BESTEL Émile, Arthur

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Jean-Luc Pinol

Né le 31 octobre 1886 à Paris (IVe arr.), mort le 26 août 1954 à Gamaches (Somme) ; ouvrier tourneur ; marié ; père de deux enfants ; militant syndicaliste ; conseiller municipal de Saint-Denis (Seine) ; membre du comité directeur du Parti communiste.

Emile Bestel (1919)
Emile Bestel (1919)
cc Arch. Nat.

Le père d’Émile Bestel, Henry Bestel, était tourneur sur cuivre et son épouse, Louise, née Demacon, était giletière. Après avoir effectué son service militaire, en 1906, au 70e régiment d’infanterie (avec le grade de sergent), Émile Bestel entra à la maison De Dion à Saint-Denis (Seine). En 1911, il fut renvoyé « pour vol de bronze ». Il venait de se marier le 22 juillet 1911 à Paris (XIe arr.) avec Marie Blanchet. Ils se séparèrent en 1924 après avoir eu deux enfants nés en 1922. Émile Bestel s’embaucha à la maison Delaunay-Belleville dans la même localité. Militant syndical et socialiste dès 1911, il fut licencié en mai 1914 pour « insuffisance de travail » ; en fait sa fiche portait la mention « individu très dangereux, à ne plus reprendre ».

Mobilisé en août 1914 au 31e régiment d’infanterie, Bestel fut affecté en septembre 1915 comme ouvrier tourneur chez Hotchkiss à Saint-Denis. Les rapports de police et les souvenirs des témoins le dépeignaient alors comme un militant « très intelligent, énergique, ayant la parole facile » (Arch. PPo. BA. 1386, dossier C, 4 juin 1919). Il bénéficiait d’une popularité certaine dans les milieux syndicalistes dionysiens et auprès de la municipalité socialiste. Il avait des relations fréquentes avec Raymond Péricat et Alphonse Merrheim. En décembre 1917, les ouvriers le désignèrent comme délégué d’atelier, puis comme secrétaire du Comité des délégués d’atelier des usines de la région de Saint-Denis. À ce titre il fut le principal animateur de la grève des ouvriers métallurgistes qui dura du 11 au 18 mai 1918. Bestel fit voter des ordres du jour en faveur de la paix et contre la relève des classes 1910, 1911 et 1912 mais il tint à préciser le 16 mai : « Nous n’avons jamais fait et nous ne voulons pas faire obstacle à la défense nationale. Nous irons au front et nous consentirons à tous les sacrifices (...). Puisque c’est le Prolétariat qui paie de son sang nous réclamons le droit de savoir pourquoi il se bat et celui de discuter toutes les propositions de paix qui pourraient être faites » (cité par J.-P. Brunet, thèse, op. cit.). Avec vingt-cinq autres ouvriers de Saint-Denis Bestel fut mis à la disposition des autorités militaires puis, par « mesure d’indulgence » envoyé aux Forges et aciéries de Pompey. Revenu à Saint-Denis au début de l’année 1919, Bestel était acquis aux conceptions révolutionnaires bolcheviques, lorsqu’éclatèrent les grèves de juin. Il déclara le 2 juin : « Tournons nos yeux vers la Russie révolutionnaire, et que nos efforts tendent à établir chez nous le régime salutaire des Soviets » (Arch. PPo. BA 1386 e). Le comité intersyndical de Saint-Denis se transforma le 4 juin en comité exécutif des Soviets. Le 21 juin, les comités de grèves de la région parisienne réunis à la mairie de Saint-Denis, sous sa présidence, élurent un Comité d’action de grève de la Métallurgie et de la Voiture-Aviation comprenant vingt membres dont Bestel (et Lobet, Moussu de Billancourt, Perrier et Martin d’Ivry, Renaudin et Raimbault du XXe, Dejardin du XIe arr.) puis décidèrent d’envoyer une délégation au Conseil national de la CGT réuni le 22 juin. Après avoir essuyé un refus, ils forcèrent l’entrée du conseil et Bestel put intervenir. Il obtint un demi-succès en faisant accepter l’idée d’une grève générale de la métallurgie en cas d’accord du Cartel interfédéral. Celui-ci donna une réponse négative le 25 juin. Le travail reprit les jours suivants. Lors du congrès de la Fédération des Métaux, en septembre 1919, il représenta l’Union des mécaniciens de la Seine. Dernier des minoritaires à s’exprimer, son intervention fut particulièrement claire et argumentée. Après avoir exprimé sa déception : « Ce Merrheim, c’était pour nous l’apôtre, c’était pour nous l’étoile dans la nuit »..., il analysa la situation : « nous estimons être dans une période révolutionnaire ». Au cours de sa déclaration, il condamna les tentatives de Raimbault et des libertaires pour créer le comité d’action des conseils des ouvriers syndiqués de la région parisienne. Élu secrétaire du comité intersyndical de Saint-Denis le 24 février 1920, Bestel dirigea localement les grèves de mai 1920. Devant près de deux mille ouvriers réunis au Théâtre municipal le 10 mai, il développa les conséquences économiques et sociales que pourrait entraîner la nationalisation des chemins de fer et affirma ne pas être partisan de la révolution dans les circonstances présentes, parce qu’il estime qu’elle serait vouée à l’insuccès (Brunet, op. cit. p. 936).

Membre de la commission exécutive de la Fédération socialiste de la Seine, Émile Bestel fut présenté en avant-dernière position de la liste socialiste du quatrième secteur aux élections législatives du 16 novembre 1919. Il recueillit 111 925 voix (Arch. Ass. Nat. ou 111 935 selon la presse) sur 384 030 inscrits, soit le plus mauvais résultat de la liste, loin derrière Pierre Laval (114 145) ou Gaston Philippe, maire de Saint-Denis (113 086) (moyenne de voix de la liste : 112 609). Il fut élu conseiller municipal socialiste de Saint-Denis le 30 novembre 1919. Les électeurs l’avaient placé en vingt-huitième position de la liste conduite par Philippe. Le conseil lui confia la direction du personnel municipal.

Partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale, signataire de la motion dite Cachin-Frossard, Émile Bestel fut délégué de la Fédération de la Seine au congrès de Tours (25-30 décembre 1920) qui l’élut premier suppléant du comité directeur. La mort de René Bureau le 14 août 1921 le fit titulaire. Il entra à la commission de propagande du nouveau Parti communiste le 4 janvier 1921. À la fin de l’année 1921 (il arriva à Moscou le 30 novembre1921 via la Belgique ; l’Allemagne, l’Estonie et la Lituanie et resta quinze jours), il participa, à Moscou, aux délibérations du présidium de l’Internationale communiste sur la résolution présentée par Rappoport* concernant les pouvoirs du représentant du comité directeur à l’Exécutif de l’Internationale. Il présenta une résolution le 2 décembre et fit un exposé le lundi 5 décembre. Bestel, qui apparaissait comme un membre important de la direction du PC français, fit partie d’une délégation reçue par Lénine. Au congrès national de Marseille (25-30 décembre 1921) il annonça que l’Internationale désapprouvait la résolution de Rappoport et protesta contre la non-réélection de Boris Souvarine au comité directeur. Renouvelé aux fonctions de membre suppléant du comité directeur, le 30 décembre 1921, il vota la motion Frossard-Souvarine favorable au Front unique en août 1922. Dans une lettre du 29 mars 1922, Souvarine fait état d’un tension entre Bestel et Frossard : "Quand Bestel a demandé à Frossard 20 000 francs pour la liaison, le second à répondu : « 200 000 francs pour recevoir des lettres de Souvarine, c’est trop cher" »
Lors de la dernière séance du congrès de Paris (15-19 octobre 1922), le 19 octobre 1922, il présenta avec Paquereaux et Ker, un projet d’entente entre le Centre et la Gauche qui fut accepté sans discussion par la Gauche. Bestel devint membre titulaire du comité directeur mais, le compromis élaboré au congrès ne fut pas appliqué. Le conseil national du 21 janvier 1923 nomma Bestel représentant du Centre au conseil d’administration de l’Humanité, mais il disparut du comité directeur. Il ne fut pas réélu au conseil d’administration du quotidien communiste en janvier 1924.

Bestel manifesta publiquement des désaccords avec la direction communiste à partir de l’automne 1923. Sur le plan syndical il revint du congrès national de Bourges (nov. 1923) déçu : « La victoire de la majorité de Bourges est peut-être un triomphe, mais c’est un triomphe qui ne me satisfait point » (L’Émancipation, 24 novembre 1923). Raynaud, secrétaire de l’Union des syndicats unitaires de la Seine vint à Saint-Denis en janvier 1924, présider une réunion syndicale destinée à évincer Bestel alors permanent syndical. Il échoua. Un éditorial de Bestel publié dans l’Émancipation du 22 décembre 1923 provoqua la colère des dirigeants de la Fédération communiste de la Seine : il y préconisait une alliance avec les forces de la « Démocratie ». La Fédération ne put obtenir son exclusion en janvier 1924, mais elle le radia de la liste des candidats aux élections législatives de mai 1924. Bestel qui avait nourrit des ambitions électorales quitta alors le Parti communiste avec Gaston Philippe et Jean Le Foll puis, fonda un groupement éphémère l’Union socialiste révolutionnaire, parti d’Unité ouvrière qui rejoignit rapidement le Parti socialiste SFIO.

Au lendemain des élections législatives, Émile Bestel, séparé de son épouse, quitta Saint-Denis pour s’installer à Vernon (Eure). Il aurait été candidat aux élections municipales de mai 1925 dans cette commune. Selon Le Communiste du Nord-Ouest du 28 août 1925, Bestel ancien communiste « exclu » tenait un café à Vernon et militait au Parti SFIO ; la Fédération socialiste l’aurait présenté aux élections cantonales de juillet 1925. Selon J.-P. Brunet, il aurait été candidat aux élections législatives de 1928. Les archives de l’Eure n’ont pas trouvé trace de lui aux cantonales de 1925, ni aux législatives de 1928. Bestel était devenu, en 1927, voyageur de commerce dans une maison d’électricité. De retour à Paris en 1936, il adhéra au Parti populaire français et travailla comme agent commercial aux usines Renault du 1er décembre 1936 au 31 juillet 1942. Il s’occupait particulièrement du Centre d’accueil placé sous le patronage de Madame Renault, mais, sans avoir le titre de « directeur des affaires sociales » qu’on lui a parfois attribué (renseignements fournis par M. Gilbert Hatry). Bestel assura le secrétariat de la section PPF de Renault en 1937 puis sa présidence en 1938. La police l’interpella le 10 avril 1938 aux portes de l’usine à la suite d’une bagarre entre vendeurs de la presse doriotiste et antifascistes. En 1939, il était membre du comité de direction régionale du PPF, chargé de l’application du programme de presse. Malgré son éloignement de Saint-Denis et son passage par le Parti socialiste, Émile Bestel avait subi l’attraction du phénomène doriotiste.

Émile Bestel se maria le 12 août 1943 à Paris (XVIe arr.) avec Agathe, Augustine, Clémentine Lambert, puis à nouveau le 7 août 1950 à Gamaches, Somme, avec Yvonne, Georgette Bienaimée.

J.-P. Brunet étudiant son action syndicale et politique au début des années vingt, en faisait le type de « l’ambitieux doué, mais trop confiant en sa valeur personnelle, soucieux d’arriver trop vite qui trébuche à la première ornière » (Saint-Denis la ville rouge, p. 439). La rupture politique, syndicale, professionnelle et même familiale de 1924 avait brisé en lui cette conviction qui, alliée à son talent, lui avait fait espérer un destin hors du commun.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article99909, notice BESTEL Émile, Arthur par Jean Maitron, Claude Pennetier, Jean-Luc Pinol, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 1er octobre 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Jean-Luc Pinol

Emile Bestel (1919)
Emile Bestel (1919)
cc Arch. Nat.

SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 6324. — Arch. Nat. F7/12992, F7/13367, F7/13775. — Arch. PPo. B A 1386. — Arch. Dép. Seine, DM3, D 2 M 2 n° 52. — Arch. entreprise Renault. — Arch. Souvarine, rapports et résolutions du présidium du CE de l’IC, décembre 1921. — Arch. Jean Maitron. — L’Humanité, 16 janvier 1920. — L’Émancipation, 1918-1924. — Journal de Saint-Denis, 18 mai 1919, 6 décembre 1919. — Le Communiste du Nord-Ouest, 28 août 1925. — Compte rendu du congrès socialiste national de Tours. — Comptes rendus des congrès syndicaux de la Seine. — Archives Humbert Droz, op. cit. — Jean-Paul Brunet, Une banlieue ouvrière : Saint-Denis (1890-1939), thèse op. cit. — Jean-Paul Brunet. Saint-Denis, la ville rouge (1890-1939), op. cit. — Renseignements fournis par Jacques Girault. — Jean-Louis Robert, Les ouvriers, la Patrie et la Révolution. Paris 1914-1919, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995. — État civil de Paris. — Notes de Rachel Mazuy. — Boris Souvarine, Feu le Comintern, Le Passager clandestin, 2015.

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