MORO Ferrucio, dit Ciao

Par Rémy Gaudillier

Né le 24 janvier 1914 à Valstagna (Italie), mort le 14 septembre 1997 à Neuilly-les-Dijon (Côte-d’Or) ; ouvrier en scierie, lunetterie, fonderie ; responsable de la section CGT des salines de Montaigu (Jura), délégué de l’Éducation nationale, membre de la commission exécutive de la CGT du Jura ; jociste, permanent du MPF, secrétaire fédéral du MLP, du PSU, du PS.

Fils d’Antoine Moro et de Madeleine Rech, Ferrucio Moro arriva dans le Jura, à Crotenay, en 1921, avec sa mère, ses deux frères et sœurs, pour rejoindre son père qui y travaillait depuis un an. La famille se déplaçait selon les différents travaux que le père réussissait à décrocher : maçon, bûcheron, ouvrier scieur. Marqué par les « maccaroni » et autres quolibets lancés par des enfants, Ferrucio Moro garda de cette époque une impression pénible, les salaires du père ne suffisant pas à nourrir la famille, agrandie encore par l’arrivée de jumeaux dont un seul survécut. Son instruction primaire fut négligée, car dès l’âge de sept ans, il passa le plus clair de son temps à travailler comme berger (un hiver même comme aide-forestier). Il n’avait pas douze ans lorsqu’il embauché comme scieur et astreint à des horaires de 10-11 heures de travail par jour.

En 1928, la famille se fixa à Ladoye (Jura) où Ferrucio Moro travailla à la scierie. Fin janvier 1930, il participa à sa première grève. Enthousiaste d’abord, il reprit le travail au bout de quinze jours, ne supportant pas les accusations de « jaunisme » proférées à l’encontre de son père. Ce fut aussi son premier contact avec la JOC. La section de Morez ressemblait à un patronage : gymnastique, lecture, aumônier peu expérimenté, fêtant au vin blanc l’arrivée de chaque nouveau membre. Par la JOC surtout, il prit conscience de la dignité ouvrière et de la nécessité de lutter collectivement pour la défendre. Embauché chez Lizon, importante lunetterie de Morez, il prit sa carte à la CFTC. Après son service militaire, il devint l’un des responsables de la nouvelle section jociste morézienne : cercles d’études, prise en charge des loisirs. Ce fut, dit-il, sa véritable formation, c’est là qu’il réapprit quasiment à écrire et qu’il comprit la nécessité de la lecture. Avec la section de Morez, il prépara activement le congrès du dixième anniversaire de 1937, auquel il participa. Il resta cependant largement à l’écart du Front Populaire, auquel pourtant il resta reconnaissant d’avoir accordé les premiers congés payés.

Rappelé à l’armée à l’occasion de l’accord de Munich, Ferrucio Moro retourna à Ladoye après la débâcle. Ce hameau d’abord en zone occupée se retrouva en zone « nono » suite à un déplacement de la ligne de démarcation. Comme d’autres, il rendit service, passant lettres, paquets et personnes. Ce fut à cette époque, en décembre 1941, qu’il se maria avec Denise Marie Philomène Fraignier, issue d’une famille catholique convaincue, qui allait lui donner cinq enfants et le soutenir constamment dans ses actions militantes.

Sous le coup du STO, Ferrucio Moro entra dans la clandestinité. Lorsqu’il fut de retour à Morez, il entra au MPF et, à la Libération, il devint secrétaire départemental et permanent. Il s’agissait de renforcer l’implantation, de faire face surtout aux pénuries (ravitaillement, chauffage, logement). Le permanent s’occupait de l’approvisionnement des coopératives et centrales d’achat montées par le mouvement et veillait au bon fonctionnement de services divers, par exemple d’un centre de raccommodage, d’un autoclave pour la stérilisation des conserves et était amené à participer à diverses commissions départementales. En septembre 1947, il fut nommé membre de la commission des loyers, en juillet 1949, membre du conseil d’administration de l’office public d’HBM du Jura. Approuvant les analyses et les méthodes du mouvement, il organisa plusieurs opérations de squattage. Lorsque les divergences avec les autres organisations familiales s’amplifièrent en 1950, l’UNAF (Union nationale des associations familiales) ayant exclu le MPF, il démissionna de son poste de trésorier de l’UDAF (union départementale).

Soucieux d’unité ouvrière, il travailla à rapprocher le MPF des organisations syndicales, participant à leurs côtés aux opérations montées sur les marchés contre la hausse des prix. Dès la Libération, il avait quitté la CFTC pour la CGT, mais n’en restait pas moins en relation régulière avec des prêtres confidents. Il acquit pendant cette période une formation politique, nourrie par des conférences d’Yves Farges et d’Emmanuel Mounier, et d’un stage à la communauté Barbu à Valence. Sa rencontre au printemps 1947 avec un militant vietnamien en fit un partisan convaincu de la décolonisation. En octobre 1950, au congrès de Nancy, il vota pour la transformation du MPF en MLP.

La fin progressive des pénuries entraîna une chute des effectifs du mouvement qui seraient passés de 2 000-2 500 adhérents en 1946-1947 à 600 au printemps 1950. Il ne pouvait plus être question de poste de permanent. Ferrucio Moro se mit alors en quête de travail à l’automne 1950. Indésirable chez Lizon, refusé par les employeurs locaux auxquels il s’adressait, il dut vivre quelque temps avec l’aide de militants avant de s’embaucher chez Jean Larceneux, artisan en fonderie. Il entra ensuite aux salines de Montaigu, où les conditions de travail restaient extrêmement difficiles. Une année après son arrivée, il monta un syndicat CGT et mena avec succès une première grève, point de départ d’une série d’améliorations ponctuelles. Responsable CGT des salines, il resta à la tête de la section lédonienne du MLP et participa à toutes les actions décidées ou acceptées par le mouvement, le plus souvent aux côtés de militants communistes (Mouvement de la paix, action contre la guerre d’Indochine, contre la politique coloniale, défense d’Henri Martin, expédition de Suez ; localement, action pour la libération de Tripier, Dumax et Guyot, emprisonnés pour avoir distribué en avril 1957 un tract intitulé « Les méthodes de force en Algérie ». Le MLP mena aussi des actions spécifiques comme le soutien aux prêtres-ouvriers ou la dénonciation de l’intervention soviétique à Budapest.

La fermeture des salines de Montaigu conduisit Ferrucio Moro à accepter un poste de veilleur de nuit au lycée Jean Michel. Il dut passer son certificat d’études à quarante-six ans pour être titularisé. Ce fut désormais à l’Éducation nationale qu’il pousuivit son activité syndicale. Il continua parallèlement l’action politique et organisa en janvier 1958 la réunion constitutive de l’UGS départementale, composée pour l’essentiel de militants MLP. En 1960, Ferrucio Moro fut un des trois Jurassiens participant au congrès national de création du PSU, il en devint secrétaire fédéral et resta membre de la commission exécutive jusqu’en 1970. Candidat aux élections municipales de 1971 sur la liste d’Union et action socialistes, il obtint 1 452 voix. Retraité en 1974, il abandonna progressivement ses activités pour soigner sa femme, à la santé de plus en plus chancelante.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146371, notice MORO Ferrucio, dit Ciao par Rémy Gaudillier, version mise en ligne le 12 mai 2013, dernière modification le 12 mai 2013.

Par Rémy Gaudillier

SOURCES : ADJ 1203W149, ADJ 1203W148. — Notes et carnets de Ferrucio Moro. — Entretien avec Ferrucio Moro, mai 1991. — Renseignements fournis par ses filles, Mmes Ballaud et Cart.

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