LAGROUA WEILL-HALLÉ Marie-Andrée

Par Sandrine Garcia

Née le 13 janvier 1916 à Bouscat (Gironde), morte le 8 janvier 1994 à Paris (XVIe arr.) ; médecin gynécologue ; catholique ; membre de l’association France URSS ; fondatrice et présidente de La Maternité heureuse (1956-1967).

Benjamin Weill Hallé
Benjamin Weill Hallé

Fille de Jeanne Denis et d’André Lagroua, fonctionnaire colonial, Marie-Andrée Lagroua se maria le 14 février 1944 à Benjamin Weill-Hallé, fondateur de l’école de puériculture de la faculté de médecine de Paris et promoteur du BCG en France.

Élevée dans la religion catholique, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé n’avait rien, qui, a priori, la prédisposait à jouer un tel rôle dans le mouvement pour la régulation des naissances. Elle est issue d’une famille dans laquelle l’éducation artistique et culturelle occupait une grande place. Elle pratiquait le piano intensément tout comme sa mère, qui ne travaillait pas, mais qui était lauréate du grand prix de Rome. Pour cette raison, Marie-Andrée était destinée par ses parents à devenir pianiste : elle obtint d’ailleurs à treize ans le premier prix du conservatoire de piano de Bordeaux, mais elle préféra s’orienter vers la médecine. Elle entreprit donc des études de médecine à Paris, période pendant laquelle elle milita d’ailleurs à la JEC. Au cours de ses études, elle rencontra celui qui, après avoir été son directeur de thèse, deviendra son mari, le pédiatre Benjamin Weill-Hallé, de quarante ans son aîné, qu’elle épousa en 1944 alors qu’il portait l’étoile jaune et qu’il était touché par l’honorariat imposé par Vichy. Instigateur du BCG en France, fondateur de l’école de puériculture de Paris, le pédiatre Benjamin Weill-Hallé joua un rôle de tout premier plan dans les engagements de sa jeune épouse. C’est d’abord lui qui l’encouragea à se diriger vers la gynécologie, puis qui lui apporta le soutien politique et moral nécessaire à son action.

Alors qu’elle effectuait un stage afin de se spécialiser en gynécologie, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé eut l’occasion de découvrir ce qui fut pour un certain nombre de femmes et d’hommes de cette génération un moteur de l’engagement en faveur des femmes. En effet, elle se rendit compte avec effroi de la violence que les internes et leurs « patrons » manifestaient à l’égard des femmes, qui, ayant tenté de se faire avorter clandestinement, se faisaient admettre à l’hôpital où elles étaient curetées. Elle apprit à cette occasion que les internes officiaient sans anesthésie pour, lui expliquait-t-on, « ôter aux femmes l’envie de recommencer ».

En 1947, alors qu’elle accompagnait son mari, invité aux États-Unis pour donner une conférence sur le BCG, elle fut poussée par ce dernier à aller visiter les centres de « birth control » qui s’y étaient créés et où elle assista aux consultations du docteur Abraham Stone qui prescrivait la contraception. La démarche du docteur Stone heurta tout d’abord ses convictions religieuses. Mais quelques années plus tard, la détresse des femmes quotidiennement côtoyées dans son cabinet médical la convainquit de la nécessité d’agir en faveur de ce qu’elle appela la maternité volontaire ou consciente. Son mari lui conseilla alors de « préparer l’opinion » grâce à une campagne en faveur de la contraception, dont la propagande fut interdite par la loi 1920. En 1953, elle publia un article sur « Le contrôle des naissances à l’étranger et la loi française de 1920 », dans La semaine des hôpitaux qui resta sans écho. Elle fit ensuite une communication sur ce sujet, organisée par son mari, (devenu membre de l’académie de médecine en 1950) à l’académie des sciences morales et politiques où elle reçoit un écho favorable.

Les relations que le couple entretenait avec les compagnons de route du Parti communiste et au premier chef, Emmanuel d’Astier de la Vigerie et son journal Libération, permirent une campagne de presse qui eut un écho retentissant. En 1955, Emmanuel D’Astier de la Vigerie commandita en effet au journaliste communiste Jacques Dérogy une enquête consacrée à la question, qui fut publiée dans le journal Libération puis aux Éditions de Minuit sous le titre « Des enfants malgré nous » avec une préface de la doctoresse Marie-Andrée Weill-Hallé. En 1956, forte du succès de la campagne de presse, celle-ci fonda avec Évelyne Sullerot l’asssociation la « Maternité Heureuse », officiellement préoccupée des seuls « problèmes de la maternité et de ses répercussions sociales et psychologiques ». L’extraction familiale de son mari joua un rôle essentiel dans son entreprise : « Maternité Heureuse » bénéficia d’abord du soutien financier de la banque de Marcel Baur, dont la femme, Simone Baur était membre du premier conseil d’administration. Les Éditions de Minuit éditèrent gratuitement le bulletin de « Maternité Heureuse », grâce à Jérôme Lindon, dont la mère, Thérèse Lindon (sœur de Marcel Baur), était également membre du conseil d’administration. Prescrivant dans son propre cabinet la contraception, Marie-Andrée Weill-Hallé fut, pour cette raison, blâmée par le conseil de l’ordre qui lui reprocha de se faire une publicité personnelle à travers son action. Elle poursuivit néanmoins son but, en réunissant des médecins intéressés par une formation en matière de contraception et qui vont constituer le collège médical du Planning Familial. Outre l’opposition de l’Église catholique, les partisans de la Maternité Heureuse, dont Jacques Dérogy se heurtaient à l’opposition du Parti communiste à travers Maurice Thorez*, qui partit en guerre contre le néo-malthusianisme, auquel il opposa « le droit à la maternité » rendu possible dans une société communiste. La rupture fut ainsi consommée entre le Parti communiste et Jacques Dérogy, qui continua, avec Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, à se consacrer aux objectifs de la « Maternité Heureuse » : la révision de la loi 1920. Malgré ces oppositions, qui tiennent à la direction du Parti communiste plus qu’à ses militants, le Planning Familial devint en une dizaine d’année une véritable institution, qui regroupait essentiellement à cette époque des juifs, des protestants, des francs-maçons et quelques catholiques, c’est-à-dire aussi ceux qui s’étaient engagés dans une croisade contre un ordre moral qui refusait aux femmes le choix de leur destinée.

Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé publia de nombreux ouvrages dont les deux premiers furent préfacés par Simone de Beauvoir*. Cette médiatisation de la question, qui s’accompagna d’une intense activité de conférences débats organisées par les cadres du Planning familial, contribua au succès rapide du mouvement. Mais celui-ci dut aussi son crédit à une stratégie qui consistait à s’attirer le soutien des personnalités progressistes les plus prestigieuses (comme les trois prix Nobel François Jacob, André Lwoff et Jacques Monod) et sans doute, à la modération de sa présidente qui voyait dans la diffusion de la contraception le meilleur moyen de lutter contre l’avortement. Ses publications régulières lui assuraient une légitimité scientifique et technique et diffusaient les connaissances que le Planning s’était constitué en matière de régulation des naissances. Cette modération la conduisit à marquer ses réserves lorsque le docteur Henri Fabre*, médecin gynécologue à Grenoble, décida de passer à l’acte en 1961, c’est-à-dire d’inaugurer une double structure permettant non seulement d’informer, mais aussi d’orienter les femmes et les couples vers des médecins prescripteurs de moyens contraceptifs. Devant le succès de cette initiative grenobloise, elle décida d’ouvrir un centre à Paris quelques mois plus tard.

Néanmoins, ce succès fit du Planning familial un enjeu politique qui déborda les ambitions de Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, pour laquelle les convictions religieuses avaient déterminé l’engagement en faveur des femmes, d’abord contre son Église, qui interdisait aux femmes de se soustraire à des grossesses répétées qu’elles n’avaient pas les moyens moraux et financiers d’assumer, ensuite contre le Parti communiste, qui remettait à un monde meilleur le soin de les soulager. En 1967, après la loi Neuwirth qui légalisa la contraception, elle démissionna du Planning, que certains voulaient « politiser » en exigeant que les statuts du Planning intègrent ceux de la « libre-pensée » dont certains représentants avaient rejoint le Planning. Selon elle, une telle modification revenait à détourner le Planning de sa mission qu’elle considérait comme aboutie avec la loi Neuwirth, d’autant plus qu’elle était réservée à l’égard de la libéralisation de l’avortement vers laquelle s’orientèrent de nombreux cadres du planning familial à travers l’ANEA (dont elle ne signa pas le manifeste). La fondatrice de « Maternité Heureuse » retrouva alors ce qu’elle considérait comme sa véritable vocation, c’est-à-dire son travail de médecin auprès des femmes. En 1968, elle fonda l’Association pour l’étude des problèmes de la naissance dans laquelle elle s’attacha plus particulièrement à former des équipes spécialisées dans le conseil en matière de contraception et de préparation à la maternité. Elle la présida jusqu’en 1976, date à laquelle elle fonda avec Lucien Neuwirth le Comité national pour la régulation des naissances dont elle assura le secrétariat général. Yvette Roudy lui décerna en 1984 la Légion d’honneur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137473, notice LAGROUA WEILL-HALLÉ Marie-Andrée par Sandrine Garcia, version mise en ligne le 5 juillet 2011, dernière modification le 28 septembre 2020.

Par Sandrine Garcia

Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé
Benjamin Weill Hallé
Benjamin Weill Hallé

ŒUVRE : La vaccination contre la tuberculose par le BCG, en collaboration avec Benjamin Weill-Hallé. Éditions DOIN, 1942. — La grand-peur d’aimer, préface de S. de Beauvoir, Éditions Denoël, 1997 ou Éditions Julliard 1961. — Le planning familial, préface de S. de Beauvoir, Éditions Maloine 1959. — L’enfant accident, Éditions Sédimo 1962. — Contraception orale ou locale, 1963. — La contraception et les français- Étude sur 7600 couples, 1967. — La prescription contraceptive, 1968. — L’amour après 40 ans, en collaboration avec Valensin, Éditions Guy de Monceau, 1970. — L’avortement de papa, en collaboration avec Jacques Dérogy et le dessinateur Siné.

SOURCES : Sylvie Chaperon, Les années Beauvoir, Éditions Fayard, 2000. — Jacques Dérogy, Des enfants malgré nous, Éditions de Minuit, 1956 (préface de Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé). — Jacques Dérogy, Une ligne de chance, autobiographie interrompue, Fayard, 1998. — F. Picq, Les années Mouvements, Le Seuil, 1993. — Planning Familial, D’une révolte à une lutte, vingt-cinq ans de Planning Familial. — Entretiens avec Anne-Marie Dourlen Rollier courant 2001. Entretien avec sa fille Andrée Lagraoua Weill-Hallé. Entretiens avec Evelyne Sullerot 2001. — Evelyne Sullerot, « Hommage à Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé », communication au colloque du Planning familial à l’occasion de son 40e anniversaire. — D’une révolte à une lutte, 25 ans d’histoire du Planning familial, collectif, éditions Tierce, 1983.

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