GARRAUD Georges [dit Aristide Valadier] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Laurent Gallet

Né à Perpignan le 30 juin 1846 ; indicateur de police ; membre de la Fédération révolutionnaire lyonnaise.

Lors de la réunion du 31 juillet 1882, la Fédération révolutionnaire lyonnaise et son journal furent réorganisés et la nouvelle commission se subdivisa en trois sous-commissions. La première, sous-commission de correspondance et de propagande, fut occupée par Crestin*, Georges Fabre* et Trenta* jeune. La deuxième, sous-commission de finances et contrôle, par Trenta* aîné, Genoux et Cottaz*. Enfin, la troisième, la sous-commission de rédaction, par Bordat*, Damians* et Valadier. Le 7 août 1882, lors d’une réunion générale des groupes anarchistes, Crestin donna sa démission de la commission exécutive et de la fédération afin de protester contre Valadier, accusé d’être un indicateur de la police. Toutefois, Valadier garda de nombreux partisans qui considérèrent ces déclarations comme calomnieuses.

Les soupçons qui pesèrent sur Valadier furent encore attisés par une campagne de presse qui commença à la mi-octobre. Plusieurs articles parus dans la presse quotidienne révélèrent un passé et des pratiques équivoques que résuma l’hebdomadaire bonapartiste La Comédie politique le 21 janvier 1883. Dans un article occupant plus du quart du journal, Abel Ducange relata les frasques successives de Valadier :

Le 25 août 1877, ce dernier, alors rédacteur de la Jeune République de Marseille, s’estima outragé par un article publié dans le Peuple de la veille, dans lequel il était fait mention de chantage auprès du curé de Saint-Charles et d’un liquoriste fait par un « journaliste sans scrupule ». Une enquête faite par des représentants des deux journaux concluant à la véracité des faits, Valadier pria le directeur du journal de ne rien publier à ce propos en faisant valoir « la situation de famille, profondément douloureuse, qui [lui] est faite par la maladie de [s]a fille ». Ce qui n’empêcha pas son renvoi de la Jeune République le lendemain. Puis, second acte de la pièce jouée par l’indicateur, le 16 décembre 1878 se présenta aux bureaux de la Comédie politique un ex-rédacteur au Grand lyonnais, éphémère journal radical lyonnais, qui se dit dégoûté du républicanisme et déposa un article en vue d’être engagé. Au sortir du bureau du directeur, celui-ci reçut une lettre, signée Valadier, dans laquelle il se déclarait dans une grande gêne, n’ayant pas mangé depuis 32 heures et devant 30 francs à sa propriétaire, ce qui décida Ponet à l’engager. En réalité, selon A. Ducange, Valadier était un espion payé par la police pour surveiller les agissements de Ponet. Enfin, troisième acte au cours duquel Valadier se mit à assister aux prières, à conduire les enterrements, puis démarcha le clergé en vue de la fondation d’un journal catholique. Les ecclésiastiques, après avoir pris des renseignements sur son passé, décidèrent de faire marche arrière.

Valadier intègra donc la Fédération révolutionnaire lyonnaise et son journal, « pendant un très court espace de temps » à l’estimation d’Émile Gautier* (Le Courrier de Lyon, 22-10-1882), qui assure que « aussitôt éclairé sur son compte, les rédacteurs de l’Etendard révolutionnaire se sont privés de sa collaboration ». Pendant la réorganisation de la Fédération et de son journal en juillet, Valadier écrivit une lettre, publiée par Le Progrès du 22 octobre. Adressée au député du Rhône Varambon, son auteur, prétextant « de grands malheurs de famille », sollicita une aide de 500 francs en échange de renseignements qu’il pourrait fournir. Effectivement, continuait-il, « les circonstances ont fait de moi l’un des principaux rédacteurs d’une feuille hebdomadaire qui ne vous est point inconnue : le Droit social, organe anarchiste révolutionnaire. Il me serait facile de vous tenir, vous PERSONNELLEMENT, monsieur le député, au courant, de la façon la plus minutieuse, de tout ce qui, dans ce journal, aurait lieu de vous intéresser à quelque titre que ce fût ».

Lors du procès des 66, le rôle de Valadier fut encore évoqué. Il fut notamment dénoncé par Péjot*, Bardoux*, Bernard* et surtout Bordat*. Le 13 janvier 1883, dans sa défense, ce dernier affirma que Valadier avait été « arrêté, relâché, et expédié à Genève pour y continuer sa besogne ». Devant les protestations du procureur, Bordat prit la peine d’ajouter que « plusieurs des prévenus ont vu procéder à l’arrestation de Valadier en fiacre, et des femmes de nos amis l’ont rencontré entre le 5 et le 9 décembre, sortant de la prison St-Paul, à dix heures du matin. A ce moment, M. Rigaud [sic] était dans son cabinet d’instruction, à la prison ; Valadier dit à ces femmes, avec un air embarrassé : « Je suis en liberté provisoire ». Le 17 janvier, le Petit lyonnais confirma : « Nous maintenons absolument ce que nous avons dit, à savoir : Que six agents, dont trois sont connus, et qu’il est par conséquent facile d’interroger, se sont rendus au domicile de la maîtresse de Valadier, situé à l’angle des rues Masséna et de Sèze. Valadier s’y trouvait et a été invité par les agents à les suivre. On a fait venir une voiture de place, et Valadier est monté dedans en compagnie de trois agents. La voiture s’est rendue au Palais de Justice. S’il n’a jamais été question d’arrêter Valadier, que faisaient ces agents à la porte de son domicile ? Une perquisition, nous dira-t-on ; mais pourquoi, la perquisition étant finie, Valadier a-t-il été conduit au Palais de Justice ? Comment se fait-il, enfin, qu’il ait été rencontré sortant de la prison Saint-Paul par la femme d’un détenu, qui a même déclaré lui avoir parlé ! »

Bordat, à l’appui de ses affirmations, voulut produire des documents qu’il ne fut pas autorisé à exhiber. Dans ces lettres, qu’il livra alors à la presse, un anonyme « petit employé » conseillait la prudence à Bordat car « un de ces jours, ou plutôt une de ces nuits, il va y avoir une levée en masse et vous serez certainement un des premiers ». Une autre missive expédiée à Mme Bordat lui apprit que « le monstre Garraud [dit Valadier], ayant fini sa triste besogne, vient d’être envoyé à Genève par Perraudin, avec une somme assez ronde. Je ne comprends pas que vos amis ne lui aient pas déjà fait piquer une tête dans le lac ; car il épie tous leurs mouvements, et aussitôt qu’un d’eux hasarde de mettre le pied sur le territoire, un rapport arrive aussitôt, et pour le faire arrêter, les faits et gestes qu’il peut saisir de leur part sont immédiatement expédiés à Perraudin ».

En mars 1883, Valadier était bien en Suisse. À Neuchâtel, il tenta de fonder un journal, L’International franco-suisse, et recherchait un commanditaire pour la somme de 3000 francs (Feuille d’avis de Neuchâtel, 8 mars 1883). L’opération fut probablement un échec puisqu’il alla s’intaller à Enge (canton de Zurich) au cours de ce même mois avant de se rendre à Zurich en novembre où il dît être correspondant de journaux.

En décembre 1887, son nom fut cité au cours de l’enquête concernant deux agents secrets de la police allemande opérant en Suisse : Carl Schröder et Christian Haupt. Jean Grave*, bien informé, le dénonça aux compagnons de Zurich (La Révolte du 17 au 23 mars 1888).

Antoine Cyvoct* accusa Valadier d’être mêlé à l’attentat commis à L’Assommoir en octobre 1882. Tout d’abord, il le rendit responsable de l’article « Un bouge » paru dans Le Droit social le 12 mars 1882 et qui fut cité comme élément à charge lors du procès de Cyvoct.

Cyvoct écrivit, dès 1884 dans L’Alarme (11 mai 1884), que Valadier était l’auteur de l’article en question. Beaucoup plus tard, ce fut Bordat qui se souvint de son ancien ami. Il écrivit à Sébastien Faure* une lettre, publiée dans son journal : « l’auteur de cet article que j’ai moi-même donné à la composition était Damians fils, demeurant alors rue Tolozan, à Lyon, et qui fut plus tard compris dans le fameux procès de l’Internationale et qui, grâce à sa lâcheté ne fut condamné qu’à six mois (je ne sais pas même s’il les a faits ; je crois que non) » (Le Libertaire, 21 au 28-12-1895). Deux ans plus tard, ce fut au tour de l’ancien gérant du Droit social, Bonthoux, d’adresser une lettre au journaliste Henry Leyret, de L’Aurore, par laquelle il confirma lui aussi l’innocence de Cyvoct dans la rédaction de cet article. Bonthoux assura que Cyvoct « n’est pas l’auteur de l’article dont on lui a donné et fait subir la condamnation [...] L’auteur, le véritable auteur de l’article, était un nommé D..., tisseur, alors apprenti dans l’imprimerie où se publiait le Droit social » (L’Aurore, 02-01-1898). Damians lui-même se manifesta par une lettre datée du 31 octobre 1902 par laquelle il déclara reconnaître « être le signataire de l’article intitulé "Un bouge" paru dans le Droit social il y a une vingtaine d’années. Je dis intentionnellement le signataire, car en toute franchise, l’auteur véritable est ce monsieur Valadier qui joua un si vilain rôle dans toute cette affaire. En effet, cet article insignifiant, de nulle portée, m’a été suggéré à moi, naïf et inexpérimenté, par ce dernier dans un but que je ne comprenais pas d’abord et que j’ai trop deviné depuis ».

Ensuite, Cyvoct suggéra que Valadier put être le commanditaire de l’attentat. il n’avança qu’une vague suspicion reposant sur l’image qu’il s’était forgé de Valadier, homme trouble émargeant au budget de la police : « Je ne suis allé qu’une fois chez Valadier, raconte Cyvoct, et j’y ai rencontré certaines figures suspectes, qui me firent songer bien malgré moi à ces braves gens qui assomment un homme pour une pièce de cent sous. Je me suis demandé souvent plus tard quel genre de relations un bohème de lettres pouvait avoir avec de pareils individus » (L’Alarme, 25 mai 1884).

Il apparaît certain qu’un individu fut payé par le commissaire spécial Perraudin pour suivre les agissements des anarchistes et de Cyvoct en particulier. Lors du procès de ce dernier en décembre 1883, il déclara avoir appris que Cyvoct avait bien été vu à Lyon le jour du double attentat. Sur l’interpellation de Cyvoct qui lui demanda de nommer son informateur, le commissaire Perraudin se retrancha derrière un argument spécieux : « Je ne puis, affirme-t-il, lié que je suis par un secret professionnel », ce à quoi répondit justement Me Laguerre que les commissaires n’avaient pas de secret professionnel à respecter. Le président Bertrand, plutôt que de chercher la vérité, laissa planer la terrible suspicion et déclara l’incident clos.

L’état des dépenses faites pour les besoins du service du commissariat spécial près la préfecture du Rhône, autrement dit par Perraudin, fait apparaître de nombreuses mentions obscures. En effet, à côté des dépenses attribuées nommément aux agents du service de police pour divers menus frais de déplacement, de surveillance spéciale, etc, on relève mensuellement qu’entre un quart et la moitié de ces dépenses totales furent affectées de manière anonyme pour « indications ». À la suite du double attentat du 22 octobre et de l’enquête devant aboutir au procès monstre des 66, le montant de ces dépenses sans attribution explicite connut une inflation que l’on peut attribuer à la répression des anarchistes. Il apparaît également que les 16 francs payés le 8 octobre « pour transport et investigations à Tenay » n’eurent d’autre raison que la conférence que Cyvoct devait faire dans cette ville le 5 du même mois.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155891, notice GARRAUD Georges [dit Aristide Valadier] [Dictionnaire des anarchistes] par Laurent Gallet, version mise en ligne le 21 mars 2014, dernière modification le 20 août 2017.

Par Laurent Gallet

SOURCES : Arch. Dép. Rhône, 4M74, 4M 307, 4M318. — Arch. Fédérales suisses E21_8034, E21_6476 — Arch. Nat. BB18 6262 — J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste en France, op. cit. — M. Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon, 1880-1894, DES, Lyon 1954. — Le procès des anarchistes devant la police correctionnelle et la cour d’appel de Lyon, Lyon, 1883.

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