna totalement à l’action militante et au journalisme. Aux élections législatives de 1914, dans la sixième circonscription de Saint-Denis, il recueillit 3 972 voix sur 17 520 votants et, bénéficiant du désistement du général Percin, talonna son vainqueur avec 7 738 suffrages contre 8 609.
Ce premier contact avec Boulogne qui allait devenir son fief d’adoption fut interrompu par la guerre. Mobilisé dans l’infanterie, Morizet combattit au front jusqu’à ce qu’une grave blessure l’en éloignât : il fut alors appelé au ministère de l’Armement par Albert Thomas. Au lendemain de la guerre, la vie politique de Morizet se fixa rapidement. Aux élections municipales de 1919 à Boulogne, il conduisit à un succès total, avec une moyenne de 3 000 voix, une liste de trente-quatre candidats. Aux élections législatives du 16 novembre, il figura au douzième rang de la liste de quatorze candidats conduite par Jean Longuet dans la 4e circonscription de la Seine couvrant les arr. populeux de Saint-Denis et de Sceaux. Il se classa huitième avec 112 388 voix sur 389 000 inscrits, la liste du Bloc national enlevant tous les sièges. Le sort en était fixé. André Morizet ne serait jamais député. Mais il était installé à vie à la mairie de Boulogne et c’est de ce tremplin que, quelques années plus tard, il sera porté au Sénat pour ne plus le quitter.
Entre-temps, avec tout le parti socialiste, André Morizet avait vécu la crise consécutive à la Révolution russe. En 1917, il avait appartenu à la CAP du Parti socialiste avec la majorité qui allait être supplantée en octobre 1918 par les anciens minoritaires et les Kienthaliens. Aux approches du congrès de Tours (décembre 1920) où il fut délégué, André Morizet défendit devant la section de Boulogne la motion du Comité pour la reconstruction de l’Internationale. La scission consommée, il suivit la majorité au Parti communiste, avec toute la section de Boulogne. Élu au Comité directeur en octobre 1922, il représentait le Centre. Lorsque le Comité directeur se réunit le 16 décembre 1922, il fut un des quatre opposants à formuler “des réserves sur toutes les décisions du IVe congrès touchant des questions qui n’avaient pas été préalablement examinées par le congrès de Paris.” Pendant la courte période où il fut maire communiste de Boulogne, il se rendit en Russie, y séjourna deux mois au temps des difficultés et de la famine de 1921, et en rapporta un ouvrage que préfaça Trotsky. Peu après son retour, pour avoir refusé de participer à la revue du 14 juillet 1922, il fut révoqué. Jusqu’en juillet 1923, il céda son écharpe à son premier adjoint, le vieux militant ouvrier Jules Henripré.
L’année même où il reprit possession de la mairie, André Morizet quitta le Parti communiste avec la grande majorité du groupe de Boulogne qui, bien que peu visé par la mesure, refusa d’obtempérer à l’ordre de quitter les organisations bourgeoises comme la Ligue des droits de l’Homme et la F... M... André Morizet et ses amis adhérèrent au Parti socialiste communiste que Paul Louis fondait après avoir, lui aussi, quitté le Parti communiste. C’est comme socialiste-communiste qu’en 1925 il fut élu conseiller général par le canton de Boulogne. Il abandonna ce siège à son adjoint Eugène Lagriffoul quand il eut été élu, comme socialiste-communiste, sénateur de la Seine, le 9 janvier 1927. Le 20 octobre 1935, il fut renvoyé au Palais du Luxembourg, mais comme socialiste SFIO. Avec tout son groupe socialiste-communiste, André Morizet avait rejoint la petite section socialiste reconstituée à Boulogne à la veille des élections législatives de 1928.
Maire, sénateur, André Morizet consacra l’essentiel de son activité à l’administration. Par tempérament, par goût, il était plus porté à l’action pratique, aux réalisations tangibles qu’au jeu de ce que l’on appelle la politique pure. Néanmoins, il resta ce qu’il avait été exclusivement jusqu’en 1914 : un militant. Pendant son bref passage au Parti communiste, il se mêla à sa vie nationale et internationale. Il fut parmi ses délégués au congrès de la IIIe Internationale à Moscou en 1921. Rentré au Parti socialiste, il participa à sa vie intérieure, fréquenta ses congrès et ses conseils nationaux comme avant la guerre, assura le secrétariat du groupe socialiste du sénat et appartint à la délégation exécutive du groupe socialiste au Parlement. Il ne fut pas, il est vrai, un habitué des tréteaux de réunions publiques à travers le pays : s’il avait été un journaliste mordant et indépendant, il n’était ni un tribun populaire ni un orateur académique. Il croyait à la nécessité de la conquête de l’État, à la fatalité de la dictature du prolétariat pour la réalisation du socialisme ; il le dit dans son livre Chez Lénine et Trotsky ; il y rejette catégoriquement l’idée qu’une majorité parlementaire puisse être le moyen de déposséder la classe bourgeoise. Mais en attendant cet acte de rupture, André Morizet pense que le militant, l’élu, par leur action, leurs réalisations, peuvent travailler à l’avenir du socialisme, en hâter l’heure, en faciliter l’éclosion et l’épanouissement en y préparant les hommes, en imprégnant de son esprit la législation, les institutions communales et les cellules économiques. Dans cet esprit, il accomplit à Boulogne une œuvre édilitaire qui transforma la physionomie de cette banlieue ouvrière. Son entrée au Sénat étendit son champ d’action, en élargit la portée, mais n’en modifia pas la nature : elle resta centrée sur l’administration ; s’il siégea aux commissions de l’Armée de 1927 à 1933 et des Finances de 1933 à 1942, il appartint sans interruption à celle d’Administration générale, départementale et communale. Au Palais du Luxembourg, au conseil général, il fut l’initiateur des premières mesures d’aménagement de la région parisienne.
La guerre et l’occupation venues, André Morizet ne quitta pas sa ville, ne mesura pas ses efforts pour atténuer les difficultés de ses administrés. Il eut à l’égard de l’autorité allemande et du gouvernement de Vichy une attitude de ferme opposition qui lui eût attiré d’inévitables représailles si la maladie ne l’avait terrassé. En décembre 1941, il s’alita pour une courte agonie.
Par Justinien Raymond
ŒUVRE : A. Morizet collabora au Conscrit, organe des Jeunesses socialistes, et à l’Avant-garde, dont il fut un des fondateurs et dont le 1er numéro parut à Paris, le jour même de l’ouverture du congrès d’unité d’avril 1905 ; cet hebdomadaire se proposait de défendre au sein du Parti unifié les idées syndicalistes révolutionnaires. Il collabora à l’Humanité, à l’Action directe, organe syndicaliste, au Mouvement socialiste de Lagardelle dont il sera secrétaire de rédaction, et au Populaire. Il a collaboré aussi, épisodiquement, à quelques journaux socialistes de province et à des journaux d’Espagne et d’Amérique latine.
Ouvrages et écrits divers (cotes de la Bibl. Nat. à moins d’indications contraires) : Les Secrétaires ouvriers en Allemagne. Thèse pour le doctorat en droit. Paris, 1903, in-8°, 130 p. Tableaux (8° F. 14 931). — De l’incohérence à l’assassinat ! Trente mois de ministère radical, (préface de M. Sembat et lettre de Maurice Allard), Paris, 1909, in-8° 32 p. fig. (8° Lb 57/ 15 077). — Pourquoi nous avons besoin d’une presse puissante. La presse moderne, Paris, 1912, 45 p. — Le Plan XVII, étude sur l’incapacité de l’état-major avant et pendant la guerre, Paris, 1916, in-16, 183 p. (8° Lf 197 60). — Chez Lénine et Trotsky. Moscou 1921, Paris, 1922, 300 p. (préface de Trotsky). — Du vieux Paris au Paris moderne. Haussmann et ses prédécesseurs (illustré de 8 planches hors texte et du plan inédit des travaux de Paris prévus par Louis Napoléon), Paris, 1932, in-8°, 400 p. (8° LK 7/42 972). — Journal d’André Morizet, 3 juin 1940-30 novembre 1941, déposé à IFHS.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13264. — Bibliothèque marxiste de Paris, bobines n° 24, 3 a, 38. — Archives Humbert-Droz, t. 1, p. 415. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., pp. 155-156 et Les Fédérations socialistes II, op. cit., pp. 379-380. — Collection de l’Humanité (à partir de 1907) et du Mouvement socialiste. — Comptes rendus des congrès nationaux du Parti socialiste. — Statistique des élections au Sénat de 1876 à 1937, Paris, 1938 (pp. 60 et 89). — Chez Lénine et Trotsky (voir : œuvre) renferme des renseignements autobiographiques. — Enquête auprès de Mm A. Morizet et de M. Bruel, secrétaire de la mairie de Boulogne et compagnon de Morizet. — Renseignements fournis par M. Robert Louzon. — J. Raymond, « André Morizet » in L’Actualité de l’Histoire, n° 32, juillet-août-septembre 1960, pp. 2-19. — Pascal Guillot, André Morizet. Un maire constructeur dans le Grand Paris, Creaphis, 2013.