Par Solofo Randrianja et Alexis Roy
Né le 27 avril 1902 à Ségou (Mali), mort le 4 juillet 1944 dans le camp de Mauthausen (Autriche) ; instituteur en Côte-d’Ivoire ; militant anticolonialiste, communiste, secrétaire général de la Ligue de Défense de la Race Nègre puis de l’Union des Travailleurs Nègres.
Tiemoko Garan Kouyaté, fils de fonctionnaire « indigène », fréquenta l’école William-Ponty, à Gorée au Sénégal, et fut, de 1921 à 1923, instituteur en Côte-d’Ivoire. En 1923, il fut envoyé en France pour parfaire sa formation et s’inscrit dans une école d’Aix-en-Provence d’où il fut exclu, en 1926, pour « propagande communiste ». Il vint alors à Paris, suivit des cours à la Sorbonne et fit la connaissance de Lamine Senghor. La même année, il adhéra au Parti communiste français (PCF) et au Comité de Défense de la Race Nègre de Senghor, organisation financée par le PCF. En parallèle, Kouyaté se fit engager chez Hachette au service comptable. Il mena diverses activités professionnelles, dont celle de figurant dans des spectacles au Casino de Paris (Edwards, 2003 : 262). Il y rencontra Joséphine Baker, qu’il essaya de mobiliser pour sa cause, sans succès. Après un premier schisme, le Comité fut renommé, en 1927, Ligue de Défense de la Race Nègre (LDRN).
À la mort de Senghor en 1927, Kouyaté devint secrétaire général de la Ligue et établit un programme qui réclamait l’indépendance des colonies d’Afrique et l’instauration du socialisme. Il développa une analyse relativement inédite à cette époque, sur les classes sociales en Afrique, dressant la liste des différentes couches sociales, y compris des propriétaires blancs sur lesquelles la Ligue devait s’appuyer. Kouyaté imaginait un vaste État continental africain. Il fit partie, en 1929, avec Jomo Kenyata, James W. Ford et George Padmore, de la délégation noire au congrès anti-impérialiste de Francfort. Cette même année, il fut aussi candidat titulaire à l’élection aux conseils de discipline de la Faculté des Lettres de Paris, sur la liste de l’Union française des étudiants (UFÉ), avec Guillon de l’École normale de Saint-Cloud.
À partir de 1930, il se prononça pour une « radicalisation » encore plus profonde et proposa la création de partis communistes dans les colonies africaines. Cette année-là, un bureau « nègre », présidé par Ford et Padmore, fut créé au sein de l’Internationale communiste à Moscou, de même qu’un comité intersyndical des ouvriers noirs, l’International Trade Union Committee of Negro Workers (ITUC-NW) où Kouyaté représentait l’Afrique occidentale française et l’Afrique équatoriale française.
Au début des années 30, Kouyaté tenta d’appuyer l’organisation des dockers africains dans les ports français, en lien avec l’ITUC-NW. Il appelait les dockers à s’organiser en syndicat sur une base raciale, ce que la CGTU dénonçait au nom du danger que cette initiative représentait pour « l’unité de la classe ouvrière ». Kouyaté finit par se rétracter (Edwards, 2003 : 255-256). À l’été 1931, il fut emprisonné quelques semaines pour son implication dans une manifestation de marins africains à Marseille. Fort de cette implication dans l’organisation des travailleurs africains, il fut envoyé à Moscou par le PCF au Ve congrès mondial des syndicats. Là, il entra en contact direct avec le bureau de l’Internationale qui le chargea de faire venir à Moscou des militants noirs qui furent formés et ensuite renvoyés dans leur pays d’origine. Kouyaté était par ailleurs régulièrement pris à partie par l’extrême-droite, notamment dans le journal du riche industriel François Coty, L’Ami du peuple. Celui-ci lui consacra même une large partie de son ouvrage Contre le communisme, sauvons nos colonies ! Le péril rouge en pays noir.
En janvier 1931, la Ligue de Défense de la Race Nègre connut un schisme et son aile radicale, rassemblée autour de Kouyaté, se transforma en Union des Travailleurs Nègres. Son organe, le mensuel Le Cri des Nègres, bénéficia du soutien de Padmore, alors à Moscou. En septembre, l’Union participa à l’organisation d’une exposition anti-impérialiste pour contrebalancer l’Exposition coloniale de Vincennes dont le but était de promouvoir « la mise en valeur des colonies » selon la formule d’Albert Sarraut, ministre des Colonies. À cette époque, Ramananjato , un Malgache, seconda Kouyaté qui tenta sans succès de constituer, en juillet 1933, une Fédération des organisations des coloniaux en France. En juin 1933, il organisa une réunion en vue de créer un foyer d’étudiants ouest-africains à Paris. Parmi les personnes présentes, Léopold Sédar Senghor, leader de l’association des étudiants ouest-africains. Ce projet n’aboutit pas (Edwards, 2003 : 265).
Alors que l’Internationale communiste voyait en Kouyaté un dirigeant susceptible d’être envoyé en Afrique, le Parti communiste français l’exclut, en octobre 1933, du parti et de l’Union des Travailleurs Nègres. Un délégué de l’Internationale vint arbitrer le conflit : la stratégie frontiste envisagée par Kouyaté aux dépens de la stratégie « classe contre classe » fut, semble-t-il, pour beaucoup dans cette exclusion, mais il fut également accusé d’avoir détourné des fonds. Ramananjato lui succéda. Son exclusion fut rendue publique dans l’Humanité. On l’y accusait de ne pas avoir rendu compte de sa gestion, d’être en contact avec des ennemis du mouvement syndicaliste révolutionnaire et de ne pas avoir répondu aux demandes de justifications. Son nom et sa photographie furent publiés dans la « liste noire » n° 2 du Parti communiste de décembre 1933, expliquant qu’il fut « Chassé du parti pour attitude désagrégatrice anticommuniste et indélicatesse ».
Kouyaté fonda une nouvelle organisation en 1934, Solidarité coloniale. Dans le cadre des mobilisations contre la guerre et de l’occupation de l’Éthiopie par l’Italie fasciste, Kouyaté participa également à la fondation du « Comité de Défense d’Éthiopie », avec notamment l’Étoile Nord Africaine de Messali Hadj. Il écrivait des articles sur l’Éthiopie dans le journal de l’organisation, El Ouma, et participa avec Marcel Griaule à une tournée de conférences en région parisienne sur le même sujet (Edwards, 2003 : 298). Kouyaté continua à militer en faveur de l’indépendance des colonies et, en juillet 1936, créa le journal Africa. Celui-ci fit également de la propagande en faveur du Front populaire, qui aurait financé ses activités.
P. Durand (1986 : 186) avance que Kouyaté aurait émargé un temps au ministère des Colonies, avant la Seconde Guerre mondiale. On perd ensuite la trace de ses activités à la fin des années 30. Dewitte (1985 : 382) rapporte qu’en 1941 Kouyaté aurait été financé par les Allemands pour initier un mouvement noir collaborationniste, mais qu’il aurait utilisé cet argent pour ses propres visées politiques. Dewitte précise tout de même que la vérité sur ces allégations est difficile à établir. Plusieurs auteurs (Dewitte, 1985 ; Edwards, 2003) avancent que Kouyaté fut arrêté par les Allemands en 1942, et fusillé au Fort de Montluçon. Selon Boittin (2010 : 216), qui se base sur un rapport de la Croix Rouge, il aurait en fait été arrêté par la Gestapo en 1943 et déporté au camp de Mauthausen en Autriche le 18 septembre. Il y décéda le 4 juillet 1944 « d’insuffisance cardiaque ».
Dans les années 1980, une organisation politique clandestine malienne lui rendit hommage en se baptisant « L’Union des Luttes Tiemoko Garan Kouyaté ».
Par Solofo Randrianja et Alexis Roy
SOURCES : Arch. Nat. F7/12900 ; F7/13768, rapport du 2 décembre 1931 (Le Havre) ; F7/13129, rapport du 24 mai 1932 (Bordeaux) ; F7/13164, rapport du 16 juin 1932 ; F7/13948. — Arch. Nat. section Outre-Mer, Slottom, série III, carton 5, 24, 29, 37, 50, 53, 56, 58, III, 136. — Arch. PPo. 100, mai 1930 et 1931, 28 octobre 1932. — Le Cri des Nègres, n° 4-5, novembre-décembre 1931, n° 10-11, octobre-novembre 1932. — Ndege Sow et Papa Si, "Les organisations nègres et l’action anticolonialiste dans l’entre-deux-guerres, 1920-1940", Mémoires de Maîtrise, Paris VII, 1977-1978. — Jennifer A. Boittin, 2010, Colonial Metropolis. The urban grounds of anti-imperialism and feminism in interwar Paris, University of Nebraska Press, Lincoln & London, 352 p. — François Coty, 1931, « Contre le communisme, sauvons nos colonies ! Le péril rouge en pays noir », Grasset, Paris, 269 p. — Philippe Dewitte, 1985, Les mouvements nègres en France (1919-1939), l’Harmattan, Paris, 416 p. — Pierre Durand, 1986, Cette mystérieuse section coloniale : le PCF et les colonies, 1920-1962, Messidor, Paris, 339 p. — Brent Hayes Edwards, 2003, The Practice of Diaspora, Litterature, translation, and the rise of black internationalism, Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts and London, England, 397 p. — Notes de Étienne Arnould.