Par Daniel Grason, Claude Pennetier
Né le 28 juillet 1899 à Paris (XIVe arr.), mort le 18 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne) ; livreur de pétrole puis ouvrier communal ; conseiller municipal communiste de Gennevilliers ; élève de l’Ecole léniniste Internationale de Moscou de mars 1934 à avril 1935 ; déporté.
Fils d’un employé de bureau à l’octroi de Paris et d’une ouvrière qui mourut jeune en 1910, René Guiboiseau, suivit l’école primaire à Paris IIe arr. et à Montreuil-sous-Bois, et fut titulaire du certificat d’études. Il commença à travailler à 14 ans 1/2. Ouvrier dans les mines du Nord puis livreur en produits chimiques à Saint-Ouen (Société générale des huiles et pétroles).
Le 3 septembre 1917 il contracta un engagement de cinq ans dans l’Infanterie, fut affecté au 80e Régiment, puis au 53e Régiment le 8 mars 1918, au 327e Régiment le 16 juin 1918, enfin au 43e Régiment le 23 janvier 1920. Le 14 avril 1922, la commission de réforme de Lille (Nord), proposa sa réforme temporaire avec une pension de 10%, le 9 février 1923 sa réforme était renouvelée. Le 4 septembre 1924, la 5e Commission de réforme de la Seine le classait dans le service armé. Nouveau changement de situation, le 19 mai 1926 la commission de réforme de Lille le classait dans un service auxiliaire avec une pension de 35%, sans affectation.
Il avait épousé Isabelle Foucault, membre du parti communiste puis sympathisante, qui travailla dans les pétroles puis à la coopération la Famille nouvelle. Ils eurent un enfant, né avant son départ à Moscou, le couple en adopta trois autres en 1935. Il fut membre de la commission exécutive de la Fédération CGTU des produits chimiques.
Sympathisant des Jeunesses socialistes, il adhéra au parti en avril 1932 sous l’influence d’Edouard Finck (des produits chimiques) et de Waldeck L’Huillier, et fut secrétaire de cellule et membre du comité du sous-rayon de Gennevilliers. Début 1933, il milita à Saint-Ouen « avec le fameux Latour, et ensuite avec le renégat Barbé ». Les JC lui firent suivre une école de rayon à Saint-Ouen et une école de région à Saint-Denis.
Il fut élu conseiller municipal communiste de Gennevilliers (Seine) le 21 octobre 1934, en 15e position (sur 26) de la liste dirigée par Jean Grandel*. Il ne se présenta pas aux élections générales de mai 1935. En fait il était à Moscou depuis mars 1934 et y resta jusqu’en avril 1935. Cette présence sur une liste municipale surprend. S’agissait-il de masquer son absence, de faire comme s’il était sur le territoire français ? Souhaitait-on sa présence politique à Gennevilliers à son retour ? Peut-être les deux.
A son retour, il fut membre du comité régional Paris-Ouest, responsable de la cellule de Villeneuve-la-Garenne, puis de la section de Gennevilliers car il avait été embauché comme porteur de pompes funèbres à la mairie de Gennevilliers. A la question « Combien de membres avez-vous recruté pour le parti. », il répond : « une centaine environ et plus depuis que je suis revenu d’URSS. » ((autobiographie de 1937), dans un autre questionnaire, ce chiffre se réduit à une dizaine, ce qui est déjà conséquent. En 1937, il habitait à Clichy-la-Garenne, rue Fernand Buisson.
Le couple Guiboiseau et leurs enfants habitèrent 13 rue Henri-Vuillemin, face à l’aciérie Aubert-et-Duval. Il participa à la vie politique de Gennevilliers, écrivit deux articles dans La Voix Populaire où il appelait au nom du Comité d’aide international à l’Espagne à aider « ceux qui ont faim », puis à secourir les blessés en Espagne républicaine.
Pour cause d’approbation du pacte germano-soviétique, la délégation spéciale qui se substitua au conseil municipal et au maire Jean Grandel licencia le 5 octobre 1939 trente-sept salariés, majoritairement ouvriers (paveurs, terrassiers, peintres etc.). René Guiboiseau fut soumis à de très fortes pressions de la part de membres de la délégation spéciale. Le 15 mai le président de la délégation spéciale le convoqua, il voulait notamment connaître son opinion concernant le pacte germano-soviétique.
Il prépara un texte manuscrit daté du 14 mai 1940 qu’il remit au président et à deux membres de la délégation spéciale. Dans ce document, il présentait sa famille, soulignait qu’il avait adopté trois enfants en 1935 « afin de les sauver de l’assistance publique ». Il assumait son appartenance passée au Parti communiste. « Vous ne devez pas l’ignorer puisque j’ai été élu une fois comme conseiller municipal à Gennevilliers ».
À la question « le pacte germano-soviétique êtes-vous pour ou contre ? ». Il rappela une discussion récente : « je ne vous disais ni oui, ni non. Vous m’avez dit que mon abstention était un aveu, et que si je restais dans cette attitude je ne pourrais me considérer comme un homme ayant déjà fait son devoir […] il fallait que je me prononce oui ou non ». Il rappelait : « J’ai affirmé que j’étais français et qu’avant tout il fallait défendre le sol de la France.
Il poursuivait « Vous m’avez demandé qu’elle a été ma position depuis la guerre. Dès le premier jour de la guerre j’ai déclaré dans une discussion avec mon chef de service […] et devant tout le personnel du cimetière présent à cette date, que j’étais Français, que je restais Français. Étant engagé dans l’autre guerre pour défendre la France, que je saurais encore faire mon devoir s’il le fallait. […] Je vous est assuré solennellement que j’étais contre le pacte germano-soviétique puisque d’après vos explications, c’était un pacte qui a provoqué la guerre actuelle, que depuis la guerre, je n’avais accompli aucun travail, ni acte politique ».
Le 5 octobre 1940 René Guiboiseau était interpellé par la police française à son domicile. Interné le jour même à Aincourt (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), il y retrouva d’autres gennevillois : Charles Alban, Pierre Cornil, Léon Goegel, Pierre Graindorge, Maurice Guy, Eugène Jarny, Henri Lefevre, Roger Marchand, Maurice Morisot, Olivier Offret et Théophile Tenaille. Il s’adressa par courrier le 28 mars 1941 au président de la délégation spéciale, il lui demandait des brodequins et des vêtements. Il fut successivement transféré à Rambouillet, à Gaillon (Eure) le 27 septembre 1941, le 5 mai 1942 à Voves (Eure-et-Loire). Le 3 juillet 1942 il fut remis aux Allemands au Frontstalag 122 à Compiègne (Oise).
Le 6 juillet 1942 un convoi de 1175 hommes partit de Compiègne à destination d’Auschwitz (Pologne). Ce transport politique était composé essentiellement de militants communistes, de quelques socialistes et radicaux, de syndicalistes de la CGT, et de cinquante-six juifs. Parmi les déportés plusieurs anciens volontaires des Brigades internationales. L’administration allemande entendait dissuader les dirigeants et les résistants communistes de poursuivre la guérilla urbaine, commencée en août 1941, sous la forme d’attentats contre des officiers et des troupes de l’armée d’occupation. Ce convoi fut particulièrement meurtrier, 90 % des déportés périrent. René Guiboiseau mourut le 31 décembre 1942. Treize militants de Gennevilliers étaient dans le transport à destination d’Auschwitz, aucun ne revint.
Le nom de René Guiboiseau figure sur la stèle commémorative en hommage aux internés, déportés et fusillés dans le cimetière de Gennevilliers et sur la plaque apposée dans le hall de la mairie en hommage aux conseillers municipaux. Longtemps une cellule communiste du personnel communal de la ville porta son nom.
Par Daniel Grason, Claude Pennetier
SOURCES : Arch. RGASPI, 495 270 1025. — Arch. Dép. Seine, DM3, versement 10451/76/1 ; listes électorales et nominatives. – Arch. PPo. BA 2113, BA 2114, BA 2374. – Arch. Mun. Gennevilliers 32/1. – La Voix populaire, 13 janvier 1939 et 14 avril 1939. – Livre-Mémorial, FMD, Éd.Tirésias, 2004. – Triangles rouges à Auschwitz. Le convoi politique du 6 juillet 1942, Claudine Cardon-Hamet, Éd. Autrement, 2005. – Site Internet GenWeb. – État civil de Paris XIVe arr.