PLISNIER Charles

Par Nicole Racine

Né le 13 décembre 1896 à Ghlin-lez-Mons (Belgique), mort le 17 juillet 1952 à Bruxelles. Avocat, écrivain ; communiste jusqu’à son exclusion en 1928 ; collaborateur de Clarté, Monde, prix Goncourt 1937, intellectuel ayant joué un rôle dans les débats politiques et littéraires en France.

L’activité militante de Charles Plisnier se déroula presque exclusivement dans le cadre du Parti communiste belge, puis dans celui de l’« opposition » communiste belge. Son engagement a fait l’objet de minutieuses études (notamment les travaux animés par Paul Aron avec José Gotovitch et Anne Morelli) qui permettent d’en retracer les grandes lignes. Charles Plisnier a également sa place dans le mouvement socialiste et communiste français des années vingt et trente durant lesquelles il collabora à des publications de l’extrême gauche et de la gauche intellectuelle comme Clarté et Monde. Enfin, il intervint en faveur de Victor Serge* au congrès international des écrivains pour la défense de la culture, réuni à Paris en juin 1935.

Charles Plisnier n’eut pas à rompre avec les idées de son milieu d’origine pour adhérer au socialisme puisque son père, Bernard Plisnier, jeune instituteur, avait milité aux côtés d’Alfred Defuisseaux, puis d’Arthur Bastien, successeur de Defuisseaux. Après avoir été éloigné de l’enseignement pour cause de militantisme, Bernard Plisnier fut appelé par A. Bastien qui en fit son successeur à la tête de son entreprise industrielle ; il remplit de nombreux mandats pour le Parti ouvrier belge de 1894 à 1912.

Durant la Première Guerre mondiale, Charles Plisnier découvrit le marxisme lors de loisirs forcés procurés par la fermeture de l’Université en 1915-1916. En 1919-1920, étudiant en droit à l’Université libre de Bruxelles, il commença à collaborer à l’Exploité de Joseph Jacquemotte, organe de l’extrême gauche syndicale du POB. De janvier à novembre 1919, il collabora à l’éphémère journal intitulé le Communiste. On trouve sa signature dans la presse française : la Vie ouvrière (« La Belgique après la guerre », 30 juillet 1919 ; « Lettre de Belgique », 17 septembre 1919), ainsi que dans la Revue communiste en 1920 et 1921. Il soutint le mouvement « Clarté » de Barbusse et, en novembre 1919, participa au congrès international des étudiants socialistes et communistes de Genève.

Charles Plisnier fut membre du Parti communiste belge dès sa fondation en 1921. Parfois considéré avec méfiance par ses camarades à cause de ses origines bourgeoises, il s’engagea totalement, animant des meetings, écrivant articles et brochures. Il milita neuf ans « pendant lesquels amour, famille, parti, tout ce qui occupe l’âme et les jours de la plupart des hommes, avait, en fait, cessé de dépendre de moi ; neuf ans pendant lesquels je ne fus rien d’autre qu’un communiste, un révolutionnaire, un militant ; neuf ans pendant lesquels, animé de cette grâce que peut conférer aussi une foi terrestre, je tins en mépris toute activité qui ne fût un combat. » (« Souvenirs d’un agitateur », Faux passeports). Jeune avocat inscrit au barreau de Bruxelles, depuis novembre 1922, il assura la défense, en juillet 1923, avec Jules Destrée, P.-H. Spaak et Rolin, des quinze dirigeants communistes accusés de « complot » et dont le procès se termina par un acquittement. Il plaida régulièrement pour le PCB. En février 1925, il fut candidat communiste aux élections législatives. À partir de mai 1925, il fut chargé par l’Internationale d’importantes responsabilités au Secours rouge international ; président de la section belge du SRI, il effectua de nombreuses missions en Europe. Il se rendit en Bulgarie en août-septembre 1925, sous couvert de journalisme, mais en réalité pour enquêter sur la répression et prendre des contacts ; expulsé le 9 septembre après que son appartenance au PCB eut été décelée, il publia des articles sur la terreur dans les Balkans dans le Drapeau rouge de septembre à novembre. Il fut rapporteur au congrès du SRI à Bruxelles, publia une brochure Qu’est-ce que le Secours rouge international ? En mars 1927, il participa au congrès du SRI à Moscou et fut élu membre du bureau juridique international au côté du Français Robert Foissin*. En mai 1927, il anima la campagne de la section belge du SRI en faveur de Sacco et Vanzetti, organisant un puissant rassemblement unitaire à Bruxelles le 30 mai. En février 1927, Plisnier participa à Bruxelles au congrès fondateur de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale.

Charles Plisnier qui défendait les thèses de l’Opposition de gauche fut exclu du PCB au congrès d’Anvers en 1928, en même temps que l’ex-tendance de W. Van Overstraeten, ralliée aux thèses trotskystes. Si pendant quelque temps, Plisnier continua à faire partie du Bureau exécutif de l’Opposition, il démissionna du groupe en mars 1929, en désaccord avec la stratégie suivie à la veille des élections législatives. Bien que Charles Plisnier n’eût jamais cessé d’écrire de la poésie et qu’il se sentît proche du mouvement surréaliste, il estimait qu’un communiste ne pouvait publier qu’en harmonie avec les conceptions du parti. Tel est le sens de la lettre qu’il envoya à André Breton* en 1927 pour répondre aux critiques que celui-ci avait adressées au Parti communiste dans Légitime défense (1926), texte dans lequel il réclamait l’autonomie pour le mouvement surréaliste (Charles Plisnier ne reçut jamais de réponse ; sa lettre à Breton ne fut publiée qu’en décembre 1972 dans la revue Marginales). La rupture de 1928, si douloureusement ressentie par Plisnier, n’en libéra pas moins l’écrivain. De 1930 à 1936 il publia onze volumes « où la poésie a la meilleure part » comme le remarque Charles Bertin. Citons car ils sont traversés par la trace de l’espérance révolutionnaire née d’Octobre et par le sentiment de révolte contre ceux qui l’ont dévoyée, la trilogie poétique « Que notre règne arrive » : Déluge (1933) dédié à Lénine (qui fut interprété par Madeleine Renaud-Thévenet et le chœur parlé des Renaudins, le 4 février 1933 à Bruxelles), Babel (1934) dédié à Trotsky et Sel de la Terre (1936) dédié à la mémoire des anonymes (ce dernier recueil comprend un chant funèbre pour la mort de Lénine). « Cette puissante trilogie — écrit Jean Tordeur — marque la fin d’une époque dans la poésie de Plisnier. La trahison de l’espoir messianique qu’il a nourri le laisse plus solitaire et désemparé qu’il le fut jamais (...) C’est alors que s’amorce le tournant décisif qui, d’une ultime révolte, va le conduire vers ce qu’il est permis d’appeler sa conversion. » Sa poésie va désormais refléter les phases de combat spirituel au terme duquel il avoue sa foi chrétienne.

Le nom de Charles Plisnier est lié à celui d’Albert Ayguesparse avec lequel il fonda en décembre 1929 la revue Prospections qui publia dans son premier numéro son article « Poésie et marxisme » et en novembre 1931 un article sur la littérature prolétarienne. Avec Ayguesparse, il fit partie du groupe qui créa le Front littéraire de gauche en juin 1934. Charles Plisnier qui était lié à Augustin Habaru*, rédacteur en chef de Monde, fut président des Amis de Monde en Belgique en 1930 ; il publia en 1929 des articles dans cette revue.

Charles Plisnier fut associé au groupe des écrivains prolétariens réuni autour d’Henry Poulaille*, sans y être actif, comme le remarque K.-A. Arvidsson. Il signa ainsi le texte « Notre position » (Bulletin des écrivains prolétariens, avril 1932), collabora aux « Pages et documents de la vie populaire » dans Monde. Ainsi dans le numéro du 6 août 1932 dans « Naissance d’une culture », il se prononça pour l’incorporation dans la culture prolétarienne de ce qu’il y a de vivant dans la culture bourgeoise. Mesure de notre temps, publié chez Valois, dans les Cahiers bleus par H. Poulaille en juin 1932, éclaire l’évolution de Plisnier à cette date.

Tout en se proclamant toujours marxiste, il dénonçait les « méfaits doctrinaux » des formations politiques ; il critiquait l’« économisme » des communistes qui sous-estimait la force des mythes que confirmait pour lui le succès du Plan quinquennal.

En 1933, Charles Plisnier adhéra au POB sur la proposition d’Émile Vandervelde. Partisan du projet de Plan du Travail d’Henri de Man, il voulut intervenir politiquement comme écrivain. En mars 1935, il proposa de créer une commission technique auprès du comité de propagande pour le Plan. Il collabora avec A. Ayguesparse à Triomphe du Plan, poèmes en faveur du Plan ; il composa une pièce radiophonique Le Christ chez les chômeurs dans le cadre de la même campagne : la pièce, représentée sous forme de chœur parlé à la fin 1935, fut interdite d’antenne.

Charles Plisnier joignit sa voix à celle des intellectuels qui réclamèrent publiquement la libération de Victor Serge* lors du congrès international des écrivains pour la défense de la culture réuni à Paris ; malgré l’obstruction des organisateurs communistes, grâce à l’appui d’André Gide*, il put prendre la parole à la suite de Magdeleine Paz*, le 25 juin 1935. Il accueillit, le 17 avril 1936 à Bruxelles, Victor Serge* et sa famille, puis s’entremit auprès d’É. Vandervelde, ministre de la Justice, pour l’obtention de visas. Il avait signé en mai 1935 « l’Appel à l’opinion révolutionnaire mondiale » contre la répression en Union soviétique.

Charles Plisnier devint l’ami d’Emmanuel Mounier et collabora, en février 1936, au numéro d’Esprit sur la Belgique. Il publia Mariages (transmis à Corrêa par Magdeleine Paz*) qui rencontra un vif succès. En 1937, il abandonna le barreau et se fixa en France. Le 2 décembre 1937, le prix Goncourt qu’il avait manqué l’année précédente lui fut attribué pour Mariages et Faux passeports ; pour la première fois, un écrivain de nationalité non française obtenait le Goncourt. Faux passeport s’ouvrait sur l’évocation du congrès d’Anvers où le délégué du Komintern, Iégor Vijniazine, un « vrai croyant », demanda l’exclusion de Plisnier et de ses camarades. La dernière des cinq nouvelles du recueil, « Iégor », mettait de façon poignante en scène le procès du même vieux militant (s’inspirant, selon certains du personnage de Georges Piatakov), procès semblable à ceux qui se déroulaient alors à Moscou. Dans l’« adieu à ces créatures » qui clôt le recueil, Charles Plisnier évoqua d’autres compagnons, E. Mühsam, Smirnov, Maïakovsky, Maria Joffé ainsi que Victor Serge*, « ami très aimé ». Ainsi acheva-t-il « ces souvenirs du temps de foi, écrits en forme de plainte. » En même temps que Victor Serge* et bien avant Arthur Kœstler, Charles Plisnier fit revivre le drame des révolutionnaires qui, sous Staline, acceptèrent de servir la révolution au point d’avouer des crimes imaginaires. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il collabora à Civilisation, revue animée par J. de Fabrègues.

En 1939, Charles Plisnier prit position contre la neutralité belge ; en 1940, il appela à une alliance avec la France. Après 1945, il se prononça pour une fédération flamande et wallonne dans le cadre de l’État belge, qui permettrait de maintenir l’autonomie culturelle de la Wallonie ; il intervint notamment au congrès national wallon à Liège en 1945 et, plus tard, précisa ses vues dans « Lettre à mes concitoyens sur la nécessité d’une révision constitutionnelle » (Synthèses, juillet 1952) dans laquelle il se proclamait socialiste et chrétien. En 1950, il devint président de l’Union fédéraliste des minorités et régions européennes. Il participa aux Rencontres internationales de Genève, notamment en septembre 1947, où il prit la parole sur le thème « Progrès technique et progrès moral » et où il dialogua avec Pierre Hervé* sur le thème du marxisme. Il assista au congrès de Berlin pour la liberté de la culture en juin 1950.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article126668, notice PLISNIER Charles par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 30 novembre 2010.

Par Nicole Racine

ŒUVRE CHOISIE : Réformisme ou révolution, Anvers, Ça ira !, 1921. — Qu’est-ce que le Secours rouge international ?, Bruxelles, SRI, 1926. — L’Affaire Sacco et Vanzetti. Histoire d’un crime juridique, SRI, [1927]. — Aux membres de la section belge du SRI. À tous les travailleurs, Bruxelles, L. Guyomard, [1928]. — Mesure de notre temps, Librairie Valois, 1932. (Cahiers bleus, 2e série, 15 juin 1932). — Déluge, Bruxelles, les Cahiers du Journal des poètes, 1933. — Babel, Bruxelles, les Cahiers du Journal des poètes, 1934. — Sel de la Terre, Bruxelles, Éd. Labor, 1936. — Mariages, Corrêa, 1936. — Faux passeports ou les mémoires d’un agitateur, Corrêa, 1937. — Meurtres I, II, III, IV, V, Corrêa, 1939-1941. — Lettre à mes concitoyens, Uccle-Bruxelles, Fonds Charles Plisnier, 1962, 24 p. — L’Homme et les hommes, Corrêa, 1953.

SOURCES : « Hommage à Charles Plisnier », Marginales, Bruxelles, avril 1947. — R. Bodart, Charles Plisnier, Éd. Universitaires, 1954. — J. Roussel, La vie et l’œuvre ferventes de Charles Plisnier, Rodez, Subervie, 1957. — J. Humbert-Droz, Mon évolution du tolstoïsme au communisme. 1891-1921. Mémoires I, Neuchâtel, La Baconnière, 1969 ; Origines et débuts des partis communistes des pays latins (1919-1923), Dordrecht, D. Reidel Publ., 1970. — A. Ayguesparse, « Charles Plisnier et le Surréalisme », Bulletin de l’Académie royale de langue et de littérature française, 1972, pp. 78-88. — Marcelle Simon-Rouve, La presse socialiste et révolutionnaire en Wallonie et à Bruxelles de 1918 à 1940, Louvain, Éd. Nauwelaerts, 1974. — V. Serge, Mémoires d’un révolutionnaire 1901-1941, Le Seuil, 1978. — L. Mysyrowicz, « Le congrès international des étudiants socialistes et communistes (Genève, décembre 1919) in L’historien et les relations internationales, Genève, Institut universitaire des hautes études internationales, 1981. — P. Aron, Archives et musée de la littérature. Albert Ayguesparse. La mémoire et l’histoire, Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, 1986. — K.-A. Arvidsson, Henry Poulaille* et la littérature prolétarienne française des années 1930, Paris, Jean Touzot, 1988. — P. Aron, Charles Plisnier entre la révolution et l’évangile, Bruxelles, Labor, 1988 [chronologie et bibliographie].

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