SEIGNON de POSSEL DEYDIER Maurice, Raoul, Arnold [Pseudonymes dans la Résistance : Noël et pour le Sipo-SD : Erich/Erick]

Par Jean-Marie Guillon

Né le 28 juillet 1914 à Marseille (Bouches-du-Rhône), exécuté le 7 août 1944 à Marseille ; officier de la France combattante ; agent du Sipo-SD.

Maurice Seignon de possel Deydier
Maurice Seignon de possel Deydier

Maurice Seignon de Possel est devenu l’un des personnages les plus connus de la Résistance en Provence à cause de la trahison majeure dont il s’est rendu coupable. En même temps, bien des éléments de son parcours restent dans l’ombre. Né de père inconnu et de Marie Joséphine Seignon, qui le reconnut le 15 octobre 1921, il fut adopté par jugement du tribunal civil de Marseille du 15 juillet 1932 par Ernest, Auguste, Robert de Possel Deydier. Selon une source, celui-ci était apparenté à son père biologique, juge d’instruction au tribunal de première instance de Marseille. Cette famille appartenait à la bonne société marseillaise. Maurice de Possel fit ses études au lycée Thiers, le grand lycée de la ville. Alors qu’il était soldat au 38e régiment d’infanterie, il se maria à Marseille le 11 juillet 1936 avec Andrée Imbert, secrétaire, et une fille naquit de cette union en décembre 1936. D’après Antoine Pelletier, cette union fut assez vite rompue. On ne sait rien de sa vie, notamment professionnelle, dans l’avant-guerre ou au début de la guerre. On ne sait pas non plus comment il s’est retrouvé en Algérie en 1943. Selon une source (Jean Soupiron qui a été son compagnon d’entrainement), il se serait évadé de France et l’aurait rejoint après un séjour au camp d’internement espagnol de Miranda, mais, d’après Antoine Pelletier, il était en Gambie lorsqu’il contacta les services spéciaux britanniques. Le fait est qu’il se trouvait à l’automne 1943 au Club des Pins, à Staouéli près d’Alger, pour suivre le rude entrainement des officiers et sous-officiers que la France combattante destinait à être parachutés en France occupée. C’est là qu’il se lia d’amitié avec François Pelletier*, autre candidat au départ, qui apparaît comme son antithèse. Pelletier, issu d’un milieu de grands propriétaires terriens de l’Aisne, catholique, idéaliste était très différent de de Possel qui le brocardait en le traitant de « pédago ». Mais, toujours d’après Antoine Pelletier, celui-ci, homme à femmes et à aventures, jouisseur, joueur, incroyant, ne manquait ni de culture, ni de charme. Les deux hommes furent parachutés en France du Sud comme officiers d’opération avec une mission similaire, l’organisation de liaisons clandestines par vedettes rapides entre la Corse (la base de l’Île-Rousse) et la métropole. Pelletier, parachuté plus tard, en mars 1944, les organisa dans la presqu’île de Saint-Tropez (Var), De Possel aurait dû faire de même dans le secteur de La Ciotat-Cassis (Bouches-du-Rhône). Ces missions, réalisées avec le support du SOE (Special Operations Executive), venaient en soutien à l’Organisation de résistance de l’Armée (ORA). De Possel alias Noël avait été parachuté dans le secteur de Dieulefit (Drôme) dans la nuit du 7 au 8 janvier 1944 avec son radio Henri Le Corre alias Alexandre en même temps qu’un autre binôme composé par Budineck alias Modeste et Michel Uriarte alias Octave (opération Keystone). Basé à Marseille (où il était né et avait vécu…), De Possel résidait au 22 boulevard de la Corderie à Marseille, domicile de sa maîtresse dite Sabine Corry, cliente assidue du Cintra, café du Vieux-Port bien connu. C’est de là que son radio commença à émettre au début février 1944. Cependant De Possel ne parvint pas à réaliser sa mission. Il aurait proposé divers points d’amérissage, dont la calanque de Sugiton (Cassis), sans réponse de la part d’Alger. D’après celui qui devint son officier traitant au Sipo-SD, Ernst Dunker dit Delage, la mission aurait échoué car la côte était très surveillée par les Allemands et « qu’il manquait de zèle ». De ce fait, l’équipe n’avait pas grand chose à faire. De Possel, probablement vers la fin du printemps, abandonna les projets de liaison pour s’occuper plus ou moins de l’instruction de maquisards en matière de sabotage, sans que sa hiérarchie dont il conserva la confiance jusqu’au début août 1944 tant à Alger que sur place ne s’en émeuve. Parallèlement, le radio Alexandre (dont on ne connaît aucun témoignage) se serait mal entendu avec lui. Il fut d’ailleurs « récupéré » par le chef régional de l’ORA, le capitaine Lécuyer alias Sapin, et partit avec lui dans l’Ubaye (Basses-Alpes-Alpes-de-Haute-Provence) au moment de l’insurrection du 6 juin 1944. C’est peu avant, au début ou à la fin mai 1944, que De Possel prit contact avec le KdS (l’antenne du Sipo-SD) de Marseille. C’est probablement à ce moment-là qu’il changea d’adresse à Marseille et logea au 29 rue Saint-Savournin, toujours à Marseille. D’après celui qui devint son officier traitant, Dunker dit Delage, il envoya deux lettres au Kommandeur du KdS pour offrir ses services, la première resta sans réponse mais l’autre retint attention du chef de la section IV, Pfanner, qui ordonna à Dunker de le rencontrer, place Castellane à Marseille, puis qui agréa à sa demande de deux millions de francs contre ses informations. À partir de là, ce sont les différentes dépositions de Dunker, les rapports qu’il rédigea grâce à ces renseignements et les documents qui se trouvent dans ses dossiers judiciaires qui servent de sources principales, corroborées d’ailleurs par les éléments d’enquête disponibles dans les archives des services spéciaux français et britanniques. De Possel commença donc à renseigner les Allemands au moment où la Résistance régionale se mobilisait et se découvrait en partie. Les coups qui furent portés grâce à lui, directement ou indirectement, à la Résistance non communiste de R2 furent considérables puisque ce fut une partie de son élite, militaire et politique, qui fut ainsi éliminée. Ses premières informations fournirent la matière du rapport Catilina, ainsi nommé par Dunker en référence au traitre de l’histoire romaine. Le 6 juin à 17 heures, De Possel lui donna des informations sur les plans rouge (action générale) et vert (sabotage des voies ferrées) et sur le débarquement prévu en Méditerranée les 7 et 8 juin en lui précisant qu’il concernait le secteur de Fréjus-Saint-Raphaël (Var). Les traductions en français du rapport Catilina sont contradictoires puisque, selon l’une, il annonça le déclenchement de ces opérations et, selon l’autre, au contraire, leur annulation. Paradoxalement, les dépositions ultérieures de Dunker (11 mai et 8 juillet 1945) ont corroboré cette dernière version qui a dû paraître extravagante d’où la correction apportée. Rien n’indique en effet que les envoyés d’Alger en France aient été au courant du report du débarquement en Méditerranée, au contraire puisque la mission R2 (R2 correspond à la Provence) avec laquelle De Possel était en relation participa activement à la mobilisation. Grâce aux informations de De Possel, les arrestations commencèrent dans la nuit du 6 au 7 juin avec celle d’un officier de liaison de l’ORA dans les Bouches-du-Rhône et le 7 avec, entre autres, celle du patron de l’antenne du contre-espionnage d’Alger, Jonglez de Ligne. Le rapport indique que De Possel a donné le gros rassemblement maquisard de la Chaîne des Côtes (Lambesc-La Roque d’Anthéron, Bouches-du-Rhône) où il s’était rendu et dont l’attaque entraina la mort d’une soixantaine de résistants le 12 juin (plus l’exécution des résistants arrêtés le 7). Il précise qu’il a dénoncé également Michel Uriarte qui avait été parachuté avec lui et qu’il était allé voir à La Motte d’Aigues (Vaucluse) à deux reprises peu avant son arrestation le 21 juin (et celle d’Ingmar Reybaud* chez qui il logeait et qui fut tué lors de son transfert vers Marseille). Il était aussi directement impliqué dans l’arrestation de Jean Grimaldi (qui mourut le 10 juin en cours d’interrogatoire) et dans celle d’Antoine Zattara, chef de division à la préfecture, qui lui avait fourni – comme à bien d’autres – de faux papiers d’identité et qui mourut en camp de concentration. De Possel fournit aussi des informations sur le chef régional de l’ORA, Sapin, sur le capitaine Chanay*, chef de la mission interalliée R2 (fusillé à Signes, Var, le 18 juillet), sur le lieutenant Lafforgue* dont il signala la présence à Marseille (fusillé à Signes, le 12 août), sur le délégué militaire régional Circonférence (dont il chercha à savoir où il se trouvait). Il fit libérer cependant l’adjoint de Jonglez de Ligne, Schurr, qu’il avait fait arrêter et qui lui aurait fourni des renseignements, ce qui aurait valu à De Possel une réprimande de la part de ses employeurs (ceci d’après Dunker). Quoi qu’il en fut, De Possel continua à circuler dans la région pour glaner des informations. Coupé de son radio et du chef régional de l’ORA par qui passaient ses subsides, ayant fait tomber la mission Modeste/Octave, il parvint à prendre contact avec François Pelletier alias Ruben à Saint-Tropez où il arriva le 28 ou 29 juin, disant qu’il avait les Allemands à ses trousses. Le 30, il fit passer un message à Alger par Paoli, le radio de Pelletier, pour demander des instructions mais aussi des renseignements sur Circonférence et sur Archiduc (Camille Rayon), chef régional de la Section atterrissages et parachutages (SAP). Alger lui répondit le lendemain ignorer où se trouvait Circonférence, lui annonçait le retour d’Archiduc, qui était à Alger et dont il deviendrait l’officier d’opération. Pelletier le conduisit visiter le maquis de la Brigade des Maures installés à La Mourre (commune de La Garde-Freinet, Var) et le fit participer à la préparation d’un parachutage qui devait avoir lieu dans la nuit du 3 au 4 juillet. Il lui remit également de l’argent. Dans le carnet qui a été conservé par Dunker et où De Possel a noté ce qui lui permit de faire son rapport sur Saint-Tropez, il précisait qu’il manquait un index à Pelletier, ceci pour qu’il soit bien repéré le jour de son arrestation. De Possel revint à Saint-Tropez le 21 juillet pour reprendre contact et préparer cette arrestation. Il passa la matinée du 24 avec Pelletier et rencontra le major américain Muthular d’Errecalde* qui était en attente de départ par vedette. Les arrestations de Pelletier, Muthular et Paoli eurent lieu peu après. Dunker les avaient préparées la veille avec De Possel. Elles sont consignées dans le dernier rapport que rédigea Dunker, le rapport Antoine, daté du 11 août 1944. Pelletier, Muthular et plusieurs des résistants mentionnés dans le rapport furent fusillés le lendemain à Signes. D’après Dunker, De Possel aurait insisté pour que l’on exécute rapidement Pelletier et Muthular qui risquaient de dénoncer son action alors qu’il conservait la confiance de ses chefs. Londres aurait fait passer le 5 juillet un message à Archiduc lui demandant de le surveiller, mais, à l’évidence, cette recommandation fut sans effet jusqu’à la fin du mois. En allant à Saint-Tropez, De Possel s’était arrêté à Saint-Raphaël et avait pris contact avec le responsable ORA du secteur, le lieutenant Silvani, qui lui demanda de venir faire l’instruction du maquis qu’il supervisait aux environs d’Ampus (Var). Ayant obtenu par là la liaison avec le PC du chef régional SAP qui était alors au nord du Vaucluse, dans les environs de Sault, il se rendit à Apt (Vaucluse) le 2 août et, de là, fut conduit à Sault par le radio Charles Thomas*. Philippe Beyne, chef du Maquis Ventoux, et sans doute Archiduc lui firent part des doutes qu’ils avaient sur son attitude. Alerté, il emprunta un vélo et disparut le lendemain pour rejoindre Marseille et prévenir Dunker des soupçons qui pesaient sur lui. C’est alors que le Sipo-SD décida de le liquider. Le 4 août, Paoli, le radio de Pelletier, utilisé par les services allemands, avisa Alger de son arrestation, ajoutant que « le traître pourrait être Noël », d’où le message d’alerte qu’Alger fit parvenir à divers responsables de R2. Lui ayant fixé rendez-vous, Dunker le fit exécuter dans le quartier de Mazargues, traverse de la Soude, au soir du 7 août par Maurel, l’un de ses hommes de main, et Petermann, chef de la section anticommuniste du Sipo-SD. Lui-même lui donna le coup de grâce, puis il téléphona anonymement à la police française pour la prévenir de ce meurtre. Dans ses interrogatoires, Dunker soutint qu’il l’avait fait abattre parce que De Possel le dégoûtait et qu’il ne voulait pas qu’il touche l’argent promis pour sa trahison. Plus vraisemblablement, dans le contexte du moment, il n’était plus très utile à la police allemande. Dunker l’ajouta sur la liste des résistants exécutés au cours de l’affaire Antoine sous le numéro 36 (« Deydier de Possel, alias Gréchy, alias Bernard Yves, alias Noël, Français, marié, catholique, identité exacte inconnue. Officier d’opération et instructeur pour les sabotages. A été fusillé par des inconnus le 7 août dans un faubourg de Marseille »). Au même moment, le 10 août, Londres demandait son exécution…
Plusieurs explications ont été données à cette trahison. Écartons celle, que rien n’étaye, de l’agent allemand infiltré en amont en Algérie ou celle encore plus extravagante de l’agent double « jouant » au traitre pour le compte des services français. Pour Dunker, elle était motivée par l’appât du gain et l’humiliation. Celle-ci, d’après Antoine Pelletier, aurait été due à l’attente déçue d’une promotion. Pour lui comme pour Archiduc, ce jouisseur menait grand train et avait des besoins d’argent. Pour les services britanniques, sa très dépensière maitresse l’aurait peut-être poussé à trahir, mais celle-ci, à notre connaissance, ne fut pas l’objet de poursuites. La trahison de De Possel mit un certain temps à être connue puisque Le Populaire du Sud-Est du 1er octobre 1944 signalait sa disparition sous le titre « Un héros marseillais » et présentait ses condoléances à la famille. C’est sans doute l’instruction des procès de Dunker, la découverte des rapports Catilina et Antoine qui la fit connaître. Confinée dans les enquêtes des services spéciaux français et britanniques, elle resta assez longtemps méconnue de l’historiographie, d’autant que son nom n’était pas révélé. Philippe Azziz qui fut le premier ou l’un des premiers à reproduire les rapports de Dunker le modifia en Gauthier de Grimbage, identité que reprit Henri Noguères dans le dernier tome de son histoire de la Résistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article228032, notice SEIGNON de POSSEL DEYDIER Maurice, Raoul, Arnold [Pseudonymes dans la Résistance : Noël et pour le Sipo-SD : Erich/Erick] par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 22 mai 2020, dernière modification le 4 avril 2022.

Par Jean-Marie Guillon

Maurice Seignon de possel Deydier
Maurice Seignon de possel Deydier

SOURCES : Arch. justice militaire, jugement Tribunal militaire de Marseille du 24 janvier 1947. ⎯ Arch. SOE. ⎯ Arch. dép. Bouches-du-Rhône 58 W 20 (dossier Dunker). ⎯ Site internet fr. rodovid.org. ⎯ Philippe Azziz, Au service de l’ennemi. La Gestapo française en province 1940-1944, Paris, Fayard, 1972. ⎯ Jean-Marie Guillon, La Résistance dans le Var. Essai d’histoire politique, Aix-en-Provence, thèse d’État Histoire, Université Aix-Marseille I, 1989. ⎯ Robert Mencherini, Résistance et occupation (1940-1944), Paris, Syllepse, 2011. ⎯ Henri Noguères, Histoire de la Résistance en France, tome 5, Paris, Robert Laffont, 1981. ⎯ Antoine Pelletier, Autrement qu’ainsi, Paris, Quintette, 1991. ⎯ Guillaume Vieira, La répression de la Résistance par les Allemands à Marseille et dans sa région (1942-1944), Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille, 2013.

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