Cheminotes et militantes
ACTUALITESDepuis le début du XXe siècle, la place des femmes dans l’univers cheminot n’a cessé de s’accroître. En 1914, les femmes représentaient moins de 10% des personnels des anciennes compagnies ; en 2023, elles constituent près de 23% des personnels de la SNCF. Davantage que leur part dans les effectifs, c’est surtout leur répartition dans les différents métiers qui s’est accrue. Longtemps cantonnées à certaines fonctions : garde-barrières avant la Deuxième Guerre mondiale puis employées administratives jusque dans les années 1980, elles sont désormais présentes dans tous les métiers cheminots. Parallèlement à la transformation technique des professions, ce sont les revendications spécifiques aux conditions de travail des cheminotes et, plus largement, la diffusion des idées féministes qui rendirent possible ces évolutions. Portées au sein de l’entreprise, ces revendications furent aussi défendues à l’intérieur des organisations militantes où une partie des dirigeants y étaient peu sensibles. Certaines biographies de militantes cheminotes du Maitron incarnent ces combats.
Dans les années 1930, les revendications étaient davantage qualifiées de féminines que de féministes. Des militantes comme Marcelle Berdin animaient une commission féminine de la CFTC qui regroupait des militantes de plusieurs compagnies ferroviaires. Marcelle Berdin occupa par la suite la responsabilité de secrétaire générale adjointe de la Fédération des cheminots CFTC, comme Marguerite Flambard après elle. À la même période, à la CGT, ce fut Suzanne Perrio [épouse Bureau], qui défendit les conditions de travail des cheminotes et, plus particulièrement, des garde-barrières. Résistante pendant la Deuxième Guerre mondiale, maire de Vernouillet (Yvelines) à la Libération, elle fut la première femme à siéger au Conseil national de la Fédération CGT des Cheminots. Au rang des pionnières, on compte aussi Ginette Lefranc [épouse Billaudel], employée administrative, qui participa à développer l’action syndicale en direction des cheminotes. En 1953, au titre de la CGT, elle participa à la première conférence mondiale des Femmes organisée à Copenhague (Danemark). Trois ans plus tard, elle fut la première femme élue au bureau de la Fédération CGT des Cheminots. Sa carrière de dirigeante syndicale la conduisit ensuite à siéger au sein de la Commission administrative de la CGT puis à devenir collaboratrice politique à la Fédération syndicale mondiale (FSM).
Dans les années 1960, Germaine Friant [épouse Saliou], employée administrative, fut l’organisatrice et l’animatrice principale de la première conférence CGT des cheminotes qui se tint le 13 décembre 1963. Tout au long des années 1960, elle publia dans la Tribune des cheminots plusieurs articles relatifs aux questions de la formation professionnelle des employées, de l’indemnité de crèche, du travail à mi-temps, etc. Ces revendications professionnelles s’accompagnèrent aussi d’une volonté d’adapter l’action militante aux réalités du travail salarié des cheminotes. En 1961, dans un article intitulé : « Les femmes cheminotes dans notre organisation », elle proposa de lancer des sessions de formation qui correspondent aux horaires des mères de famille, d’élaborer des contenus revendicatifs spécifiques aux cheminotes ou encore d’organiser une journée de formation dédiée aux femmes. Cette dernière proposition aboutit en mars 1962 avec la tenue du premier « stage d’éducation syndicale féminine de la Région parisienne ». En 1971, en compagnie de Françoise Oliva, Jeannette Levart et Charles Massabieaux, Germaine Friant fut reçue par la direction de la SNCF pour évoquer les conditions de travail spécifiques aux cheminotes.
Afin de mieux identifier les besoins des salariées, les fédérations syndicales usèrent d’instruments visant à mieux connaitre les cheminotes. En mars 1978, en vue de préparer le forum des cheminotes de l’année suivante, la CGT diffusa un questionnaire d’une trentaine de questions relatives à l’emploi, la formation professionnelle, le salaire, les conditions de travail et les loisirs des cheminotes. Les réponses montrèrent que plusieurs d’entre elles aspiraient à exercer des métiers encore largement inaccessibles aux femmes, tels ceux d’agent de conduite, de chef de gare ou de district. Dans les années 1980, les cheminotes du groupe Travailleuses de la CFDT-FGTE, dont Marie-Josette Robion et Monique Bonnisseau [épouse Fontaine], revendiquèrent elles-aussi une transformation de leurs conditions de travail. En s’appuyant sur les exemples de leurs camarades des PTT ou encore du secteur aérien, elles revendiquèrent la mise en place de crèches d’entreprise adaptées aux horaires décalés des personnels roulants, une meilleure indemnisation des périodes de grossesse, le développement des congés parentaux pour les hommes ou encore l’alignement des rentes des veuves et des veufs en cas de décès au travail. En 1985, elles adressèrent une synthèse relative aux différences de traitement entre cheminots et cheminotes à la direction de la SNCF. Celle-ci s’ouvrait sur le constat suivant : « la plupart des différences trouvées sont des discriminations à l’encontre des hommes ». Moyen de rappeler que la perspective d’une égalité de traitement entre hommes et femmes bénéficierait à l’ensemble des salariés. Dans leur travail quotidien, les cheminotes n’hésitèrent pas à revendiquer la fin de pratiques patriarcales. En 1981, Marie-Jo Robion réclama au chef du personnel de la région de Paris Saint-Lazare « que bien que n’étant ni mariée, ni mère de famille, ses diverses cartes de circulation mentionnent le titre de Madame en lieu et place de celui de Mademoiselle ».
Au cours des années 1980, les différences de traitement entre hommes et femmes étaient particulièrement visibles chez les personnels hors Statut de la SNCF. Chez les contractuels, les femmes étaient deux fois plus nombreuses que les hommes. Certaines professions très féminisées, telles les professions paramédicales, se mobilisèrent pour corriger cette discrimination. La biographie de Félicie Allo [épouse Garabédian] témoigne de la lutte menée par les techniciennes de laboratoire pour leur intégration au Statut. Ce combat se heurta longtemps aux fins de non-recevoir de la direction SNCF. La situation demeura figée jusqu’en 1981, année où l’arrivée au ministère des Transports de Charles Fiterman, ministre communiste, parvint à infléchir la situation des contractuelles. En quelques mois, laborantines, psychologues et conseillères en économie sociale et familiale furent admises au cadre permanent avec effet rétroactif.
Avec l’ouverture des carrières et la féminisation des métiers cheminots, la question de l’égalité femmes-hommes gagna aussi le personnel d’encadrement. À l’image de Lucienne Gay, plusieurs syndicalistes militèrent conjointement en direction des cadres et des femmes. À ce titre, à partir de 2000, Lucienne Gay participa à toutes les Marches Mondiales des Femmes afin de permettre aux femmes du monde entier de se retrouver dans un même combat contre le patriarcat et le capitalisme. Elle manifesta à Bruxelles (Belgique) puis à New-York (États-Unis), en 2005 à Marseille (Bouches-du-Rhône) et en 2015 à Lisbonne (Portugal). Autre figure de l’UFCM-CGT, Danielle Sinoquet fut responsable de l’activité fédérale en direction des femmes. Animant le collectif « Femmes-Mixité », elle proposa une réflexion globale sur la présence des femmes dans les responsabilités syndicales. Cette réflexion induisait, plus largement, un questionnement sur l’organisation du travail militant, ses contraintes de temps, le partage des tâches, etc. Elle fit écho à celles portées par ses homologues des autres fédérations cheminotes qui durent, chacune à leur manière, composer avec un environnement particulièrement masculin. Dans certains cas, cette question se prolongea quant à la répartition des rôles dans les couples militants cheminots. Quelques biographies de dirigeantes, comme celle de Suzanne Perrio, évoquent cet enjeu.
On le voit, si les femmes furent souvent peu nombreuses parmi les directions syndicales cheminotes, elles y occupèrent des rôles et des responsabilités importantes. À ce titre, dans l’histoire récente des cheminots, la figure de Christiane Bedon [épouse Roulet] occupa une place centrale. Première secrétaire du Comité central d’entreprise de la SNCF, elle eut la responsabilité de diriger cet organisme nouvellement créé dont la mission était de servir les intérêts de l’ensemble des salariés de la SNCF en lieu et place des œuvres sociales autrefois administrées par l’entreprise. Le défi était de taille dans une profession où l’accès des femmes à des postes de haute responsabilité n’était guère la norme. Elle occupa cette fonction de 1985 à 1993 puis elle fut élue secrétaire générale adjointe de la Fédération CGT des Cheminots. En 1999, après l’élection de Bernard Thibault au bureau confédéral, elle assura la direction de la fédération pendant plus d’un an.
SOURCES : Arch. IHS-CGT des Cheminots. — Arch. CFDT-FGTE. — Arch. de la SNCF. — La Tribune des cheminots. — La vie du Rail. — « Les cheminotes histoire d’une conquête », réseau SNCF-Mixité. — Les femmes dans l’univers ferroviaire, SARDO SNCF.
Logo de l’article : Le Courrier du cheminot, n° 36 bis, juillet-août 1972.