BARREAU Henri, Louis, Yves, Marie

Par Nathalie Viet-Depaule

Né le 26 septembre 1912 à Saint-André-de-la-Marche (Maine-et-Loire), mort le 17 novembre 1997 à Villejuif (Val-de-Marne) ; prêtre-ouvrier ; membre du secrétariat de l’Union des syndicats de travailleurs de la métallurgie de la Seine (USTM) en 1951.

Fils de Henri-Auguste Barreau et de Marie Leton, tous deux ouvriers en chaussures, Henri Barreau fut lui aussi, dès 1925, ouvrier en chaussures dans la même usine que son père qui avait adhéré à la CGT et assumait les fonctions de secrétaire au syndicat de la chaussure. En 1929, et bien que son père réprouvât son choix, il décida d’entrer, avec le désir d’être missionnaire, au petit séminaire de Beaupréau (Vendée). Mobilisé en 1939 alors qu’il était encore au grand séminaire d’Angers, il fut ordonné prêtre au cours d’une permission, en 1940. Fait prisonnier dans les Ardennes, il fut envoyé en Allemagne où les conditions de vie du stalag XI B contre lesquelles il se rebella le conduisirent à faire partie d’un commando disciplinaire puis à réclamer le statut de travailleur libre. C’est là, dans la région de Hanovre, qu’il comprit son attachement au monde ouvrier : « À ce moment, j’ai réalisé ce que c’était la solidarité de la classe ouvrière, avec ses conditions de vie, l’exploitation dont elle est victime. [...] c’est cela qui déclencha en moi l’idée de revenir à la classe ouvrière et au travail. Ce fut un retour de conscience ouvrière et de sentiment religieux étroitement mêlés. » Une fois libéré, après quinze jours passés dans sa famille, il proposa à la Croix-Rouge de l’intégrer comme aumônier à l’hôpital de Mannheim. À son retour, en octobre 1945, il entama sa dernière année d’études au séminaire des Missions étrangères, mais n’y trouva pas ce qu’il cherchait. Le soir de Noël, il quitta la rue du Bac et décida de passer quelques semaines au séminaire de la Mission de France, à Lisieux. C’est là qu’il décida de devenir prêtre-ouvrier. Il s’y engagea sans esprit de retour : « J’engage ma vie et j’offre tout ce que je suis, tout ce que vous m’avez donné d’être pour devenir et être en vérité ouvrier autant que prêtre parmi les ouvriers, comme vous avez été Homme-Dieu parmi les hommes. »
Affecté à la Mission de Paris que le cardinal Suhard, archevêque de Paris, avait créée en juillet 1943, il fut embauché, en 1946, à la Compagnie des compteurs de Montrouge comme mouleur. Manquant de force et d’expérience, il dut se contenter d’un poste d’ébarbeur. Promu noyauteur, il fut accueilli à l’atelier des noyaux par Roger Scordia, délégué CGT du personnel et du comité d’entreprise, membre du Parti communiste, qui, d’emblée, lui dit : « Si tu viens ici pour faire du mal, tu ne feras pas le poids, la classe ouvrière en a vu d’autres. Si tu es sincère, sois le bienvenu, tu ne seras pas de trop. » Ce fut le début d’une longue amitié. Henri Barreau adhéra à la CGT et profita de la grève de 1947 pour prendre la parole et dévoiler qu’il était prêtre. Il devenait peu à peu « ouvrier parmi les ouvriers ». Rapidement délégué du personnel, il fut proposé en février 1951 au secrétariat de l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la Seine. Il accepta d’être élu après avoir obtenu l’autorisation du cardinal Feltin qui avait succédé en 1949 au cardinal Suhard.

Henri Barreau vivait alors comme beaucoup de jeunes ouvriers célibataires de la région parisienne. Il logeait dans une chambre d’hôtel meublée, dénuée de confort, et avait abandonné le port de la soutane. Il faisait équipe avec deux autres prêtres de la Mission de Paris, François Laporte et Jean Desailly* et des jeunes filles de la Mission de France féminine rassemblées autour d’Émilienne Josset* dont le choix de vie était le même que celui des prêtres-ouvriers : elles avaient décidé, elles aussi, d’« être des ouvrières parmi les ouvrières ». Ils se réunissaient les uns chez les autres, à Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne), au Kremlin-Bicêtre (Seine, Val-de-Marne), à Gentilly (Seine, Val-de-Marne) ou encore à Malakoff (Seine, Hauts-de-Seine) pour la messe et militaient ensemble au Mouvement de la paix. En même temps, Henri Barreau participait activement à la vie de la Mission de Paris. Ayant compris dès 1950 que sa vie sacerdotale qui se voulait avant tout un témoignage de présence ne faisait pas l’unanimité - même s’il entretenait d’excellentes relations avec l’archevêque de Paris ou avec le supérieur de la Mission de Paris -, il savait que Rome, mais aussi certains catholiques n’acceptaient pas que l’on puisse être à la fois prêtre et ouvrier. Sa forte personnalité et la position qu’il occupait à la CGT l’amenèrent à occuper une position de leader au sein de l’équipe nationale des prêtres-ouvriers. Il défendait l’idée qu’il fallait non seulement ne pas céder aux menaces de Rome, mais qu’il était nécessaire de montrer que les prêtres-ouvriers représentaient une autre façon d’être prêtres : « Il nous faut “jouer” le jeu avec plus de clairvoyance que jamais, ou bien nous serons les derniers représentants d’une humanité révolue ou bien les témoins d’une nouvelle génération de chrétiens. » C’est pourquoi lorsque la Hiérarchie lui signifia que l’expérience des prêtres-ouvriers devait se terminer le 1er mars 1954 il choisit de passer outre et demanda à Mgr Feltin d’être suspens a divinis pour avoir refusé d’obéir aux injonctions romaines et par amour pour Marie Doreau*.

Il poursuivit une carrière militante à la CGT jusqu’à sa retraite en 1975. Il fut élu au comité exécutif de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT) lors de ses XIXe et XXe congrès (Paris, 27 nov.-1er déc. 1954 ; Nantes, 24-28 nov. 1956) où il exerça différentes responsabilités. Membre du Parti communiste depuis 1957, on lui confia ensuite le soin d’enseigner l’histoire de mouvement ouvrier. En 1966, il retourna à la direction de la Fédération des métaux du Val-de-Marne où il coopéra avec Bernard Jourd’hui*. Ils eurent ensemble à endurer des reproches pour être allés à l’encontre des consignes de la Fédération du PCF en 1968 lorsque les travailleurs des entreprises n’avaient pas voulu s’y conformer. Henri Barreau préféra en 1970 quitter le Parti communiste. Il avait dû à Henri Krasucki* de pouvoir devenir rédacteur à la Vie ouvrière à partir de 1969.

Durant sa retraite, il fit paraître, en 1976, avec la Fédération des Métaux l’Histoire inachevée de la convention collective de la Métallurgie, et en 1987, il écrivit avec Jacques Gacon, Jacques Varin et Marie Barreau Voyage au cœur d’une entreprise. Il écrivit également de nombreux poèmes et une autobiographie inédite, Nu comme un ver.

Henri Barreau s’était marié à Malakoff le 24 août 1957 avec Marie Doreau* qui, comme lui, avait décidé de devenir ouvrière, au nom de ses convictions religieuses. Elle avait, elle aussi, travaillé aux Compteurs de Montrouge et s’était engagée au sein du mouvement ouvrier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15764, notice BARREAU Henri, Louis, Yves, Marie par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 5 août 2009.

Par Nathalie Viet-Depaule

SOURCES : CAMT, Fonds Barreau. — Fonds personnel Barreau déposé au CAMT à Roubaix. — Émile Poulat, Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Le Cerf, 1999. — Jean Desailly, Prêtre-ouvrier, Mission de Paris 1946-1954, L’Harmattan, 1997. — Marta Margotti, Preti e operai, la Mission de Paris dal 1943 al 1954, Paravia Bruno Mondadori, 2000. — Sophie Barreau-Nicod, Mémoire des prêtres-ouvriers, mars 1995, film. — Marie Barreau, « Itinéraires d’Henri Barreau », La Mission de Paris. Cinq prêtres-ouvriers insoumis témoignent, Karthala, 2002. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004.

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