ALBERTINI Georges, Charles, Claude

Par Michel Dreyfus

Né le 13 mai 1911 à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), mort le 30 mars 1983 à Paris ; membre de la SFIO, secrétaire adjoint de la Fédération socialiste de l’Aube (1936-1939), enseignant à l’Institut supérieur ouvrier de la CGT ; secrétaire général du Rassemblement national populaire (RNP), de 1942 à 1944, animateur à partir de 1949 du Centre d’archives et de documentation qui publia Est et Ouest.

La vie politique de Georges Albertini s’organisa en trois étapes, entièrement distinctes : de 1940 à 1944 en effet, cet ancien adhérent de la SFIO choisit les voies de la collaboration et fut un proche de Marcel Déat. Condamné à la Libération, il n’encourut pourtant qu’une peine légère en regard des responsabilités qu’il avait occupées durant les années de guerre. Libéré dès 1948, il fut alors à la pointe de ceux qui luttèrent idéologiquement contre le communisme et joua un rôle occulte mais influent dans la vie politique française. Cette trajectoire étonnante fut relevée à sa mort par de nombreux articles de presse.

Né dans un milieu modeste - son grand-père était cheminot, son père comptable (le 20 novembre 1909, jour de son mariage, François Albertini,exerce la profession d’employé de commerce au 27 de la rue Clignancourt à Paris ; en 1921, François Albertini,est comptable chez SIMONOT (fabricant de cycles) à Chalon et en 1926, au Comptoir chalonnais du cycle, puis chez Patricot, entreprise de plomberie dans les années 1930) et sa mère femme de ménage. Georges Albertini fut fils unique. Élève studieux, doté d’une mémoire exceptionnelle, il suivit les cours de l’École primaire supérieure de 1923 à 1927 puis, l’année suivante, entra pour trois ans à l’École normale d’instituteurs de Mâcon. C’est alors qu’il subit l’influence de son professeur d’histoire qui l’orienta vers le socialisme. Dès cette époque, il se passionnait pour l’histoire de la France et en particulier pour la Révolution française qui, en toutes circonstances, demeura pour lui « la référence absolue » (J.-L. Panné). Il obtint une bourse de quatrième année à l’École normale de Versailles, entra en 1931 à l’École normale supérieure (lettres) de Saint-Cloud puis, ayant acquis en 1933 le certificat d’aptitude au professorat des écoles normales et des EPS (lettres, histoire, géographie), eut un premier poste à l’École normale d’instituteurs de Montbrison dans la Loire en septembre 1933 puis, ayant accompli son service militaire (avril 1935-avril 1936), il se maria le 19 octobre 1935 avec Thérèse Maximilienne (dite "Maxe") Lambert, à Bron dans le Rhône. Ils eurent un enfant, Claude, qui naquit en mars 1943.

Georges Albertini avait découvert la politique à l’ENS de Saint-Cloud où, dès 1931, il avait adhéré à la Fédération des étudiants socialistes, alors présidée par Marcel Déat, Marceau Pivert et Jean Zyromski. Très vite, il occupa des responsabilités à la section des Étudiants socialistes de Paris où il combattit en faveur de la laïcité tout en s’opposant vigoureusement au communisme. En 1932, il adhéra à la section de Boulogne-Billancourt de la SFIO et aurait fait ses débuts d’orateur à l’occasion des élections législatives de mai lors d’un meeting où il serait allé apporter la contradiction au communiste Alfred Costes. C’est à cette occasion, qu’ayant fait pour la première fois l’expérience de la foule, il se serait découvert une âme de tribun. Dès cette époque, il savait que son professorat serait de courte durée et qu’il ferait une carrière politique. À sa sortie de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, il avait déjà commencé de se faire un nom et se préoccupait dès lors de sa carrière personnelle. Le manque absolu de modestie avec lequel il relate ses premières années d’enseignant est un signe de l’assurance dont il témoignait dès cette époque et de sa volonté de réussir.

Georges Albertini avait également adhéré dès 1932 à la Fédération générale de l’Enseignement affiliée à la CGT et l’année suivante, il se rapprocha de l’Institut supérieur ouvrier de la CGT, créé en octobre 1932, à l’initiative de Ludovic Zoretti et dont Georges Lefranc, avec qui il se lia dès lors, avait la direction. Il créa une section socialiste à Montbrison et fit preuve d’un militantisme actif. Il appartenait alors à la tendance "Révolution constructive", constituée à partir d’un ouvrage collectif, publié sous ce titre sous la direction de Georges Lefranc. Ce travail se destinait à repenser l’idéologie socialiste, gravement sclérosée sur bien des points, comme en avait également fait le constat Marcel Déat en 1930 en publiant ses Perspectives socialistes. Georges Albertini ne participa pas à la rédaction de Révolution constructive mais fut influencé par cet ouvrage. Georges Lefranc et ses amis politiques s’enthousiasmèrent en 1934 pour les thèses planistes d’Henri De Man que le Parti ouvrier belge avait adopté en décembre 1933. Ils s’efforcèrent de les populariser dans la SFIO, mais sans grand succès : lors du congrès national du Parti en 1934 à Toulouse, le groupe de Révolution constructive fut contraint de se rallier à la majorité. Dès lors l’heure de cette tendance était passée à la SFIO Ses animateurs continuèrent cependant de défendre leurs thèses dans les rangs du socialisme international, lors des décades de Pontigny. En revanche, l’impact des thèses planistes fut beaucoup plus grand au sein de la CGT où Georges Lefranc, aidé par Georges Albertini était en mesure d’intervenir. Stimulée par les événements de février 1934, la CGT se dota en mai 1934 d’un Bureau d’études pour le Plan où se réunirent divers spécialistes qui élaborèrent un texte en septembre 1934, adopté un mois plus tard sous la dénomination de Plan de travail de la CGT En mai 1935, la CGT se dota d’un organe spécifique, L’Atelier pour le plan. En dépit de cette campagne de propagande, la notion de planisme resta limitée sous le Front populaire. Cependant, cette vision "très, sinon exclusivement technicienne du socialisme" (Michel Bilis, Socialistes et pacifistes de la SFIO, Éd. Syros, 1979), devait conduire un certain nombre de ses animateurs, fascinés par la réorganisation rationnelle de l’Europe, dans les voies de la collaboration durant les années 1940-1944. Georges Albertini fut du nombre. Avec le planisme, le pacifisme orienta également de plus en plus ses prises de position politiques : ses rencontres avec les principaux initiateurs de l’éducation ouvrière au sein de la CGT furent pour beaucoup dans cette évolution.

Depuis 1933, en effet Georges Albertini secondait Georges Lefranc et Ludovic Zoretti dans leurs efforts de promotion de la culture ouvrière en milieu syndical. Lors du CCN de la CGT tenu en janvier 1922, Léon Jouhaux avait regretté que, contrairement à ce qui se faisait à l’étranger, la CGT n’ait pas de centre d’éducation ouvrière destiné à former ses militants. Lors du XXIe congrès confédéral (Paris, 1931), Ludovic Zoretti, secrétaire de la Fédération générale de l’enseignement, avait présenté un rapport sur l’organisation d’un Institut supérieur ouvrier, afin de combler cette lacune. Cet enseignement devait reposer sur une idéologie définie par la CGT elle-même. La Confédération devait "créer, par ses propres moyens, sous son contrôle permanent un institut spécifiquement ouvrier, c’est-à-dire exclusif de toute influence de la classe dominante et de ses idéaux". Adopté par le congrès, ce rapport fut à l’origine de la création par la Confédération de ses propres outils, assez modestes d’abord, sous la forme d’un réseau qu’elle contrôlait entièrement. En octobre 1932 fut mis sur pied dans les locaux de la CGT, rue Lafayette, un Institut supérieur ouvrier dont la direction fut confiée à Georges Lefranc. Des cours du soir de formation, de documentation et de culture générale furent organisés pour les militants parisiens et de la banlieue, cependant qu’en province se mettaient en place des collèges du travail. À partir de 1933, un Centre confédéral d’éducation ouvrière (CCEO) dont Georges Lefranc assura également la direction, coordonna l’ensemble de cette action à l’échelle nationale. Jusqu’à la guerre, ce réseau devait donner un enseignement oral et par correspondance à un nombre croissant d’auditeurs sur les sujets les plus variés. De 1935 à 1939, Georges Albertini fut professeur au Centre confédéral d’éducation ouvrière ainsi qu’à l’Institut supérieur ouvrier de la CGT, tout en assurant également des cours au Collège ouvrier de la CGT de l’Aube. Dans les années 1937-1938, il devait également enseigner l’histoire du socialisme et du syndicalisme à l’École des surintendantes d’usines, fondée par Cécile Brunschwicg, sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale dans le gouvernement de Léon Blum en 1936.

Après avoir obtenu en avril 1936, un poste temporaire à l’École primaire supérieure de Châtillon-sur-Chalaronne dans l’Ain afin de se rapprocher de sa famille et celle de sa femme, il commença, à partir de septembre 1936, à enseigner à l’École normale de Troyes (Aube) où il devait rester trois ans. Avec son épouse, il habitait Sainte-Savine (Aube). Tout en continuant de donner ses cours au CCEO, il fit ses débuts dans le journalisme en écrivant dans toutes les revues qui étaient prêtes à l’accueillir (La Révolution prolétarienne, L’Europe nouvelle, L’Étudiant socialiste, etc...). Bientôt, il devint rédacteur en chef adjoint du Populaire de l’Aube, le journal de la Fédération socialiste de l’Aube et dirigea la rédaction de L’Aube ouvrière organe de l’Union départementale CGT de ce département dont il était devenu le secrétaire adjoint. Enfin il trouvait encore le temps de donner des articles à La Tribune des fonctionnaires, l’organe de la Fédération CGT des Fonctionnaires où il rencontra son principal dirigeant, Robert Lacoste. Cependant, il ne fut jamais à proprement parler un véritable homme de plume. Son activité débordante, pour ne pas dire son activisme, sa volonté d’omniprésence s’explique selon Laurent Lemire (op. cit.) par un mot : son arrivisme. Dès février 1934, il s’était lié avec Léon Émery ; il fut influencé par son pacifisme qu’il défendit au sein du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) auquel il adhéra dès sa création. Jusqu’en 1939, il y soutint des positions de plus en plus marquées par le pacifisme et l’anticommunisme, ces deux notions allant alors souvent de pair. De février 1934 à mai 1936, il fut réticent devant le rapprochement effectué par la SFIO à l’égard du Parti communiste, puis devant toute forme d’unité d’action avec ce parti. Lors d’une grève à Villenauxe, il fut nommé comme arbitre ouvrier par la commission paritaire départementale de conciliation des conflits du travail, le 10 décembre 1937 sur proposition de l’UD CGT.

Georges Albertini suivit les positions politiques de Georges Lefranc de 1936 à 1940 et au delà. Continuant à militer avec dynamisme, il accentua son pacifisme et son anticommunisme. Au lendemain du congrès de Marseille de la SFIO (juillet 1937), des militants pacifistes s’organisèrent autour de son secrétaire général Paul Faure et de son adjoint Jean-Baptiste Séverac. Ils publièrent une revue, Le Socialiste, puis un hebdomadaire, Le Pays socialiste par la Liberté, par la Paix. Ces pacifistes furent eux-mêmes flanqués d’une tendance pacifiste extrême. Passée la phase victorieuse du Front populaire, la tendance « Révolution constructive » se transforma en effet à partir de l’automne 1938 en « Redressement pour la construction du socialisme et de la paix » à laquelle participèrent Georges Albertini, Maurice Deixonne, Jean Itard, Georges Lefranc, Guy Mollet et Georges Soulès, le futur Raymond Abellio (voir ces noms). Albertini devint l’un des principaux animateurs de cette tendance dont le pacifisme extrême s’accompagnait d’une fascination de plus en plus affirmée et explicite à l’égard des régimes fascistes. Puissances nanties, la France et la Grande-Bretagne avaient dressé autour des pays pauvres comme l’Allemagne et l’Italie des barrages économiques et militaires "de sorte que les coups de force "inadmissibles" de l’Allemagne contre la Tchécoslovaquie en mars 1939 et de l’Italie contre l’Albanie en avril avaient "pu ainsi apparaître comme des répliques ou des mesures de protection et de sécurité"... Albertini et Zoretti concevaient également les fascismes comme les vecteurs d’un socialisme inconscient et imparfait ce qui revenait à les désigner comme des exemples de socialisme souhaitables, exemples insatisfaisants mais préférables à la France libérale et « ploutocratique » pour reprendre un terme qu’ils ne se refusaient pas à employer » (P. Burrin, op. cit. p. 269). Mais la tendance Redressement pour la construction du socialisme et de la paix n’obtint que 276 mandats sur 5 000 au congrès de la SFIO en mai 1939. Georges Albertini fut également membre du Comité syndical d’action contre la guerre (CSACG) créé le 5 mai 1938 à l’initiative de Michel Alexandre et de Léon Émery, organisation qui, animée par de nombreux responsables syndicalistes proches de René Belin, regroupa dans ses premiers mois d’existence quelque 5 000 adhérents. À partir de juillet 1938, le CSACG publia un bulletin dont le tirage s’éleva à une dizaine de milliers d’exemplaires. Durant ces années, Georges Albertini poursuivit ses cours à l’Institut supérieur ouvrier ; il aurait commencé à s’intéresser aux problèmes de la religion et noua des contacts avec le père jésuite Joseph Berteloot ainsi qu’avec l’industriel Ernest Mercier, "le roi de l’électricité".

En septembre 1939, Georges Albertini fut incorporé dans la 6e armée. Il fit la guerre avec le grade de lieutenant et fut cité à l’ordre de l’armée pour avoir organisé la retraite, des confins de des Ardennes à Limoges dans des conditions difficiles. Cette expérience, la débâcle subie par la France ainsi que son pacifisme fortement ancré l’engagèrent dans les voies de la collaboration : selon son propre témoignage, il se rallia à Marcel Déat dès sa démobilisation en août 1940. Il reprit alors son enseignement à Troyes. Fin janvier 1941, il rencontra Marcel Déat à Paris mais refusa néanmoins de participer à la réunion constitutive du Rassemblement national populaire (RNP) le 31 janvier, en raison de la présence, dans ses instances de direction d’anciens cagoulards tels qu’Eugène Deloncle. Dès mars 1941, cependant, il créa une section du RNP dans l’Aube qu’il s’efforça, selon ses dires, « d’organiser à l’image du Parti tel que je me le représentais moi-même, c’est-à-dire qu’en fait le RNP de l’Aube a été constitué par des socialistes comme moi, des républicains comme moi et par des syndicalistes comme moi ». (Déclaration à son procès, cité par J. Lévy,...op. cit., p. 33). À la rentrée 1941, il fut nommé professeur à Sens, ce qui le mécontenta vivement car il souhaitait rester à Troyes. Fin octobre 1941, il se rendit à Paris où il exprima son mécontentement à Robert Bobin qui prenait la rédaction de La France socialiste et qui aurait parlé de ce problème à Marcel Déat. Ce dernier lui proposa de prendre la direction du secrétariat administratif du RNP Ayant obtenu un congé d’un an de l’administration de l’Éducation nationale, à partir de septembre 1941, nommé au collège moderne Turgot à Paris en octobre 1943, il obtint une prolongation de son congé. Georges Albertini occupa ses nouvelles fonctions début novembre 1941, à la satisfaction de Marcel Déat qui le nomma secrétaire général de ce parti à partir d’avril ou mai 1942.

Dès lors, Georges Albertini qui selon Marcel Déat, « ne pouvait supporter personne en concurrence avec lui » réussit en quelques mois, à concentrer entre ses mains tous les rouages de cette organisation dont, plus que Déat encore qui suivait les choses de loin, il fut le véritable patron. Il chercha à élargir l’audience du RNP en milieu syndicaliste, écrivit dans le journal l’Atelier et participa au Centre syndicaliste de propagande dont il aurait été le secrétaire. (Tasca, op. cit., p. 554).
Le 27 décembre 1942, se tint au siège du Rassemblement national populaire, 128 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, une réunion de 250 universitaires membres du RNP qui crèèrent une amicale de l’enseignement dont le secrétaire général était Albertini. L’objectif du mouvement visait à la défense des maîtres, à leur réintégration et à l’élaboration d’un projet de réforme de l’enseignement. Marcel Déat, dans son intervention, évoqua le rôle de l’école dans la France nouvelle intégrée à l’Europe. Le 18 avril 1943, se tint, au même lieu, une réunion du conseil national de cette association devenue « Union de l’enseignement RNP » présidée par Albertini.
Georges Albertini eut d’innombrables rencontres avec les responsables nazis comme le montre le Journal de Marcel Déat et s’engagea totalement par ses écrits, ses discours et toute son action dans un « national-socialisme à la française » (J. Lévy). Il prit des positions antisémites qui, sans doute étaient latentes chez lui dès les années 1938-1939. On doit néanmoins signaler ici que le RNP ne prit une orientation ouvertement antisémites qu’avec lenteur. Tout en continuant de se réclamer de son pacifisme d’avant-guerre, Georges Albertini durcit son anticommunisme en l’amalgamant à la lutte contre les juifs ; en juillet 1942, il créa une Commission d’étude des questions juives auprès du secrétariat général du RNP. Cependant, les contacts qu’il avait noués à partir de ses responsabilités lui permirent de sauver un certain nombre de juifs et de militants ouvriers qu’il avait connus avant la Seconde Guerre. Durant ces années, il fit la connaissance de deux personnes qui allaient beaucoup compter dans sa vie. Il rencontra Gilberte Altmayer, l’ancienne secrétaire de Louis Sellier, qui dirigeait alors le service des dactylos du RNP. Elle devint rapidement sa maîtresse et il en fit sa secrétaire. Il se lia également avec Guy Lemonnier dont il avait fait la connaissance à la CGT en janvier 1940 et dont l’érudition, la capacité d’écriture et de synthèse lui furent des plus utiles durant les années de guerre et ensuite. Enfin, du 17 mars au 17 août 1944, il fut directeur de cabinet de Marcel Déat, lorsque ce dernier accéda au gouvernement comme ministre du Travail et de la Solidarité nationale.

Le 14 août, à la différence de Marcel Déat qui dans la perspective toute proche de la libération décida de fuir la France, Georges Albertini choisit de rester à Paris. Le 18 août (ou le 19), muni d’une carte d’identité au nom de Georges Auberty, il quitta son domicile 173 rue du Faubourg Poissonnière et plongea dans la clandestinité mais fut arrêté le 25 septembre place des Ternes. Transféré le lendemain à la prison de Fresnes (Seine, Val-de-Marne), il fut enfermé dans la même cellule (257, division 1) que le banquier Hippolyte Worms. Peu à peu les deux hommes se lièrent. Georges Albertini choisit pour avocats Maurice Paz qu’il connaissait de longue date, assisté d’Eugène Frot. Durant l’instruction du procès qui fut faite de façon particulièrement hâtive, il se défendit avec véhémence de toute intelligence publique avec l’ennemi. À l’issue d’un procès qui dura deux jours les 20-21 décembre 1944, il fut condamné à cinq ans de travaux forcés, à la confiscation de ses biens, et déclaré d’indignité nationale pour avoir entretenu des rapports avec l’Allemagne en temps de guerre, favorisé la victoire de ce pays et des puissances de l’Axe et participé à une entreprise de démoralisation de l’armée et de la nation. Cependant des circonstances atténuantes accompagnèrent cette condamnation et le sauvèrent du peloton d’exécution. Dans l’atmosphère enfiévrée de la Libération où se tint ce procès, ce verdict fort clément n’alla pas sans surprendre - et surprend encore. Sans doute, les arguments de bonne foi, de désintéressement et d’honnêteté intellectuelle jouèrent-elles en faveur de Georges Albertini. Le fait que sa femme ait été arrêtée et malmenée à la Libération, après avoir été séparée de leur enfant qui fut placé à l’Assistance publique et qui, faute de traitements appropriés, était gravement malade — il devait mourir quelques jours après le procès — émut certainement la Cour. Georges Albertini bénéficia également du témoignage favorable de plusieurs syndicalistes, socialistes et communistes (Alexandre Bracke, Lucien Hérard, Madeleine Finidori, Henry Poulaille, le père de la journaliste communiste Madeleine Riffault, etc...) ce qui pesa beaucoup. Pourtant au même moment, d’autres accusés eurent moins de chance. Il semble que son procès ait été relativement bâclé. D’autres raisons, encore inconnues de nos jours, jouèrent-elles ? Certaines archives retrouvées chez lui lors d’une perquisition faite durant son procès y furent-elles pour quelque chose ? Des influences maçonniques intervinrent-elles alors en sa faveur ?
Professionnellement, Georges Albertini, suspendu de ses fonctions le 25 septembre 1944, fut « révoqué sans pension avec interdiction d’enseigner » après délibération du Conseil supérieur d’enquête de l’Education nationale, le 9 avril 1945.
Quoi qu’il en soit, G. Albertini put ainsi sauver sa tête, quelques mois seulement après la libération de Paris. Il fut placé à la Maison d’arrêt de Poissy. Le 28 août 1947, un décret du Président de la République lui accordait une remise de deux mois de travaux forcés. Le 25 février 1948, sans doute à l’initiative d’Édouard Herriot, un nouveau décret du Président de la République, le socialiste Vincent Auriol, le libérait en lui accordant une remise d’un an de travaux forcés, le relevait de son interdiction de séjour et limitait la confiscation de ses biens à 25 000 francs. Suivant l’article 9 de la loi du 5 janvier 1951, il fut définitivement amnistié par décret le 13 mai 1951. Une vie nouvelle pouvait commencer pour lui. Après la mort de son fils, il avait divorcé de sa femme Maxe et se remaria avec Gilberte Altmayer.

Dès sa sortie de prison, il se rendit chez le banquier Hippolyte Worms qui lui proposa immédiatement un emploi de conseiller avec bureau et salaire. Il lui fut demandé tout d’abord d’écrire une plaquette pour le centenaire de la banque Worms. Dans le contexte de la Guerre froide, très rapidement, Georges Albertini sut convaincre Hippolyte Worms de la nécessité de créer une société destinée à étudier le communisme sous tous ses aspects. Fin 1948, fut créée l’Association d’études et d’informations politiques internationales (AEIPI) qui, à partir de mars 1949, publia le Bulletin d’études et d’informations politiques internationales (BEIPI), rebaptisé Est et Ouest le 1er janvier 1956. De nombreux anciens communistes (Henri Barbé, Pierre Celor, Boris Souvarine), socialistes (Maurice Coquet), cégétistes passés à Force ouvrière ainsi que des représentants du monde patronal et politique (Émile Roche, Étienne Villey) soutinrent cette entreprise. Bénéficiant de solides appuis financiers, disposant d’un réseau de relations des plus vaste, G. Albertini se lança alors dans la troisième phase de son action politique, que seule la mort devait interrompre. Il fut la cheville ouvrière de l’anticommunisme en France et influença de nombreux responsables politiques de tous bords de la IVe et de la Ve République : son objectif unique mais fondamental était de les aider par tous les moyens possibles dans leur lutte contre le communisme. Sans doute l’influence de cet « homme de l’ombre » a-t-elle été exagérée, et il semble bien qu’à partir du retour du général de Gaulle aux affaires à partir de 1958, elle soit allée en décroissant. Elle n’en fut pas moins réelle et d’Edgar Faure à Georges Pompidou (notamment par l’intermédiaire de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud) en passant par Guy Mollet, Antoine Pinay et Jacques Chirac, nombreux furent ceux qui, durant un quart de siècle, bénéficièrent des conseils de Georges Albertini.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article9801, notice ALBERTINI Georges, Charles, Claude par Michel Dreyfus, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 20 juin 2021.

Par Michel Dreyfus

ŒUVRE : Collaboration à de nombreux journaux et revues : L’Étudiant socialiste, Les Cahiers de Révolution constructive, Redressement socialiste, Le Populaire de l’Aube, au mensuel De la Saône à la Dheune, à La Tribune des fonctionnaires de la Fédération générale de l’enseignement de la CGT, L’Aube ouvrière, publiée par l’Union départementale de l’Aube, à La Révolution prolétarienne, au Bulletin du Centre syndical d’action contre la guerre, à Éducation et culture (de 1937 à 1938), revue du secrétariat interprofessionel de l’enseignement de la Fédération syndicale internationale, à Vigilance, organe du CVIA, aux Feuilles libres de la quinzaine, revue syndicale politique et pacifiste publiée par L. Émery, à L’Europe nouvelle.
Pendant la guerre : collabore à L’Œuvre, au National populaire, au Bulletin des cadres du RNP, au Rouge et le bleu de C. Spinasse, à Interfrance, à L’Atelier.
Après la guerre à Est et Ouest, aux Informations politiques et sociales, au BEDES (Bulletin d’études et de documentation économique et syndicale), aux Écrits de Paris, à La Fédération.
A publié pendant la guerre, L’Origine des deux guerres, 1943. — La Politique de Richelieu, Éd. du RNP, 1942, — Le Parti de la paix et le parti de la guerre en France aux XIXe et XXe siècles, Éd. du RNP, 1944.
A publié après la guerre : Impressions d’audience, manuscrit, archives de l’IFHS. — Journal de prison, manuscrit, archives de l’IFHS — Histoire du RNP, manuscrit, archives de l’IFHS — Un centenaire 1848-1948, Worms et Cie, Éd. Maurice Poinsot, 1948. — Sous le pseudonyme de Claude Varenne, Le Destin de Marcel Déat, Éd. Janmaray, 1948. — A collaboré à l’Hommage à Robert Brasillach, pour le 20e anniversaire de sa mort (février 1965) en publiant « Un soir à Fresnes ».
Préfaces : La Construction du socialisme. L’ouvrier européen de F. Delaisi, Éd. du RNP, 1942. — Paradoxes économiques de F. Delaisi, Éd. du RNP, 1943. — De Pétain à Giscard de L. Émery, Éd. Albatros, 1975.

SOURCES : Arch. Nat., F17/26322. - APPO : rapport de quinzaine des Renseignements généraux. Est et Ouest, n° 674, mai-juin 1983, p. 806. — M. Bertou, La Politique culturelle de la CGT De la scission à la réunification, t. II : Du tournant des années trente au congrès de réunification (mars 1936), thèse, Université Paris VIII, 1992. — P. Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery 1933-1945, Seuil, 1986. — L. Lemire, L’Homme de l’ombre. Georges Albertini, Balland, 1989. — J. Lévy, Le Dossier Georges Albertini. Une intelligence avec l’ennemi, L’Harmattan, 1992. — R. Brender, Kollaboration in Frankreich im Zweiten Weltkrieg. Marcel Deat und das Rassemblement national populaire, Munich, R. Oldenbourg, 1992, 340 p. — D. Lefebvre, Guy Mollet, Plon, 1992, p. 46-48. — Noëlline Castagnez-Ruggiu, « Le Pays socialiste, par la Liberté par la Paix : des socialistes pacifistes autour de Paul Faure », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 30 spécial, janvier-mars 1993, S’engager pour la paix dans la France de l’entre-deux-guerres, p. 48-52. — J.-L. Panné, Boris Souvarine. Le premier désenchanté du communisme, R. Laffont, 1993. — Notes de Jacques Girault. — Pierre Rigoulot, Georges Albertini, Socialiste, collaborateur, gaulliste, 2012, Perrin, 404 p. — Notes de Roland Tatreaux (Archives municipales de Chalon-sur-Saône, cote 2E118, acte de naissance n° 229, p. 61 ; Archives Paris
18M 397 acte de mariage Albertini x Gauge n° 2789 folio 3 ; Archives départementales de Saône-et-Loire. Recensement de la population, AD71 : cote 1714W129 – Rapport n°2811 de l’inspecteur de police NURDIN au chef de poste des renseignements généraux à Chalon-sur-Saône en date du 9 octobre 1944).

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