GRUSON Claude, Jean

Par Pascale Gruson, Nathalie Viet-Depaule

Né le 12 août 1910 à Paris (XVIIe arr.), et mort le 4 avril 2000 à Paris (XVIe arr.) ; inspecteur général des Finances, chef du Service des Études économiques et financières (1948-1961), directeur général de l’INSEE (1961-1967), membre du directoire de la Compagnie bancaire (1969-1986), président du Groupe interministériel pour l’étude de l’environnement (1972-1978) ; président du BIPE (1968-1998), directeur d’études à l’EHESS ; président du groupe de travail de la FPF sur Églises et pouvoirs (1970-1971), président de la Commission sociale, économique, internationale (CSEI) de la FPF (1976-1986), président du Centre protestant de Villemétrie (1968-1998).

Né dans une famille modeste d’ancienne tradition protestante, Claude Gruson était le troisième d’une fratrie qui comptait deux filles et deux garçons. Son père avait quitté la région du Nord, où les siens étaient établis depuis le Concordat napoléonien, pour habiter Paris où il exerça le métier de comptable dans une petite entreprise commerciale. Il souhaitait que chacun de ses enfants pût faire les études qui leur donneraient une plus grande liberté d’action que la sienne. La fille aînée apprit l’anglais, la cadette fréquenta le lycée Jules Ferry et les garçons le collège Chaptal, un établissement d’enseignement moderne qui préparait aux concours des grandes écoles scientifiques. Claude Gruson fut reçu à l’École polytechnique en 1929 et fit sa rentrée au moment de la « grande crise économique ». Pendant sa scolarité, il trouva un vif intérêt au cours de mathématiques de Paul Lévy, tandis que le cours d’histoire contemporaine le surprit. Bien loin de trahir une inquiétude sur le désordre économique qui menaçait, le professeur se concentrait sur l’affaire des « réparations » pour mieux se féliciter du plan Young, lequel allait garantir à la France un remboursement intégral de la dette due par l’Allemagne en… 1987. Cette désinvolture le marqua profondément.

Sorti dans le corps des Mines, Claude Gruson dut brutalement interrompre ses études pour soigner une pleurésie au sanatorium étudiant de Briançon. Ce fut un temps qu’il mit à profit pour mieux comprendre les rouages de l’économie tels qu’ils étaient analysés à l’université, en particulier par le libéral Clément Colson. Rétabli en 1935, il se présenta au concours de l’inspection des Finances auquel il fut reçu en 1936 en même temps que François Bloch-Lainé, Pierre-Paul Schweitzer (qui fut directeur du FMI), Philippe de Seynes (qui dirigea le département des Affaires économiques et sociales à l’ONU), avec lesquels il eut tout au long de sa vie professionnelle des relations de travail et d’amitié profonde. Après deux ans de formation (tournées de vérification dans les centres des impôts), il entra au cabinet de Paul Reynaud, le suivit à Bordeaux et se retrouva à Paris, après l’Armistice, affecté au secrétariat d’État à la Production industrielle dont Jean Bichelonne était le responsable. En mars 1941, une rechute de tuberculose permit à Claude Gruson, selon ses propres termes, de se soustraire aux compromissions de Vichy, de plus en plus lourdes et inquiétantes ; il se soigna au Plateau d’Assy. Dans ce lieu isolé, proche de la frontière suisse, son épouse et lui se tinrent informés, autant qu’il leur était possible, en sollicitant leurs amis dispersés, leurs familles, ainsi que le pasteur Pierre Maury, grand ami du théologien Karl Barth et fortement engagé dans les combats de l’Église confessante. Revenu à Paris en 1943, Claude Gruson participa à l’un des groupes de travail techniques du Conseil national de la Résistance (CNR), en l’occurrence le Comité d’études financières. Mais la maladie le rattrapa au début de 1944 et il dut se faire soigner à Leysin (Suisse) jusqu’à l’opération qui le priva d’un poumon, mais le guérit. Là, il s’adonna à la lecture de Keynes, récemment traduit en français.

De retour à Paris en 1946, Claude Gruson fut attaché au Service de l’inspection générale des Finances et rapidement associé aux réflexions qui s’organisaient sur l’utilisation des fonds Marshall (dont la mise en œuvre du plan Monnet), notamment au sein de l’Institut de sciences économiques appliquées (ISEA) que dirigeait François Perroux*. En 1948, il rejoignit François Bloch-Lainé, alors directeur du Trésor, pour créer et organiser ce qui allait devenir l’un des instruments innovants de cette direction du ministère des Finances, le Service des études économiques et financières (SEEF). Il s’agissait de concevoir des instruments permettant de rassembler une information significative sur les mouvements de l’économie, ses lignes dynamiques, sa complexité et ses interdépendances dans un contexte qui allait en être objectivement affecté. L’un des outils les plus connus fut la Comptabilité nationale. Les données qu’elle mit en évidence furent rassemblées dans un document qui, depuis le gouvernement Mendès France (1954-1955), allait accompagner et proposer les arguments justifiant les grands choix budgétaires des lois de finances. L’équipe du SEEF comprenait des inspecteurs des Finances ou administrateurs civils (Simon Nora, Jean Saint-Geours, Michel Rocard, Claude Alphandéry, Jean Sérisé), des mathématiciens (René Mercier), des statisticiens (Louis-Pierre Blanc), des universitaires (Charles Prou). Cette diversité des profils, outre qu’elle généra de grandes amitiés, fut propice à appréhender l’économie dans sa complexité et ses interdépendances. En tant que responsable universitaire, François Perroux fut particulièrement attentif, voire partie prenante, à cette réflexion. Il présenta Claude Gruson à Fernand Braudel, lequel lui proposa d’enseigner à la VIe section de l’École pratique des hautes études où il fut élu directeur d’études en 1956. La dynamique ainsi mise en œuvre provoqua des réajustements administratifs, notamment une organisation plus visible du Commissariat général du Plan que dirigèrent successivement Étienne Hirsch, puis Pierre Massé.

Claude Gruson devint directeur général de l’INSEE en 1961 ; il réorganisa les compétences de l’Institut pour les articuler à l’élaboration des plans de développement. Les données chiffrées étant plus explicites – y compris dans leurs limites d’utilisation –, il impulsa des débats sur des bases plus claires entre chefs d’entreprise, syndicalistes, représentants du pouvoir (par exemple Pierre Dreyfus, Pierre Le Brun ou Paul Vignaux*). Il associa à tous ces travaux de jeunes et brillants sociologues comme Alain Touraine et Pierre Bourdieu. Il renouvela l’enseignement de l’ENSAE et fit de l’INSEE une « botte » appréciée des polytechniciens. Mais du fait d’une relative croissance économique (en partie redevable aux fonds Marshall et au très bas prix du pétrole) dont les bénéfices semblaient assez facilement redistribués dans les années 1960-1970, les responsables politiques pensaient qu’il fallait désormais abandonner l’intervention de l’État en matière de politique économique et faire confiance à la dynamique industrielle, dont les règles de management (la « gouvernance ») étaient supposées être devenues plus claires et rationnelles. Ce retour à une vision à court terme fit que Claude Gruson quitta l’INSEE en 1967. Il devint alors trésorier (1968-1999) de la Maison des Sciences de l’homme dont Clemens Heller puis Maurice Aymard furent les premiers administrateurs.

En 1969, il rejoignit la Compagnie bancaire (un groupe bancaire spécialisé dans le crédit à la consommation, présidé par Jacques de Fouchier). Il resta en contacts fréquents avec les milieux du Service public et présida le groupe interministériel pour l’étude de l’environnement (1972-1978). Dans un rapport qui fit du bruit en 1974, il soulignait une certaine incurie de la politique du tout nucléaire, d’autant plus que les responsables d’EDF ne semblaient pas avoir pris toute la mesure du problème du traitement des déchets.

Le cheminement professionnel de Claude Gruson fut indissociable de son engagement spirituel. Tout au long de sa vie, il fut un membre actif de l’Église réformée, conseiller presbytéral de la paroisse de Passy-Annonciation (Paris) entre 1949 et 1979. Dès l’origine, il participa aux activités du Centre de Villemétrie (Oise), un centre protestant de réflexion sur l’éthique, créé en 1954 à l’initiative du pasteur André de Robert, du pasteur Jean Bosc et de Rémi Boissonnas, dont l’objectif était d’inscrire l’Évangile dans la vie active. Il en devint le président en 1968. Il fut proche aussi de la communauté des frères de Taizé. Il assuma des responsabilités dans plusieurs instances de la Fédération protestante de France sous les présidences successives de Jean Courvoisier, du pasteur Jacques Maury, du pasteur Jacques Stewart. Il présida en particulier le groupe de réflexion auquel on doit le document Église et Pouvoirs, lequel suscita de vifs débats dans et hors du protestantisme en raison de ses prises de position qui dénonçaient les effets négatifs de la dynamique sociale (1971) ; il fut président de la Commission sociale, économique, internationale et, à ce titre, représenta la FPF à la commission de l’épiscopat français, Justice et Paix. Nourri par l’enseignement de Pierre Maury qui avait introduit la théologie de Karl Barth en France et par sa propre connaissance de l’histoire de l’Église, il avait été impressionné, comme d’autres protestants, par les débats que Vatican II avait rendu possibles, et le renouveau du travail œcuménique qui en résultait. Il travailla avec le père Pierre Toulat dans la commission Justice et Paix et, à un niveau paroissial, avec le père Eugène Joly. Il associa le père Jean-Yves Calvez ainsi que Paul Ladrière et Philippe Roqueplo aux réflexions du centre de Villemétrie sur la construction de l’Europe politique, ses enjeux, ses obstacles et ses aspects techniques.

Homme de profonde conviction et de dialogue, Claude Gruson joua du violoncelle (qu’il avait appris dans l’enfance) aussi souvent qu’il le pouvait. Il avait épousé le 30 janvier 1940 Élisabeth de Seynes, forte personnalité. Celle-ci partagea ses engagements, notamment dans l’Église réformée tout en ayant les siens (Mouvement Jeunes femmes, PSA, PSU, et aussi réflexion théologique et catéchèse). Ils eurent trois enfants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88267, notice GRUSON Claude, Jean par Pascale Gruson, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 16 juin 2010, dernière modification le 3 octobre 2010.

Par Pascale Gruson, Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Esquisse d’une théorie générale de l’équilibre économique, réflexions sur la théorie générale de Lord Keynes, PUF, 1949. — Origines et espoirs de la Planification française, Dunod, 1968. – Programmer l’espérance, Stock, 1976. – Avec Paul Ladrière, Éthique et gouvernabilité, un projet pour l’Europe, PUF, 1992. — Avec François Bloch-Lainé, Hauts fonctionnaires sous l’Occupation, Odile Jacob, 1996. — Propos d’un opposant obstiné au libéralisme mondial, Éditions MSH, 2002.

SOURCES : Archives, fonds personnel. – « Planificateur, banquier et théologien, Claude Gruson », Informations catholiques internationales, 488, 15 septembre 1975. – François Fourquet, Les Comptes de la puissance. Histoire de la comptabilité nationale et du plan, Recherches, 1980. – Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au Ministère des Finances, Documentation française (Comité d’histoire économique et financière de la France), 2003.

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