DJILANI Embarek [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 16 janvier 1917 à Saint-Arnaud [El-Eulma] (région de Sétif) ; instituteur ; responsable du PPA de Sétif en mai 1945, emprisonné à la veille du 8 mai ; membre du comité central et trésorier du MTLD ; député à l’Assemblée algérienne en 1948 ; arrêté en novembre 1954 ; réorganisateur clandestin des secrétariats de l’UGTA à Alger en 1956-1957, coordinateur adjoint de la Délégation extérieure de l’UGTA à Tunis à partir de 1958 ; député FLN après l’indépendance.

Quelquefois confondu avec Mohammed Si Djilani* et signalé par erreur pour collaboration avec La Lutte Sociale pendant la guerre de 1940, en fait bien plus jeune, Embarek Djilani est à cette époque instituteur près de Guenzet dans la région de Sétif. Son père, qui a une nombreuse famille, était cafetier ; E. Djilani suivit le cours complémentaire à Saint-Arnaud et exerce comme instituteur d’école indigène à partir de 1938. C’est après le débarquement allié de novembre 1942 qu’il devient actif au PPA (Parti du peuple algérien) ; il organise un groupe de scouts musulmans à El-Hilal en 1943, puis installé à Saint-Arnaud, ouvre un Cercle du progrès qui sert de base aux Amis du Manifeste et, en réunissant principalement les scouts routiers, constitue la cellule du PPA.

En 1945, il est le responsable du parti nationaliste, toujours sous interdiction, pour la région de Sétif s’étendant outre sur Sétif et le plateau, vers la Kabylie, aux villes et bourgades de M’Sila, Bordj-Bou-Arreridj, Bougie (Béjaia), Sidi-Aich, Guenzet. Cette extension montre que le parti n’est pas encore fortement implanté ; il se développe en fait à travers le mouvement des AML, ce que montrent.les « événements de 1945 ». Au matin du 8 Mai 1945, les scouts musulmans forment un petit cortège pour porter leurs bouquets de fleurs au monument aux morts sur la place de Sétif. Comptant quelque 2 000 manifestants scandant « libérez Messali », le cortège est grossi des partisans des AML encadrés par des militants du PPA ; il s’avance depuis l’entrée de la ville dans la rue principale ; un policier abat le porteur du drapeau algérien et les tirs se poursuivent depuis les balcons de maisons « européennes » ; la panique gagne. Le mois des massacres est ouvert dans le Constantinois, vouant à la mort quelque 30 000 Algériens et entraînant dans la démesure, arrestations et condamnations.

Si Embarek Djilani passe au travers de ces terribles moments, c’est qu’il a été arrêté préventivement étant connu comme le responsable du PPA. Il est révoqué de l’enseignement, condamné à trois ans de prison et 20 000 Francs d’amende pour « reconstitution de ligue dissoute ». Libéré au bénéfice de l’amnistie, reprenant un poste d’instituteur, il se retrouve à la tête du parti messaliste légal en 1947. Responsable du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), il est élu en 1947 au conseil municipal de Saint-Arnaud et en 1948, à l’Assemblée algérienne. Il est emprisonné au lendemain de l’élection, condamné pour « atteinte à la souveraineté de l’État », mais élargi, il va siéger à l’Assemblée algérienne à Alger où il se fait remarquer par la vigueur de ses interventions contre le système colonial.

Membre du Comité central du MTLD, un des responsables de la Commission « information et propagande », il devient le trésorier du parti nationaliste ; en juin 1951, il en est le candidat aux élections législatives à Sétif. On lui doit d’avoir sauvé dans ses archives, qui comme trésorier sont celles du parti, la brochure signée Idir El Watnani L’Algérie libre vivra, que la direction du MTLD a retiré de la diffusion. Cela témoigne de son intérêt intellectuel et politique, de sa réflexion sur une conception ouverte et pluraliste de la nation algérienne. C’est cette brochure écrite par les étudiants Yahia Hénine*, Mabrouk Belhocine*, Sadek Hadjéres* que M. Harbi* pourra ainsi republier en 1987 (revue Sou’al, n° 6, avril 1987).

Dans la crise du MTLD en 1953, il suit l’action, sinon l’orientation, des partisans du Comité central dont il reste membre. Arrêté dès novembre 1954, E. Djilani est emprisonné à Constantine jusqu’en août 1955 puis détenu dans les camps de Djorf (près de M’Sila dans le Constantinois), puis à Berrouaghia, et Saint-Leu près d’Oran dont il sort, malade, en juin 1956. Trouvant le contact avec la direction du FLN (Front de libération nationale) à Alger (R. Abane* et B. Benkhedda*), il est chargé de suivre la reconstitution d’un bureau de l’UGTA du deuxième au troisième secrétariat démantelé par les arrestations. Il fait ensuite partie à la fin décembre 1956 du quatrième secrétariat qui met en place le Comité de grève pour la grève des huit jours (27 janvier – 3 février 1957). Il sera condamné à vingt ans de réclusion criminelle au procès dit de l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) en janvier 1959, par contumace.

Echappant en effet à la traque policière et militaire de la Bataille d’Alger, il réussit à embarquer pour Marseille et à gagner Tunis. Dans l’entourage de Benyoussef Benkhedda*, il entre à la Commission chargée d’élaborer un programme social pour le FLN et d’abord de constituer la Délégation extérieurs de l’UGTA dont il devient membre de la coordination, restant en second le coordinateur adjoint dans les successifs secrétariats. La session d’organisation de l’UGTA du 12 au 15 octobre 1958 lui confie la direction du journal syndical à faire reparaître : L’Ouvrier algérien. Il se consacre à la tâche pendant une année.

Il devient aussi le chef de délégations envoyées en mission au titre de l’UGTA, à Prague, siège de la FSM (Fédération syndicale mondiale), en février 1959 puis en URSS en mars. En décembre 1959, il fait partie de la délégation du l’UGTA au IVe congrès de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) à Bruxelles ; il va en outre sur le compte d’un stage de trois mois de la CISL, être amené à faire le tour des organismes du travail en Europe. Il offre ainsi l’exemple de la commande politique du syndicalisme ; et ce « syndicalisme d’encadrement » par le parti-État devient aussi un syndicalisme de représentation diplomatique. Encore dans ce cas, sommes-nous devant un véritable politique qui a un passé militant et une pensée sociale, un politique professionnel devenu syndicaliste de profession, d’autant qu’il est resté célibataire.

Après l’indépendance, Djilani Embarek sera député à l’Assemblée constituante (novembre 1962) puis à l’Assemblée nationale, membre en 1964 de la Commission préparatoire du Congrès du FLN qui se donne un projet socialiste. Après 1965, il sera Président directeur général d’une Société Nationale, société d’État, avant de prendre sa retraite.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156977, notice DJILANI Embarek [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 22 février 2014, dernière modification le 11 décembre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Nat. Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H51. — L’Algérie libre, novembre 1953. — L’Ouvrier algérien, 1958-1960. — B. Stora, Dictionnaire biographique des nationalistes algériens, op. cit. — Entretiens entre M. Farès et E. Djilani in M. Farès, Aïssat Idir, op. cit. — Témoignage de E. Djilani daté septembre 1985 dans B. Bourouiba, Les syndicalistes algériens, op. cit. — 0. Carlier, Entre nation et djihad, op. cit. — M. Harbi, Une vie debout, Mémoires politiques, Tome 1 : 1945-1962. La Découverte, Paris 2001. — J.-L. Planche, Sétif 1945. Histoire d’un massacre annoncé, Perrin, Paris, 2006.

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