BERTHON Philosa

Par Rolande Trempé

Né le 1er octobre 1860 à Auzat-sur-Allier (Puy-de-Dôme), mort le 11 octobre 1925 à Carmaux (Tarn) ; militant syndicaliste, coopérateur, socialiste carmausin.

Fils de mineur, Philosa Berthon commença à travailler dès l’âge de onze ans aux mines de Lavaveix-les-Mines (Creuse). Il passa par tous les stades du métier : trieur, rouleur, boiseur, aide-piqueur avant de devenir piqueur. Lorsqu’il prendra sa retraite en 1919 il totalisera 45 années de travail au fond de la mine.

Berthon est donc le militant mineur typique, resté ouvrier toute sa vie, en contact direct avec les dures réalités d’un métier pénible et dangereux.

Il se fixa à Carmaux en novembre 1877, date de son embauche aux mines de Carmaux. Il se maria et fonda une nombreuse famille : il eut six enfants. Sa femme partageait ses opinions et le soutint dans son action militante.

Il fut à la fois un syndicaliste, un coopérateur et un militant politique. Il se caractérisa, dans ce milieu méridional, par une attitude très calme et très mesurée. Sa pondération lui évita la répression et lui valut l’estime de tous. Elle fit de lui un négociateur de qualité, parfaitement maître de lui dans la discussion, mais très ferme sur les principes à défendre. Excellent ouvrier, méthodique et consciencieux dans son travail, il fut un militant d’une parfaite intégrité. Ses qualités d’administrateur étaient reconnues par tous.

Sa fiche de police nous le présente comme un homme petit : 1m 64, châtain aux yeux gris « mauvais [parce que socialiste !] mais intelligent, très exalté mais très prudent ». Enfin elle le reconnaît comme « un des meneurs influents de la chambre syndicale des mineurs de Carmaux » (Arch. Dép. Tarn, IV M 2/75.)

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C’est en 1883 que sa vie militante commença. Après avoir fait grève en février 1883 avec l’ensemble des mineurs de Carmaux, il participa à la création de la chambre syndicale. Il fit partie du conseil d’administration jusqu’à la dissolution du syndicat en avril 1898. Il fut alors avec Calvignac le promoteur d’une nouvelle organisation : « le syndicat des ouvriers mineurs du Tarn », fondé le 6 avril 1899. Il en fut pour la première année à la fois secrétaire et trésorier. Par la suite, il fut seulement membre du conseil syndical, ses autres responsabilités ne lui permettant pas d’assurer la direction du syndicat.

Son autorité était très grande sur ses camarades et il joua un rôle capital dans la vie syndicale jusqu’au moment de sa retraite en 1919.

Le 1er mai 1891, il fut l’un des 49 mineurs qui firent grève et furent renvoyés par la compagnie des mines. Il fut réintégré, comme ses camarades, grâce à une grève de solidarité déclarée le lendemain même de leur exclusion.

Comme membre du conseil syndical, il prit une part active aux grèves de mars et d’août 1892. Le 9 août, il fut avec quatre autres mineurs délégué auprès du préfet pour tenter d’obtenir la réintégration de Calvignac, le secrétaire syndical, renvoyé de la mine. La tentative de conciliation ayant échoué, il soutint énergiquement la grève.

Son action fut surtout importante lors des mouvements revendicatifs de 1900 et de 1902. Il avait été élu président du comité de défense des ouvriers mineurs constitué en octobre 1899. C’est à ce titre qu’il dirigea la grève de 1900 et qu’il fut choisi par les grévistes pour mener les pourparlers avec les représentants patronaux. C’est encore lui qui présida le comité de grève lors de la grève générale des mineurs en 1902 et qui dirigea la commission chargée de négocier les conditions de reprise du travail. En février 1914, lors de la « grève pour les retraites », il joua également un rôle déterminant.

Il fut délégué par les mineurs de Carmaux aux congrès nationaux suivants : 1892, La Ricamarie ; 1894, Graissessac ; 1895, Lens ; 1899, Denain ; 1902, Alais (mars) ; 1903, Carmaux ; 1908, Montceau-les-Mines ; 1909, Lens ; 1910, Albi ; février 1912, Angers ; octobre 1912, Paris ; 1913, Alais ; 1914, Lens ; 1916, Paris ; 1917, Paris ; 1918, Paris ; 1919, Marseille. En septembre 1892, il avait assisté comme délégué au Ve congrès national des syndicats en même temps qu’il participait dans la même ville de Marseille au congrès du POF (Parti ouvrier français).

En 1903 il fut en outre délégué au congrès international des mineurs à Bruxelles.

Durant la guerre de 1914-1918, il fit partie de toutes les délégations chargées de discuter de l’organisation du travail et de l’augmentation des salaires. Il fut membre des commissions régionales : commissions mixtes départementales de l’industrie minière auprès du préfet du Tarn. Il y défendit le point de vue ouvrier au cours notamment des conférences de juin et juillet 1916 qui suivirent les demandes d’augmentations de salaire d’avril 1916. Nouvelles discussions officielles en juin et juillet 1917. Le 12 décembre 1918, il signa la convention qui réglait le nouveau contrat de travail entre la Compagnie de Carmaux et ses ouvriers.

Un différend s’étant élevé entre les mineurs et la direction au sujet de sa mise en vigueur, c’est Berthon qui, le 31 décembre 1918, fut délégué auprès du ministre du Travail pour régler l’affaire.

Une de ses dernières actions militantes fut, au cours de l’année 1920, la campagne pour l’amélioration de la retraite des ouvriers mineurs.

Son activité essentielle fut celle qu’il déploya pendant des années à la Caisse de secours des ouvriers mineurs de Carmaux. Il fut élu administrateur aux premières élections qui suivirent le vote de la loi de 1894 sur les Caisses de secours et de retraite. Le 28 octobre 1894, il recueillit 1 427 voix sur 1 438 votants. Depuis cette date, il fut sans cesse réélu au conseil d’administration jusqu’au moment où il prit sa retraite. Porté à la présidence de la Caisse en 1895, il occupa ce poste de confiance jusqu’en 1919. Il y fit preuve de grandes qualités d’administrateur et, sous sa direction, la caisse bien gérée ne cessa de prospérer.

À titre syndical encore, il fut désigné en 1904 par le préfet du Tarn pour faire partie de la commission départementale du Travail. Le syndicat ratifia ce choix.

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Berthon fut l’un des fondateurs de la coopérative « l’Imprimerie des Travailleurs réunis » constituée à Carmaux le 9 février 1898. Il fut nommé membre de la commission de contrôle.

Il contribua aussi avec Calvignac à la création d’une coopérative de consommation : « La Revanche prolétarienne » (1898) dont il fut administrateur-délégué pendant plusieurs années.

Enfin le conseil d’administration de la coopérative de production de la Verrerie ouvrière d’Albi le choisit en 1897 pour être censeur.

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Son socialisme s’affirma dès 1883. La conférence de Paule Mink en septembre 1882 à Carmaux paraît avoir exercé une influence décisive sur sa pensée. Il n’a pas été possible de savoir à quelle tendance il se ralliait au début de sa vie militante. Dès sa formation il fut membre du comité fédéral de la Fédération des travailleurs du Tarn, où il représenta les mineurs de Carmaux. En 1892 il adhéra au Cercle d’études sociales qui venait de se constituer à Carmaux. Il fut délégué, en 1892, au congrès du POF tenu à Marseille et, six ans plus tard, à celui de Montluçon. En 1899, il fut membre de la commission exécutive de la Fédération d’unité socialiste du Tarn qui succéda à la Fédération des travailleurs dissoute par voie administrative. Après 1905, il appartint au comité fédéral de la fédération SFIO du Tarn. À ce titre, il assista à tous les congrès fédéraux. Celui du 12 décembre 1916 qui se tint à Albi nous permet de préciser ses positions à ce moment critique de l’histoire du Parti socialiste français.

Il partageait sensiblement les opinions de Calvignac, aux côtés duquel il défendit la participation à l’effort de guerre jusqu’à la victoire « sur l’impérialisme allemand ». En conséquence il vota le rapport de la Commission administrative permanente. Persuadé que le gouvernement français avait fait tous ses efforts pour éviter la guerre et qu’en tout cas le parti socialiste français avait été « en tout point fidèle aux décisions des congrès nationaux et internationaux », il portait un jugement très sévère sur le parti socialiste allemand. S’il prit position contre la motion Bourderon, il ne fut pas hostile à une reprise de contact avec la minorité du parti socialiste allemand à condition qu’elle reconnaisse la légitimité du retour de l’Alsace-Lorraine à la France.

Au moment de la scission, il se rangea dans la minorité et abandonna la lecture de l’Humanité pour celle du Populaire. Cependant la fin de sa vie militante fut assombrie par le conflit qui éclata entre lui et le cercle Jean-Jaurès (section locale du parti socialiste carmausin) à propos de l’attitude du nouveau secrétaire du syndicat des mineurs CGT, militant socialiste, qu’il suspectait d’entretenir des rapports avec la direction des mines. En tout cas, il était en désaccord total sur sa manière de gérer le syndicat. Ses camarades ne l’ayant pas suivi dans ses accusations, il fut exclu du Parti socialiste. Plusieurs années plus tard, les événements devaient prouver le bien-fondé de sa position... Il n’en mourut pas moins dans l’amertume provoquée par l’injustice qui le frappait.

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Habitant la commune de Blaye, voisine de Carmaux, il fut élu conseiller municipal sur la liste socialiste en mai 1892. Après son installation à Carmaux, il devint membre du conseil municipal de Carmaux en 1900. Il fut conseiller jusqu’à sa mort en 1925.

Homme calme et pondéré, militant intègre et dévoué, Berthon est avec Calvignac l’un des créateurs et des dirigeants du mouvement ouvrier à Carmaux. Libre penseur convaincu, il mourut fidèle à ses idées et souhaita être enterré civilement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article99715, notice BERTHON Philosa par Rolande Trempé, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 29 novembre 2022.

Par Rolande Trempé

SOURCES : Témoignages de son fils et d’amis carmausins. — Arch. Dép. Tarn, série M, IV M2/75 à 83). — Arch. Mines de Carmaux qui appartiennent maintenant aux Houillères d’Aquitaine, groupe Tarn. — Journaux locaux. — R. Trempé, Les Mineurs de Carmaux, 1848-1914, Paris, 1971.

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