SUZUKI Bunji

Maitron patrimonial (2006-2024)

Né le 4 septembre 1885 dans le département de Miyagi ; mort le 12 mars 1946. Pionnier du mouvement syndicaliste ouvrier, fondateur de la Société fraternelle (Yūaikai), membre socialiste de la Chambre des représentants.

Né dans le village de Kannari, district de Kurihara du département de Miyagi, SUZUKI Bunji était le fils aîné d’un fabricant de sake (vin de riz). Après avoir suivi les cours de l’école secondaire de Furukawa, puis du lycée supérieur de Yamaguchi, il sortit diplômé de la Faculté de Droit de l’université impériale de Tōkyō. A cause des revers de fortune subis par sa famille, il dut travailler pour poursuivre ses études dès le lycée supérieur et se convertit au christianisme. Il s’était lié d’amitié avec FURUNO Zakusō, KOYAMA Tōsuke et UCHIGASAKI Sakusaburō au cours de l’école secondaire et c’est avec eux qu’il fréquenta, après son entrée à l’Université, l’église de Hongō, dont l’animateur principal était le célèbre EBINA Danjō, connu pour son libéralisme et son appartenance à l’Église chrétienne du Japon. Collaborant à la rédaction de la publication de l’église, Shinnin (L’Homme nouveau), il s’intéressa plus spécialement aux questions sociales et subit l’influence de TOWATA Kumazō, du Cercle d’études pour une politique sociale (Shakai seisaku gakkai). A sa sortie de l’Université, SUZUKI Bunji entra pour une année à l’imprimerie Shūeisha, dont le fondateur était SAKUMA Teiichi mais passa dès 1910 au Asahi shimbun (Journal Asahi) de Tōkyō à la section des informations générales.
L’année suivante, ayant décidé de se consacrer à la cause des indigents, il mit sur pied le Groupe de recherches sur les vagabonds (Furōnin kenkyūkai) et quitta le journal, pour travailler, à partir du mois de novembre, dans les groupes de propagation de la foi de l’Église chrétienne unifiée de la secte unitarienne et cumuler les fonctions de secrétaire et chef des œuvres sociales de la Société de propagation de la religion chrétienne unifiée (Tōitsu kirisuto kyō kōdōkai) dont le président était ABE Isoo. En août 1912, ayant commencé, dès le mois de février, par gagner le soutien de la Société pour le dialogue avec les ouvriers (Rōdōsha kowa kai) et s’en étant servi pour obtenir l’aide des membres du Groupe de recherches sur les vagabonds (Furōnin kenkyūkai) et du Cercle d’études pour une politique sociale (Shakai seisaku gakkai), SUZUKI fonda la Société fraternelle (Yūaikai).
La répression était alors particulièrement sévère à la suite de l’Affaire du complot de lèse-majesté et SUZUKI s’appliqua soigneusement à éviter que cette surveillance des autorités n’entrave l’évolution de la Société fraternelle en syndicat ouvrier. Il mit l’accent sur le développement harmonieux du capital et du travail, insista sur l’union pour une diffusion de l’éducation chez les ouvriers et se borna à donner à son association le caractère d’un groupe d’étude et de secours mutuel. Chaque fois qu’il créait une section locale, il s’efforçait d’obtenir l’autorisation de la police et des gestionnaires et installait comme président de ces sections soit un notable de la région soit un cadre de l’entreprise.
Les conseillers et consultants du siège central étaient des capitalistes ou des savants et, à partir de 1915, l’association reçut le patronage du magnat de la finance SHIBUSAWA Eiichi. Pendant cette période, le nombre des adhérents passa de quinze personnes à l’origine à 6 500 en juin 1915 quand SUZUKI s’embarqua pour les États-Unis. Il effectua ce premier voyage pour tenter de contribuer à la résolution du problème anti-japonais et prit contact dans cette perspective avec les ouvriers affiliés à l’A.F.L. (American Federation of Labour) ; l’année suivante, c’est sur l’invitation de Samuel Gompers, président de l’A.F.L., qu’il participa au congrès de la grande centrale américaine. Très marqué par ces deux voyages aux États-Unis, SUZUKI Bunji, abandonna ses conceptions favorables à la collaboration capital-travail et se mit à revendiquer le droit d’association et de grève. Des unions régionales de la Société fraternelle (Yūaikai) furent mises sur pied et des ouvriers commencèrent à prendre part à leur direction tandis que se faisaient jour des tentatives d’organisation par industrie dans les sections locales. Les conflits auxquels participa la Société fraternelle (Yūaikai) se firent également plus nombreux.
Par ailleurs, de jeunes intellectuels fraîchement émoulus de l’Université comme NOSAKA Sanzō, HISATOME Kōzō ou des ouvriers tels MATSUOKA Komakichi ou HIRASAWA Keishichi vinrent seconder SUZUKI Bunji et, grâce à la conjonction de tous ces efforts, la Société fraternelle prit peu à peu le caractère d’un authentique syndicat ouvrier. Cependant, après le Ve congrès d’avril 1917, sous l’effet de la répression dirigée par le cabinet TERAUCHI contre cette association, environ la moitié des membres quittèrent la Société fraternelle. C’est alors que SUZUKI Bunji déploya une intense activité pour renforcer et élargir l’organisation, et lors du VIe congrès qui eut lieu en avril 1918, .la Société fraternelle comptait 22 000 membres, c’est-à-dire que le niveau de l’année précédente était de nouveau atteint. Et le VIIe congrès recensa, en août 1919, environ 30 000 adhérents.
Dans le cadre du grand bond en avant et du processus de radicalisation du mouvement ouvrier qui suivirent la fin de la Première guerre mondiale, tant les militants du quartier général que ceux des sections locales travaillèrent à la réforme de l’organisation de la Société fraternelle et c’est au cours du VIIe congrès que fut proclamée la transformation du nom de la Société fraternelle en Société fraternelle de la Fédération générale du travail du grand Japon (Dai nihon rōdō sōdōmei yūaikai) ; plus important fut le changement apporté dans l’élaboration des décisions concernant l’organisation qui devaient être prises désormais par des responsables élus par le congrès : le système collégial marquait la fin du régime autocratique du président SUZUKI. A cette époque, SUZUKI Bunji avait clairement opté pour un soutien actif au socialisme et, ayant décliné l’invitation qui lui fut faite de lancer une Association de conciliation (Kyōchō kai), il avait rompu tout lien avec SHIBUSAWA Eiichi ; il devait en outre devenir l’un des animateurs de la première fête du Travail du Japon en 1920 ; manifestant ainsi une position de plus en plus radicale, il n’éleva aucune objection à la réforme de l’organisation de la Société fraternelle. Cependant, lorsqu’entre 1920 et 1923 l’anarcho-syndicalisme fit son apparition au sein même de la Société fraternelle, SUZUKI, de concert avec MATSUOKA Komakichi et autres, renforçant l’accent mis sur le syndicalisme pur et sur l’urgence de l’éducation des ouvriers, mit en garde les membres de l’organisation contre une radicalisation irréfléchie. Au cours du Xe congrès de 1921, le nom de la Société fut définitivement transformé en Fédération générale japonaise du travail (Nihon rōdō sōdōmei) et, à cette occasion, SUZUKI demanda à être démis de ses fonctions de président, mais il y fut maintenu à l’unanimité. Cependant, pour tenir compte de l’opposition qui commençait à se faire jour à cette époque contre une domination par la classe intellectuelle, on lui conféra le titre de président honoraire, pour le réintégrer pleinement dans ses fonctions en 1924. Cette année-là, ayant échoué dans ses efforts de conciliation entre les fractions de droite et de gauche de la Fédération générale du travail, il offrit de nouveau sa démission, qui fut encore une fois rejetée et même après la première scission, il fut maintenu à son poste de président de la Sōdōmei. A partir de 1919, avec la montée de dirigeants plus jeunes, la popularité de SUZUKI Bunji commença à faiblir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des syndicats, mais il resta une grande figure dans le mouvement ouvrier de tendance purement syndicaliste.
Ce ne fut qu’en novembre 1930, en application de la décision selon laquelle les syndicats devaient être dirigés par des responsables d’origine ouvrière, que SUZUKI Bunji quitta le poste de président qu’il occupait depuis 1920.
Après sa démission, il continua de collaborer avec la Sōdōmei en tant que conseiller, et s’occupa en particulier très activement de la médiation qui devait aboutir à l’union avec la Fédération des syndicats ouvriers (Rōdō kumiai dōmei) de 1936.
A partir de 1919 cependant, les activités de SUZUKI Bunji ne se limitèrent pas aux problèmes de la Sōdōmei ; il fut actif dans plusieurs autres domaines.
Activités internationales : Ayant participé à la Conférence de la paix de Paris en 1919 en tant que conseiller, délégué auprès de la Commission internationale du régime juridique du travail, SUZUKI Bunji prit une part active dans l’élaboration du projet de constitution de l’O.I.T. Cependant, le gouvernement japonais ayant refusé de s’en remettre au choix des syndicats pour l’envoi d’une délégation à la première assemblée générale de l’O.I.T. qui eut lieu la même année, ce fut SUZUKI qui s’opposa avec la plus grande énergie à l’envoi de délégués nommés d’office. Enfin, quand en 1924, pour la VIe assemblée générale, le gouvernement eut accepté le principe d’une délégation désignée par les ouvriers, SUZUKI Bunji fut l’élu des syndicats. Il participa ainsi aux VIIe, Xe et XIVe assemblées générales de l’O.I.T., comme délégué, fut élu membre suppléant du comité directeur au cours de la XIe assemblée générale, et remplit la fonction de vice-président des débats lors de la XIVe assemblée générale. En 1935, il fut membre de la Commission de l’O.I.T. spécialisée dans les problèmes des salariés. En effet, dans l’intervalle, SUZUKI Bunji s’était fait l’avocat d’une coopération entre les ouvriers de tous pays, dans un souci d’amélioration des conditions de travail particulièrement précaires dans les pays d’Asie. C’est ainsi qu’en 1925, au cours d’une assemblée générale de l’O.I.T., il en conféra avec la délégation indienne, et mit sur pied un projet de constitution d’un congrès des ouvriers d’Asie. Lorsque neuf ans plus tard, la première réunion de ce congrès put avoir lieu, SUZUKI Bunji en devint le président. La Chine était absente, et seuls Ceylan, la Palestine et les Philippines s’étaient joints à l’Inde et au Japon. La deuxième réunion du congrès eut lieu à Tōkyō en 1937, mais comme l’Inde fut le seul pays à envoyer une délégation, il fut décidé qu’il n’y aurait plus d’autre réunion.
Mouvement paysan : SUZUKI Bunji collabora avec le mouvement paysan dès la fondation, en 1922, du Syndicat des paysans japonais (Nihon nōmin kumiai), où il devint membre du comité directeur l’année suivante et plus tard membre du Comité central. En 1924, il fut le premier président de la Confédération du Kantō du Syndicat des paysans japonais, confédération qui venait de se constituer. Il prit cependant ses distances par rapport à l’organisation deux ans plus tard pour marquer sa désapprobation devant l’intensification des luttes entre l’aile gauche et l’aile droite du syndicat (Nichinō ou Nihon nōmin kumiai). Lors de la formation, en 1928, de la Fédération générale des syndicats des paysans japonais (Nihon nōmin kumiai sōdōmei), affiliée à la Sōdōmei, il en devint le premier président, pour occuper, dès l’année suivante, le poste de conseiller, et se retirer ainsi du premier plan de l’organisation.
Education des ouvriers : Ayant constitué en 1921 l’Association pour l’éducation des ouvriers (Rōdōsha kyōiku kyōkai), organisme affilié à la Sodōmei, SUZUKI Bunji y devint président du conseil d’administration, poste qu’il cumula avec celui de directeur de l’École ouvrière du Japon (Nihon rōdō gakkō). Il fonda également un centre chargé de réunir des informations concernant le monde du travail, l’Institut d’enquêtes sur les problèmes sociaux au Japon et à l’étranger (Naigai shakai mondai chōsajo) et, après s’être retiré de la présidence de la Sodōmei, il collabora à la publication de l’Institut, Naigai shakai mondai chōsa shiryō (Documents relatifs aux enquêtes sur les problèmes sociaux au Japon et à l’étranger).
Activité politique : Ayant milité en faveur du suffrage universel depuis 1915, SUZUKI Bunji se joignit aux journalistes et aux hommes politiques qui avaient pris part à la Conférence de la paix de Paris en 1919, dans la Fédération des réformistes (Kaizō dōmei) et collabora ainsi, à la propagation du mouvement pour le suffrage universel. Cependant, l’apparition d’éléments anarcho-syndicalistes au sein de la Sōdōmei entravèrent l’action de SUZUKI dans le milieu politique et c’est ainsi qu’il ne put se présenter aux élections partielles du département de Miyagi en 1922, à cause de l’opposition des cadres de la Sōdōmei. Lors de la formation du Parti socialiste du peuple (Shakai minshūtō) en 1926, il devint membre de l’exécutif central de ce parti et, deux ans plus tard, s’étant présenté sous son étiquette aux élections législatives dans une circonscription d’Ōsaka, les premières à être organisées après la promulgation de la Loi sur le suffrage universel, il fut élu membre de la Chambre ,des représentants, mais il fut battu au cours des deux consultations électorales suivantes, pour être finalement élu de nouveau en 1936 et en 1937.
II était également devenu conseiller du Parti socialiste populaire (Shakai taishū tō) depuis sa fondation en 1932, mais il en fut exclu huit ans plus tard pour s’être opposé à l’expulsion de la Chambre des représentants de SAlTŌ Takao auquel on reprochait d’avoir prononcé un discours antimilitariste en 1940. Il constitua alors avec ABE Isoo et d’autres membres de la Diète non exclus, le Parti national des travailleurs (Kinrō kokumin tō) qui fut dissous le jour même par le ministère de l’Intérieur. Après la guerre, il devint conseiller du Parti socialiste nouvellement formé et, alors qu’il était candidat aux premières élections de l’après-guerre en 1946, il fut terrassé par la maladie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/suzuki-bunji/, notice SUZUKI Bunji par , version mise en ligne le 29 juillet 2022, dernière modification le 19 juin 2024.

Maitron patrimonial (2006-2024)

ŒUVRE : Notamment, Nihon no rōdō mondai (Les Problèmes du travail au Japon), 1919. — Rōdō wa shinsei (Le Travail est sacré), 1922. — Nōson mondai kōwa (Discours sur les problèmes des communautés rurales), 1924. — Rōdō undō ni-jū men (Vingt ans de mouvement ouvrier), 1931.

SOURCES : MATSUO Takamitsu, Taishō demokurashii no kenkyū (Etudes sur la démocratie Taishō), 1966. — Sodōmei go jū nen shi kankō iinkai, Sodōmei go jū nen shi (Histoire des cinquante ans de la Sōdōmei), en trois volumes, 1964-1966.