Par Gilda Bittoun
Né le 14 mai 1928 à Châlons-sur–Marne (Châlons-en-Champagne, Marne), mort le 12 novembre 2017 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ; surveillant de lycée, secrétaire de mairie puis journaliste à l’Humanité ; militant communiste de Seine-Saint-Denis, membre du comité central du PCF (1979-1994) ; maire adjoint (1959-1984) puis maire d’Aubervilliers (1984-2003), conseiller régional d’Ile-de-France (1986-1992), député (1973-1981), sénateur (1995-2011), ministre de la Santé (1981-1983) puis de l’Emploi (1983-1984) ; initiateur des États généraux de la Culture depuis 1987.
Fils de Pierre Ralite, garagiste cumulant les fonctions de chauffeur de taxi et d’ambulancier, et de Marguerite, née Touchefeu, travaillant aux côtés de son mari tout en élevant ses quatre enfants, Jack Ralite poursuivit sa scolarité jusqu’au baccalauréat puis jusqu’en deuxième année de Lettres supérieures. Sans pouvoir s’y éterniser toutefois, la naissance de son premier enfant, en 1948, contribuant sans doute à accélérer son entrée dans la vie active. Il devint alors surveillant au lycée Chaptal (VIIe arr.). La même année, en novembre, il adhéra au Parti communiste et devint responsable de la littérature au sein de la cellule du lycée Chaptal, tout en assumant une fonction de représentant CGT à l’intérieur de la section syndicale FEN autonome représentant les surveillants (1949-1951). En 1950, il intégra également l’UJRF. Son parcours de militant lui valut alors d’être nommé secrétaire de Louis Bordes*, maire communiste de Stains, dès 1951. Il intégra la cellule des communaux de Stains et dès 1952, il devint membre du bureau de section, puis en 1953, secrétaire à la propagande. Dès cette époque, sa candidature fut envisagée pour le comité fédéral de Seine-Nord-Est, nouvellement créé, en décembre 1953, mais finalement écartée. Toutefois, en 1954, il devint responsable de la littérature et des journaux communistes locaux au sein de la fédération. Cette même année, il vint s’établir à Aubervilliers, où il s’initia au journalisme, comme responsable du journal communiste. Déjà passé par une école fédérale d’éducateurs en 1952, il suivit une école centrale de rédacteurs en 1954 au cours de laquelle ses qualités furent appréciées.
Au cours des années suivante, la trajectoire de Jack Ralite se déploya à la confluence entre responsabilités politiques, activités journalistiques et action municipale. Dès novembre 1954, la direction du PCF envisagea son emploi à l’Humanité, en remplacement de Marie Lambert*. Il passa d’abord par l’Union française d’information (UFI), en 1955, puis effectua un essai concluant à l’Humanité, où il devint journaliste en 1956. Affecté à l’Humanité Dimanche, il fut responsable de la rubrique Télévision (1957-1963) puis de la rubrique Culture (1968-1973). Mais parallèlement, Jack Ralite était aussi devenu secrétaire de la section d’Aubervilliers, en 1956. En juin suivant, son nom fut avancé pour intégrer le secrétariat de la fédération de Seine-Nord-Est, mais il fut finalement élu au comité fédéral. Il intégra brièvement le secrétariat fédéral entre 1962 et 1964, comme responsable à la propagande. Toutefois, cette tâche était difficilement compatible avec ses autres responsabilités. De plus, il indiquait alors privilégier une action en direction des intellectuels et sur les questions culturelles. Il s’occupa de ces questions au bureau fédéral jusqu’en 1966, puis au comité fédéral de Seine-Seine-Denis jusqu’en 1971.
En mars 1959, Jack Ralite avait été élu maire adjoint, sur la liste emmenée par André Karman*, et chargé des écoles et de la culture, ce qui lui ouvrit un nouvel espace des possibles. Il s’attela en effet à construire un projet culturel global pour cette ville ouvrière, en la dotant d’équipements aussi divers qu’une bibliothèque, un conservatoire de musique, une école de peinture, un Télé-Ciné-club. Il fut aussi l’un des trente destinataires d’un projet d’implantation théâtrale rédigé par Gabriel Garran, destiné à la banlieue parisienne, dépourvue d’infrastructures culturelles. Celui-ci s’articulait autour de la création d’une école d’art dramatique et d’une animation théâtrale locale visant à implanter un collectif de comédiens professionnels, ainsi qu’une programmation de manifestations artistiques régulières pour parvenir à la construction d’un théâtre permanent. Le positionnement de Gabriel Garran en faveur d’un théâtre partant à la conquête d’un public exclu d’une pratique culturelle qui demeurait l’apanage des élites, le plaçait d’emblée en héritier des postures défendues par Jean Vilar* au TNP, Jean Dasté à Saint Etienne, ou Roger Planchon* à Lyon mais aussi dans le sillage de la politique de décentralisation initiée par Jeanne Laurent jusqu’en 1952. Spectateur abonné du TNP, fidèle festivalier d’Avignon et initiateur de la constitution d’un groupe de 70 jeunes abonnés au TNP dans sa commune, Jack Ralite y fut sensible et engagea des négociations avec l’artiste. La base d’un accord s’élabora sur plusieurs lignes directrices fondatrices : il s’agissait de penser l’adresse culturelle en direction de tous les âges, en accordant une priorité aux plus jeunes, et de toutes les couches sociales, notamment le monde ouvrier. Par ailleurs, la création théâtrale se devait d’envisager le public comme un interlocuteur et non uniquement comme le réceptacle passif des spectacles proposés, en nouant une relation spécifique et privilégiée avec ses spectateurs. En contrepartie la municipalité s’engageait à ne pas infléchir sur les choix artistiques. Né en juin 1961, le Festival d’Aubervilliers accueillit trois représentations de La Tragédie Optimiste de Vichnievski, devant 3500 spectateurs dont les deux tiers n’étaient encore jamais allés au théâtre. La représentation se déroulait dans le gymnase flambant neuf d’Aubervilliers, faute de lieu théâtral approprié. Le choix opéré, qui traitait de l’irruption du peuple sur l’échiquier politique, témoignait du souci d’une dramaturgie contemporaine accessible et fut ressenti comme un véritable évènement par la population. Le succès remporté permit sa reconduction effective d’année en année et ce jusqu’en 1964, en attendant la construction d’un équipement approprié. Soutenant activement le projet d’activité théâtrale permanente via la création d’un théâtre, Jack Ralite mit Gabriel Garran en relation avec l’ensemble du tissu associatif local et œuvra à accélérer les décisions municipales tout comme à tenter d’obtenir auprès des autorités de tutelle les crédits nécessaires pour mener à terme ladite construction. Le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers vit le jour le 25 janvier 1965, d’après les plans de René Allio, en étant uniquement financé par la municipalité. L’ancienne salle des fêtes, entièrement réaménagée et équipée, fut considérée à l’époque comme l’un des théâtres les plus modernes d’Europe. L’optique adoptée était de privilégier une structuration administrative et technique de l’équipe et non d’opter pour l’implantation d’un collectif d’acteurs se constituant en troupe fixe. Car l’enjeu différait des objectifs atteints par le festival, il s’agissait à présent de conquérir une base de dix mille spectateurs mensuels durant sept à huit mois et de pouvoir jouer trente jours d’affilée le même spectacle dans un endroit unique, ce qui était totalement inhabituel pour la banlieue à l’époque. Si la programmation se voulait éclectique en proposant des spectacles pour enfants, des concerts, des films et des spectacles de variétés, Garran privilégia la création de textes contemporains, mais en optant pour un répertoire traduisant des préoccupations politiques et sociales susceptibles de pouvoir concerner la population albertvillarienne, composée de 45% d’ouvriers. En lui accordant sa confiance et un soutien indéfectible, Jack Ralite rendit possible une aventure artistique qui devint l’emblème d’un compagnonnage exemplaire voire idéal entre l’artiste et le politique. Pour autant cette démarche pionnière et fondatrice en banlieue puisait ses sources dans le renouvellement théorique et stratégique initié par le PCF dès la fin des années 1950, mais aussi dans la réflexion menée par Maurice Thorez dès 1963 sur les transformations de la classe ouvrière, reprise par Waldeck Rochet, devenu secrétaire général en 1964, qui constatait l’accroissement du nombre des « intellectuels salariés » (enseignants, techniciens ingénieurs et cadres). La conquête de cet électorat devenait un enjeu dans la lutte concurrentielle avec le Parti socialiste pour l’hégémonie à gauche. Poursuivant dans la voie d’un repositionnement idéologique, le Comité central du PCF réuni à Argenteuil du 11 au 13 mars 1966, rompait officiellement avec le réalisme socialiste prôné par le jdanovisme et préconisait une politique d’alliance avec les intellectuels et les artistes. Il se positionnait en faveur d’une ouverture à la création artistique, y compris dans ses aspects les plus expérimentaux, en se gardant de tout intervention intempestive visant le contrôle de l’artiste. Il était cependant préconisé que l’intellectuel et l’artiste « comprennent et appuient les positions idéologiques et politiques de la classe ouvrière. »
Dans le prolongement d’Argenteuil, Jack Ralite rédigea un rapport consacré à la culture, intitulé : « S’exercer au plaisir de changer la réalité » qui proposait, à partir des préceptes élaborés par le Comité central du PCF, une mise en œuvre à destination des municipalités qu’il avait présenté lors d’une réunion avec des élus communistes. Paul Puaux, administrateur permanent du Festival d’Avignon depuis 1966, militant communiste et ami proche de Jean Vilar lui fit lire le texte du rapport, qui suscita son intérêt. Il convia Jack Ralite aux rencontres organisées lors du Festival d’Avignon, qui, depuis 1964, étaient entièrement centrées sur le thème de la culture. Ces rencontres s’adressaient plus particulièrement à la jeunesse, en lui proposant les interventions de différents artistes, hommes politiques, sociologues et professionnels issus de l’enseignement ou liés au milieu culturel, afin de susciter une réflexion et un débats d’idées. Ce rendez-vous réunissait les deux hommes, pour la troisième fois. Son métier de journaliste avait déjà amené Jack Ralite à rencontrer Jean Vilar en 1962 sur le tournage télévisé d’Henri IV de Pirandello. En octobre 1964, à quelques mois de son inauguration, Vilar avait visité le futur Théâtre de la Commune en compagnie de Jeanne Laurent. Lors de son exposé, Jack Ralite présenta la politique culturelle menée à Aubervilliers et Vilar le convia ensuite à réitérer son exposé devant le public du Verger. Il devint ainsi un fidèle compagnon de route du Festival et des rencontres. Or ce compagnonnage le propulsait au cœur de la création théâtrale, chorégraphique, musicale, voire cinématographique contemporaine, Vilar ayant obtenu depuis 1964 qu’il ne soit plus exclusivement centré sur le théâtre mais ouvert à d’autres expressions artistiques. Il entendait faire du Festival un lieu d’accueil de la création contemporaine française et des rencontres internationales de jeunes, tout en étant le lieu de production d’une réflexion ambitieuse sur ce que pouvait être une politique culturelle nationale ambitieuse et véritablement démocratique Par ailleurs, ce lieu symbolique, devenu prestigieux, carrefour de rencontres et d’échanges artistiques multiples contribuait à constituer un réseau de sociabilités voire d’affinités électives. Les Rencontres par la mise en présence et la confrontation des différents acteurs sociaux impliqués dans des actions culturelles, proposaient à leur manière la matrice d’une structure susceptible de les fédérer voire de les mobiliser sur une action commune.
Lorsque Vilar fut l’objet d’attaques virulentes menées par la contestation estudiantine et gauchiste lors du Festival d’Avignon en 1968, il reçut via Jack Ralite le soutien officiel du groupe dirigeant le PCF. En 1970, une campagne nationale fut déclenchée pour que 1% du budget de l’État soit dévolu à la culture. Jack Ralite en animait alors le mouvement qui parvint à s’appuyer sur un réseau de 102 associations et institutions diverses, soutenues par 406 artistes de toutes disciplines dont Vilar via le Festival d’Avignon qui fut l’un des temps forts de la campagne. Au travers de ce mouvement, il venait de conquérir une légitimité et une visibilité singulière dans le champ politique, ayant démontré par sa capacité à fédérer et mobiliser le monde artistique, qu’il était reconnu et investi par ce dernier comme l’homme de la situation.
En 1973, Jack Ralite fut élu député de la 3e circonscription de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers-Le Bourget-La Courneuve). Il fut dans le même temps élu membre suppléant du comité central du PCF, lors du XXIIIe congrès de mai 1979, et titulaire au congrès suivant, en 1982, chargé des questions artistiques et culturelles. Dès 1973, il quitta son métier de journaliste pour se consacrer à ses mandats électifs et poursuivre sa tâche d’homme politique, conjuguant une pluralité d’actions menées conjointement sur le plan culturel et sur le plan social. Il apporta ainsi son soutien aux ouvriers et aux salariés en lutte dans les entreprises de Seine-Saint-DEnis, touchées par les restructurations industrielles. À l’Assemblée nationale, ses diverses interventions exprimèrent la voix du PCF sur les questions touchant à l’éducation, la culture, la santé, et il devint également rapporteur du budget pour le cinéma. Par ailleurs, si la mise au point d’un Programme commun de gouvernement avec le Parti socialiste avait exercé un effet mobilisateur à gauche, le PCF entrait dans une phase mouvementée. En septembre 1974, le résultat défavorable au PCF de six élections législatives partielles incita le bureau politique à repenser sa stratégie en faveur du renforcement électoral du PCF. Georges Marchais* présenta en mai 1975 le projet de Vivre libres, publication destinée à rassurer l’électorat de gauche sur la garantie des libertés publiques, puis au XXIIe congrès, le PCF présenta une ligne diamétralement opposée à celle du congrès précédent, en optant pour l’abandon de la dictature du prolétariat, prenant ses distances avec les dirigeants de l’URSS. C’est dans ce contexte, que Jack Ralite devint membre de la commission spéciale des Libertés créée début 1976 par Valéry Giscard d’Estaing à l’Assemblée Nationale. Il rendit compte de l’expérience dans un article intitulé « Le socialisme et la liberté cognent à la vitre » où il rappelait l’existence en France d’atteintes fondamentales aux libertés des travailleurs, comme l’entrave de l’exercice du droit syndical, le chômage ou les faibles salaires, et que la conquête de telles libertés résultaient d’une lutte âpre qu’entendait mener le PCF face à ses adversaires politiques. Puis se produisit un nouveau revirement, avec la rupture du Programme commun en septembre 1977 suivi de la défaite de la gauche aux législatives de 1978. La conjonction de ces deux évènements fut à l’origine d’une crise opposant les intellectuels communistes et la Fédération de Paris au groupe dirigeant. Jack Ralite fit entendre sa voix dans l’Humanité, en manifestant son accord avec la ligne dirigeante. Tel un discret rappel à l’ordre à l’intention des intellectuels, l’article reformulait les limites du rôle de conseiller du prince défini à Argenteuil.
Lorsque François Mitterrand* fut élu président de la République, Jack Ralite fut appelé au gouvernement de Pierre Mauroy*, le 23 juin 1981. Bien que reconnu comme étant indéniablement l’homme susceptible de pouvoir administrer le ministère de la Culture, il fut désigné ministre de la Santé, le poste ayant été attribué à Jack Lang*. Dès son entrée en fonction, il entreprit un tour de France de la santé, du 16 septembre au 23 octobre 1981, en se déplaçant dans de nombreuses régions, afin de rédiger une Charte de la santé (janvier 1982). Cette démarche décentralisatrice accordait une visibilité à des territoires délaissés voire sinistrés et soulignait les profondes inégalités en matière de prévention et d’accès aux soins. Il alla débattre avec les médecins, les personnels hospitaliers, le monde ouvrier et le monde agricole confrontés aux travaux générateurs de pathologies lourdes. De même auprès des chômeurs, affrontant des pathologies liées au changement brutal de statut social. Il accorda également son attention à l’univers psychiatrique asilaire, profondément délaissé par les politiques publiques. L’originalité et le pragmatisme de la démarche favorisèrent l’établissement d’un dialogue défait de l’expertise technocratique. La reconnaissance manifestée à l’égard du ministre traduisait le désir profond de s’emparer de ce temps pour faire entendre des réalités inhérentes à un monde socialement dominé. Il supprima le secteur privé à l’hôpital public et mit en chantier une réforme hospitalière. Son projet de créer des départements hospitaliers rencontra l’opposition des médecins, tout comme le projet de réforme des études médicales fut contesté par les étudiants. Le gouvernement, inquiet de la montée des oppositions et des conflits déclenchés par ces projets de réforme, préféra nommer Edmond Hervé* le 24 mars 1983 et nomma Jack Ralite ministre délégué à l’Emploi. Le changement très rapide d’orientation du gouvernement conduisit à l’adoption en juin 1982 et surtout en mars 1983, des plans de rigueur. Les ministres communistes, engagés par la solidarité totale exigée lors de l’accord de gouvernement, poursuivirent leur participation, non sans formuler critiques et désaccords, mais sans parvenir à peser. Après l’effondrement du PCF aux élections européennes en juin 1984, la rupture fut engagée avec le départ du gouvernement des quatre ministres communistes, dès juillet 1984.
Dès lors Jack Ralite se concentra sur sa fonction de maire d’Aubervilliers pour laquelle il avait été élu le 8 juin 1984, après le décès d’André Karman. Il prit aussi quelques distances avec la direction du parti. Il intervint dans le débat public aux côtés de Guy Hermier*, Pascal Santoni et Lucien Marest* lors de la création de la cinquième chaîne de télévision concédée à Silvio Berlusconi et Jérôme Seydoux. Ils s’entretinrent le 29 janvier 1986 dans les locaux de l’Assemblée Nationale avec les professionnels de la culture et les représentants de la presse, remettant en question la posture défendue par Jack Lang. L’offensive libérale sur l’univers des productions culturelles conduisit le PCF à poursuivre une réflexion sur les mutations sociales, économiques et humaines engendrées par les bouleversements techniques, et technologiques. Guy Hermier, lors de la réunion du Comité Central du 17 juin 1986, produisit son rapport intitulé : « Les intellectuels, la culture, et les changements de société ». Il dressait le constat d’une marchandisation des œuvres culturelles et concluait sur la place centrale que la culture devait occuper dans le projet de société défendu par le PCF. Il ne s’agissait plus à présent de rallier les intellectuels à la classe ouvrière, mais de fonder une stratégie de rassemblement autour d’un projet commun et d’une lutte solidaire. Ce rapport anticipait sur la tenue du 8ème cycle de l’Accord général sur les tarifs douaniers et de commerce (GATT), lancé en septembre 1986 qui tentait d’inclure dans le cinéma et l’audiovisuel. Cette extension du GATT au domaine culturel visait à remettre en question les aides publiques nationales ainsi que les diverses règlementations protectrices en matière de diffusion ou le régime juridique du droit d’auteur tel qu’il existait en France. Ainsi, cet accord menaçait directement l’existence d’une création artistique autonome, non commerciale, ou liée à des politiques publiques. Jack Ralite s’investit alors dans un mouvement voué à rassembler et fédérer les artistes français, qui conduisit à la création des États généraux de la culture organisé le 17 juin 1987, au Théâtre de Paris, en réaction à la privatisation de TF1. Le principe consistait à faire circuler les informations, favoriser les échanges entre les différents participants et élaborer une réflexion permettant de définir des modalités d’action pour lutter contre ce qui à l’époque était perçu comme une vaste offensive américaine menaçant l’existence des pôles de création artistiques les plus avant-gardistes et les plus autonomes. Il s’agissait aussi de défendre voire de renforcer les politiques culturelles publiques seules capables de dégager la culture et la création artistique de la logique du profit. Jack Ralite retrouva notamment à ses côtés son ami Antoine Vitez*, dont il suivait attentivement le travail de création théâtrale depuis 1972. Le mouvement qui mobilisa plus de 5000 artistes rédigea une déclaration des droits de la culture, destinée à être diffusée au niveau national, européen voire international. Le texte fut notamment repris par le mouvement « Chile crea », au Chili, où Jack Ralite se rendit pour témoigner du soutien et la solidarité des artistes français à leurs pairs d’Amérique Latine. Il participa également aux côtés d’Antoine Vitez aux Assises européennes de la culture, organisées le 17 novembre 1988 à Strasbourg. La visibilité acquise par un monde artistique mobilisé et soudé permit au mouvement de se faire entendre et d’obtenir que soit reconnue la notion « d’exception culturelle ». Les différents négociateurs français s’en emparèrent et parvinrent à imposer l’instauration d’un minimum de solidarité à leurs homologues européens. Au final, le cycle de négociations se solda par une absence d’accord entre les délégations américaines et européennes en décembre 1993. Ce répit garantissait le maintien pour la France de ses dispositifs nationaux d’aide à la production cinématographique, mais l’audiovisuel était désormais régi par les règles du GATT. Conscient d’avoir livré une bataille loin d’être définitive, mais ayant néanmoins remporté une victoire symbolique, le mouvement accompagné par Jack Ralite poursuivit sa réflexion et ses actions, en sachant indispensable de maintenir une vigilance constante.
L’évolution politique de Jack Ralite au sein de la direction du PCF l’amena du soutien inconditionnel à une remise en question des pratiques, du fonctionnement et des stratégies politiques. Dès 1991, il rallia le mouvement des refondateurs, regroupés autour de Guy Hermier, qui préconisaient de construire un « pôle de radicalité », unissant le PCF, les Verts, et l’extrême gauche afin d’attirer un électorat proche des mouvements sociaux. Devenu sénateur de Seine Saint-Denis en 1995, il se fit l’écho des nombreux soubresauts qui agitaient la société française, tant en matière de droit au logement, de politique sociale, de droit au travail, que dans le domaine audiovisuel et culturel. Rétif à l’idée de toute distinction honorifique personnelle, il refusa par ailleurs à quatre reprises, la Légion d’Honneur.
Par Gilda Bittoun
ŒUVRE : Retour de France, Reportages de Claudine Ducol, Paris, Éditions Sociales, 1982. — La Culture française se porte bien, pourvu qu’on la sauve, Paris, Messidor/Éditions Sociales, 1987. — Complicités avec Jean Vilar, Antoine Vitez, Paris, Éditions Tirésias, 1996. — Alain Houziaux (sous la dir.) Être idéaliste, est-ce dépassé ?, Ivry-sur-Seine, Les Editions de l’Atelier, 2006.
SOURCES : Fonds Jack Ralite déposé aux Archives de la Mairie d’Aubervilliers. — Fonds Gabriel Garran déposé à la BNF. — Arch. du comité national du PCF. — Arch. de la fédération PCF de Seine-Saint-Denis. — P. Boulland, Acteurs et pratiques de l’encadrement communiste à travers l’exemple des fédérations de banlieue parisienne (1944-1974), Thèse de doctorat, Université Paris 1, 2011. — F. Matonti, Intellectuels communistes, Essai sur l’obéissance politique, La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005. — Notes de Paul Boulland. — Jacques Marsaud, Passion commune. Secrétaire de mairie en banlieue rouge, Les Éditions de l’Atelier, 2018. — Le Monde, 14 novembre 2017, article de Michel Noblecourt. — Collectif, Jack Ralite, nous l’avons tant aimé, Editions le Clos Jouve, septembre 2021.