GAHIER Léon, Joseph [frère Rogatien en religion]

Par Gilbert Déverines, Jean-Claude Guillon

Né le 15 décembre 1919 à Rougé (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), mort le 11 juin 2020 à Tours (Indre-et-Loire) ; franciscain, prêtre-ouvrier en banlieue parisienne puis à Tours (Indre-et-Loire) ; manœuvre, ouvrier et manutentionnaire ; délégué CGT du personnel, du comité d’entreprise, secrétaire de plusieurs comités d’entreprise.

Léon Gahier à un congrès CGT à Tours  en 1953
Léon Gahier à un congrès CGT à Tours en 1953

Deuxième d’une famille de six enfants, Léon Gahier était le fils de Daniel Gahier, journaliste à La Province, organe catholique de Rennes (Ille-et-Vilaine), proche du courant conservateur ; sa mère, Gabrielle Papet, était femme au foyer. Léon Gahier fit sa scolarité primaire à domicile, poursuivit ses études secondaires à l’internat Saint-Louis de Saint-Nazaire (Loire-Inférieure) et entra, en 1937, au noviciat des capucins au Mans (Sarthe). Il fit successivement son scolasticat à Breust-Eysden dans le Limbourg hollandais, à proximité de Maastricht en 1938-1939, à Tours en 1939 et à Nantes (Loire-Inférieure) de 1941 à 1945. Il avait été ordonné prêtre le 19 mars 1944.

Après qu’il eut enseigné le latin et le grec pendant un an au collège Saint-Fidèle à Angers (Maine-et-Loire), le provincial des capucins le désigna en 1946, honorant ainsi la demande de l’archevêque de Paris, le cardinal Suhard*, pour constituer une équipe missionnaire au Petit-Nanterre (Seine, Hauts-de-Seine), à proximité de la paroisse du Sacré-Cœur de Colombes dont le curé, Georges Michonneau*, Fils de la Charité, était le promoteur du renouveau paroissial. Avec ses co-équipiers, Léon Dillaye et André Beaugé, eux aussi OFM capucins, Léon Gahier construisit une baraque en bois en plein quartier déshérité, rue des Pâquerettes, qui allait devenir, en dehors des structures paroissiales, le lieu de la « fraternité capucine » et compter parmi les expériences missionnaires du diocèse de Paris.

Léon Gahier fit partie de l’équipe jusqu’en 1949. Après un stage de trois semaines dans une usine à gaz à Clichy (Seine, Hauts-de-Seine), grâce à un patron compréhensif, il trouva successivement du travail comme ouvrier à la Compagnie continentale des compteurs à Colombes (Seine, Hauts-de-Seine), à La Rhonelle (réparation de wagons de marchandises) où il fut licencié pour raisons syndicales (juin 1949), puis aux Papeteries de la Seine où les conditions de travail étaient pénibles : « Nous travaillions à moitié nus sous une température de 50 à 60 degrés. Je faisais les trois huit. C’était très dur, je me demandais si j’allais tenir, il le fallait, c’était indispensable », dira-t-il en 1997.

Ses supérieurs préférèrent le rappeler en septembre 1949, à Tours, où il partagea pendant trois ans la vie conventuelle. Il obtint en 1952 la permission de retourner à l’usine dans le cadre du secteur de la Mission ouvrière que Mgr Gaillard, évêque de Tours, venait de créer. Il fut alors embauché à Tours comme chauffeur de chaudière à l’entreprise Cochery, puis comme ouvrier à la chaîne chez Schmidt (1953). Il quitta temporairement le travail au 1er mars 1954 lorsque Rome décida que les prêtres ne devaient pas travailler plus de trois heures par jour. « J’ai cru davantage au dialogue avec la curie romaine qu’à un refus brutal d’obéir. Il a fallu expliquer, rencontrer les autorités romaines. Puis il y eut le concile à la fin duquel l’épiscopat français, d’accord avec le pape Paul VI, relança l’expérience des prêtres-ouvriers en France. Ne pas se soumettre à Rome conduisait tôt ou tard à la rupture définitive avec l’Église, pour moi mère et source de ma foi. Il fallait vivre la double fidélité du monde ouvrier et de l’Église », racontera-t-il quelques années plus tard. Respectant les consignes romaines, il travailla alors, avec l’accord de son évêque, dans différentes exploitations agricoles à Véretz et Mettray (Indre-et-Loire), puis devint chiffonnier dans le quartier des Halles à Tours, vivant parmi une population en marge du monde salarié : gitans, vagabonds, écrivains publics, repris de justice, prostitués des deux sexes… Il entreprit en 1956 une formation professionnelle de maçon à Veigné (Indre-et-Loire) et, ayant obtenu un CAP, fut embauché dans plusieurs entreprises du bâtiment (Omni Manu, Créola, Métais, Jaulard, Nouvelles Galeries, Joubert). Abandonnant le travail des chantiers du bâtiment, il devint manutentionnaire aux transports Brivin à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) et enfin manutentionnaire aux Docks de France (1968-1980).

Léon Gahier avait pris sa première carte syndicale à la CGT en 1946 lorsqu’il travaillait à la Compagnie continentale des compteurs à Colombes et avait été frappé de l’accueil qu’on lui avait réservé : « À la Continentale, il y eut au départ une véritable défiance et même des bagarres entre les responsables syndicaux pour m’admettre ou non à la commission exécutive de la CGT […] Certains disaient que j’étais envoyé par l’Église pour lancer la CFTC […] la confiance revint assez vite. » Il y vécut sa première grève : « La grève nationale et générale de 1947 fut l’occasion extraordinaire de débats vigoureux, directs, chaleureux aussi ; des nuits entières d’occupation des lieux. […] Pendant trois semaines, j’étais trimballé de comité de grève en comité de grève et présent comme prêtre-ouvrier, un peu comme une bête curieuse. J’ai essayé d’être loyal en résistant à certaines pressions, comme celle d’entrer au Parti communiste. […] Pendant cette grève mémorable, je suis allé voir le cardinal Suhard. Je voulais l’informer. Il me reçut avec beaucoup de douceur. Il m’écouta. Il m’embrassa et me remit un billet de 50 F pour notre comité de grève. En me quittant, il me dit : “Continuez et présentez ma solidarité à vos camarades.” Si j’insiste sur cette grève de 1947, c’est parce qu’elle a été pour moi comme un baptême du feu, mon baptême du combat ouvrier. »

Il exerça diverses fonctions syndicales : élu du personnel, élu au comité d’entreprise, secrétaire de plusieurs comités d’entreprise, délégué national CGT pour le groupe Docks de France. Son activité syndicale lui valut six licenciements, dont un, rappellera-t-il, « par un très catholique patron qui jugea qu’un prêtre n’avait rien à faire dans une entreprise ». Toujours syndiqué à la CGT, membre de la section d’Indre-et-Loire interprofessionnelle des retraités où il avait été membre du conseil syndical, il contribua à créer un comité de chômeurs ainsi qu’une association de locataires en 1980. Membre de l’association l’Entraide ouvrière et du DAL (association pour le droit au logement), il appartint de 1972 à 1984 au Parti socialiste où il milita dans la commission des entreprises.

Toujours vivant en 2009, il mène une retraite active à Tours, à proximité du site de l’usine métallurgique Schmidt, détruite aujourd’hui, dans laquelle il travailla en 1953-1954.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article49954, notice GAHIER Léon, Joseph [frère Rogatien en religion] par Gilbert Déverines, Jean-Claude Guillon, version mise en ligne le 25 avril 2009, dernière modification le 9 mars 2021.

Par Gilbert Déverines, Jean-Claude Guillon

Léon Gahier à un congrès CGT à Tours en 1953
Léon Gahier à un congrès CGT à Tours en 1953
Léon Gahier avec des travailleurs de la société Omni-Manu (ferroviaire) de Saint-Pierre-des-Corps
Léon Gahier avec des travailleurs de la société Omni-Manu (ferroviaire) de Saint-Pierre-des-Corps
Léon tient un drapeau de la CGT au défilé du 1er Mai 1999 à Tours
Léon tient un drapeau de la CGT au défilé du 1er Mai 1999 à Tours

ŒUVRE : Avec François d’Assise : Frères et sœurs au cœur d’un peuple, 1987. — La chambre de la rue, 1995. — En mémoire de l’avenir. Des capucins prêtres-ouvriers Nanterre 1946-Tours 1949, Léon Gahier, Blois, 1998.

SOURCES : Arch. de l’UD-CGT d’Indre-et-Loire. — Bulletin provincial des frères mineurs capucins, Province de Paris, n° 1, été 1949 n° 4, été 1950. — Émile Poulat, Naissance des prêtres-ouvriers, Casterman, 1965, notamment p. 444-449. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Entretien avec Léon Gahier. — Notes d’André Caudron et de Nathalie Viet-Depaule. — État civil de Rougé (2009).

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