ALBERT l’ouvrier (MARTIN Alexandre, dit l’ouvrier Albert)

Né le 27 mars 1815 à Bury (Oise), mort le 27 mai 1895 à Mello (Oise). Ouvrier mécanicien, puis employé du gaz. Adhérent de la société secrète des Saisons, puis dirigeant des Nouvelles Saisons. Membre du Gouvernement provisoire en 1848. Premier en date des membres de gouvernement d’origine ouvrière.

Coll. Musée d’histoire vivante.
Communiqué par Véronique Fau-Vincenti.

Alexandre Martin était le fils unique d’un propriétaire paysan qui semble avoir eu de l’instruction. La mère d’Alexandre Albert, Marie Pauline Ribou, meurt à 34 ans l’année suivant la naissance de son fils : le 5 avril 1816. Alexandre Albert ne la connaîtra donc pas mais il en percevra un peu d’héritage.
Il fut mis en apprentissage, à Paris, chez un de ses oncles maternel, Ribou, qui était mécanicien modeleur, 21 rue Basse des Ursins ( médaille de bronze à l’Expo de 1839), fit son tour de France et s’installa définitivement à Paris.
Il entra, très tôt, en rapports avec les sociétés secrètes républicaines et socialistes et, à peine âgé de dix-sept ans, prit part à l’insurrection de juin 1832. Il se battit vraisemblablement encore en 1834 et sans doute en 1839. On sait que la prise d’armes du 12 mai 1839, déclenchée par les Saisons, visait au renversement de la royauté et à la proclamation d’une République sociale. Après son échec, les cadres des Saisons se trouvèrent décimés et dispersés et ce fut la société dissidente des Montagnards, qui n’avait pas participé à l’insurrection, qui prit une certaine importance. Elle servit de base à un nouveau groupement : les Nouvelles Saisons. Albert était l’un des chefs de groupe de la nouvelle société.

Il habitait alors, 15, rue Neuve-de-Ménilmontant (VIIIe arr., maintenant rue de Commines, IIIe), près du boulevard des Filles-du-Calvaire. Chenu, futur traître, était son ami intime et, dans ses Mémoires, parus en 1850, le dépeindra de la façon suivante : « J’ai toujours remarqué en lui la plus profonde conviction, un peu d’orgueil il est vrai, mais c’était son seul défaut ; honnête homme, très brave, républicain sincère, sachant garder un secret, il avait toutes les qualités d’un conspirateur, si ce n’est qu’il se laissait facilement influencer par ceux dont le langage habile sut toujours l’éblouir ; aussi se traîna-t-il constamment à leur remorque. »

Il ne semble pas, contrairement à ce qui est généralement admis depuis 1848, qu’Albert ait été un collaborateur anonyme de l’Atelier. Tout d’abord, l’Atelier du 24 avril 1848 rectifia lui-même cette information et déclara qu’il ne connaissait même pas le citoyen Albert avant février ; ensuite, dans une autobiographie d’Albert, insérée dans le Moniteur du 5 mai 1848, il n’est fait aucune mention de l’Atelier. Or cette autobiographie était destinée précisément à répondre à ceux qui accusaient Albert de n’être pas un véritable ouvrier. Il semble s’être produit, en 1848, dans la plupart des esprits, une confusion entre Albert et Corbon, les deux ouvriers alors les plus en vue (observations d’A. Cuvillier), à moins que certains détracteurs n’aient pas considéré les rédacteurs de l’Atelier comme de véritables ouvriers...

Après l’attentat de Darmès contre Louis-Philippe du 15 octobre 1840, Albert, qui habitait alors 151, rue Vieille-du-Temple (VIIIe arr., maintenant IIIe), fut arrêté et interrogé le 7 janvier 1841. Aimé Borel, qui avait passé deux nuits chez lui avant de partir pour Ham, et qui l’avait signalé comme l’un des chefs principaux des Communistes, avait également été arrêté. On a saisi au domicile d’Albert une grande quantité de pamphlets communistes. Il refusa de s’expliquer ; à toutes les questions il répondait seulement : « Cela me regarde il ne me convient pas de nommer la personne qui m’a remis les objets trouvés chez moi. » Il a même refusé de signer son interrogatoire du 7 janvier, où il nie connaître Borel, qu’ensuite il a reconnu sous le nom d’Aimé. Il paraîtrait aussi qu’il connaissait Valentin Duclos, puisqu’à la Conciergerie il a cherché à se mettre en communication avec lui. Il semble ne pas avoir été poursuivi et son nom n’apparaît pas dans le réquisitoire final de Franck Carré. En 1841 « Martin (Albert) » fut condamné à 20 jours de prison au titre de l’appartenance à la société Communiste ou des Travailleurs Égalitaires.

Peu avant 1848, il travaillait comme mécanicien, rue de la Muette (VIIIe arr., maintenant rue des Boulets, XIe) dans la fabrique de boutons céramiques de Bapterosses. Il combattit sur les barricades les 23 et 24 février. Louis Blanc, qui ne le connaissait pas, du moins l’affirma-t-il par la suite, inscrivit le nom d’Albert sur la liste du gouvernement de La Réforme, après l’invasion des bureaux du journal par les ouvriers qui prononçaient ce nom.

Au Gouvernement provisoire, il calqua son attitude sur celle de Louis Blanc dont il fut l’adjoint comme vice-président de la Commission du Luxembourg. Il présida, en outre, la Commission des récompenses nationales. Le 23 avril, il fut élu à la Constituante, dans la Seine, 21e sur 34, par 133 041 suffrages ; (votants : 267 288 ; inscrits : 399 191). D’après Gustave Lefrançais, son élection ne fut due qu’à son titre de membre du Gouvernement provisoire, « et peut-être aussi à sa complicité passive dans les menées réactionnaires de ses collègues ».

La journée du 15 mai 1848 devait mettre fin à sa carrière politique. Il est sûr que, ce jour-là, avec Louis Blanc, il chercha à calmer les insurgés qui avaient envahi la Chambre. Quoi qu’il en soit, ses adversaires prétendirent au contraire qu’il réclama l’entrée des ouvriers dans la salle des séances. Dans l’après-midi, il accueillit Barbès à l’Hôtel de Ville et signa, avec lui, l’arrêté qui renversait le gouvernement et en proclamait un autre. Une liste qui circulait alors à l’Hôtel de Ville lui attribuait le portefeuille des Travaux publics. Vers six heures du soir, il fut arrêté avec Barbès et transféré à Vincennes.

Traduit devant la Haute Cour siégeant à Bourges, le 7 mars 1849, il en déclina la compétence, refusa de répondre et de se défendre. Le 2 avril, il s’entendit condamner à la déportation. Il fut transféré à Doullens puis, dans le courant de 1850, à Belle-Île où il retrouva Barbès, Blanqui, Raspail, Sobrier, Huber, Commissaire, etc. Il était en 1854 à la prison de Tours (Indre-et-Loire) où on avait dû le transporter parce qu’il avait contracté une maladie de poitrine à Belle-Île. Dans sa nouvelle geôle, il ne pouvait même pas recevoir les visites de sa femme (lettre de Barbès à Étienne Arago du 22 juillet 1854) et fut transféré à l’hôpital de Tours.

Transporté à Corte en 1858, il fut libéré par l’amnistie de 1859, se fixa à Paris, trouva un modeste emploi à la Compagnie du Gaz, qu’il devait occuper jusqu’en 1894. Après le 4 septembre 1870, le gouvernement de la Défense nationale l’appela à la Commission des barricades, aux côtés de Rochefort, Jules Bastide, Schoelcher, Martin Bernard, Floquet, etc. Sans l’avoir demandé, il se trouva candidat aux élections à l’Assemblée nationale du 8 février 1871, mais n’obtint qu’un très petit nombre de voix. Sur l’initiative de Victor Hugo, sa candidature fut posée aux élections sénatoriales de 1879. Il ne fut pas davantage élu.

En 1884, le Corse Romanetti lui intenta un procès, disant qu’il n’était pas le vrai Albert de 1848. Le 6 janvier 1885, en appel, Romanetti fut condamné à 2 000 F de dommages et intérêts. Peu de temps avant de mourir, Albert avait écrit au Figaro, en réponse à un article de Jules Simon : « J’ai toujours été révolutionnaire. J’ai combattu en 1832, en 1834 rue Transnonain (VIIe arr., maintenant rue Beaubourg, IIIe), en 1839 avec Barbès, avec les sociétés secrètes, ce qui m’a valu l’honneur d’être du Gouvernement provisoire... Je n’ai jamais voulu prêter serment à l’Empire. »

Il mourut le 27 mai 1895 à Mello (Oise), où il s’était retiré et où il habitait une petite maison, place de la Mairie. Le samedi 1er juin, il eut des obsèques nationales, religieuses, avec quatre prêtres. L’absoute fut donnée par un vicaire général. Chautemps, ministre des Colonies, représentait le gouvernement. Il y avait 5 000 ou 6 000 assistants : préfet, sous-préfet, députés réactionnaires de l’Oise, conseillers généraux de gauche, comité républicain de Senlis, gendarmes, fanfare, enfants des écoles, etc. Sur la proposition de Rouanet et des députés socialistes, la Chambre vota, par 449 voix contre 59, un crédit de 5 000 F pour l’érection d’un monument sur sa tombe.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152441, notice ALBERT l'ouvrier (MARTIN Alexandre, dit l'ouvrier Albert), version mise en ligne le 15 janvier 2014, dernière modification le 26 novembre 2021.
Coll. Musée d’histoire vivante.
Communiqué par Véronique Fau-Vincenti.

SOURCES : Arch. Nat., BB 18/1463, doss. 5964 A. — Arch. P.Po., A a/428. — Notes inédites de Maurice Dommanget sur " Les Nouvelles Saisons " (1839). — Cour des pairs. Attentat du 15 octobre 1840. Rapport fait à la Cour par M. Girod (de l’Ain), Paris, impr. royale, mai 1841, p. 38. — La République au Donjon de Vincennes. Biographies d’Albert, Barbès, Raspail, Paris, typogr. Schneider, 1848, 8 p. — G. Lefrançais, Souvenirs d’un Révolutionnaire Bibl. des « Temps nouveaux », n° 27, Bruxelles s. d., préface de L. Descaves, fév. 1902, XII + 604 p. — Adolphe Chenu, Les Conspirateurs. Deuxième partie, tirée des Mémoires d’un Montagnard, Paris, 1850. — Armand Cuvillier, Un journal d’ouvriers, l’Atelier 1840-1850, Paris, Éd. ouvrières, 1954. — Cour des pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983. CC 773 n° 2. — J.-Y. Mollier, Dans les bagnes de Napoléon III. Mémoires de C.-F. Gambon, Centre des Correspondances du XIXe siècle, Paris IV-Sorbonne, PUF, 1983. — Gazette des Tribunaux et Journal des débats des 9 août 1841, respectivement p. 1034 et [2]. — Notes de M. Cordillot et J. Risacher. — Notes d’Alain Rustenholz

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