Les cheminots

L’organisation fonctionnelle des réseaux : les quatre grands services

FOCUS

À la suite d’un long apprentissage, les compagnies françaises finirent par adopter une organisation similaire de leurs structures, caractérisée par leur centralisme hiérarchique, un fort cloisonnement fonctionnel et la primauté culturelle des ingénieurs et de la technique sur les responsables commerciaux : organisation supportable tant que les chemins de fer bénéficient d’un quasi-monopole en matière de transports de voyageurs.

On pouvait donc distinguer de manière générale quatre grands services :

le service de l’Exploitation (EX) : service opérationnel souvent considéré comme le plus noble, responsable de la prise en charge et de l’acheminement en toute sécurité et en respectant les horaires prévus, des voyageurs et marchandises. Il recouvrait la direction et l’exploitation des gares (personnel actif), la gestion de leurs bureaux (services sédentaires), la formation, la manœuvre, la surveillance et l’accompagnement des trains de voyageurs et de marchandises, la commande des signaux et des aiguilles. On peut y distinguer plusieurs grands sous-ensembles professionnels : manoeuvre et manutention : le royaume des hommes d’équipe ; signaux, aiguilles, lampisterie ; mouvement, chargé de la circulation des trains ; bureaux des gares chargés des tarifs, billets, réclamations ; surveillance et direction des gares ; accompagnement des trains (wagonniers, conducteurs, chefs de train).

le service de la Voie et des Bâtiments (VB) : service en charge de la maintenance des infrastructures ferroviaires et des installations fixes de sécurité. La surveillance quotidienne et l’entretien courant de la voie y constituaient l’activité la plus importante, confiée à des brigades de cantonniers ou poseurs de la Voie, attachées aux 5 à 10 kilomètres de voies qui formaient leur canton et animées par un chef de canton. Cantons, districts, sections, arrondissements formaient une hiérarchie de structures emboîtées, confiées à autant de chefs. Plus en marge, l’entretien des bâtiments, la gestion des ateliers et magasins de la Voie où étaient préparés et stockés les traverses, les appareils de voie, etc. L’avènement de la traction électrique, principalement par alimentation aérienne, motiva l’apparition des agents en charge de l’entretien des lignes électrifiées, les caténairistes, tandis que l’extension d’appareils électro-mécaniques de sécurité justifia dans l’entre-deux-guerres l’apparition d’un nouveau service de maintenance, le Service électrique et Signalisation (SES).

– le service du Matériel et de la Traction (MT), bien qu’associés, formaient deux univers bien distincts. C’est aux dépôts de la Traction, à ses ouvriers d’entretien sédentaires (ajusteurs, forgerons, ramoneurs, etc.) que revenait la préparation (nettoyage, alimentation en combustible) et le petit entretien des machines, avant d’être confiées aux « gueules noires » de la conduite : le fameux tandem des mécanicien et chauffeur, auquel succéderont avec l’électrification le conducteur et l’aide-conducteur (supprimé durant les années 1970-1980 avec l’installation progressive de la radio sol-train à bord des cabines). Des couples nécessaires à la conduite des locomotives et à leur sécurité en cas d’incident de pleine voie, encadrés par des chefs de traction. Aux bureaux, la confection des roulements qui fixaient l’emploi du temps des roulants (conduite et réserve). Les compagnies recruteront parmi les bons ouvriers sédentaires les chauffeurs, et parmi ceux-ci sélectionneront les futurs mécaniciens. Au chef de dépôt, d’assurer le meilleur rendement de toutes ses ressources – hommes, machines, combustibles et graisses – comme leur pleine disponibilité, pour faire face à l’imprévu.

Les ateliers du Matériel (souvent spécialisés Machines ou Voitures) avaient en charge les tâches différées de gros entretien, impliquant le retrait périodique de la circulation, pendant des durées aussi courtes que possible, de l’ensemble du parc moteur et roulant (voitures à voyageurs et wagons à marchandises). Ces ateliers, auxquels certaines compagnies confièrent la construction de certaines séries de locomotives, occupaient sur de vastes sites des ouvriers spécialisés dans divers corps de métiers (charrons, forgerons, ajusteurs, électriciens, menuisiers, tapissiers, etc.) et hiérarchisés depuis les manœuvres jusqu’aux chefs de brigade. Implantés à leurs débuts dans les faubourgs parisiens ou des grandes gares de province où se

trouvait facilement cette main-d’œuvre qualifiée (La Chapelle, Ivry, Vaugirard, Batignolles ; Sotteville, Oullins), conscientes du danger que représentaient ces concentrations ouvrières sédentaires très importantes, les compagnies optèrent par la suite pour des implantations géographiquement plus isolées (Longueau, Saint- Pierre-des-Corps, Perrigny, etc.), moins perméables selon elles aux idéologies contestataires des ouvriers urbains. Considérés comme une main-d’œuvre tout venant, toujours disponible sur le marché du travail, les ouvriers des ateliers ne furent systématiquement commissionnés, assimilés donc à de véritables cheminots, qu’à partir de la loi sur les retraites de 1909 dont ils bénéficiéront. À l’instar des grands dépôts et des triages, tous ces sites marqueront durablement de leur empreinte ferroviaire et de l’importante population cheminote qui en dépendait, leur environnement urbain, social et politique.

– sous l’autorité du directeur général, les Services centraux (SC) regroupaient les bureaux administratifs, les services commerciaux et techniques des réseaux : administration générale, gestion du personnel, études financières, caisse et comptabilité, études commerciales et tarifaires, service du contentieux, bureaux d’étude du Matériel et de la Voie, construction des nouvelles lignes.

Chacun des trois grands services techniques centraux était confié à un ingénieur en chef, qui dirigeait et supervisait les arrondissements respectifs (EX, VB, MT).

Jusqu’au début des années 1970, ce modèle d’organisation était largement adopté par la SNCF, héritière en 1938 des structures et organigrammes de sept réseaux distincts (voir « SNCF »).

Par Georges Ribeill

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