SPIELMANN Victor

Par René Gallissot

Né le 10 novembre 1866 à Bergheim (Haut-Rhin), mort le 12 janvier 1943 à Alger ; agriculteur, commerçant puis journaliste et éditeur en Algérie ; militant anti-colon, puis communiste.

Fils d’un cordonnier de Bergheim, Victor Spielmann serait arrivé en Algérie en 1871 avec des exilés alsaciens. Sa famille s’installa à Bordj Bou Arreridj, gros bourg en bordure de la Kabylie et des hautes plaines de Sétif. Il se déclara lui-même par la suite « colon ruiné, fils de colon ruiné ». Il se peut que sa famille, ou lui-même, comme beaucoup d’autres, ait échoué dans une tentative d’établissement colonial. Le Progrès de Sétif du 7 février 1897 publia une annonce légale concernant une saisie immobilière contre Victor Spielmann ; il s’agissait d’une maison, d’un lot de jardin et d’un lot rural, le tout mis à prix à 4 000 F.

Victor Spielmann aurait ensuite mieux réussi comme commerçant en alimentation. La police notait qu’il exerça le métier de cordonnier puis se lança dans la représentation commerciale. En 1907, il était également secrétaire du syndicat d’initiative de Bordj Bou Arreridj.

Depuis 1897, Victor Spielmann se faisait connaître par son activité de journaliste dans la presse locale. Il fut d’abord secrétaire de rédaction du Morissane, journal de Bordj Bou Arreridj qui se définissait comme « organe des intérêts du parti français antijuif ». Victor Spielmann apparaissait en effet comme le porte-parole du parti radical dans la région et collaborait à la presse radicale : la République de Constantine, le Progrès de Sétif, l’Avenir de Sétif, Turco-Revue, les Annales africaines. En 1902, il était délégué général pour l’Algérie de l’œuvre pro-Boer ; en octobre, il prit l’initiative d’un groupement général ouvrier à Bordj Bou Arreridj qui établit la liaison avec la Bourse du Travail de Constantine. Son radicalisme évolua vers un extrémisme républicain anarchisant, défendant les petits contre les gros, à commencer par les petits colons, et dénonçant les scandales de la colonisation. En 1910, il fut « candidat de protestation » au conseil général ; il fut battu, mais en 1912, il fut élu conseiller municipal de Bordj Bou Arreridj.

Victor Spielmann collabora en 1911-1912 au journal de Constantine le Cri de l’Algérie dont le rédacteur en chef était Gaston Vulpillères, défenseur des villageois du « village rouge » d’El Kantara contre l’administration, et lié à la Guerre sociale puis à la Bataille syndicaliste, et reproduisant notamment les articles de Vigné d’Octon* (voir ce nom). La position de Victor Spielmann et du Cri de l’Algérie était plus « anticolon » et anticapitaliste qu’anticoloniale. Elle ne remettait pas en cause la colonisation mais attaquait la spéculation et les spéculateurs, les exploiteurs, invoquant la lutte sociale contre les gros colons et les sociétés capitalistes (scandale des mines de l’Ouenza dénoncé par A. Merrheim) ; elle étendait la défense du petit colon à tous les « petits », aux « petits fellahs » considérés comme des « frères de malheur », et l’hostilité aux gros, aux « fédéraux » représentés par les grandes familles du Constantinois : les Bou Diaf, les Ben Diff, les Ben Gana. Elle critiquait aussi l’administration du « capitaliste » Jonnard, gouverneur général à l’époque. Cette presse et les articles de Spielmann dressaient le tableau de la misère du Sud Constantinois notamment. Face au mouvement « Jeune Algérien », l’attitude fut faite d’abord de méfiance devant ces « bourgeois francisés » et le journal fit campagne contre la conscription.

Mais Victor Spielmann manifestait de plus en plus des tendances indigénophiles qui le firent collaborer aussi à la presse Jeune algérienne : Al Hilal (Le Croissant) d’Alger, et l’Islam de Bône qui lui consacra un article le 15 décembre 1910. Cette action en faveur des indigènes semblait élargir les initiatives sociales auxquelles se consacrait déjà Spielmann : bibliothèques populaires, sociétés de secours mutuels, section de l’orphelinat du peuple, etc. Elle se poursuivit pendant la Première Guerre mondiale et Spielmann devint trésorier du Comité algérien de secours aux indigènes. En 1919, il quitta Bordj Bou Arreridj pour s’installer à Alger. Les rapports de police firent état de ses « bonnes affaires » bien qu’il ait été dit aussi être « joueur ». Il acheta une villa à Alger tout en conservant à Bordj Bou Arreridj des immeubles estimés à 6 000 F. En tout cas, Victor Spielmann paraissait surtout entreprendre à Alger une carrière de journalisme, voire une carrière politique. Il adhéra au Parti communiste, tout en participant à la Fraternité algérienne, le mouvement de l’Émir Khaled, poursuivant l’action des Jeunes Algériens et organisant ses campagnes en liaison avec les Jeunesses communistes ; il y avait souvent passage de l’un à l’autre mouvement. Il collabora ainsi à la fois au journal communiste la Lutte sociale, où il traitait de la question indigène, au journal de l’Émir Khaled, l’Ikdam, publié à Alger, et à l’Éveil de l’islam publié à Bône en 1923.

En juin 1923, Victor Spielmann fonda un journal bimensuel, le Trait d’union qui entendait être l’organe de la Fraternité algérienne, prit en charge les revendications algériennes (« la Libération des indigènes ne sera l’œuvre que des indigènes libérés eux-mêmes », 5 juin 1923) et travailla au « rapprochement des races ». Il tint à Alger une maison d’édition qui portait le nom du journal et publia notamment la conférence faite en juillet 1924 par l’Émir Khaled sous le titre : « La situation des Musulmans d’Algérie ». Il prit la parole à la réunion intercoloniale du 11 septembre 1924, salle de l’Utilité sociale à Paris (réunion vraisemblablement organisée par l’association paracommuniste de l’Union intercoloniale), comme « directeur du Trait d’union et membre de la Région algérienne du Parti communiste ». Lors de la répression de la campagne communiste contre la guerre du Rif, il fut poursuivi pour provocation de militaires à la désobéissance, puis acquitté. Alors que cette concordance aboutissait en France à la naissance de l’Étoile nord-africaine en 1926, en Algérie le Parti communiste semblait faire montre de sectarisme, et, sans que les causes fussent claires, il y eut rupture entre le mouvement du Trait d’union et Spielmann et la Région communiste d’Algérie.

Après son départ ou son exclusion du Parti communiste, Victor Spielmann maintint sa maison d’édition et fonda en 1927 la Tribune indigène algérienne, publication mensuelle qui parut jusqu’en octobre 1928. Il semble avoir conservé par la suite son attitude en faveur de la fraternisation des races.

En juin 1939, le journal la Défense, qui continuait la tradition « Jeune Algérien » en l’infléchissant vers le réformisme musulman de l’Association des Oulémas, ouvrit une souscription pour éditer un recueil d’articles de Victor Spielmann intitulé Pour l’émancipation du peuple indigène algérien, quarante ans de journalisme 1900-1938. L’ouvrage ne vit pas le jour.

Dans l’Écho d’Alger du 16 janvier 1943, deux avis de décès concernant un Victor Spielmann paraissent : le premier émane de Mme Vve Victor Spielman, enfants et petits-enfants. Il est dit décédé le 12 janvier 1943, à l’âge de 76 ans [ce qui correspond parfaitement à une naissance en novembre 1866]. Le domicile indiqué : 6, rue Pirette, est l’adresse que l’on trouve concernant les “éditions du Trait d’Union“ à partir de 1929-1930, faisant suite à celle de la villa Francisco Ferrer, av. Frais Vallon. Le deuxième faire-part émane de Marcel Cabot et du personnel des Etbs Cabot et Spielmann (90, rue Sadi Carnot), Victor Spielmann y étant dit « père de leur associé et patron ». Il en ressort que l’un des fils deVictor Spielmann était l’associé de Cabot dans des établissements dont on trouve les publicités dès 1932, qui sont grossistes en épicerie et agents généraux des Savonneries de Marseille et de leur marque Bonne Mère, puis qui deviennent « fabrique algérienne de lainages », fabricant bas et chaussettes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131614, notice SPIELMANN Victor par René Gallissot, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 13 mai 2021.

Par René Gallissot

ŒUVRE : La colonisation algérienne et la question indigène, 1922. — Critique et commentaires de l’étude du problème de l’entente et de la coopération des races, 1923. — Les grands domaines nord-africains. — Comment et pourquoi l’on colonise, 1928. — Le Centenaire du point de vue indigène, 1930. — L’Émir Khaled, son action politique et sociale en Algérie de 1920 à 1923, 1938.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13130. — Arch. Dép. Oran. — Dépouillement de la presse régionale par P. Montoy. — G. Meynier, « Colons de gauche et mouvement ouvrier en Algérie », Pluriel, n° 9, 1977. — Parcours, n° 12, mai 1990. — Notes d’Alain Rustenholz.

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