BARBU Marcel

Par Gilles Vergnon

Né le 17 octobre 1907 à Nanterre (Seine, Hauts-de-Seine), mort le 7 novembre 1984 à Paris ; ouvrier, fondateur de la communauté de travail Boimondau à Valence (Drôme), puis d’autres communautés ; résistant ; député de la Drôme à l’Assemblée constituante (mars-juin 1946) ; candidat aux élections présidentielles de décembre 1965.

Issu de milieu modeste, abandonné par ses parents, Marcel Barbu fut élevé à l’orphelinat d’Élancourt, puis au petit séminaire de Versailles (Seine-et-Oise). D’abord apprenti bijoutier, puis ouvrier, il créa en 1930 avec son épouse une première entreprise de boîtiers de montres à Saint-Leu-la-Forêt (Seine-et-Oise), qu’il transféra ensuite à Besançon (Doubs) en 1936, après un accord avec l’industriel Fred Lip qui devint son principal client. Il y fabriqua les premiers boîtiers étanches produits en France.

Expulsé de Besançon en septembre 1940 et replié à Valence, où il retrouva l’industriel bisontin, Marcel Barbu relança son activité à partir de mars 1941 en embauchant des apprentis outilleurs de la cartoucherie. Il transforma progressivement son entreprise en communauté de travail. Les 130 ouvriers de la « Communauté Barbu » élisaient leur chef et un conseil général, la rémunération de chacun étant calculée sur le produit global du travail et variable selon l’activité professionnelle et sociale. Ainsi, en cas de maladie, chaque membre continuait à recevoir sa part, complète s’il « se soigne bien », réduite s’il « se soigne mal ». La communauté, où chacun devait exercer une activité « socialement utile » (chorale, bibliothèque, éducation civique...) était alors divisée en quatre groupes : catholiques, protestants, humanistes et rationalistes. Adhérent aux Compagnons de France, participant à l’automne 1942 à des « stages » de l’École des cadres d’Uriage, Marcel Barbu refusa de fournir du personnel pour la « relève », et fut interné par décret du préfet de la Drôme du 1er novembre 1942 à Fort-Barreaux (Isère), puis à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). C’est là qu’il rencontra Marcel Mermoz, militant communiste, qu’il décida à rejoindre la communauté. Passé à la clandestinité en février 1943, il s’installa au pied du Vercors, sur la montagne de Combovin, à la ferme de Mourras, qu’il avait acquise, où la communauté continua de fonctionner, tout en hébergeant le maquis « Wap » dans ses baraquements. Il fut arrêté le 14 avril 1944 avec 18 autres personnes dont Louis Bouvet et sa femme Denise, Pierre Goudard et Madeleine Launay, dans les locaux de l’Association La Chaine, 68 Rue Jean-Jacques Rousseau à Paris. Après avoir fait donation en décembre 1943 de l’entreprise à ses compagnons, Marcel Barbu fut déporté à Buchenwald.

À son retour, en mai 1945, il reprit ses fonctions de chef de la communauté, devenue communauté Boimondau (Boîtiers de montres du Dauphiné) et se présenta aux élections constituantes du 21 octobre 1945 en deuxième position sur la « liste indépendante d’action et de réalisation républicaines » conduite par le maire de Romans, Paul Deval, où figuraient aussi les maires de Montélimar, Raymond Crozier et de Nyons, Jean Chaix*. La profession de foi de la liste, qui disait se situer « à l’extrême gauche » et considérer le programme du CNR comme un « minimum », accordait une large place à « l’expérience Barbu », qui illustrait à leurs yeux la socialisation et la « primauté du travail sur le capital ». La liste obtint 26 603 voix, soit 21 % des suffrages exprimés et l’élection de Paul Deval à l’assemblée constituante. Après la démission de celui-ci en avril 1946, Marcel Barbu le remplaça à la chambre. Mal à l’aise dans une assemblée qu’il qualifiait de « maison de fous », il déposa cependant trois propositions de loi visant à donner un statut juridique aux communautés de travail, à créer un Conseil national communautaire et à ouvrir la possibilité de transformer des entreprises existantes en communautés de travail. Il intervint trois fois dans les débats : il s’inquiéta des lenteurs de la reconstruction et des conséquences pour l’emploi dans son département ; il prit position, le 15 mars 1946, sur la déclaration des droits figurant en tête de la constitution, en critiquant les amendements du MRP sur l’enseignement libre, en se revendiquant comme catholique il affirmait que l’éducation religieuse passait par la famille et non par l’école ; sur la nationalisation du gaz, il souhaite que les travailleurs soient associés à la gestion de l’entreprise. Barbu ne se présenta pas à l’élection de la deuxième assemblée nationale constituante. S’il se lia avec le député et dirigeant communiste Marcel Paul*, ancien de Buchenwald, il resta hostile aux communistes dont il dénonça « la volonté de destruction et la puissance de haine ».

Après un conflit avec Marcel Mermoz, Barbu quitta Boimondau et créa en juin 1946 une nouvelle communauté, la cité horlogère ou communauté « Donguy-Herrmann », du nom de ses compagnons morts en déportation. Après l’échec de celle-ci, il quitta Valence en septembre 1949 et s’installa à Annemasse (Haute-Savoie), puis en 1954 à Sannois (futur Val-d’Oise). Le Rassemblement communautaire français publia les journaux Communauté (1946) et La Commune (1955). Il créa l’association pour la construction et la gestion immobilière de Sannois (ACGIS), pour la construction de logements sociaux, qui regroupa plusieurs milliers d’habitants (8 000 à ses dires) au début des années soixante, et un journal, La Commune de Sannois, à partir de 1955. Il s’agissait, dans la lignée des précédentes tentatives, de favoriser l’accès à la propriété pavillonnaire mais en l’associant à une activité civique dans la commune. L’AGCIS soutint ainsi une liste aux élections municipales de mars 1959.

Le 9 novembre 1965, il annonça sa candidature aux élections présidentielles pour « réintégrer les citoyens dans la nation » et dénoncer, à partir de l’exemple de Sannois, « l’inertie administrative ». Se déclarant « sphérique d’opinion », mais toujours attaché au programme du CNR, il suscita par sa posture de « français moyen », ses formules (« ... le candidat des chiens battus », « Françaises, Français, mes amis, mes frères, mes copains », etc...) et les menaces dont il assurait être la victime, la sympathie amusée d’une partie de la presse et de l’opinion. Il obtint à l’issue du premier tour 277 652 voix, soit 1,15 % des suffrages exprimés et appela finalement à voter François Mitterrand* au second tour, déclarant préférer « la pagaille des partis » à « l’ordre du général de Gaulle ». Il tenta de continuer son action politique les années suivantes, convoquant ses amis et ses électeurs à une « réunion privée » le 4 mars 1966, à la Mutualité, en compagnie de Marcel Mermoz, se présentant à nouveau aux élections législatives le 5 mars 1967, dans le VIIe arrondissement de Paris contre Maurice Couve de Murville. Il obtint alors 768 voix.

Chrétien fervent, père de quinze enfants, Marcel Barbu était persuadé que les communautés de travail permettraient d’en finir avec les antagonismes sociaux et d’assurer l’épanouissement des ouvriers. Il parlait de « supprimer le capitalisme en supprimant le prolétariat ». À Marcel Mermoz qui lui demandait en 1942 s’il avait lu les utopistes, Saint-Simon ou Fourier, il rétorquait qu’il avait trouvé ses idées dans les Évangiles. Un mémorial en son honneur a été érigé par souscription publique dans la commune de Sannois et une rue de Valence, inaugurée le 19 octobre 1991, porte son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15677, notice BARBU Marcel par Gilles Vergnon, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Gilles Vergnon

SOURCES : Médiathèque municipale de Valence, fonds Boimondau. — Arch. Dép. de la Drôme. — Service historique de la Défense à Caen — Le Monde, novembre-décembre 1965. — « La communauté de travail Boimondau et la cité horlogère », Lettre du fonds local de la médiathèque municipale de Valence, 9, mars 1989. — Bernard Comte, Une Utopie combattante. L’École des Cadres d’Uriage. 1940-1942, Paris, Fayard, 1991. — André Didier, notice biographique de Marcel Barbu pour le « Dictionnaire des parlementaires drômois », Cahiers Marius Moutet, 4, 2002. — Patrick Martin, La Résistance dans le département de la Drôme 1940-1944, thèse, 2 volumes, Université Paris IV, 2001. — Marcel Mermoz, L’autogestion, c’est pas de la tarte ! Entretiens avec Jean-Marie Domenach, Paris, Seuil, 1978. — Pierre Picut, La communauté Boimondeau, un modèle d’éducation permanente. Une décennie d’expérimentation 1941-1951, thèse, 2 volumes, Université Lumière Lyon 2, 1991. — Dictionnaire des parlementaires français, 1940-1958, tome II, La Documentation française, 1992, p. 248-249. — Notes de Nicolas Fasseur. — Notice rédigée par Bernard Comte dans Geneviève Poujol et Madeleine Romer, Dictionnaire biographique des militants XIXe-XXe siècles. De l’éducation populaire à l’action culturelle, L’Harmattan, 1996. — Notes Michel Chaudy.

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