Par Nicole Racine
Né et mort à Paris : 8 mai 1873-31 décembre 1928. Fils d’André-Amand Bazalgette et de son épouse Mathilde, Marie, Félicie Baillion. Écrivain, traducteur, journaliste.
Le nom de Léon Bazalgette rappelait ses origines cévenoles ; le berceau de sa famille, du côté paternel, était un hameau du Causse Sauveterre, La Bazalgette, « où s’étaient abrités ses ascendants inconnus, des Camisards persécutés et chassés de France après la révocation de l’Édit de Nantes (une branche existe toujours en Amérique) » écrit Albert Fournier. L. Balzagette n’était allé qu’une seule fois dans les Cévennes, en juin 1911, avec son ami l’écrivain belge Cyriël Buysse, et le peintre Émile Claus. Le grand-père de Léon, Antoine-Maurice Bazalgette, né à Saint-André-de-Majencoules (Gard), était venu comme ouvrier agricole à Aincourt (Val d’Oise) où il s’était marié en 1846, puis s’était installé vers 1871 à Levallois-Perret, 63, rue de Rivay. Le couple eut trois fils dont le père de Léon, André-Armand, Albert et Georges. André-Amand fut d’abord commis d’agent de change, puis receveur à la Caisse des dépôts et consignations, rue de Lille ; il se maria à Paris le 2 juillet 1872 à Paris, Xe arr. avec Mathilde Baillion, fille d’un commissionnaire en marchandises. Léon Bazalgette naquit à Paris, le 8 mai 1873, dans le Xe arr. au 30, rue de Belzunce.
En 1894, L. Bazalgette fonda Le Magazine International qui portait en sous-titre, « Revue mensuelle de littérature et de vie moderne », et le dirigea jusqu’en 1897 ; on y rencontrait déjà les noms des écrivains que Bazalgette contribua à faire connaître, ceux de Whitman, Thoreau, C. Lemonnier, G. Eekhoud, Knut Hamsun, Tolstoï, Tchékov. Plusieurs des études que donna Bazalgette au Magazine International se retrouvèrent dans son premier livre paru en 1898, L’Esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse, dans lequel l’auteur parla de « l’unité d’un univers où tout est lié ». Bazalgette publia des essais, À quoi tient l’infériorité française (1900), Le Problème de l’avenir latin (1903).
Le 23 mai 1900, L. Bazalgette acquérait une petite maison en ruines, au-dessous d’un moulin abandonné, le Moulin des Noës, sur une rive de la Vie, dans l’Orne, à 4 kilomètres d’Avernes-sous-Exmes. « Léon — écrit Albert Fournier — travailla toute sa vie de ses mains à rendre cette ruine habitable, et c’est là qu’il reprit à son compte la sage expérience de l’homme libre que fut à Walden Henry-David Thoreau. »
L. Bazalgette se donnait pour tâche de faire connaître au public français les œuvres étrangères fortes et authentiques, dans un esprit de rapprochement entre les peuples et de libération sociale. Il consacra des livres aux écrivains de Belgique, à Camille Lemonnier (1904), à Em. Verhaeren (1907) écrivain dont l’attitude pendant le conflit mondial le déçut fortement par la suite.
En 1909, L. Bazalgette devint, en même temps que Henri Guilbeaux, membre du comité de rédaction de La Phalange de Jean Royère. C’est H. Guilbeaux qui avait introduit Bazalgette à La Phalange et lui avait fait connaître les premiers livres des écrivains et poètes du groupe unanimiste.
Bazalgette s’affirmait comme le traducteur et le commentateur de W. Whitman dont l’œuvre n’avait pas encore été intégralement traduite en français. Il traduisit ainsi Feuilles d’Herbe, en 1909, au Mercure de France, et fit paraître une anthologie des poèmes de W. Whitman aux éditions de l’Effort libre (1914). L’influence de Whitman se retrouvait, à la veille de la guerre, dans de nombreux groupes et revues, soucieux d’un art social et international. Bazalgette entra ainsi en contact avec un de ces groupes, celui réuni par Jean-Richard Bloch à l’Effort libre ; il traduisit dans L’Anthologie de l’Effort (décembre 1911-janvier 1912) quelques poèmes de Walt Whitman, précédés d’une introduction nouvelle. En 1913, Bazalgette écrivit une brochure, Europe, pour définir cet esprit européen qu’il voulait voir naître.
H. Guilbeaux qui a bien connu L. Bazalgette à cette époque, définit ainsi son attitude politique : « Sans qu’il adhérât à aucun parti, Bazalgette observait la vie politique et sociale et était de cœur avec les extrémistes. Je me souviens de plusieurs discussions que nous eûmes sur les élections. Antiparlementaire décidé, antivotard impénitent, je prêchais l’abstention. Bazalgette au contraire me disait : je suis plutôt anarchiste, mais je ne manque aucune occasion de voter ; je vote pour le candidat le plus avancé. »
Pendant la guerre qu’il fit en simple soldat (il fut, en 1917, par exemple, automobiliste à la French Mission 3 road Army), L. Bazalgette entra en contact avec les écrivains pacifistes et internationalistes. Romain Rolland cita dans son Journal des Années de guerre, la lettre que Bazalgette, soldat au 40e territorial d’infanterie, lui envoya le 12 janvier 1915, pour lui dire combien la lecture de ses articles l’avait réconforté : « Il est si bon d’entendre dire que notre Europe n’est pas entièrement pulvérisée, et que les survivants parmi nous la retrouveront après l’orage dans l’âme de quelques rêveurs tenaces... » En août 1915, L. Bazalgette donna son témoignage aux Hommes du jour en faveur de R. Rolland : « [...] Et si tout ce sang, toutes ces larmes répandues, tout cet indescriptible monceau de tortures ne doivent pas être le ciment et les pierres d’une autre Europe — vraiment autre — où trouverons-nous l’élan pour saluer la victoire elle-même, la victoire promise et attendue, une victoire endeuillée de l’ombre que projettera sur elle la vision des inévitables catastrophes futures ? »
Pendant la guerre, lecteur de la revue Les Humbles, Bazalgette correspondit avec Maurice Wullens. Il traduisit pour Les Humbles, Le Panseur de Plaies, poèmes, lettres et fragments de W. Whitman sur la guerre, qui parut en cahier mensuel en novembre-décembre 1917 ; en mai 1919, il s’associa à l’hommage rendu au poète américain pour le centenaire de sa naissance en traduisant pour Les Humbles, « Cinq petits poèmes ».
Après la guerre, L. Bazalgette prit position en faveur de la Révolution russe ; il protesta contre le blocus de la Russie soviétique (l’Humanité, 26 octobre 1919). Il joua un rôle dans la fondation du mouvement « Clarté » : membre du comité directeur de « Clarté », il fit partie de la minorité composée d’amis de R. Rolland qui s’opposa à ce que le nouveau groupement rassemblât des personnalités qui n’avaient pas fait la preuve de leur internationalisme durant les hostilités. Dans cet esprit, L. Bazalgette démissionna du comité directeur le 18 juin 1919 en même temps que des écrivains comme Charles Vildrac et Georges Chennevière. Sur suggestion de R. Rolland, L. Bazalgette fut nommé secrétaire du Congrès international des écrivains qui devait se réunir à Berne au printemps 1920, puis au début 1921, mais qui n’eut pas lieu. Il écrivait dans La Vie Ouvrière, dans Clarté, dans l’Humanité. Il fut un des inspirateurs et des fondateurs de la revue Europe (1923) ; en janvier 1925, il remplaça Paul Colin à la rédaction de la revue, au côté de René Arcos ; l’esprit internationaliste des débuts de la revue lui dut beaucoup. L. Bazalgette dirigea aux Éditions Rieder qui publiaient Europe, la collection des « Prosateurs étrangers modernes », fondée à la veille de la guerre sous l’impulsion d’Albert Crémieux. Il tint à l’Humanité, durant trois ans, la rubrique « Les lettres étrangères ». Plus tard il collabora à Monde de Barbusse. Il fut membre du « Comité pour la défense des victimes de la Terreur blanche et du fascisme », membre du « Comité international contre le fascisme ».
Durant cet après-guerre, L. Bazalgette continua à donner des traductions, des essais. Outre les traductions de W. Whitman, il fit paraître les premières traductions de Henry Thoreau auquel il consacra un essai biographique, H. Thoreau, sauvage ; il mit beaucoup de lui-même dans cet ouvrage sur le grand « réfractaire » américain.
La santé de L. Bazalgette, devenue précaire à la suite de la guerre, ne cessa de se dégrader. L. Bazalgette mourut à cinquante-cinq ans, le 31 décembre 1928, à son domicile parisien, 59, rue Rennequin, XVIIe arr. ; il fut inhumé, selon son désir, dans le petit cimetière d’Avernes-sous-Exmes (Orne), à quatre kilomètres du moulin des Noës. Sa compagne, Augustine Perrin, mourut à Avernes-sous-Exmes, le 14 avril 1945.
L. Bazalgette n’adhéra pas au Parti communiste, mais il trouva dans le communisme du début des années 1920 un idéal proche de ses aspirations internationalistes et libertaires ; c’est pour cette raison qu’il apporta au PC sa collaboration de lettré. Pour ses amis il fut, outre le traducteur et le commentateur de Whitman et de Thoreau, l’exemple d’un intellectuel révolutionnaire non partisan, proche du peuple. Au lendemain de sa mort, Marcel Martinet écrivait dans La Révolution prolétarienne : « Anarchiste et internationaliste d’instinct, et par intelligence et par culture, aimant l’amitié comme il aimait la lumière du jour, détestant toute laideur et toute sottise, et ainsi révolutionnaire vrai et vrai camarade des ouvriers — intellectuel d’une espèce qui ne court pas les rues ».
Par Nicole Racine
ŒUVRE CHOISIE : L’Esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse, Paris, Société d’éditions littéraires, 1898, 397 p. — À quoi tient l’infériorité française, Paris, Fischbacher, 1900. — Le Problème de l’avenir latin, Paris, Fischbacher, 1903, 256 p. — Camille Lemonnier, Paris, Bibliothèque internationale d’édition, 1904. — John Constable, Paris, H. Floury, 1905. — Théodore Roosevelt, Paris, E. Sansot, 1905, 43 p. — Émile Verhaeren, Paris, E. Sansot, 1907, 72 p. — Walt Whitman, l’homme et son œuvre..., Paris, Société du « Mercure de France », 1908, XI-515 p. — Walt Whitman, Feuilles d’Herbe. Traduction intégrale d’après l’édition définitive, par Léon Bazalgette, Paris, Mercure de France, 1909, 2 vol. — Anthologie de l’« Effort », Paul Fort, Henry Aliès, René Arcos, G. Chennevière, G. Duhamel, etc. Poèmes de Walt Whitman, précédés d’une introduction nouvelle de Léon Bazalgette, Poitiers, éditions de l’« Effort », 1912, 182 p., Europe, Paris, Éditions de l’Effort libre, 1913, 16 p. — Poèmes de Walt Whitman. Version française de Léon Bazalgette, Paris, Éditions de l’Effort libre, F. Rieder et Cie, 1914, 131 p. — Le Poème-Évangile » de Walt Whitman, Paris, Mercure de France, 1921, 363 p. — Henry Thoreau, Désobéir. Traduit de l’anglais avec un avant-propos par Léon Bazalgette, Paris, Rieder et Cie, 1921, 264 p. — Henry Thoreau, sauvage, Paris, Rieder et Cie, 1924, 320 p. — George Grosz, l’homme et l’œuvre, Paris, les Écrivains réunis, 1926, 19 p. et pl.
SOURCES : Arch. Nat. F7/12952 et F7/13474. — État civil. — Renseignements biographiques fournis par Albert Fournier. — Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, Albin Michel, 1952. — Jean Guéhenno, La foi difficile, Grasset, 1957. — Albert Crémieux, « L. Bazalgette », Europe, 15 janvier 1929. — « Hommage à Léon Bazalgette », Europe, 15 juin 1929 (articles de R. Rolland, St. Zweig, G. Duhamel, R. Arcos, Ch. Vildrac, D. Braga, P. Istrati, W. Frank, Eastman, J. Dos Passos, Sh. Anderson, J. Guéhenno, J.-R. Bloch, A. Crémieux, M. Martinet, J. Prevost, M. Parijanine). — Léon Bazalgette (1875-1929), Les Humbles, juillet-août 1929 (Augustine Bazalgette, H. Guilbeaux, M. Parijanine, J. Tousseul et M. Wullens). — Marcel Martinet, « Léon Bazalgette », La Révolution prolétarienne, 15 janvier 1929. — Marcel Martinet, Causeries radio (6 juillet et 4 octobre 1939). — Articles parus dans Monde le 12 janvier 1929 (Vaillant-Couturier, L. Moussinac) et le 19 janvier 1929 (J. Mesnil, « Bazalgette et la « Société Nouvelle » »).