ALFARIC Jean, Antoine, Prosper

Par Léon Strauss

Né le 21 mai 1876 à Livinhac-le-Haut (Aveyron), mort le 28 mars 1955 à Paris (XVIIIe arr.) ; prêtre de Saint-Sulpice (1899-1910), puis professeur d’histoire des religions à l’université de Strasbourg (1919-1945) ; militant de la laïcité ; animateur de la Ligue de l’enseignement dans le Bas-Rhin, puis du Cercle Ernest Renan (cercle parisien de la Ligue de l’enseignement) et de l’Union rationaliste à Paris.

Issu d’une famille paysanne catholique très pieuse et lui-même profondément dévot, le jeune Prosper Alfaric, fils aîné d’un vigneron qui, après la crise du phylloxéra, dut travailler comme manœuvre à « La Découverte » de Decazeville (Aveyron), fréquenta l’école publique congréganiste de son village (1882-1887). Premier du canton au certificat d’études, il apprit les premiers éléments de latin chez le curé d’un village voisin, puis il bénéficia d’une bourse de sa paroisse pour entrer en quatrième en octobre 1888 au Petit Séminaire de Saint-Pierre-sous-Rodez. En octobre 1892, il entra au Grand Séminaire de Rodez tenu par les Sulpiciens. Ses parents moururent l’un et l’autre en janvier 1894 et, à dix-sept ans, il se retrouva responsable de quatre sœurs et deux frères, qu’il fallut disperser dans divers orphelinats religieux.

En octobre 1897, il fut admis à Paris au Scolasticat sulpicien de la rue de Vaugirard. Dès octobre 1898, il fut nommé professeur de philosophie au Grand Séminaire de Bayeux-Sommervieu (Calvados). Entièrement dévoué à l’Église, il fut ordonné prêtre à Paris le 1er avril 1899. Il termina sa formation ecclésiastique au noviciat de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux en 1901-1902. Il reprit alors son enseignement à Sommervieu.

Sous l’influence des écrits d’Alfred Loisy, il devient de plus en plus critique sur l’interprétation catholique officielle de la Bible. En septembre 1904, il fut pourtant nommé professeur de dogme au Grand Séminaire de Bordeaux, mais l’application de la loi Combes sur les congrégations le contraignit à quitter les cadres de Saint-Sulpice. L’année suivante, l’archevêque d’Albi, Mgr Mignot, convaincu de la nécessité d’une « modernisation de la foi catholique » et proche du Sillon de Marc Sangnier lui confia le même enseignement au Grand Séminaire d’Albi, qui fut transféré en janvier 1907 à Encalcat-Dourgnes à la suite de l’application de la loi de Séparation des Églises et de l’État.

L’abbé Alfaric fut bouleversé par la condamnation du modernisme par le décret « Lamentabili » du Saint-Office du 17 juillet 1907 et l’Encyclique « Pascendi » de Pie X du 8 septembre 1907. L’excommunication de Loisy le 7 mars 1908 le convainquit que l’Église n’était qu’ » une immense machine à broyer les esprits libres ». Il était de plus en plus envahi par le doute : convaincu que Dieu n’existe pas, Alfaric rompit avec l’Église catholique, se plaçant désormais « hors de toutes les religions ». En avril 1910, en accord avec l’archevêque, il quitta discrètement Albi et, en juin, il réussit à Paris la licence de philosophie. Il passa ensuite une année en Allemagne à l’université de Giessen. Après son retour à Paris, il devint maître auxiliaire à partir d’octobre 1912, puis répétiteur intérimaire en 1913 et titulaire en 1914 au Collège Chaptal.

Il se maria le 29 juillet 1914 à Paris (XVIIIeme arr.) avec une employée des postes, dont il eut deux filles. Il préparait, depuis 1910, sous la direction de Charles Guignebert et il soutint le 12 décembre 1918 en Sorbonne ses thèses de doctorat ès-lettres sur L’évolution intellectuelle de Saint-Augustin. Du manichéisme au Néoplatonisme et, comme thèse secondaire, sur Les Écritures manichéennes. Sa candidature fut proposée en 1919 pour un enseignement d’Histoire des Religions dans la nouvelle Faculté des Lettres de Strasbourg. Elle se heurta au veto formel d’Alexandre Millerand, commissaire général de la République en Alsace et en Lorraine, qui estimait impossible qu’un prêtre défroqué, libre penseur, enseignât une discipline aussi délicate dans une région concordataire. L’intervention d’universitaires influents, notamment Lucien Lévy-Bruhl, Camille Jullian, Sylvain Lévi et Lucien Herr, eut raison de cette opposition.

Il fut nommé successivement chargé de cours en 1919, professeur-adjoint puis professeur sans chaire, chargé d’un cours complémentaire en histoire des religions en 1921 puis professeur titulaire en 1924 de la chaire d’Histoire des religions créée après transformation de la chaire de Langues et littérature slaves. Son activité essentielle à l’université, où l’histoire des religions n’attirait que peu d’étudiants, fut la direction des publications de la faculté des lettres de Strasbourg. Il était peu influent sur le plan scientifique, d’autant plus qu’il adopta « des positions de plus en plus aberrantes » selon Marcel Simon, son successeur dans sa chaire, en matière d’histoire des origines chrétiennes, allant jusqu’à reléguer le personnage de Jésus au rang des mythes (notamment dans une conférence de l’Union rationaliste à Paris le 9 mars 1932). En revanche, il fut, à partir d’octobre 1928, avec Edmond Rothé, l’un des principaux animateurs de la minorité laïque active en Alsace au Cercle Jean Macé de la Ligue de l’Enseignement. Après l’élection de Rothé comme doyen de la faculté des sciences, il lui succéda à la présidence du Cercle. Sous sa présidence, la Ligue de l’Enseignement essaima en Alsace, où des cercles furent fondés à Saverne, Phalsbourg, Haguenau, Sélestat, Colmar et Mulhouse. Le Bulletin Jean Macé devint l’organe de liaison des laïques de la région. Une conférence sur la genèse des religions donnée à Guebwiller (Haut-Rhin) à l’invitation du maire socialiste Louis Fouilleron fit scandale. Saisi par l’évêque de Strasbourg, Mgr. Ruch, le pape Pie XI prononça son excommunication le 29 juillet 1933. En janvier 1934, Alfaric fut fait chevalier de la Légion d’honneur.

Replié à Clermont-Ferrand avec l’université de Strasbourg de 1939 à 1945, il ne semble pas avoir été l’objet de mesures vexatoires ou répressives de la part des autorités de Vichy : il continua même à diriger les Publications de la faculté. Après sa retraite en octobre 1945, il s’établit à Paris où il fut élu président du Cercle Parisien (Cercle Ernest Renan) de Ligue de l’Enseignement (après la démission du recteur Gustave Roussy) et vice-président de l’Union rationaliste (à laquelle il avait adhéré dès sa fondation en 1930). Il collabora aussi à La Pensée , en assurant régulièrement une chronique d’histoire des religions, mais l’on ne sait rien d’autre sur ses rapports avec le Parti communiste. Il mourut en mars 1955, peu avant la date fixée pour son élection à la présidence de l’Union rationaliste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article9848, notice ALFARIC Jean, Antoine, Prosper par Léon Strauss, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 4 novembre 2021.

Par Léon Strauss

ŒUVRE : Les grands philosophes. Aristote, Paris, Bloud, 1905 — L’évolution intellectuelle de saint Augustin, Paris, 1918 — Les écritures manichéennes, Paris, 1918 — "Christianisme et Gnosticisme", Revue historique, t. CXLV, 1924 — Pour comprendre la vie de Jésus : examen critique de l’Évangile selon Marc, Paris, 1929 — (avec Paul-Louis Couchoud et Albert Bayet), Le problème de Jésus et les origines du christianisme, Paris, Bibliothèque Rationaliste, 1932 — Éditeur de Victor Hugo, Pages choisies sur l’École, Bibliothèque Jean Macé, 3, Strasbourg, Librairie de la Mésange, 1935 - Les manuscrits de la Vie de Jésus d’Ernest Renan, Paris, Publications de la Faculté des Lettres de Strasbourg, 1939 — "Le décret anticommuniste du Saint-Office", La Pensée, n° 27, novembre-décembre 1949, p. 29-44 et n° 28, janvier-février 1950, p. 41-50 — De la Foi à la Raison, Scènes vécues, Paris, Publications de l’Union Rationaliste, 1955 — Les origines sociales du christianisme, Paris, 1959. Nombreuses brochures publiées par les Cahiers Rationalistes, les Cahiers laïques du Cercle parisien de la Ligue de l’Enseignement, les Cahiers du Cercle Ernest-Renan.

SOURCES : Arch. Nat., F17 25 093. — Prosper Alfaric 1876-1955, Publications du Cercle Ernest Renan, Paris, 1955. — Centenaire de Prosper Alfaric, Paris, Cercle parisien de la LFE, 1976. — M. Simon, Alfaric Prosper, Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, Strasbourg, sans date, p. 31.— Notes de Jacques Girault.

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