BERNARD Louis [BERNARD René, Louis]

Par Alain Dalançon, Jean Maitron

Né le 6 novembre 1888 à Rochefort (Charente-Inférieure, Charente-Maritime), mort le 31 décembre 1970 à Saint-Vaize (Charente-Maritime) ; ajusteur-mécanicien ; militant syndicaliste et socialiste de la Charente-Inférieure.

Fils de Mélanie, Marguerite Bousseau, lingère, René Louis fut reconnu et légitimé le 21 juillet 1891 par Louis Bernard, gérant de boulangerie-coopérative, à l’occasion de leur mariage à Rochefort. Il milita dès son jeune âge, alors qu’il n’était encore qu’apprenti, au sein de la section socialiste de Surgères. Un court séjour à Paris, aux usines d’aviation Morane, où il avait été embauché comme ajusteur-tourneur, lui fournit l’occasion de devenir secrétaire adjoint de la section socialiste du XIIIe arrondissement. Au cours de son service militaire, qu’il effectua à Saintes, puis dans l’île d’Oléron, il poursuivit son action militante par des conférences et des articles publiés sous pseudonyme en faveur des victimes des camps de discipline. Rendu à la vie civile, il écrivit dans Le Prolétaire de l’Ouest, contre le militarisme et la guerre menaçante.

Embauché à l’Arsenal de Rochefort en 1912, comme ouvrier auxiliaire à l’atelier des machines, il participa immédiatement à la vie politique et était un des principaux animateurs de la section socialiste de Rochefort. En novembre 1913, il fut très actif dans le comité de défense de l’arsenal et invita la foule à aller manifester devant le domicile du député radical-socialiste sortant, Jean-Louis de Lanessan, aux cris de « démission », puis devant celui de l’ancien maire radical-socialiste, le docteur Marianelli. À la fin de l’année, Il se présenta sur la liste du bloc de gauche aux élections municipales, sans être élu. Il était un des rédacteurs très en verve du journal socialiste Le Réveil social, et participa activement à l’élection à la députation en 1914 d’Édouard Pouzet, premier député socialiste du département.

Pendant la guerre, Louis Bernard joua un rôle important comme secrétaire adjoint du Syndicat des ouvriers réunis du Port, en 1916 et 1917, Léon Robert étant secrétaire. C’est ainsi qu’il défendit les aides ouvriers et les apprentis maritimes en grève pour l’augmentation de leur salaire et contre une menace de réquisition ; condamné pour complicité morale à quinze jours de prison par le conseil de guerre de Bordeaux, il fut acquitté en 1917 par le conseil de guerre de Tours. En juillet, il recommanda cependant aux grévistes de reprendre le travail en leur indiquant que le ministre les avait entendus. Au cours de l’été, il défendit également les ouvrières menacées d’être licenciées avec l’arrivée de main d’œuvre coloniale, les invita à revendiquer l’allocation pour mari mobilisé et l’indemnité de vie chère, et à se syndiquer : « Mesdames, vous n’avez à craindre ni le képi, ni le pantalon rouge, et si l’on ne vous donne pas satisfaction, il se peut que vous oubliiez de vous lever. »

À l’armistice, il anima le mouvement de protestation des marins qui réclamaient leur démobilisation rapide et salua la révolution russe ainsi que le président Wilson. Le 18 novembre 1920, il fut un des animateurs d’un meeting à la Bourse du commerce pour protester contre l’intervention française en Russie, qui rassembla un millier de personnes, où il « magnifia les marins de la Mer Noire » tout en critiquant sévèrement Clemenceau.

La paix revenue, Louis Bernard mena de front une intense activité syndicale à la CGT et politique au Parti socialiste SFIO. Il fut secrétaire général de la Bourse du Travail de Rochefort de juin 1918 à janvier 1927 (assisté en 1922 de Lucien Moinier et P. Lacroix secrétaires adjoints, de S. Dubois trésorier, d’Aimé trésorier adjoint, de Heimburger archiviste) ; en juillet 1926, Bernard fut réélu secrétaire et, avec lui, Laimé secrétaire adjoint, Giraud secrétaire administratif, S. Dubois trésorier, Robion archiviste). Il était aussi, à partir de 1919, secrétaire adjoint du Syndicat des ouvriers de l’Arsenal dont Lucien Moinier était le secrétaire général. Quand ce dernier partit à Paris en 1925, il lui succéda jusqu’en 1928 (assisté en 1925 de H. Robert et E. Vallée et, en 1928, de P. Perrin, secrétaire-trésorier, et de Ch. Hulgault, trésorier).

En 1919, il fut le principal animateur de la "grève des bras croisés" à l’Arsenal qui fut suivie à 100% des 1900 ouvriers, du 16 au 19 mai : il s’agissait de maintenir le niveau des salaires après la réduction de la durée journalière du travail à 8h. Après avoir rencontré le ministre de la Marine à Paris avec Léon Robert, il revint à Rochefort en appelant les ouvriers à reprendre le travail puisqu’ils avaient obtenu totale satisfaction. Il organisa une importante réunion le 18 juillet, mais ne poussa à la participation à la grève confédérale du 21 juillet qui ne fut suivie que par une trentaine de militants révolutionnaires qu’il combattait de façon permanente.

En 1920, après l’avis du Conseil supérieur de la marine de fermer l’arsenal de Rochefort, il se répandit en articles violents contre les ingénieurs du Génie maritime, ce qui lui valut d’être révoqué le 27 mai ; il ne fut réintégré à l’Arsenal qu’en 1924, sans doute en septembre. En tant que secrétaire de la Bourse, il était partisan de l’union des syndicats mais il s’opposa en décembre 1920 à la création d’un comité syndicaliste révolutionnaire défendu localement par deux ouvriers de l’arsenal, Fernand Dupuy, secrétaire de l’ARAC, et Lucien Jeau. Louis Bernard fut en effet avec Lucien Moinier un des principaux animateurs du syndicalisme réformiste de la CGT à Rochefort, le syndicat « unitaire » créé en 1922 ne réussissant pas à se développer.

Il figura comme candidat, sur la liste socialiste aux élections législatives de 1919, mais ne fut pas élu, tout comme le député sortant Edouard Pouzet. Quelques semaines plus tard, aux élections municipales, la liste socialiste, qui comprenait quelques radicaux-socialistes, l’emporta : Auguste Roux, le socialiste le plus modéré, fut élu maire, Edouard Angibaud radical-socialiste, premier adjoint, et Roger Hymond, socialiste, 2e adjoint, Bernard n’étant que conseiller municipal, alors qu’il était le militant socialiste le plus en vue. Un rapport du commissaire spécial, daté de juin 1919, le décrivait comme un « ambitieux lancé dans la politique, employant son autorité qui est indiscutable, à orienter ses camarades vers des solutions pratiques, en évitant toute cause de conflit violent. »

Dans la section socialiste, il défendit la motion Blum « pour l’unité internationale » présentée au congrès national de Tours (décembre 1920), dont il était un des 158 signataires, mais qui n’obtint pas la majorité à Rochefort (70 voix à la motion Cachin, 67 voix à la motion Blum et 8 voix à la motion Longuet). Il fut un des fondateurs du groupe Jean Jaurès après la scission, « intelligent, doué d’une certaine facilité d’élocution » selon un rapport de police du 15 septembre 1924. Il était aussi orateur à la loge « La Démocratie » de Rochefort.

En 1924, il contribua par sa participation à de nombreuses réunions publiques à la victoire du Bloc des Gauches et à la réélection de l’ancien député socialiste Édouard Pouzet. Il était un des représentants de la tendance modérée de la section locale du parti SFIO et il entra en conflit avec le nouveau maire socialiste Roger Hymond élu en 1925, appartenant à l’aile gauche du parti, devenu secrétaire de la Fédération. La fermeture de l’arsenal se précisant dans un avenir proche, le maire souhaitait maintenir l’emploi par le transfert des installations à l’industrie privée et l’engagement de l’État à faire des commandes, par le développement de l’aéronautique, et le rachat par la ville de la partie sud de l’arsenal pour y implanter de nouvelles activités économiques. Bernard voulait au contraire obtenir le maintien de l’arsenal dont la fermeture ne pourrait profiter qu’au « capitalisme et à la haute métallurgie liguées contre la Nation ». L’opposition entre Hymond et Bernard était à la fois politique et personnelle car le Syndicat finit par accepter la reprise de l’arsenal, fermé définitivement en 1926, en essayant d’obtenir pour ceux qui voulaient rester à Rochefort d’être embauchés par le repreneur, en attendant l’installation d’un atelier d’aéronautique ; beaucoup furent mutés dans d’autres arsenaux (Ruelle et Ferryville en Tunisie).

Le conflit entre les deux militants se corsa à l’occasion des élections cantonales de 1925 dans le canton de Rochefort-nord : Hymond qui avait été pressenti par le CA de la section du parti pour être candidat, fut battu devant l’AG par Bernard, soutenu par Pouzet, qui fut élu. En 1926, à la suite de l’élection comme adjoint de Pouyonnat, candidat socialiste non choisi par la section du Parti, le maire retira sa délégation d’adjoint à Bernard et proposa à la fédération son exclusion du parti (avec celles d’Edouard Pouzet, Auguste Roux, Pouyonnat troisième adjoint et Jeannaud, conseiller municipal). Son exclusion fut confirmée. Après la perte de la mairie par Hymond en 1928, il devint 1er adjoint mais ne figura pas dans le conseil municipal élu en 1929.

En 1930, il ne se représenta pas aux élections cantonales de Rochefort-nord et son siège fut gagné par Hymond. Il avait en effet été nommé inspecteur des tramways et autobus de l’ïle de Ré et disparut de la scène politique et syndicale locales.

Le nom de Louis Bernard évoquait donc l’histoire politique et syndicale de Rochefort et de sa région durant près de deux décennies. Il se retira ensuite à Chaillevette, dans la presqu’île d’Arvert, à une trentaine de km de la ville où il avait milité.

Il avait épousé le 30 décembre 1922 à Rochefort, Emma Cousin.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article99475, notice BERNARD Louis [BERNARD René, Louis] par Alain Dalançon, Jean Maitron, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Alain Dalançon, Jean Maitron

SOURCES : Arch. Nat. F7/12978, rapports du 19 février 1922 et du 30 juillet 1926, F7/13081, rapport du 7 novembre 1926, F7/13642, Rochefort, 23 septembre 1917, 6 et 15 septembre 1924, 21 mars, 10 avril 1928. — Arch. Dép. Charente-Inférieure, 2M4/29 ; 5 M1/35 ; 14 M1, 14 M2/6, 1937 W ; état civil en ligne de Rochefort ; Le Réveil social 1913-1914. — Le Congrès de Tours. Édition critique, op. cit. — Arch. mun. Rochefort, délibérations du c.m. — Arch. UL-CGT De Rochefort. — Benoît Jullien, « La fermeture de l’arsenal de Rochefort vue à travers les archives de la police (1918-1927) », in L’arsenal de Rochefort de la Restauration à la fermeture, CERMA, t. 24, 2007, p. 91-109.— Témoignage de L. Bomard recueilli par Yves Dauriac. — Note de Francis Masgnaud.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable