CAMARA Ousmane Ablaye

Par Françoise Blum

Né le 14 Mai 1931 à Diourbel (Sénégal) ; Magistrat ; Ministre ; Président de la cour suprême ; Président du conseil constitutionnel ; Médiateur de la République ; Association Générale des Étudiants de Dakar (AGED) ; Union générale des étudiants d’Afrique de l’Ouest (UGEAO) ; Union démocratique sénégalaise (UDS) ; Parti africain de l’indépendance (PAI)- Parti communiste français (PCF) ; Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) ; Union progressiste sénégalaise (UPS)

Ousmane Camara a eu la carrière typique d’un haut magistrat de l’État sénégalais doublé d’un politique qui fut plusieurs fois ministre, sous la présidence de Senghor. Avant cela il avait été un des leaders de l’Association Générale des Étudiants de Dakar (AGED) et de l’Union Générale des Étudiants d’ Afrique de l’Ouest (UGEAO) puis de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), dont il fut vice-président aux affaires panafricaines, ce qui lui permit de voyager à travers le monde, de conférences en festival et de festival en congrès. Après l’indépendance, il abandonna toute radicalité politique – au sein même de la FEANF, il avait été pourtant considéré comme de tendance "extrémiste" et il appartenait au Parti Africain de I’Indépendance (PAI) et durant un an au Parti Communiste Français (PCF) – entra à l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) et joua le rôle d’un grand commis de l’Etat. Il termina sa carrière comme Médiateur de la République et Président du Conseil d’Etat.

Ce type de reconversion d’un capital militant acquis dans la jeunesse en capital professionnel et politique est loin d’être exceptionnel. La biographie d’Ousmane Camara, toute singulière qu’elle soit – eu égard notamment à l’importance des postes occupés - participe d’une sorte de communauté de destin avec nombre de ses condisciples. On peut néanmoins souligner la rapidité de la « conversion » qui fit du militant le procureur de procès politiques, de ceux qui étaient parfois ses anciens camarades de parti, et dont le plus célèbre est sans aucun doute celui de Mamadou Dia, le Président du conseil du Sénégal jugé pour tentative de coup d’État.

Ablaye Camara est né le 14 mai 1931 à Diourbel, d’une famille bigame de 6 enfants dont il est le cadet. Son père, originaire du Sénégal oriental, est mécanicien. Sa mère est une léboue du Cap-Vert. Son père est un musulman très pieux, appartenant à la confrérie Tidiane, alors que sa mère est : « une prêtresse de la religion traditionnelle ». Il entre en 1939, de même que sa sœur Aïda, à l’école française. Il continue l’après-midi à faire paître les troupeaux en compagnie de son compagnon Amady Aly Dieng avec qui il va avoir une communauté d’itinéraire scolaire. La guerre et ses privations vont se doubler de catastrophes familiales. Son père, victime d’un accident du travail, est obligé de prendre sa retraite. Ses parents se retrouvent ruinés. Il est alors envoyé à Kaolack poursuivre ses études chez son oncle Amadou Sow. Le souvenir qu’il garde d’une éducation très spartiate est tempéré par celui de la tendresse que lui prodigue Ndiaye Sy, mère d’Iba Der Thiam. Filles et garçons se retrouvent dans des Mbotay, associations de classe d’âge. Ablaye Camara qui est devenu à Kaolack, pour les besoins de la cause scolaire Ousmane Camara, né en 1934 à Kaolack, va au cinéma où, dans les deux salles qui existaient alors à Kaolack, il voit des westerns, qui sont alors les films les mieux distribués dans toute l’Afrique. Il est de plus, et se distingue sans doute ainsi de ses camarades, un grand liseur. Il se souvient de quelques titres empruntés à la bibliothèque municipale : La petite Fadette, Tarass Boulba, Les Trois Mousquetaires, Poil de Carotte, Les pieds Nickelés… Après avoir été reçu au Certificat d’études primaires, il l’est aussi au concours d’entrée en 6e et entre au lycée Faidherbe de Saint-Louis. Il est inscrit en A – latin, grec et mène la vie cosmopolite de l’internat. Lectures, conférences et meetings le sensibilisent à la vie politique et il s’ inscrit, après avoir entendu Gabriel d’Arboussier, à la section saint-louisienne des jeunesses du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Il participe à la grève du lycée en juin 1952, entamée pour raison de mauvaise nourriture : « Dans l’affrontement avec les forces de police, nous avons le soutien inattendu mais actif et déterminant des femmes du quartier de pêcheurs de Nguet Ndar situé juste à côté du lycée. Armées de rames de pirogues, elles tiennent en respect les policiers, les forcent à reculer. Ce premier succès est pour nous un stimulant pour entreprendre d’autres luttes sur le chemin de la liberté. La solidarité active de ces femmes est aussi l’illustration du changement qualitatif de la participation des sénégalaises à la vie politique nationale. Utilisées d’ordinaire pour former des haies bruyantes et colorées…elles sont de plus en plus informées et impliquées ». Exclu comme meneur de grève, il prépare la première partie du baccalauréat chez lui. Il est néanmoins ré-admis au lycée après le succès. En 1953, il obtient la deuxième partie d’un baccalauréat philosophie. A la rentrée d’octobre il entame un cursus universitaire à l’École supérieure de droit de l’Institut des Hautes études de Dakar (l’université ne sera créée qu’en 1957). Il aurait souhaité aller en France mais sa famille est inquiète des privations qu’on imagine alors être le lot quotidien en métropole. Il est membre de l’Association Générale des Étudiants de Dakar (AGED), puis de l’Union Générale des Étudiants d’Afrique de l’Ouest (UGEAO) qui en prend la suite, et bientôt élu au bureau de l’association comme directeur de la publication Dakar-étudiant. Il participe à l’université populaire organisée par l’AGED et donne des conférences. A son arrivée à Dakar, il a adhéré à l’Union Démocratique sénégalaise (UDS), un des partis fédérés au sein du rassemblement démocratique africain (RDA). En 1957, il la quitte pour le tout nouveau Parti Africain de l’Indépendance (PAI), parti indépendantiste et marxiste fondé à Thiès. Ses interventions virulentes lui valent le surnom de Poujade. Il est partout accompagné de ses « molosses » : le futur ministre de l’éducation nationale Abdel Kader Fall, le futur linguiste Pathé Diagne et le futur chef du département d’Allemand à l’université de Dakar, Amadou Booker Sadji. Il représente, aux côtés d’Amady Aly Dieng, l’UGEAO au 6e festival mondial de la jeunesse à Moscou en juillet 1957. Ses activités militantes feront que sa bourse pour le doctorat en droit à Paris, qu’il souhaite engager après sa licence obtenu en 1957, est d’abord refusée pour mauvais esprit. ll l’obtient finalement et s’envole pour Paris où il arrive le 26 octobre 1957.

A son arrivée, il est admis au pavillon de la France d’Outre-mer, à la cité universitaire du boulevard Jourdan. Il adhère à la section parisienne de la FEANF et à la section universitaire du Parti communiste français, où il restera, sans enthousiasme, un an. (Pavillon des provinces de France)
En décembre de la même année, il est délégué au 8e congrès de la FEANF puis y est élu au poste de vice-président chargé des relations extérieures. Son mandat est reconduit au congrès suivant. Il « …commence un tour du monde en 730 jours et on me voit partout sauf à la fac de droit… ». Il n’obtient d’ailleurs pas son doctorat mais participe aux diverses manifestations internationales étudiantes du moment : Kampala, Prague, Budapest, Varsovie, Cracovie, Lodz, Pékin pour un congrès de l’Union internationale étudiante où les dissensions soviéto-chinoises apparaissent clairement. Leur délégation est reçue par Mao-Tse-Toung et les Chinois leur organisent un tour de Chine de 15 jours. Au retour, il échappe par miracle à la mort, le Tupolev qu’il aurait dû prendre s’étant écrasé. Il se rend à Sarajevo pour un séminaire, à Tunis pour aider à la reconstruction de l’école du village Sakhiet Sidi Youssef bombardé par les Français. Son dernier déplacement en tant que responsable étudiant consiste à représenter la FEANF au Maroc, au congrès de l’Union nationale des étudiants marocains. L’invité d’honneur y est Mehdi Ben Barka. Les militaires, pour répondre à des accusations formulées durant le congrès à l’encontre du gouvernement marocain, les obligent à participer à une opération de reboisement dans le sud marocain, pendant une semaine.

Ousmane Camara sert aussi d’agent de liaison avec les dirigeants de l’Union Générale des Étudiants Musulmans d’Algérie (UGEMA), réfugiés en Suisse. De toute cette période il garde le souvenir d’expériences, sinon universitaires, du moins enrichissantes, et riches d’amitiés qui resteront. Par ailleurs il ne tarde pas à prendre ses distances avec le PAI, rebuté, dira-t-il, par le dogmatisme du fondateur Majhemout Diop.

En 1959, il rentre à Dakar, sans diplôme supplémentaire. Mais il a la chance d’obtenir une des quatre places de magistrat stagiaire dans le nouveau centre de formation des magistrats. Il repart donc en France et suit les cours dispensés rue de la Faisanderie, " alternant cours magistraux et séjours plus ou moins longs dans les juridictions à l’intérieur de la France", il découvre un monde nouveau qui le fascine.

Il sort major de sa promotion et rentre à Dakar le 15 juillet 1961. Il y consolide ses fiançailles avec sa cousine Aminata Sow , avant d’être nommé procureur à Thiès, où il prend ses fonctions le 25 décembre 1961. Il a à y juger des affaires souvent cocasses, et peut y constater une atmosphère empoisonnée par les luttes entre senghoristes et diaistes.

Le 16 février 1962, il est nommé membre de la Commission de discipline des magistrats du parquet, et, quelques mois plus tard, membre de la Commission d’avancement des magistrats du parquet. Le 19 aout 1962, il épouse Aminata Sow.

Le 30 décembre, pressenti comme directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères André Guillabert, il quitte définitivement Thiès. Le 2 janvier 1963, on lui annonce sa nomination comme procureur général près de la Haute Cour de Justice, chargée d’instruire le procès de Mamadou Dia et de ses co-accusés.

Il est de plus nommé membre de la Commission de travail devant préparer un avant-projet de constitution qui, soumise à referendum, sera publiée au JO le 7 mars 1963.

Dans ses Mémoires, il reproduit le réquisitoire qu’il a prononcé lors du procès. Après avoir énuméré les manquements à la légalité de Mamadou Dia, il y explique : « Ce que je crois c’est qu’il y a eu chez Mamadou Dia le même dédoublement de la personnalité qui a fait dire au Général de Gaulle : « Comment peut-on être contre la France quand on crie Vive de Gaulle… En effet, à mon avis cet homme, dans un moment d’égarement a commis toutes ces fautes graves parce qu’il était persuadé d’être le dépositaire de la volonté de ces sénégalais cultivateurs, ouvriers, besogneux de tout genre écrasés par un système sans nom qui, depuis Marseille et Bordeaux, a tissé dans le pays un réseau dont le seul but était d’enrichir la métropole…. Intimement convaincu que Mamadou Dia n’a ni préparé ni perpétré un coup d’état, mais, conscient qu’il a utilisé des moyens illégaux pour une cause juste à ses yeux, je requiers qu’il plaise à la cour retenir les fautes commises par l’accusé mais en lui faisant bénéficier des circonstances atténuantes les plus larges… ».
En sus de demander les circonstances atténuantes pour Mamadou Dia, il requiert l’acquittement pour Ibrahima Sarr. Les peines ont été, comme on le sait, beaucoup plus lourdes que ce qu’il avait requis.

En juin 1963, Ousmane Camara est nommé Avocat général près la cour d’appel de Dakar, puis en septembre secrétaire permanent du conseil général de la défense. Après les élections de décembre 1963 – et les violences dont elles sont le théâtre – il devient directeur de cabinet du Ministre des forces armées, Amadou Cissé Dia, avec qui il s’entend parfaitement. Sa carrière suit toujours une courbe ascendante, avec sa nomination par décret du 18 novembre 1964 directeur de la sûreté nationale, suite à une affaire de corruption dans la police. Il reste conjointement directeur de cabinet d’Amadou Cissé Dia, devenu ministre de l’intérieur, jusqu’en 1967. Il entreprend en collaboration étroite avec le général Jean-Alfred Diallo la réorganisation des services de la police. Il recrute et forme les premiers éléments de ce qui sera bientôt le groupement mobile d’intervention de la police (GMI), fait modifier le statut de la police qui devient un corps militaire (loi du 18 juillet 1966). Il nous dit qu’en 1968 « le colonel Diallo et moi-même convenons que, quoiqu’il puisse advenir, les troupes engagées n’ouvriraient pas le feu sur les manifestants ».

Après la crise, Diallo obtient le départ d’Amadou Cissé Dia. Amadou Clédor Sall devient ministre de l’intérieur. Ousmane Camara revient alors à la magistrature. Il est nommé membre de la Cour suprême par décret du 24 juillet 1968. Il appartient aussi à l’Association sénégalaise d’études et de recherches juridiques (ASERJ) créée en 1965 puis au Club nation et développement qui va travailler sur une révision de la constitution dans le sens d’un moindre présidentialisme. Le 28 février 1970, Abdou Diouf, juste nommé premier Ministre lui propose le poste de Ministre chargé du Travail et de la Fonction publique. Abdou Diouf fait de la sénégalisation des emplois sa priorité. Il le charge aussi d’aider la CNTS (Confédération nationale des travailleurs sénégalais, créée pour faire pièce à la trop rebelle UNTS) à consolider ses bases.

Ousmane Camara demande alors un plan de sénégalisation à toutes les entreprises. Mais il n’aura pas le temps de mener sa tâche à bien car au remaniement ministériel du 14 décembre 1970, il devient Ministre de l’information auprès des assemblées et va œuvrer à l’introduction de la télévision au Sénégal.

Après les élections de février 1973, est créé un poste de Ministre de l’enseignement supérieur qui lui est confié. Il est chargé de poursuivre la réforme commencée en 1969. Il commence par sénégaliser le personnel administratif en organisant un concours. Il travaille au développement du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur(CAMES) dirigé par Joseph Ki-Zerbo, qui permet de qualifier les enseignants sans passer par les instances françaises. C’est l’époque aussi de la sénégalisation des enseignements. La validité de plein droit [1] ne concerne plus que médecine et pharmacie.

Parallèlement, il a entamé une carrière au sein du parti gouvernemental et « unifié », l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS), parti unique de fait sinon de droit jusqu’en 1976. Le 20 juin 1970, il a pris sa carte de militant UPS dans le quartier de Thierno Kandji. En novembre 1970, il devient chef de la coordination de Diourbel puis en janvier 1971, secrétaire général de l’Union régionale UPS de Diourbel. Il est élu en novembre 1976 président du conseil municipal de Diourbel.

Il est successivement délégué au congrès, membre du conseil national, membre du comité central et du bureau politique.
Il fait de très nombreux déplacements à travers le monde, comme au temps de la FEANF. Cela lui vaut des dizaines de décorations.

La carrière ministérielle d’Ousmane Camara prend fin avec la démission de Senghor, le 31 décembre 1980. Ousmane Camara ne fait plus partie du gouvernement. Il est nommé par Abdou Diouf ambassadeur à Londres. Le 5 janvier 1981, il démissionne donc de toutes ses fonctions au sein du parti et au conseil municipal de Diourbel. Il arrive à Londres le 1er juin 1981 et y reste jusqu’en septembre 1984, date à laquelle il est nommé premier président de la cour d’appel. Il est nommé cumulativement président de la cour de répression de l’enrichissement illicite. Enfin, le 18 juin 1985, il est nommé premier Président de la cour suprême, qui supervise les élections. A ce poste, il sera l’objet de virulentes accusations d’Abdoulaye Wade ainsi que de conflits avec le ministre de la justice Serigne Diop.

Il est nommé le 14 février 1991 Médiateur de la République, fonction qui vient d’être instituée.

Suite à l’éclatement de la Cour suprême lié à une dissension entre Abdou Diouf et le premier président, il est nommé président du Conseil d’état, une des 3 institutions qui en prennent la suite avec le Conseil constitutionnel, et la Cour de cassation. Il est aussi élu, dans les mêmes temps, président de l’Association internationale des hautes juridictions législatives à l’issue du congrès de Lisbonne (avril 1998). Il en organise le congrès à Dakar en 2000, juste après l’élection de Wade. La même année il est élu membre du conseil de gestion de l’association internationale des écoles et instituts d’administration.
Sa participation au bicentenaire du Conseil d’État français est sa dernière manifestation publique à l’étranger, avant sa retraite.

Il a eu 4 filles.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article170556, notice CAMARA Ousmane Ablaye par Françoise Blum, version mise en ligne le 13 février 2015, dernière modification le 3 septembre 2020.

Par Françoise Blum

SOURCES - Ousmane Camara, Mémoires d’un juge africain : itinéraire d’un homme libre ; pref. d’Amady Aly Dieng, Karthala, 2010.
Entretiens avec Ousmane Camara, Dakar, janvier 2015

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