KEIM Madeleine [née HIVERT Madeleine, Pierrette]

Par Jean Vigouroux

Née le 1er avril 1891 à Firminy (Loire), morte le 30 juin 1990 à Paris (XVe arr.) ; institutrice, journaliste, puis romancière ; militante du PC, oppositionnelle, démissionnaire en 1927 puis conférencière de gauche.

Madeleine, Pierrette Hivert était la fille de Jacques Hivert, employé aux AFY (Aciéries Verdié) et de Benoîte Cornillon, institutrice à Firminy. À sa sortie de l’École normale d’institutrices de Saint-Étienne, elle enseigna dans le village de Maclas. Le 13 août 1912 , elle épousa un jeune professeur de l’école pratique de Firminy, Louis, Antoine Keim, dit Ker, habitant de Firminy comme elle. À la fin de la première guerre, le couple quitta l’enseignement et Firminy pour s’installer à Paris.

Madeleine Keim fut adhérente du Comité de la IIIe Internationale. Elle écrivit dans La Voix des Femmes de Colette Reynaud, et dans La Vie ouvrière de Pierre Monatte. En mai 1920, elle fit une conférence à l’École socialiste marxiste.

Mère d’un fils, elle appartint avec son mari au Parti communiste, de même que Marie, sœur de son époux. Ils prirent le nom de « Ker ». C’est sous le pseudonyme de Madeleine Ker que Madeleine Hivert participa activement au nouveau Parti Communiste et signa ses nombreux articles en tant que rédactrice du journal L’Humanité.

Elle dirigea, à partir du 22 février 1921, l’hebdomadaire Bulletin de la presse communiste qui alimentait en information les secrétaires fédéraux.
En 1922, Antoine Keim (Ker) subit de violentes remontrances de la part de Léon Trotsky qui lui reprocha son appartenance à la franc-maçonnerie. Il dut abandonner le secrétariat du Parti, se bornant à rester rédacteur de l’Humanité. Il se remettra mal de cette semi-disgrâce et l’année suivante, il mourut brutalement. Lors de l’enterrement de Ker, ses amis Boris Souvarine et Amédée Dunois délégués du parti, couvrirent d’éloges le défunt.
Les rapports entre Madeleine Ker, toujours rédactrice à l’Humanité, et le parti se seraient tendues. Elle ne signa ni la lettre des 80 (mais sa belle-sœur si), ni celle des 250 (la liste est ici dans le Bulletin communiste de Souvarine : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/b...).

Elle continua à collaborer à L’Humanité, puis à L’Ouvrière (cf. n° 89, 27 mars 1924 et n° 128, 12 février 1925).

Elle intervint à l’assemblée générale du 1er rayon du Parti tenu à La Plaine-Saint-Denis, en avril 1926, et se montra très critique à l’égard de l’organisation du Parti, protestant notamment contre "la dictature des membres du Bureau politique" et contre les erreurs commises dans la campagne contre la guerre du Maroc et les mots d’ordre de fraternisation, d’où un malaise général.
Le 15 avril 1926, dans une lettre ouverte publiée par l’Humanité, elle écrivit : « Le mépris de toutes compétences que le parti a poussé à un degré inconnu partout ailleurs, a causé l’avilissement de nos éditions, le sabotage de nos journaux. Un infantilisme illusionniste a cru remplacer d’un coup de baguette magique, une équipe de travailleurs intellectuels par la fabrication en séries de propagandistes bourrés de quelques notions livresques. C’est avec ce système que l’on corrompt l’esprit prolétarien. »

Le 23 mai 1926, lors du congrès de la région parisienne, elle réaffirma encore : « La direction du Parti et celle de la région ne se sont pas bornées à commettre des erreurs gauchistes, elles ont prouvé par leurs voltes-faces continuelles, leurs excentricités, qu’elles manquaient d’expérience politique… » (l’Humanité, 24 mai 1926).

Le 1er août 1927, la revue de Monatte La Révolution prolétarienne publia de larges extraits de sa lettre de démission du PC. Le 8 septembre 1927, Les Informations sociales publièrent cette lettre de démission de Madeleine Ker. Dénonçant un parti-prison aux mains d’un appareil corrompu et cynique, le déclin de l’Internationale communiste, réduite à un appendice de l’État soviétique, minée par « un formidable gaspillage d’argent » et les « méthodes de corruption », protestant contre le vote approuvant l’exclusion de Trotsky, Madeleine Ker concluait : « Pour ma part, je m’éloigne de fonctionnaires qui, se sentant l’âme d’un préfet de police, se complaisent à tenir un parti à l’aide de mouchards et de gendarmes..., qui estiment que l’argent suffit à tout pourvu qu’il coule à flots... »
Sa longue lettre ne fut pas publiée dans l’Humanité, mais la presse généraliste en cita quelques extraits.
« Pourquoi s’en va-t-elle ? « L’air est irrespirable dans un parti qui n’admet pas le droit de penser. Malheur aux militants qui formulent les plus légères critiques. Le P.C. n’est qu’un appareil tendant à obscurcir la compréhension politique. Il faut s’adapter ou gémir dans son coin. Il ne reste qu’à goûter les charmes de la volupté d’obéir en contemplant les proconsuls insolents et les ambassadeurs tortueux. » (Journal des débats politiques et littéraires du 23 juillet 1927)
« Les rares militants qui datent de l’époque lointaine du Congrès de Tours (1920), ont suivi au cours de ces trois dernières années les progrès de la maladie organique qui dévore le parti. Pour ma part, je m’éloigne des fonctionnaires qui se sentent l’âme de préfets de police, tenant le parti à l’aide de mouchards, ceux qui estiment que l’argent suffit à tout pourvu qu’il coule à flots. Je me sépare de pseudos-chefs… » (Le Matin du 22 juillet 1927).
« La dernière s’en va » titre Le Populaire du 20 juillet 1927 :
Un à un, les membres fondateurs du fameux comité [Comité de la IIIe Internationale], ont condamné les méthodes du Parti et la dernière, à son tour, s’en va : « Corruption, gaspillage d’argent, tous les maux, toutes les tares. Et le pire : la soumission des organisations ouvrières d’Europe à la diplomatie du gouvernement russe. »

Son départ du Parti communiste était donc une conséquence directe de son rejet de la bolchévisation et des premières formes de stalinisation.

Elle avait épousé, à Bruxelles, le 30 janvier 1926, Arthur Innocent Arduino dont on ne sait rien. À compter de sa démission, Madeleine Ker disparut de la vie politique partisane du pays. Apparait alors, à partir de 1930, une nouvelle vie littéraire. Elle fit une longue carrière de conférencière et de romancière de renommée nationale sous son nom de naissance, Madeleine Hivert. Elle obtint le prix George-Sand en 1937 ; à cette occasion, Le Populaire la décrivit comme une « oratrice militante que nous trouvons toujours à nos côtés pour défendre les causes qui nous sont chères ».
S’il n’y eut pas d’interférence claires entre l’ancienne militante communiste et la romancière en vogue, ses romans ne sont pas étrangers au monde ouvrier qu’elle a côtoyé, les conférences qu’elle donne avec succès sur les colonies d’alors montraient
ses idées de gauche qu’elle n’avait pas reniées. Elle s’intéressa au fascisme qui s’installait en Allemagne et en Italie. Ses articles de journaliste traitaient de sujets qui lui étaient chers comme le travail des femmes dans L’Œuvre, un journal où elle écrivit jusqu’en 1941 et qu’elle abandonna alors lorsqu’il devenait collaborationniste.
Elle se risqua avec succès dans tous les genres, y compris les contes, parfois drôles. Ainsi dans le journal Ce Soir, dirigé par Aragon, elle conte avec beaucoup de malice et d’humour la mésaventure de « Putain d’Âne », un cabaretier de Firminy que toute la ville connait et qui, pour une fois, de farceur impénitent, se fait piéger par son âne, en se moquant au passage des bigotes.
Parmi ses nombreux romans, on peut citer :
Le meneur en 1937, Prix George Sand : l’histoire d’un responsable syndicaliste dans sa ville de Firminy ;
L’enfant du silence, en mémoire de son enfant mort pendant la guerre ;
L’ouragan en 1952 ou l’histoire de la débâcle de 1940 et les péripéties des réfugiés.
La Source couverte d’ombre en 1956, prix Caroline Jouffroy-Renault ;
Notre part sur terre en 1957 : Prix Monthion ;
Le clavier magique couronné par l’Académie française ;
Au bord du ravin (1962) ;
Le dragon de feu

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article97252, notice KEIM Madeleine [née HIVERT Madeleine, Pierrette] par Jean Vigouroux, version mise en ligne le 5 juillet 2020, dernière modification le 6 octobre 2022.

Par Jean Vigouroux

SOURCES : Arch. Nat F7/13103, rapport du 19 avril 1926. — IIIe congrès national du PC tenu à Lyon du 20 au 23 janvier 1924. — Les Informations sociales, 8 septembre 1927. — Le Populaire, 23 mai 1920 et 15 juin 1937. — La Révolution prolétarienne, n° 39. — Presse parisienne au moment de sa démission. — Notes de Julien Chuzeville et de Claude Pennetier.

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