POUVANAA A OOPA

Par Jean-Marc Regnault

Né en 1895 à Huahine, aux Îles-Sous-le-Vent, mort en 1977 ; député du Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (RDPT).

Né à Huahine, aux Îles-Sous-le-Vent, une île longtemps rebelle à l’implantation française. Pouvanaa a Oopa reçut une instruction scolaire sommaire, mais grâce à la fréquentation de la paroisse protestante, il acquit une culture biblique dont il usa abondamment au cours de sa vie politique.
Son grand-père maternel lui aurait donné le prénom de Pouvanaa, ce qui signifierait « pilier de la sagesse ». La coutume tahitienne fait du prénom un patronyme. Interrogé lors de son procès, alors que les documents le concernant (y compris ceux de l’Assemblée nationale) portaient une identité fantaisiste, il répondit sur son véritable état civil :
"Je suis connu sous le nom patronymique OOPA, mais je n’ai aucune idée quant à l’origine de ce patronyme. Je croyais d’ailleurs que le nom et le prénom portés sur le registre d’état civil étaient OOPA Pouvanaa."

C’est sous l’appellation réduite à Pouvanaa qu’il est familièrement désigné et connu.

Contrairement aux critiques de ses adversaires, il lisait et parlait le français correctement, mais, par peur du ridicule (son accent sans doute), il évitait de parler en français en public. C’est pourquoi, au cours de ses mandats nationaux, il n’intervint jamais à une tribune. Dans sa langue, il était considéré comme un orateur de talent.

Jeune homme, il exerça divers métiers mais se spécialisa dans la menuiserie. Vers l’âge de dix-huit ans, il vint s’installer à Papeete. Avec Paulette Marcantoni, il eut un fils en 1917, Marcel, dit Mate Oopa, qui lui succéda à l’Assemblée nationale en 1960. Pour aller combattre en France, il quitta Tahiti en 1917 et avec les « Poilus Tahitiens », il prit part à la seconde Bataille de la Marne en août 1918 et à la contre-offensive finale qui déboucha sur l’Armistice. Lors de son procès, il ne fut pas tenu compte de ses états de service, mais en 1968, de Gaulle prétexta que le 50e anniversaire de l’Armistice permettait de le gracier.

La participation à la victoire lui donna-t-elle le sentiment qu’il était une personnalité dont il faudrait tenir compte ? Selon B. Saura, « dès son installation à Papeete en 1920, Pouvanaa rencontra fréquemment ses amis anciens combattants avec qui il partageait une conscience un peu plus aiguë des difficultés, mais aussi des inégalités et des injustices économiques que connaissait la Polynésie ». Eut-il une activité politique ou revendicatrice embryonnaire avant 1940 ? Le gouverneur Petibon fit allusion au fait que Pouvanaa aurait été « depuis de longues années un agent électoral », sans doute du maire de Papeete. Le gouverneur prétendit que devant le succès des candidats soutenus par lui, Pouvanaa aurait pris une « importance et une autorité persuasive sur les électeurs » et « la flatterie, les considérations qu’on a eues pour lui ont aidé à développer ou à faire naître un tempérament orgueilleux ». L’information – imprécise - tendrait à prouver que Pouvanaa avait été actif, déjà avant 1940, politiquement parlant.
En 1925, il épousa Louise Tumahai dont il eut plusieurs enfants, mais un seul atteignit l’âge adulte.
Marchand ambulant avec une « roulotte » comme on dit à Tahiti, puis « sédentarisé » sur le port de Papeete, c’était là qu’il aurait été un « faiseur d’opinion » grâce à ses rencontres nombreuses avec les passants. De là peut-être son rôle d’agent électoral. Plus sûrement, Pouvanaa prit conscience de ce que les Tahitiens risquaient de devenir étrangers sur leur propre terre. Les activités économiques et « politiques » leur échappaient. Leur culture tendait à s’étioler. Pouvanaa le supportait mal.

Pouvanaa joua un rôle important dans le Ralliement de 1940. L’ancien gouverneur Émile de Curton lui rendit hommage et parla de son « indomptable détermination ». Une photo du livre du gouverneur (n° 56) nous montre Pouvanaa en 1941, devant le monument aux morts de Papeete, en grande tenue : costume blanc et cravate aux côtés de onze personnalités qui comptaient à Papeete, dont le maire. La photo ne laisse aucun doute. Pouvanaa n’avait pas envie d’être un Tahitien anonyme dans la masse de ses concitoyens.
Les partisans de la France libre se déchiraient et ne tenaient pas toujours compte des intérêts et des besoins des Tahitiens eux-mêmes. Pouvanaa commença vraiment à se faire connaître, défendant ces derniers mal ravitaillés et réclama une évolution statutaire. Il fut plusieurs fois arrêté et condamné.
Il semble certain que Pouvanaa avait mûri de longue date un certain nombre de revendications. La guerre lui permit d’occuper une place (qu’il avait déjà en partie conquise). C’est un destin politique assez rare à Tahiti, celui d’un homme qui – malgré certaines ambiguïtés – varia peu, avec des idées dont il ne se départit pas. Sa volonté (« sa détermination » selon de Curton) rencontra après guerre des circonstances favorables ou des circonstances qu’il provoqua.

Pouvanaa décida de se lancer dans un combat politique. En 1947, il fonda l’esquisse d’un parti politique, le Comité Pouvanaa, dont le but était la modification du décret organique de 1885 qui régissait les institutions de la colonie, « dans un esprit tahitien par les Tahitiens, pour une adhésion pleinement et librement consentie à l’Union française ».
Avec d’autres mouvements de contestation de l’ordre établi, il organisa une manifestation contre la venue de fonctionnaires métropolitains alors que le sentiment général voulait que ces postes auraient pu être occupé par des Tahitiens. Arrêté avec plusieurs de ses amis, il fut accusé « d’avoir par une résolution d’agir concertée et arrêtée, formé un complot ayant pour but de changer, par la force, le gouvernement de la République, tel qu’il est établi dans l’Océanie française ». Le procès mit à mal l’accusation et un acquittement général fut prononcé le 25 novembre 1947. Les événements tournèrent donc au bénéfice des manifestants qui purent se poser en « innocentes victimes de l’arbitraire administratif ».

En octobre 1949, il fut élu député et fonda son parti, le Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (RDPT) sur le modèle du RDA africain. Il fut réélu député en 1951 avec plus de 70 % des voix et encore réélu en 1956. Pendant près de dix ans, il défia les autorités françaises, réclamant l’autonomie (si ce n’est l’indépendance, mot que la législation de l’époque ne tolérait pas vraiment), l’océanisation des cadres, avec le slogan « Tahiti d’abord et pour les Tahitiens », un slogan nationaliste mais essentiellement tourné vers la défense des populations désavantagée par le système économique et social hérité de la colonisation, maintenu en place par une élite généralement métissée mais défendant ses privilèges (absence d’impôt sur le revenu).

Son parti connut un immense succès, renforcé par l’action syndicale et la constitution de coopératives dont le but était de s’attaquer à ceux que Pouvanaa accusait de former « un gang ».

En 1956, la loi-cadre réunit enfin les conditions pour donner aux Territoires d’outre-mer une véritable autonomie. Fin 1957, remportant une nouvelle fois les élections (mais avec une nette diminution de suffrages), Pouvanaa et ses amis allaient-ils pouvoir appliquer leur programme ? Deux obstacles se dressèrent sur leur chemin. Le premier fut de leur fait : ils se divisèrent. La perspective d’une indépendance prochaine aiguisait les appétits. Jean-Baptiste Céran-Jérusalémy, son second, pensa qu’il était celui qui serait le mieux qualifié pour diriger le pays. L’opposition profita des divisions du RDPT et des maladresses de Pouvanaa davantage fait pour éveiller la conscience du peuple polynésien que pour le diriger. En mai 1958, le RDPT se scinda en deux tendances hostiles. Ce fut à ce moment précis qu’un second obstacle se dressa : le retour au pouvoir du général de Gaulle. Quand celui-ci offrit aux populations d’outre-mer le choix entre garder des liens avec la France ou obtenir l’indépendance, le RDPT se divisa davantage. Pouvanaa choisit de répondre NON au référendum du 28 septembre 1958, ce qui romprait avec la métropole, malgré les nombreux conseils de prudence qui lui furent prodigués. Une habile propagande fit triompher le OUI. L’occasion fut belle pour le Gouvernement français et les adversaires de Pouvanaa de se débarrasser de lui. Un Conseil de cabinet présidé par le Général décida de l’écarter de la vie politique et Jacques Foccart orchestra cette volonté avec les opposants locaux. Démis de ses fonctions de vice-président du gouvernement, il fut poussé à la faute. Donna-t-il l’ordre d’incendier la ville de Papeete (octobre 1958) ? Il fut arrêté, jugé et condamné à huit ans de réclusion criminelle (à accomplir en métropole) et quinze ans d’interdiction de séjour. Les archives montrent à quel point le pouvoir intervint dans le déroulement de la justice.

Pendant son absence, le CEP s’installa. En fait, les archives montrent également qu’en réalité le Sahara fut utilisé provisoirement et dès 1957, la Polynésie était destinée à accueillir le Centre d’expérimentation, d’où le combat mené contre Pouvanaa dont la forte personnalité était susceptible de contrarier ce projet.

Après avoir bénéficié de différentes mesures de clémence, Pouvanaa fut autorisé à rentrer au Fenua (= le pays) le 30 novembre 1968. L’année suivante, il obtint l’amnistie de sa condamnation, mais ce qu’aurait souhaité Pouvanaa, c’était que son innocence fût reconnue après une révision de son procès. Il s’y essaya en vain d’arracher lors de son dernier mandat parlementaire (sénateur de 1971 à 1977), faute d’éléments nouveaux.

Après sa mort, ses adversaires se rallièrent peu à peu à ses revendications d’autonomie. En ce sens, il appartient bien au patrimoine du Territoire et mérite son surnom de Metua (= le père de la Nation).

Grâce aux archives ouvertes en 2012, un dossier en révision du procès de 1959 est en cours d’étude par la Cour de Cassation.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article178403, notice POUVANAA A OOPA par Jean-Marc Regnault, version mise en ligne le 5 février 2016, dernière modification le 5 février 2016.

Par Jean-Marc Regnault

SOURCES : Fonds privé Foccart, Archives nationales 5AG/FPR/1072, 1073, 1074. — Saura B., Pouvanaa a Oopa, Père de la culture politique tahitienne, Au Vent des Îles, 2012 (2ème édition), 464 p. (ouvrage bilingue français/reo Maohi). — Regnault J-M., Vannier C., Le Metua et le Général, un combat inégal, Papeete, Éditions de Tahiti, 2009 (nouvelle version revue et augmentée en cours d’édition).

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