NASSE Gilbert, Marie, François

Par Jean-Philippe Papin

Né le 20 octobre 1908 à Mont-Saint-Aignan (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 9 septembre 1990 aux Ulis (Essonne) ; cadre EDF-GDF ; président de l’UNCM (1947-1970), secrétaire général de la CGC (1958-1966), président de l’UCT (1970-1980).

Gilbert Nasse en 1946

Gilbert Nasse était le petit-fils de l’une des premières femmes en France à être nommée professeure de mathématiques. Ses grands-parents paternels étaient agriculteurs. Métayer puis commerçant (épicier sur l’acte de naissance), son père était devenu chauffeur de maître lors de la crise de 1929. Contraint d’abandonner prématurément ses études secondaires pour travailler, Gilbert Nasse les reprit plus tard, parallèlement à ses activités professionnelles. Il suivit les cours de l’École d’électricité et de mécanique industrielle (Paris, Xe arr.) puis fut admis à l’École supérieure d’électricité. Diplômé de Sup Élec le 26 juillet 1929, il entra à l’Union d’électricité où il fut, de 1931 à 1937, chargé d’études concernant l’électrostatique avant de prendre la direction du Service des travaux électriques.

Lors de la nationalisation des industries électrique et gazière, Gilbert Nasse rejoignit la Direction des études et recherches en qualité de directeur adjoint du Service de l’Enseignement supérieur et du Matériel de réseau. Il dirigea ensuite le centre de Fontenay — l’actuel site de Clamart — et fut nommé contrôleur adjoint. Le 10 juin 1947, devant notamment Louis de Broglie, il avait soutenu une thèse de doctorat en sciences sur l’étude du circuit de régulation et obtenu pour ce travail la mention « très honorable ».

Profondément chrétien, très imprégné des théories personnalistes d’Emmanuel Mounier*, il considérait que, compte tenu de leur position sociale et professionnelle, cadres et agents de maîtrise étaient investis d’une responsabilité particulière pour « catalyser » les énergies et faire en sorte que le travail soit pour tous une source d’enrichissement culturel autant que matériel. Il leur appartenait donc de développer un syndicalisme original qui prenne en compte aussi bien les intérêts de l’encadrement que les aspirations de l’ensemble du personnel et donne la priorité à l’imagination et à la coopération plutôt qu’à la recherche systématique du rapport de forces. Pour lui-même, l’imagination, il la puisait dans ses expériences d’ingénieur. Quant à la coopération, il la voyait se développer essentiellement grâce à la politique contractuelle.

En août 1936, dans le contexte du Front populaire, il participa à la création du syndicat des cadres des sociétés de production et de distribution d’électricité de la région parisienne qui, avec d’autres syndicats fondés à la même époque, constituèrent en décembre 1938 l’Union nationale des cadres et de la maîtrise Eau-Gaz-Électricité (UNCM). À la Libération, il travailla au sein de l’Union nationale des ingénieurs et techniciens (UNITEC) présidée par Pierre Le Brun (voir ce nom) à un projet de nationalisations prévoyant l’institution d’un service national fédérant six services régionaux dotés chacun d’une direction propre. Le projet ne fut pas retenu et l’UNCM quitta l’UNITEC. Devenu président du syndicat des cadres des entreprises électriques de la banlieue parisienne (1946-1951), Gilbert Nasse succéda à Stéphane Ferry* à la présidence de l’UNCM lors de son VIe congrès (7-8 juin 1947). Il devait conserver cette responsabilité pendant plus de vingt-trois ans, jusqu’en 1970.

Sa première tâche consista à faire admettre par le gouvernement la représentativité de l’UNCM. Après de nombreuses démarches auprès notamment du président du Conseil, Robert Schuman, l’UNCM obtint un siège au sein des conseils d’administration d’EDF et GDF (décembre 1947) et fut autorisée à présenter des candidats dans les organismes statutaires pour représenter les cadres (janvier 1948) et les agents de maîtrise (juin 1950). Responsable d’une organisation désormais reconnue, Gilbert Nasse s’intéressa alors plus particulièrement à la question des salaires.

Compte tenu de la forte croissance de l’économie, les augmentations étaient alors décidées coup par coup, souvent à la suite de mouvements de protestation. Déplorant l’absence de tout système de régulation permettant une évolution maîtrisée des rémunérations en dehors de toute discussion, Gilbert Nasse invita l’encadrement à participer à la plupart de ces mouvements. Lors d’un conflit survenu en mars 1950 sur les salaires, il proposa de reprendre une formule imaginée par le président du conseil d’administration de Gaz de France, M. Le Guellec, consistant à instaurer une prime de productivité, calculée en fonction des résultats des deux entreprises, EDF et GDF. Le gouvernement retint l’idée. Le principe d’une révision de la grille des rémunérations ayant été par ailleurs obtenu, un accord fut signé par la CGT, la CGT-Force ouvrière et l’UNCM qui mit fin à la plus longue grève de l’histoire de l’EDF (dix-sept jours). Par la suite, Gilbert Nasse développa l’idée de « rendre le salaire de base flottant en ajoutant au salaire de base officiel, considéré comme la base du salaire de base, une partie variable en fonction du développement de l’efficience au sein de l’EDF ».

En octobre 1957, les quatre fédérations syndicales représentatives du personnel d’EDF-GDF décidèrent d’un nouveau mouvement avec, pour la première fois, un mot d’ordre général de coupure. Malgré les dispositions de sécurité prises alors, un bébé mourut dans une couveuse. Devant l’émotion générale, Gilbert Nasse dut justifier la participation de l’encadrement à la grève et les mesures adoptées pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Il fut mis en cause devant le comité directeur de la Confédération générale des cadres (CGC). Au sortir de la réunion, le président André Malterre publia un communiqué de soutien. En 1958, après la disparition de Jean Ducros, Gilbert Nasse rejoignit la nouvelle équipe confédérale au poste de secrétaire général ce qui renforça son poids et lui permit sans doute de faire avancer le principe d’une nouvelle réforme de la grille des rémunérations, réforme qui fut adoptée par convention signée le 7 janvier 1960 par l’ensemble des fédérations syndicales.

Devenu commissaire général au Plan, Pierre Masse qui avait été directeur général d’EDF le proposa à la présidence de la commission de la productivité du Ve Plan. Très attaché au rôle de la planification qui, selon lui, devait permettre d’organiser une meilleure répartition de la richesse, Gilbert Nasse suggéra de lier contractuellement la progression de la masse salariale des entreprises publiques au progrès économique conformément aux indications générales du Plan, corrigé en fonction de son degré de réalisation, et partager le supplément annuel de richesse réelle en favorisant une croissance plus rapide des bas salaires.

En 1965, il fit adopter par le congrès de l’UNCM un document relatif à une « nouvelle politique salariale » fondée sur ces principes. L’année suivante, sous son impulsion, les fédérations CFDT, FO et UNCM présentèrent un projet commun tendant à faire évoluer contractuellement le salaire à partir de deux termes : un réajustement annuel de l’ensemble des rémunérations, donc hiérarchisé, pour tenir compte de l’augmentation du coût de la vie ; un partage également annuel des fruits de l’expansion qui privilégiait les bas revenus. C’est ce que l’on appela « le salaire de progrès ». Le journal Combat y vit un projet révolutionnaire mais la CGT le condamna : « Dans notre lutte pour l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs, il ne s’agit point d’y aboutir fondamentalement en modifiant la répartition des revenus entre des catégories de salariés mais bien en modifiant la répartition du revenu national entre le travail et le capital. »

Les idées avancées n’en firent pas moins leur chemin. En novembre 1969, une nouvelle grève sur les salaires qui amena à procéder à des interruptions de fourniture en période de grands froids fut interrompue sous la pression de l’opinion publique. Avec le soutien du premier ministre Jacques Chaban-Delmas conseillé par Jacques Delors, la direction d’EDF proposa une convention liant l’évolution de la masse salariale aux performances de l’économie française avec un intéressement aux gains de productivité réalisés par l’entreprise, l’ensemble devant être géré « dans la perspective d’une évolution plus rapide pour les catégories les plus défavorisées ». Cette convention qui impliquait « tant qu’elle n’avait pas été dénoncée, l’absence de conflits portant sur son objet » fut signée le 10 décembre par la CFDT, FO, l’UNCM et la CFTC. La CGT obtint par la suite qu’une garantie minimale d’augmentation fut insérée et adhéra aux avenants qui lui furent apportés. Première illustration des « contrats de progrès » souhaités par le gouvernement de l’époque, cette convention permit d’instaurer la paix sociale dans l’entreprise jusqu’à ce que la crise économique, survenue au lendemain de la guerre israélo-arabe, vienne casser la croissance. En 1976, à l’instigation du Premier ministre Raymond Barre, la convention fut dénoncée au motif que l’économie française ne pouvait plus accorder d’augmentation du pouvoir d’achat si l’inflation excédait 10 %.

Entre-temps, l’UNCM avait quitté la CGC. Depuis le début des années soixante, de profonds désaccords opposaient Gilbert Nasse et le président André Malterre, regrettant que celui-ci ne s’intéresse qu’à la défense des intérêts matériels des cadres, stigmatisant son « conservatisme crispé sur la défense du triptyque hiérarchie des salaires, retraite, fiscalité, ses positions trop proches de celles du patronat, son manque de projet d’ensemble de la société » (G. Benguigui, D. Monjardet, « La CGC », in 1968-1982... op. cit., p. 127), dénonçant par ailleurs une « mise à l’index officieuse mais efficace », Gilbert Nasse démissionna en mai 1966 de son poste de secrétaire général de la CGC. Les propositions pour l’instauration d’un « salaire de progrès » avivèrent encore le différend, André Malterre s’opposant violemment à ce qui lui paraissait devoir conduire à un « écrasement systématique de la hiérarchie ». En 1967, lors du renouvellement du bureau, Gilbert Nasse se présenta contre le président sortant, sans succès. En juin 1969, à la suite de l’exclusion du syndicat des cadres de l’industrie du pétrole (SCIP), l’UNCM décida de quitter la CGC : les deux organisations fondèrent alors en novembre 1969 l’Union des cadres techniciens (UCT) présidée par Gilbert Nasse qui laissa alors la présidence de l’UNCM à André Ciber*.

Sous son impulsion, l’UCT développa un corps de doctrine reposant sur le concept de « syndicalisme évolutionnaire ». Il préconisait notamment l’obligation de reconnaître pour chaque salarié un droit de cité dans l’entreprise qui lui permette tout à la fois d’être associé aux décisions mais aussi de percevoir sa part dans la création des richesses grâce à l’instauration d’un partage des accroissements d’actifs autofinancés. Ce dernier thème était repris des réflexions menées par le mouvement pancapitaliste de Marcel Loichot qui avait très directement inspiré les théories gaullistes sur la participation et auquel Gilbert Nasse avait fait adhérer l’UNCM.

Créée sous le regard bienveillant de Jacques Chaban-Delmas, l’UCT fut rejointe par un syndicat autonome du Livre et fut implantée dans la Fonction publique, le Commerce et la Métallurgie. Mais elle ne put obtenir la représentativité et la crise du syndicalisme qui commençait à faire ses effets l’affaiblit. Un temps, elle envisagea de fusionner avec Force ouvrière et des pourparlers furent engagés avec Gabriel Marlex de la Fédération des Impôts. Le souci de certains membres de l’UCT d’éviter un renforcement de cette centrale face à la CFDT et l’inquiétude éprouvée par les cadres FO à la perspective de voir une organisation aussi bien structurée sur le plan doctrinal les rejoindre, firent avorter le projet. A. Malterre ayant quitté la présidence de la CGC, le retour dans la confédération d’origine put être envisagé. Gilbert Nasse s’effaça pour le faciliter. Après plus de quatre ans de négociations, favorisées par Paul Marchielli, la réunification devint effective le 1er janvier 1980.

Retiré près d’Orsay, Gilbert Nasse continua à apporter son soutien à l’éducation d’enfants immigrés, ce qu’il avait fait toute sa vie en sus de ses nombreuses activités. Il avait été fait Chevalier de l’Ordre national du Mérite le 24 juin 1964 puis officier le 13 décembre 1972. Il avait également été décoré de la Légion d’honneur le 28 avril 1967.

Gilbert Nasse s’était marié à Dieppe le 8 août 1933 avec Ève Quedru.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147582, notice NASSE Gilbert, Marie, François par Jean-Philippe Papin, version mise en ligne le 1er juillet 2013, dernière modification le 23 janvier 2019.

Par Jean-Philippe Papin

Gilbert Nasse en 1946

SOURCES : Bulletin de quinzaine, 1947-1960. Présence Énergie, 1966-1994. — Objectifs UCT, octobre 1976. — Bulletin SNIER, n° 5, 1991. — M. Loichot, La réforme pancapitaliste, Paris, R. Laffont, 1966. — G. Groux, Le syndicalisme des cadres en France, 1963-1984, thèse, 1986. — B. Vivier, « Les organisation syndicales », in Liaisons sociales, n° sp., 19 novembre 1992. — C. Cambus, « Une doctrine originale pour le renouveau de l’UCT », in Les Cahiers de l’UCT, XII, 1977. — G. Benguigui, D. Monjardet, « La CGC », in M. Kesselman et G. Groux (dir.), 1968-1982 : le mouvement ouvrier français, crise économique et changement politique, Paris, Les Éditions ouvrières, 1984. — Témoignages d’André Blaizot, Claude Cambus et Gérard Donnadieu.

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