DUPONT Jacques [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 25 septembre 1927 à Paris, actif à 16 ans dans un groupe de lycéens et étudiants participant à la Résistance à Paris sous la direction des FTPF ; après la Libération, étudiant en médecine, communiste prenant ses distances avec le PCF et le quittant par désaccord sur la dénonciation de Tito et du communisme yougoslave ; imprimeur, assurant la publication de tracts et documents contre la guerre d’Algérie pour les réseaux Jeanson et Curiel, participant à la création et l’édition de Vérités pour…, poursuivant ensuite les services d’impression clandestine pour le mouvement ouvrier espagnol (Mundo Obrero) et le mouvement anti-salazariste au Portugal en liaison avec le Mouvement anticolonialiste français (MAF) d’Henri Curiel*, tout en publiant notamment traductions et textes de recherche en psychanalyse, élaborés par Judith Dupont, née Dormandi, épousée en 1952

Les parents de Jacques Dupont, ont été élevés dans l’esprit et la pratique du catholicisme contre-réformé du Nord de la France et de Belgique. La mère, née à Isières près d’Ath, est fille de paysans belges du pays wallon. D’instruction primaire acquise à l’école chrétienne, elle accompagnera les études de son fils, de santé fragile, en latin, et aussi en anglais, italien et allemand ; bibliophile, elle s’occupera plus tard d’art et d’antiquités. Jacques Dupont passera aussi par « l’école des curés ».

Le grand père paternel était tailleur à Loos près de Lille. En contact avec les filatures Thiriez, il place son fils, Désiré, à quatorze ans comme garçon de bureau chez Thiriez. Le jeune homme se retrouve artilleur à l’armée dans la guerre de 1914-1918, avec un fils de grand patron du Nord de cette famille catholique Thiriez, adepte du paternalisme social, régnant sur l’industrie textile du fil, et possédant aussi un secteur de presse (Cartier-Bresson). Après guerre, les parents Dupont viennent à Paris où naitra leur fils Jacques en 1927 ; Désiré Dupont qui a rejoint Etienne Thiriez, devient comptable puis expert-comptable, responsable de la comptabilité des magasins Thiriez de Paris.

À 16 ans, fin 1943 et en 1944, élève de première de l’école religieuse Massillon à Paris, il rédige, avec quelques jeunes collégiens, un petit journal clandestin sous le titre Le Père Duchesne. Il prend part ensuite à l’impression de tracts, aux collages de papillons, distributions de journaux sur les marchés, notamment Défense de la France et Les Cahiers du Témoignage Chrétien. Ces militants, à sa demande pressante, le mettent en contact avec un jeune officier FTPF, Joë Nordmann*, le futur avocat communiste défenseur des Algériens. À titre d’entraînement, commencent alors des attaques à coups de pavés de permanences de la L.V.F. ou du P.P.F. de Jacques Doriot, puis un harcèlement des soldats ennemis dans les rues, au parc des Buttes Chaumont, pour récupérer des armes, quelques plastiquages de camions allemands.

Le petit groupe étudiant, rattaché aux Francs-tireurs de la région parisienne, est dirigé, entre autres, par Serge Apikian (Martin). Jacques Dupont a combattu avec le frère de François Maspéro, Jean (Marion), Michel Tagrine tué Place de la République, Charles Martini (Picpus) étudiant en médecine, externe des hôpitaux tué à ses côtés Quai Henri IV, Gallep, élève instituteur, Madeleine Riffaut (Rainer), Weil (Laffond ou Joinville) tué, lui aussi, après l’attaque d’un garage allemand… etc. Le petit groupe est aussi en contact avec des éléments de la M.O.I. (Main d’œuvre immigrée de la région Nord de Paris, dont faisait partie le fameux « Groupe Manouchian »).

À la Libération, Jacques Dupont participe à l’occupation de la Librairie Rive-Gauche, centre de propagande allemande, place de la Sorbonne, qui devient le centre des étudiants et professeurs du Front National de Libération, organisation dite « de masse » créée par le Parti Communiste ; il y retrouve le Professeur René Maublanc, représentant des professeurs, et Serge Apikian, représentant des étudiants. Sur les lieux, opère en retrait, la permanence des Étudiants Communistes, dirigée par Pierre Kast (le futur cinéaste), prétendant, depuis son bureau de « la rue de Médicis », siège de l’organisation communiste, régenter et contrôler les publications des étudiants et lycéens de Rive Gauche où Jacques Dupont, maître de la ronéo, imprime tracts et journaux de différentes sensibilités, L’Université Libre de R. Maublanc, Le Palais Libre dirigé par Joë Nordmann.

En opposition aux directives simplistes et aux interventions comminatoires de P. Kast, J. Dupont est exclu de Rive Gauche. En collaboration avec l’ancien groupe de Serge Apikian, clandestinement de nuit, le matériel d’impression, les réserves et stocks de papier sont déménagées dans une chambre de bonne que louait un membre du groupe de Massillon, P. Duchesne (Gassier). Continuant tirage et impression militante, Jacques Dupont, devenu autonome, toujours grâce à P. Duchesne, installe une imprimerie en 1953 au 80 rue des Haies dans le 20e arrondissement pour éditer des cours d’Université.

À la fin de la guerre, Jacques Dupont avait adhéré au PCF, section du 1er Arrondissement, créant le journal Babeuf des cellules du quartier des Halles. À la rupture de l’U.R.S.S. et des Partis communistes avec Tito en 1948, c’est par esprit de solidarité de résistance qu’il défend cette autre résistance communiste yougoslave et quitte donc le PC français. Cette adhésion au mouvement communiste s’était décidée en 1944, à travers de longues discussions avec son ami Charles Martini, avant la mort tragique de celui-ci, qui l’avait aussi incliné à entreprendre des études de Médecine. À la Faculté de Médecine, Jacques Dupont rencontre Judith Dormandi ; ils se marient en 1952.

Le père de Judith, László Dormandi, écrivain et éditeur hongrois, propriétaire de la maison d’édition Panthéon à Budapest, avait quitté son pays en 1938 pour échapper à la répression anti-juive et aux ennuis que pouvait lui créer la publication d’une revue antifasciste (Szép Szó). Il s’était réfugié à Paris avec sa femme Olga, artiste peintre, et leur fille. À Budapest, la grand-mère de Judith avait été élève puis collaboratrice de Sándor Ferenczi, adepte et collaborateur de Freud. Traitant les cas les plus difficiles, voire désespérés, S. Ferenczi inclinait la psychanalyse vers la reconnaissance de l’interaction entre analyste et analysant. La tante de Judith, Alice, analyste, était mariée à Michaël Balint qui poursuivit l’œuvre de Ferenczi et sera son représentant littéraire. Judith traduira en français et poursuivra la publication des écrits de Ferenczi. Comme son père, éditeur à Budapest notamment de revues, Judith a fondé la revue Le Coq-Héron, bénéficiant pendant des nombreuses années des machines et des services de son imprimeur de mari ; ayant la passion des caractères anciens de typographie, il entend publier les textes de Freud, Ferenczi et autres membres de l’Ecole Hongroise, dans les caractères de l’époque.

À Paris, la famille Dormandi avait traversé le temps de l’occupation allemande en se protégeant au mieux, mais sans passer à la clandestinité. Les Dormandi étaient en relation amicale, intellectuelle et politique très proche avec le dessinateur Jean Bruller, devenu célèbre sous le nom de Vercors pour son livre Le silence de la mer, paru sous l’occupation aux Editions de Minuit dont il était le fondateur avec Pierre de Lescure. Pour J. Dupont, l’impression militante continue ; dès les années d’étudiants en médecine, le jeune couple est engagé dans l’action anticolonialiste, passant de l’Indochine à l’Algérie, s’ajoutant au soutien des Espagnols antifranquistes (Mundo Obrero) et des Portugais contre Salazar. .J. Dupont est aussi en contact avec l’éditeur François Maspéro. En complet désaccord avec les retenues du P.C.F. sur la question nationale algérienne, à savoir la réprobation de l’aide à la lutte des Algériens pour l’indépendance, il se tient à l’écart du Parti, mais suit les débats intérieurs sur le vote des « pouvoirs spéciaux » pour le maintien de l’ordre en Algérie en mars 1956, et les effets de la crise du communisme, d’autant plus que les intellectuels sont au premier rang en Hongrie.

Depuis longtemps, J. Dupont travaille avec la Société Patex qui lui fournit papier et divers matériels pour son imprimerie ; un des dirigeants en est Joseph Hazan*, communiste, juif exilé d’Egypte et premier soutien et couverture d’Henri Curiel*. J. Hazan sait qu’il peut compter sur son ami imprimeur pour toute impression clandestine ; J. Dupont a déjà reproduit des brochures marxistes en arabe, des communiqués et des textes de défense de communistes égyptiens pourchassés et du groupe des communistes juifs en exil autour de H. Curiel*, qu’il n’a pas encore rencontré. Il imprime aussi clandestinement des communiqués et tracts du FLN et reproduit des pages du journal El Moudjahid, interdit en France.

En 1958, Joseph Hazan conduit auprès de J. Dupont, Francis Jeanson*, sous le nom de Vincent, et Hélène Cuénat* sous le nom de Claire, pour la mise en route et la sortie du périodique du réseau Jeanson, Vérités pour… Après un n° 0, J. Dupont sort les 15 premiers numéros, avec en bandeau : « Centrale d’information sur le fascisme et l’Algérie ». Il y insère notes et articles discutant les réticences du PCF ; il les signe du nom de son ami du temps de l’Occupation : Martini. Suite à un problème de sécurité, le n° 16 est pris en charge par Vercors/Jean Bruller, qui avait déjà écrit précédemment un article signé de son nom, ainsi d’ailleurs que J.-P. Sartre. Difficilement suivi par Jean Bruller, débordé et souvent en voyage, le dernier numéro paru, le 18, est imprimé par François Maspéro en Belgique, en typographie, déjouant ainsi la chasse policière française.

Un des plus actifs dans le réseau et en contact permanent avec H. Curiel*, est Georges Mattéï* dont J. Dupont se sent proche pour sa liberté d’esprit, son humour, sa volonté de liaison entre les différentes tendances. Henri Curiel*, pour qui l’imprimeur clandestin travaille également, offre un billet de train à J. Dupont pour participer à, Saint-Cergue, près de Lausanne, au Congrès du Mouvement Anticolonialiste Français (MAF), le 20 juillet 1960. Congrès marqué par les soubresauts de la rivalité entre Francis Jeanson, pour qui vote J. Dupont, et H. Curiel*, qui veut aller au-delà du soutien à la lutte algérienne et construire son propre mouvement aidant l’ensemble des mouvements de libération. Grâce à Mattéï, J. Dupont entre en contact avec le groupe des jeunes déserteurs, J.J. Porchez et Jean-Louis Hurst* (Maurienne) du groupe Jeune Résistance. Il revient à Paris avec Mattéï, les deux amis poursuivant le travail clandestin du réseau Jeanson transféré au réseau Curiel. Ce dernier publiera alors Vérités anticolonialistes, qui n’a plus rien à voir avec Vérités pour …

J. Dupont continuera quelque peu les travaux d’impression sous le manteau pour diverses causes et pour l’association de Curiel, « Solidarité ». Sa réflexion le rend plus critique encore du manichéisme communiste, qu’il rejette ; il révise également les condamnations trop vite prononcées en 1958 et après, sur la politique du général de Gaulle, désigné mécaniquement comme « le représentant du grand capital »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156934, notice DUPONT Jacques [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 21 février 2014, dernière modification le 7 novembre 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : J. Charby, Les Porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, La Découverte, Paris, 2004. — J.-L. Einaudi, Franc-tireur Georges Mattéi, de la guerre d’Algérie à la guérilla, Le Sextant et Danger public, Paris 2004. — Interview de Judith et Jacques Dupont par Fabio Landa, Le Coq-Héron, n° 189, éditions Erès, Paris 2007. — Entretien avec Jacques et Judith Dupont en juillet 2009 dans leur maison d’Andilly (Val d’Oise) et mise au point par correspondance.

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