LABAN Maurice

Par René Gallissot

Né le 30 octobre 1914 à Biskra (Algérie), abattu par l’armée française le 5 juin 1956 lors de la dislocation du maquis communiste des Combattants de la libération ; communiste depuis la formation du PCA en 1936 ; instituteur ; lieutenant des Brigades internationales, deux fois blessé en Espagne ; secrétaire à l’agitation-propagande dans le projet de comité central réorganisant clandestinement le PCA en 1940-1941 ; arrêté et condamné au procès des 61 communistes (mars 1942), libéré en mars 1943 ; blâmé pour nationalisme algérien par la direction du PC au début de 1944 ; conseiller municipal de Biskra, membre suppléant du comité central du PCA en 1947, non reconduit en 1949 ; blâmé une seconde fois par le PCA en 1953 ; organisateur des groupes communistes paysans des oasis et aidant dès novembre 1954 les maquisards de l’Aurès ; appelé par la direction clandestine du PCA à rejoindre le maquis des Combattants de la libération dans le massif de l’Ouarsenis en avril 1956.

Les parents, Étienne Laban et Jeanne Bruel, issus de familles paysannes pauvres de métropole, étaient devenus instituteurs en Algérie à « l’école indigène » du Vieux Biskra ; c’est là que naquirent leurs deux enfants ; Maurice Laban et sa sœur furent ainsi les seuls élèves « Européens-Français » de l’école. Dotés par l’administration coloniale d’un lot de terres dans l’oasis de Saâda près de Sidi-Okba au sud-est de Biskra, la famille exploita une jeune plantation de palmiers dattiers et entretint un élevage de moutons. Le gamin Maurice Laban fut arabisé au milieu de ses camarades de classe (dont les frères Debabèche*) et de ses compagnons de jeu sur l’oasis. Selon sa « bio », qu’il remplit en mars 1939 pour l’IC, son père, socialisant depuis l’âge de quinze ans, avait été franc-maçon vers 1930 et était « pacifiste » après les Accords de Munich, alors que la mère se montrait plus « antifasciste » ; leur fils relevait qu’ils manifestaient des « tendances colonialistes ». Ils étaient imbus de la mission de l’école républicaine française appelée, selon Jules Ferry, à élever vers la civilisation, les races inférieures soumises à l’expansion coloniale. Dans sa correspondance avec son père, Maurice Laban eut à critiquer les préjugés sur la race juive que celui-ci manifestait notamment à propos de son camarade communiste de Biskra, Simon Kalifa*.

Élève à l’école primaire de Biskra jusqu’à l’âge de douze ans, le jeune homme fit ensuite ses études au lycée de Constantine devenant bachelier. Après quatre mois à une école d’ingénieurs de Marseille (qu’il jugea « peu sérieuse »), il revint huit mois dans la propriété de ses parents qu’il dirigea aux prises avec les problèmes d’eau (irrigation et puits), puis reprit des études de chimie à la faculté d’Alger et à Paris en octobre 1936. Il y fut accueilli dans sa chambre au quartier latin par son ami Simon Kalifa* ; tous deux partirent volontaires pour combattre en Espagne dans les Brigades internationales au début de novembre 1936. Maurice Laban avait adhéré au PCA lors de sa formation en septembre 1936 ; il fut délégué par les communistes de Biskra au congrès constitutif d’Alger en octobre. Dans son autobiographie, il exposa ses raisons d’adhérer : garder l’esprit de classe de ses parents, de sa mère en particulier, et surtout, il précisa : étant « plus en contact avec les indigènes des campagnes qu’avec les Européens, j’étais un anticolonialiste acharné et pro arabe ; je sentais la nécessité de la formation d’une nation algérienne ». À cette date (bio de mars 1939), Maurice Thorez* venait juste de prononcer à Alger son discours sur « la nation algérienne en formation ». Il milita peu à Biskra, n’y venant qu’aux vacances.

Aux Brigades internationales, il fut responsable du parti dans sa compagnie où il avait créé une cellule. Blessé au combat, il eut la jambe fracturée ; elle dut être raccourcie. Il refusa son rapatriement en France demandé pour y faire son service militaire. De retour au front, il fut nommé adjudant puis sous-lieutenant et enfin lieutenant en février 1938. Blessé une seconde fois, il conserva une balafre à la face. Il fut délégué à la conférence du parti de la 14e brigade à l’Escorial en janvier 1938. L’essentiel de sa formation politique, écrivait-il, résulte de ces vingt mois, « tirée de l’action et de la lutte dans des formes diverses et souvent aiguës ».

De retour le 1er août 1938, M. Laban fut arrêté pour insoumission et passa le 25 octobre en conseil de guerre à Constantine où il fut acquitté. À Biskra, avec les frères Debabèche*, il s’employa à remonter la section communiste et participe à l’action syndicale des ouvriers agricoles. Il repartit pour Paris en novembre 1938 pour reprendre ses études de chimie. Il ne renouvela pas sa carte du parti pour 1939, n’ayant pas suffisamment de temps pour militer à cause du retard dans ses études ; il participa cependant aux manifestations antifascistes au Quartier Latin et se trouva élu au bureau national des Étudiants communistes en avril 1939 et secrétaire de l’Union pour la région parisienne.

L’année suivante, alors que PCA et PCF étaient dissous depuis l’entrée en guerre, revenu sur l’oasis de Biskra avec un diplôme d’ingénieur chimiste, tout en voulant renouveler le système d’alimentation en eau, il se mit en contact avec les communistes clandestins de Constantine, Georges Raffini* qui venait aussi des Brigades internationales et mobilisé un temps à Constantine, l’oranais Thomas Ibanez*. L’ancien comité central du PCA a disparu par abandons ou à la suite d’arrestations à Alger en avril 1940. Aussi, amenant avec lui des camarades d’Oran (Gaby Gimenez*, Lisette Vincent* et d’autres), Thomaz Ibanez* appela de même les constantinois, dont G. Raffini et M. Laban, pour reconstituer l’organisation clandestine du PCA. À la suite d’une conférence du parti, autant dire cooptée, – ce qui suscitera les critiques d’Ahmed Smaïli*, un activiste tout aussi clandestin–, un nouveau comité central fut désigné ; un premier Manifeste daté de septembre 1940 appelant à l’indépendance de l’Algérie fut publié dans le numéro de La Lutte sociale diffusé en novembre, ainsi que d’autres appels. Ces documents et les rapports d’activité rédigés par Th. Ibanez* et M. Laban, le premier étant le nouveau secrétaire général, le second secrétaire chargé de l’agitation-propagande (l’agit-prop), sont adressés à destination du PCF par une camarade enseignante, Paulette Lenoir*, à son mari Roland Lenoir*, ancien secrétaire des Jeunesses communistes en Algérie qui est replié à Marseille. La police saisit sa serviette et tous ces papiers. Jean-Luc Einaudi a retrouvé ces pièces et les commentaires de Roland Lenoir dans le dossier du procès qui suivra, dans les Archives du ministère français de la Justice (cf. sources, Einaudi).

On connaît ainsi les positions de Maurice Laban et de ce noyau communiste clandestin. Le Manifeste du Parti communiste algérien fut préparé par Maurice Laban et Mohamed Kateb*. Reproduit dans La Lutte sociale de novembre 1940, on peut lire : « Nous réclamons l’indépendance de l’Algérie pour constituer dans notre pays un gouvernement démocratique algérien désigné par l’ensemble du peuple algérien, formé de tous ceux qui contribuent à la prospérité générale du pays, quelle que soit leur race ou leur religion, dans l’égalité totale, absolue. », et de conclure : « En avant pour notre indépendance ». Certes au moment où l’URSS et le mouvement communiste se refusaient à être partie prenante dans la guerre qualifiée d’inter-impérialiste, il redevint possible, comme avant 1936, d’en appeler à l’indépendance algérienne ; ce qui est remarquable, c’est la force du propos que rejeta en bon communiste français, Roland Lenoir*, qui renvoyait le mot d’ordre d’indépendance en 5e position, pour ne pas céder à ces tendances « nationalistes ». Dans son rapport sur l’agit-prop. daté de janvier 1941, Maurice Laban revint sur la priorité des tâches. Parlant des masses algériennes, il écrivit : « ces masses restent sans direction, et c’est pourquoi notre propagande portera des effets rapides et que nous voulons décisifs, car notre propagande pour l’indépendance nationale est bien le reflet du désir des masses. Notre parti n’a à peu près aucune organisation dans les masses arabes, grave lacune qui nous inquiète sérieusement mais que nous comblerons à très bref délai, nos préoccupations se portant constamment vers la conquête du peuple algérien tout entier, donc principalement des masses arabes »..

Avec sa compagne Odette Rossignol (Odette Dei) et Lisette Vincent*, il se consacra au tirage de la feuille ronéotée qu’est La Lutte sociale ; l’aide principale vint des communistes espagnols notamment de « Manuel » Ramon Via Fernandez*, membre du comité central du Parti espagnol, venu d’Oran à Alger. Lisette Vincent était partie à Biskra à vélo demander des fonds aux parents Laban quand la police découvrit « l’imprimerie de La Lutte sociale » dans une villa du quartier des Deux Moulins près de la plage d’Alger et arrêta le 12 janvier 1941, Odette Dei, Mohamed Kateb et Maurice Laban, sous le nom de Dominique Poli. Puis les arrestations continuent, conduisant à la prison de Barberousse la plupart de ces communistes clandestins actifs. Les parents Laban furent aussi un moment détenus. Devant le juge d’instruction comme la plupart des communistes, Maurice Laban se refusa à dire qui il connaissait, ce que ne fit pas Thomas Ibanez*, probablement emporté par son tempérament et pensant que c’est inutile de nier ce qui est patent ; il se produisit ainsi un quiproquo lorsqu’Ibanez vint le saluer et lui taper sur l’épaule lors de leur confrontation. Cette conduite de Thomas Ibanez* fut portée à sa charge plus tard par le PCA. Maurice Laban resta plus difficile à écarter de l’histoire du parti.

Muni d’un plan du quartier des femmes transmis par Lisette Vincent*, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1941, en compagnie de Georges Raffini* et d’un communiste français René Cazeau, transféré de métropole, Maurice Laban s’évada de Barberousse. Les évadés se cachaient chez Jacques Bentolila*, dirigeant cheminot qui avait été révoqué comme juif, ce qui était, malgré les fausses identités, risqué. Ils furent repris le 9 décembre 1941 pour retourner à Barberousse puis être envoyés à Maison-Carrée pour le procès devant le Tribunal militaire, dit des 61 (communistes), qui s’ouvrit en février 1942. Thomas Ibanez fit figure de premier accusé et Laban de second en fonction des pièces saisies versées au dossier. Le 11 mars le verdict prononça six peines de mort : Thomas Ibanez*, Lisette Vincent*, Georges Raffini*, Danielus Dittmar*, Émile Touati* et par contumace Ahmed Smaïli* toujours clandestin. Maurice Laban échappa à la peine de mort ; sa mère réussit à toucher des hommes en place influents de Vichy, moyennant finances. Maurice Laban fut condamné aux travaux forcés à perpétuité ainsi que Gaby Gimenez* ; son amie Odette Dei, à vingt ans. Pour Maurice Laban, direction le bagne de Lambèze ; il en sortit le 15 mars 1943, bien après le débarquement allié du 8 novembre 1942. Il fut ensuite mobilisé en stationnement en Oranie.

Sur la question nationale, sur la résistance clandestine et s’il le faut l’action armée, deux lectures comptaient pour Maurice Laban comme le plus souvent pour les Résistants communistes ; Staline fut à la source. À l’hôpital en Espagne, il a pu lire Marxisme et question nationale et coloniale ; au moins Staline respecta la distinction léniniste entre le nationalisme des grandes puissances impérialistes et celui des pays dominés qui ont à mener une lutte de libération, ce qui vaut donc pour l’indépendance de l’Algérie ; en outre Staline donne une définition coulée dans le bronze de la nation, qui tire sa force de la totalisation des caractères constitutifs. Cette pédagogie stalinienne trouva un autre emploi sur commande et sous sa vigilance dans L’histoire du parti communiste soviétique, avec sa petite lettre b pour bolchevik ; la qualification de « précis d’histoire » ou de manuel est justifiée parce que l’ouvrage donne la ligne du parti, quitte à réécrire des pages ou faire des coupes ; lecture de 1943 lors de son casernement en Oranie. Maurice Laban a foi dans la lutte de libération nationale qui fait partie de l’action communiste et anti-impérialiste internationale.

Le PCA était réorganisé sous la tutelle des dirigeants du PCF présents à Alger, par la Conférence tenue à Hussein-Dey près d’Alger le 14 août 1943 ; le PCA se rangea dans la campagne patriotique française du mouvement de « La France combattante » soutenant le général De Gaulle et mobilisant pour la libération de la France. Maurice Laban s’étonna qu’on ne parle plus de la libération de l’Algérie. Démobilisé en octobre 1943, il regagna Biskra et l’oasis ; dans la municipalité dite « France combattante », il fut conseiller municipal, réélu en 1945, et en 1947 sur liste de Front démocratique soutenue par la personnalité politique influente de Biskra qu’était le Docteur Saadane, le second de F. Abbas ; à la tête, un maire socialiste modéré SFIO, Jules Mselati. Après la mort de son père, Maurice Laban s’occupa de la plantation et plus encore de la mise en œuvre d’un projet d’aménagement hydraulique du Chott Merouane entre Biskra et Touggourt : puits et barrage, exploitation du sel ; il veilla à la distribution des engrais, aux achats et ventes par les organismes agricoles. Il ne cessa de dénoncer les accaparements et les détournements tant des colons que du bachaga Bengana et des caïds ; il se battit au tribunal, conduit les manifestations ; la presse coloniale se vengea en le traitant de colon acheté par l’industrie chimique. Sur les oasis, il participa à la reprise de la syndicalisation des ouvriers agricoles et prit pour tribune Liberté, organe du PCF, et Alger républicain qui fit des reportages.

Cependant, il fut tenu pour suspect par la direction du PCA et peut-être plus encore par les dirigeants du PCF qui sont présents à Alger jusqu’à l’été 1944 avant de suivre le transfert du gouvernement de la France libre à Paris libéré. Il fut cependant incontournable à cause de la référence aux Brigades internationales qui en fit un héros communiste. De surcroît, venant de Moscou après une escale au Caire où il rencontra Henri Curiel, ce qui reviendra à charge dans sa condamnation plus tard par le PCF, André Marty est arrivé à Alger en septembre 1943 pour procéder à la recomposition des appareils communistes ; au titre des Brigades et de la résistance clandestine du PCA, il appelle pour travailler à son secrétariat Lisette Vincent* et Odette Dei, la compagne de Laban qui travaillait déjà au secrétariat du Chef de la Délégation communiste française, François Billoux, toutes deux condamnées du procès célébré des 61 (communistes) de 1942. Le problème est que les directives de 1940-1941 du PCA clandestin, aidé par les communistes espagnols, mettaient en avant l’indépendance de l’Algérie ; or dans la mobilisation pour la libération de la France et dans la stratégie d’« union démocratique » au sein ou derrière les puissances alliées, l’objectif d’indépendance algérienne disparaît, faisant place à la formule unique d’union française, et bien vite la propagande communiste passa à une dénonciation des « nationalistes », non seulement séparatistes mais faisant le jeu du « fascisme hitlérien ».

Maurice Laban ne put s’adresser aux paysans et ouvriers agricoles algériens en leur demandant uniquement de cotiser aux souscriptions pour la victoire du Peuple français. Dans ses lettres à Odette Dei, il était très clair ; ainsi le 2 octobre 1943 (lettre dans Einaudi, cf. sources) : « Je crois qu’on a trop tendance à ancrer dans l’idée du peuple algérien qu’il ne saurait rien obtenir si cela ne vient pas de la France…il me semble au contraire essentiel de faire prendre au peuple algérien conscience de sa force et de ses possibilités » ; il cita l’écrivain résistant français venu au communisme, Jean-Richard Bloch : « L’indépendance reçue du dehors comme un cadeau à l’enfant docile est une forme détournée de la servitude » ; il commenta : « Juste, fort juste mais pourquoi seulement pour la France ? » Il ne manque pas de faire savoir qu’il déplore cette disparition du Peuple algérien derrière le Peuple français.

À la fin de 1943 lors d’un stage d’École du parti (assurée par Étienne Fajon et Roger Garaudy), André Marty prononce son jugement en reprenant contre Maurice Laban la formule de « déviation nationaliste ». Odette Dei quitta le secrétariat de Marty, Lisette Vincent* fut exclue du PCA. Dans une lettre de 1951, Maurice Laban rappela « pour avoir dit dans un rapport intérieur qu’à mon avis il fallait parler aussi des revendications nationales algériennes, Estorges puis Bouhali ont été envoyés en 1944 pour me faire exclure ou, tout au moins, me remettre à la base ». Maurice Laban reçut un blâme de la direction du PCA. Il fut incontournable mais sa place dans le parti s’arrêta au secrétariat de la section de Biskra ; il est vrai que responsable communiste à Constantine, l’instituteur Paul Estorges soutint son action parmi les ouvriers et paysans des oasis ; Larbi Bouhali n’était que le second du parti car éclipsé par Amar Ouzegane* qui allait devenir premier secrétaire et conduire avec outrance la dénonciation des nationalistes traités d’hitlériens, faisant chorus avec l’administration (et les Services du Gouvernement général) et le colonat pour dénoncer le complot que le PPA messaliste, clandestin, et les Amis du manifeste et de la liberté seraient en train de préparer contre la souveraineté de la France qui devait d’abord conduire à son terme la guerre contre l’Allemagne hitlérienne.

Maurice Laban et Odette Dei se marièrent en octobre 1944 ; un fils, Michel, naîtra en août 1946. Ils s’installaient sur la plantation héritée puis sur une plantation nouvelle à El Hajeb, plus près de Biskra. Dans la région, les manifestations de Mai 1945 n’avaient pas dégénéré ; mais le bachaga Bengana, que Maurice Laban avait réussi en 1944 à conduire un jour en prison, comme la réaction coloniale, prenaient leur revanche par des brimades et des arrestations, et l’arbitraire et la concussion. Les communistes et plus encore à partir du changement de ligne de l’été 1946 qui redoublait la campagne d’amnistie pour les condamnés de Mai 1945, élargissaient l’action d’organisation des groupes paysans ; sur les oasis dites du Rhigh autour de Biskra, avec les frères Debabèche*, le vétéran Mekki Chekki*, Maurice Laban fut au premier rang. Aussi alors qu’au congrès du PCA, en avril 1947, sa candidature ne fut pas retenue par la commission chargée des propositions, c’est de la salle que les délégués des oasis le font élire par acclamation au comité central ; il est membre suppléant et ne sera pas reconduit en 1949. Mais on fait appel à lui pour les campagnes électorales et il peut écrire dans Liberté. Son rôle dans le parti est circonscrit au sud-constantinois.

À la tête des luttes de plus en plus dures et marquées de racisme, il se lia avec les communistes actifs de Batna qui organisaient les groupes paysans, non seulement sur les oasis mais en montant dans les vallées de l’Aurès. Autour de Biskra, ces groupes communistes seraient de l’ordre de 600 adhérents et 1 400 autour de Batna. Ces derniers groupes donnaient volontiers la main aux rescapés qui s’abritaient en montagne, de l’Organisation spéciale du MTLD organisée par Mostafa Ben Boulaïd et disloquée depuis 1950. Deux dirigeants communistes entretenaient des relations entre les milieux et les tendances partisanes locales et régionales, Mohammed Guerrouf* très lié au travail auprès des paysans et passé de Biskra à Constantine, membre du comité central depuis 1949, et Laïd Lamrani*, avocat à Batna très populaire par ses déplacements avec prises de parole dans les territoires du sud et dans le massif de l’Aurès. Parce qu’il était avocat, le PCA en fit son candidat et le chef de campagne à toutes les élections jusqu’au printemps 1955. Incidents et bagarres se répétaient notamment à Biskra ; Maurice Laban fut généralement à ses côtés. Laïd Lamrani entra au comité central du PCA en 1949 mais sans faire partie du sérail dirigeant à Alger qui veille toujours à l’orthodoxie.

Peut-être que le PCA a moins besoin de faire appel au légendaire Laban, et la méfiance demeurait ; ses coups de gueule contre les dirigeants exaspéraient. En tout cas, il allait connaître en mineur un petit procès de Moscou, très petit certes, un an après le « procès de Moscou à Paris » qui visait au PCF André Marty et Charles Tillon ; s’il n’y a pas de lien, il y a une similitude, celle de renvoyer à la période des Brigades internationales pour Marty, et de la Résistance clandestine en 1940 et après pour Charles Tillon, dirigeant de la Résistance intérieure française. Le 22 juillet 1953, Maurice Laban fut à nouveau sanctionné par un blâme du PCA ; le blâme toucha également Laïd Lamrani* et Mekki Chebbah* ; ils auraient une activité de groupe à l’intérieur du parti, sans toutefois pour ces derniers que leur mise en cause devenaient publique ; ils fut trop utiles peut-être. Par contre, faisant état du rapport de la Commission d’enquête qui lui a été confiée, un article d’André Moine, encore secrétaire du PCA à l’époque, met en garde contre Maurice Laban dans l’organe du parti, [Liberté], daté du 30 juillet 1953 sous le titre : « Droit comme ce bâton », car le propos comporte tout un sermon sur la vie privée qui, elle aussi, doit être droite. Parce qu’il a défendu un voisin agent de police injustement sanctionné, seul fait vrai, non mentionné, Maurice Laban était soupçonné de liens avec la police ; il lui fut reproché de mettre en avant son passé pour se faire valoir au sein du parti, et bien sûr d’incarner « l’esprit de groupe », premier degré du péché capital qui est de ne pas avoir « l’esprit de parti ». Alors qu’il enterra d’autres pièces au jardin avant de partir en clandestinité, Maurice Laban conserva l’article découpé sur lui jusqu’à sa mort sous les balles.

Bien sûr il répondit, mais ses lettres ne sont pas publiées. Mis à l’écart, il se voua au travail sur la plantation et relança le projet d’extraction de sel en exploitant en marais salants les bas-fonds de l’oued Merouane ; il avait hâte de voir aboutir ses demandes d’acquisition car la situation financière était précaire. Aussi se range-t-il à l’idée d’avoir l’appoint d’un traitement et d’avoir pied dans ce pays en ébullition qu’est l’Aurès. Il demanda à être nommé instituteur sur un poste impossible à pourvoir, en montagne à l’école de Djemora, abandonnée depuis quatorze ans. Il fit la rentrée en novembre 1952, montant au village en moto. Il était révoqué en mars 1953 sous le motif, d’ailleurs imaginaire, d’avoir fermé l’école lors de la mort de Staline.

Évidemment à partir du 1er novembre 1954, il fut plus que suspect à Biskra ou sur sa ferme. Mohammed Guerrouf* et Laïd Lamrani* avaient pris des contacts avec Mostafa Ben Boulaïd qui tenait le maquis ; c’est peut-être à ce moment qu’ils lui firent part du souhait de Ben Boulaïd, d’avoir à ses côtés Maurice Laban comme adjoint militaire. Les deux responsables communistes régionaux rendirent compte au comité central du PCA à Alger du caractère populaire de l’insurrection que minimisaient les communiqués du parti, et des vœux du chef des maquisards de l’Aurès, de voir des combattants communistes rejoindre le maquis. Des militants pouvaient s’engager à titre personnel ; au reste des paysans des groupes communistes rejoignaient sans avoir besoin de consigne ; mais la direction du PCA interdit que Maurice Laban monte au maquis. L’intéressé ne comprit pas cette assignation à résidence. Rongeant son frein, il apporta son concours en fournissant de la poudre explosive fabriquée à partir des engrais dont il pouvait disposer et recueillit quelques armes. Il essaya de se faire entendre dans Alger républicain.

Une occasion lui fut offerte la nuit du réveillon du 31 décembre 1954 ; il assista à la descente de parachutistes français au casino de Biskra, qui croyaient avoir tous les droits sur les femmes pour danser, lancèrent des insultes racistes (« sale youpin » à un ami algérien musulman) et déchaînèrent une bagarre. Certes Alger républicain reprit les informations et publia plusieurs articles sur « Le réveillon de Biskra », mais le commentaire qui parlait des parachutistes exclut que ces actes portent atteinte à la vertu de la jeunesse française, celle du contingent. « Il faut enfin dire que c’est l’honneur de la jeunesse française que d’être par essence étrangère à ces procédés. ». Maurice Laban, vainement, écrivit au journal pour préciser que ces paras (bérets bleus), malheureusement, « ce sont des Français de France, commandés par des Français de France qui sont à la pointe de la provocation anti-arabe et antisémite ». Il venait d’apprendre que des parachutistes avaient rasé le village de Djemora où il avait été instituteur, ne laissant que des morts, hommes, femmes et enfants. (On dispose du témoignage du soldat Pierre Leulliette). Il jeta sur des papiers plus tard retrouvés dans le jardin, des lettres s’en prenant aux dirigeants du PCA et du PCF toujours attaché à la notion de nation algérienne en formation par fusion ; il écrit : « L’Algérie présente toutes les caractéristiques d’une nation formée d’Arabo-Berbères, les Européens constituant une minorité nationale… » Il se référa à la définition de Staline et argumenta que seule l’indépendance permettra de réaliser un développement industriel à commencer par l’industrie lourde.

Menacés et craignant pour leur fils qui était inscrit à l’école indigène, les Laban quittèrent l’oasis de Biskra avant l’été 1955 pour s’installer, par relations de famille, dans deux pièces de logement dans un village sur la plage entre Bougie (Bejaia) et Djidjelli (Jijel) ; c’est là qu’ils reçurent, daté du 5 juillet 1955, l’arrêté d’interdiction de séjour dans le Constantinois. Odette Laban eut juste le temps de prendre des bagages à Biskra ; elle gagna Paris avec le jeune garçon. Maurice fut voué à la clandestinité. Il passa de cache en cache avant et après un bref séjour à Paris. Il eut juste le temps d’assister en novembre à un meeting pour la paix en Algérie à la salle de La Mutualité ; il ne put s’empêcher de prendre à partie Léon Feix qui exprima la position embarrassée du PCF à cette heure électorale d’abandon du mouvement des rappelés ; Feix l’accusa de servir les trotskystes.

La Dépêche de Constantine du 24 décembre 1955 l’annonça abattu dans l’Aurès par « un chef de bande », aux côtés de Me Lamrani ; il aurait gagné le maquis sous le nom de Messaoud. Certes il put communiquer un démenti à ses proches. En janvier 1956, inquiet pour ceux qui le planquaient, il adressa une lettre à la direction clandestine du PCA : « Si vous pensez pouvoir me cacher d’une façon sérieuse, et m’utiliser sérieusement, soit pour le maquis soit pour quelque autre tâche où je puis rendre service, prévenez-moi le plus vite possible ». Le PCA l’aiguilla sur les planques dans des fermes de la Mitidja, piloté en 2CV par l’étudiant en médecine Daniel Timsit* ; il a ainsi des échos de l’action du Commando du Grand-Alger et du détournement d’armes par l’aspirant Henri Maillot*, puis des négociations avec le FLN qui décidaient du sort des Combattants de la libération, les groupes armés du PCA. Pour peser sur les négociations, la direction du PCA entendait mettre en place son propre maquis dans l’Ouarsenis. Hamid Guerab* déserta de l’hôpital militaire de Blida pour conduire l’opération à titre militaire ; Mustapha Saadoun* ayant la direction politique, ce solide routier du parti ne s’étonna pas de voir arriver Maurice Laban qui, pour lui, était un éternel râleur contre les dirigeants et qu’il jugeait encombrant et excessif ; la direction clandestine du PCA l’avait en effet appelé à se joindre à ce maquis.

Il arriva fin avril-début mai sur le massif ; ils n’étaient encore que 5 ou 6 ; avec l’arrivée d’Henri Maillot et de quelques paysans communistes, ils finirent par être une douzaine. Très attendues, quelques armes parvinrent du stock Maillot, démontées et peu réutilisables. Les déplacements étaient pénibles. Le 4 juin 1956, les maquisards montaient une expédition qui fut la seule ; il s’agissait d’exécuter quatre collaborateurs de l’armée française dans le village de la vallée ; ils encerclaient le café où ils savaient les trouver, les firent sortir et vérifient l’identité ; plaqués contre un mur, les quatre hommes furent abattus ; Maurice Laban avait tiré avec sa mitraillette ; Hamid Guerab* donna le coup de grâce avec son pistolet. L’alerte était donnée ; les maquisards regagnèrent la forêt. Le 5 juin au matin, la vague des militaires français débusqua ceux, dont Laban et Maillot, qui étaient en train de se laver au ruisseau ; Maurice Laban saisit son arme, il fut aussitôt abattu ; Henri Maillot, vraisemblablement blessé, fut pris vivant puis exécuté ; deux autres maquisards furent tués : Belkacem Hanoun* et Djillali Moussaoui* ; les autres s’échappèrent par les fourrés et les ravins. Du moins est-ce le premier récit que livre Hamid Guerab* quand il fut recueilli ensuite par le docteur Martini*. La presse coloniale annonça la mort du traître Maillot et de « l’instituteur » Laban prénommé Henri, lui aussi, ou René en reprenant les communiqués d’agence ; la presse métropolitaine suit ; Le Monde parla de Maillot « l’officier félon » et de « l’ancien instituteur ». À Paris, Odette Laban fut aussitôt licenciée de son emploi. Le premier communiqué du PCA le 9 juin ne cita pas le nom de Maurice Laban ; le tract diffusé titre : « Gloire à Henri Maillot, héros de la cause nationale » et évoqua « Henri Maillot et ses camarades ».

En 1963, les restes d’Henri Maillot* furent enterrés au Carré des martyrs le plus solennel, celui du cimetière « national » d’El Alia à Alger ; ceux de Maurice Laban et ses camarades restèrent sous un petit tumulus au village de Lamartine, avant bien des années plus tard, d’être transférés au carré des martyrs du village appelé El Karimia.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89707, notice LABAN Maurice par René Gallissot, version mise en ligne le 13 octobre 2010, dernière modification le 2 novembre 2018.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. AVER. — Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, 11H58 et 59. — Aux Archives de l’armée de terre à Vincennes, le dossier CIE « Laban » est vide. — Arch. du Komintern, RGASPI, Moscou, 495 270 5878 (transmis par M. Panteleiev et Claude Pennetier), autobiographie du 22 mars 1939, Paris. — Correspondance d’Odette Laban à Claude Pennetier, 27 janvier 1989. — Arch. de la justice militaire, tribunal d’Alger, conservées à Le Blanc (Indre, France) citées par J.-L. Einaudi, Un rêve algérien. Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie. Dagorno, Paris, 1994, et Un Algérien Maurice Laban. Le cherche midi éditeur, Paris, 1999. — Andreu Castells, Las Brigadas Internacionales de la guerra de Espana, Barcelone, Éditorial Ariel, 1974. — J. Delperrie de Bayac, Les Brigades internationales. Fayard, Paris, 1968. — S. Kastell, Le maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre d’Algérie, 1956. L’Harmattan, Paris, 1997. — Interview de A. Ouzegane* et N. Zannettacci* par J.-L. Planche, Alger, 1976. — Premier témoignage de H. Guerab* cité dans M. Martini, Chroniques algériennes. 1946-1962, Bouchène, Saint-Denis, 2002. — La Dépêche de Constantine, 24 décembre 1955 et 6 juin 1956. 

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