POTTECHER Maurice

Par Roger Fayolle

Né le 19 octobre 1867 à Bussang (Vosges), mort le 16 avril 1960 à Fontenay-sous-Bois (Seine) ; licencié en droit ; poète, auteur dramatique, fondateur du Théâtre du Peuple de Bussang (Vosges).

Le grand-père de Maurice Pottecher, ouvrier métallurgiste à Plancher-les-Mines, se maria à Bussang et y fonda une fabrique d’étrilles. L’usine prospéra rapidement et son fils Benjamin Pottecher, industriel, fut assez fortuné pour engager ses deux enfants, Maurice et Georges, dans de longues études. Brillant élève du collège d’Épinal, Maurice fut bachelier à seize ans. Envoyé à Paris, ce jeune homme, bien élevé et pieux, découvrit bientôt l’étourdissante liberté de la vie d’étudiant en droit et put développer son goût précoce pour la poésie et sa passion du théâtre. Au début des années 1890, il fut introduit chez Alphonse Daudet et se lia avec de nombreux journalistes, poètes et artistes pendant cette fin de siècle marquée, dans la vie culturelle, par la crise du naturalisme et par le déclin du symbolisme et, dans la vie politique et sociale, par l’affermissement de la République bourgeoise, secouée pourtant par l’affaire Dreyfus et par la peur qu’inspiraient les masses urbaines.

Chroniqueur à l’Écho de Paris, Pottecher s’y trouva au coeur du monde intellectuel parisien. Il publia un recueil de poésies mélancoliques, mais il fut surtout tenté par l’expression théâtrale et il fit partie des jeunes symbolistes, épris de l’Idée et férus de théosophie, auxquels Lugné-Poe offrait la scène du Théâtre de l’œuvre, fondé en 1890. À l’Œuvre, Pottecher rencontra l’actrice Camille de Saint-Maurice, actrice connue sous le nom de Camm, qu’il épousa en 1894 et qui le suivit loin des scènes parisiennes où elle avait connu le succès.

En effet, en très peu de temps, la vie du jeune poète semble basculer. L’inquiétude était grande parmi les jeunes intellectuels parisiens un moment fascinés par le symbolisme. Certains choisirent de revenir à la foi et à l’Église, comme Huysmans et Paul Claudel. D’autres se rallièrent à la défense de l’ordre, comme Barrès. Pottecher fut de ceux qui, comme Romain Rolland, renouèrent avec la tradition de l’art social, interrompue depuis l’époque où, dans son cours de 1847-1848, Michelet appelait de ses voeux « un théâtre répondant à la pensée du peuple et qui circulerait dans les moindres villages ».

C’est à Bussang que Pottecher pensait pouvoir retrouver « le peuple ». En 1892, pour célébrer le centenaire de la République, il invita les Bussenets à mettre en scène Le Médecin malgré lui, en transposant le jargon des paysans de Molière dans le patois de la Haute-Moselle. Dès lors il se voua au projet d’animer un théâtre populaire qui soit harmonisé à sa province et accessible à tous. Dans une série d’articles (qui seront rassemblés en 1899 sous le titre Le Théâtre du Peuple), il affirmait sa foi nouvelle dans des formules comme : « Le théâtre se nourrit de vie et non d’abstraction. »

La « vie », il entendait la puiser, loin des salons et des scènes de Paris, chez ceux qui forment « le peuple », selon l’idée de Michelet, toutes catégories sociales confondues. Dans cet esprit, il inaugura à Bussang, le 1er septembre 1895, le Théâtre du Peuple, par la représentation de son premier drame populaire : Le Diable marchand de goutte. L’entreprise fut fermement maintenue, sous la devise : « Par l’art, pour l’humanité », avec l’aide de toute la famille Pottecher et de nombreux amis. Son succès ouvrait la voie à de nombreux essais de théâtre populaire dont la mission nationale était exaltée par Romain Rolland : « La loi de l’art est de revenir au peuple d’où il est sorti, de s’y intégrer en unissant toutes les classes de la nation, séparées par des conventions qui ne peuvent engendrer que le mensonge » (1903). Seul le théâtre de Pottecher se maintient encore à la fin du XXe siècle. De 1895 à 1955, son fondateur écrivit trente et une pièces qu’il tâchait de représenter chaque été sans faire appel à des comédiens professionnels. L’ambition pédagogique était ouvertement affichée. Alors que « le théâtre de la ville, écrivait Pottecher, est réduit à être le simple amusement d’une digestion plus ou moins laborieuse », le théâtre du peuple sera « un éveilleur de conscience » (1899). Il s’agit d’« entreprendre sincèrement l’éducation du peuple, c’est-à-dire de nous tous (...) Combattre l’ignorance en bas et en haut le mensonge, rendre la grossièreté laide, la violence affreuse et l’injustice insupportable... » (1899).

Malgré les épreuves apportées par les deux guerres mondiales (en 1918, Jean, fils de Maurice, fut tué sur le front ; le théâtre fut dévasté en 1916, bombardé en 1940 et 1944) l’ardent militant garda sa foi dans le progrès et dans la mission civilisatrice de l’art, une conception qui allait totalement à contre-courant de celle des artistes reconnus. Rien d’étonnant si les ouvrages d’histoire littéraire et les encyclopédies ignorent généralement le nom de Pottecher et les titres de ses œuvres. Il en avait tranquillement pris son parti : « Je suis un écrivain amateur provincial, écrivait-il à Romain Rolland en 1930, qui, ne se plaignant pas d’être dédaigné de ceux qu’il dédaigne, aura réussi à faire rire et pleurer quelques milliers de bonnes gens. »

L’optimisme de cet idéaliste qui voulait croire au pouvoir de la raison et qui s’employa sans relâche à tenter de réunir les classes sociales dans la recherche du Bien, l’amour du Beau et du Vrai, force le respect. Vers la fin de sa carrière, il semble avoir douté de la justesse de ses ambitions. Dans une lettre de 1949, il évoqua la vanité d’une théorie de l’éducation du peuple par le théâtre et la modestie de l’application pratique qu’il était parvenu à en donner avec son théâtre de Bussang devenu une institution régionale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article127093, notice POTTECHER Maurice par Roger Fayolle, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 4 septembre 2011.

Par Roger Fayolle

ŒUVRE : Le Théâtre du Peuple. Renaissance et destinée du théâtre populaire, Stock, 1899. — Le Théâtre du Peuple de Bussang. Son origine, son développement et son but exposés par son fondateur, Ollendorff, 1913. — Les pièces de Pottecher ont été publiées de 1899 à 1956 chez Ollendorff et à la Librairie théâtrale.

SOURCES : Arch. Romain Rolland*, lettres inédites de Maurice Pottecher. — Georgette Jeanclaude, Un poète précurseur : Maurice Pottecher et le théâtre du peuple, Bussang, 1960, 270 p. — David J. Fischer, « The origins of the French Popular Théatre », Journal of contemporary history, n° 12, 1977. — Frédéric Pottecher et Vincent Decombis, Un siècle de passions au Théâtre du peuple de Bussang, éd. Gérard Louis, Remiremont, 1995, 192 p. — Pierre Chan, Anne Hauttecœur, Pierre Voltz et Pierre Pelot, Au pays de Maurice Pottecher, Casterman, 1995, 172 p. — Le Monde, 12 août 2003 : « Bussang, jeune centenaire de la culture populaire ». — Jean-Marc Leveratto, « Le théâtre du Peuple de Bussand. Histoire et sociologie d’une innovation », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2004/3 (n°83).

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