AJURIAGUERRA (de) Julián

Par Jean-Christophe Coffin

Né le 7 janvier 1911 à Bilbao (Espagne), mort le 23 mars 1993 à Villefranque (Pyrénées-Atlantiques) ; docteur en médecine, psychiatre, professeur à l’université de Genève, détenteur de la chaire de psychologie du développement au Collège de France ; combattant dans les troupes républicaines pendant la guerre d’Espagne, militant nationaliste basque.

Né de parents basques provenant du village de Mekoleta de Otxandiano, Julián de Ajuriaguerra était l’avant-dernier d’une famille de sept enfants dont le père était entrepreneur en bâtiment. Scolarisé chez les frères maristes, il fut envoyé à Paris, sur les conseils de son oncle maternel, issu d’une famille de maîtres de forge. Inscrit en première année de médecine en 1928, il passa son internat en 1933 et s’engagea dans l’apprentissage de la neurologie et de la psychiatrie, dans l’atmosphère intellectuellement propice de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne.

Militant en faveur du nationalisme basque, il rencontra sa future épouse, France Alberti, qui fréquentait alors les milieux trotskistes parisiens. L’année de son doctorat de médecine, en 1936, ils partirent à Barcelone rejoindre les troupes républicaines, où ils arrivèrent pendant l’été. Après plusieurs combats dans l’île de Majorque puis sur le front aragonais près de Huesca, Julián de Ajuriaguerra revint à Paris en 1938 et reprit ses études sur la physiologie du cerveau, amorçant des travaux sur la sémiologie des fonctions cérébrales et sur le langage, auprès du professeur Jean Lhermitte. Ses perspectives professionnelles apparaissaient toutefois bloquées du fait de sa qualité d’étranger. Il lui était en effet impossible de passer le concours de médecin des hôpitaux psychiatriques, tout comme de prétendre à un poste d’enseignant dans une faculté de médecine. On lui octroya un titre de médecin consultant au sein de l’hôpital Henri Rousselle qui était alors un des services de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris. Sa situation demeura cependant précaire et l’arrivée des troupes allemandes dans la capitale française l’obligea à se réfugier dans la campagne charentaise pendant plusieurs mois. Il revint cependant à Sainte-Anne et rejoignit le groupe de soignants qui, au sein de l’hôpital, refusait la présence nazie.

En juillet 1945, il se maria religieusement en France avec France Alberti. Il se joignit à plusieurs psychiatres, dont certains étaient issus des rangs de la Résistance, pour fonder un mouvement qui prit le nom basque de « Batia », militant pour une transformation des pratiques psychiatriques et œuvrant en faveur d’un autre rapport à la maladie mentale. Il mit en pratique cette aspiration rénovatrice en formant une équipe réunie autour des questions liées à la psychomotricité et aux fonctions du cortex cérébral, dans une optique qui échappait au réductionnisme organiciste d’avant-guerre. Il entreprit alors une psychanalyse, obtint à sa demande la naturalisation française et reprit son cursus universitaire afin de faire valider ses examens ; il soutint une thèse d’état (médecine) en 1954. Parallèlement, il poursuivit ses réflexions pionnières sur l’enfant, conciliant de manière tout à fait originale ses travaux de neurophysiologie et une approche psychanalytique du bébé et du jeune enfant. Il participa à la fondation en 1958 de la revue Psychiatrie de l’enfant, qui constituait une date fondatrice dans le regard porté sur l’enfant.

En 1959, il fut nommé à la chaire de psychiatrie de la faculté de médecine de l’université de Genève et prit également la direction de la Clinique universitaire de psychiatrie Bel-Air. Il y engagea une profonde réorganisation des services de santé mentale, en modifiant le fonctionnement interne de la clinique et en créant des structures d’assistance (services de jour, centre de psychiatrie infantile) au sein de la cité genevoise, rapprochant ainsi les services de santé mentale des habitants. Dubitatif devant l’antipsychiatrie, il continua de militer pour une psychiatrie hors des murs de l’hôpital.

Issu de ses travaux pionniers et de son enseignement, il publia en 1970 un Manuel de psychiatrie de l’enfant duquel se dégageait une profonde philosophie de l’existence et une vraie passion à défendre l’enfant, par rapport aux interprétations qui l’ont souvent enfermé dans un déterminisme funeste. Son attention se porta également sur les démences séniles, faisant de lui un des pionniers de la psychogériatrie. En 1975, il reçut le prix de la Ville de Genève en signe de récompense pour le travail accompli. L’âge de la retraite ne signait cependant pas pour Julián de Ajuriaguerra l’arrêt de ses activités. En effet, il retourna à Paris, suite à sa nomination au Collège de France où il devint professeur titulaire de la chaire de Neuropsychologie du développement. Il prononça sa conférence inaugurale en janvier 1976 et assura son enseignement jusqu’en 1981, année de son départ pour le domaine familial d’Hegoa, situé à Villefranque dans les Pyrénées-Atlantiques. En décembre 1978, il fut chargé par le gouvernement régional basque de réorganiser le système de santé mentale tandis que l’Académie espagnole de médecine l’accueillait comme correspondant étranger en mai 1980. L’université basque de Bilbao le nomma professeur associé deux ans plus tard et l’université centrale de Barcelone lui décerna le titre de docteur honoris causa en mars 1983. C’est à partir de 1986, à l’âge de soixante-quinze ans, que Julián de Ajuriaguerra se retira des différentes charges publiques qui étaient les siennes. Atteint par la maladie d’Alzheimer, il décéda dans sa propriété de Villefranque en 1993.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article9758, notice AJURIAGUERRA (de) Julián par Jean-Christophe Coffin, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 9 octobre 2021.

Par Jean-Christophe Coffin

ŒUVRE : Les rapports de la neurologie et de la psychiatrie (en collaboration avec H. Ey & H. Hécaen), Hermann, 1947. — Les Gauchers. Prévalence manuelle et dominances cérébrales, PUF, 1963. — L’écriture de l’enfant, Delachaux, 1964, 2 vol. — Manuel de psychiatrie de l’enfant, Masson, 1970. — Psychopathologie de l’enfant, Masson, 1982.

SOURCES : Alain Berthoz, « Hommage au professeur Julian de Ajuriaguerra », Annuaire du Collège de France, 93e année, 1994. — R. Diatkine, « Hommage », Psychiatrie de l’enfant, 1994, fasc. 1. — J.-M. Aguirre Oar, J. Guimón Ugartechea, Vie et œuvre de Julián de Ajuriaguerra, Masson, 1994.

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