LECOULTRE Henri, Joseph, Léon

Par Alain Lecoultre

Né le 15 septembre 1919 à Châtelblanc (Doubs), mort le 9 mars 1996 à Dijon (Côte-d’Or) ; instituteur, puis directeur d’école primaire à Dijon ; secrétaire fédéral de la Libre pensée de la Côte d’Or, secrétaire général de la Fédération nationale (1972-1978), directeur de la revue L’Idée libre (1978-1996) et responsable de la rubrique littéraire du mensuel La Raison (1979 à 1996).

Henri Lecoultre était le deuxième garçon d’une famille nombreuse (treize enfants) de paysans très modestes. Son père, Boris, naquit en Suisse au Piguet-Dessus (vallée de Joux) le 1er février 1896, fils naturel de Marie-Louise Lecoultre. À la faveur de la guerre, il vint travailler en France comme berger et se maria le 20 mars 1916 à Châtelblanc avec Hélène Blondeau-Pâtissier. Boris Lecoultre fut naturalisé français le 18 janvier 1928.

Comme tous ses frères et sœurs, Henri Lecoultre ne fréquenta l’école primaire que l’hiver, car, de Pâques à la Toussaint, ils furent placés, dès six ans, comme bergers. Voilà ce qu’il écrit dans le livre Derrière le mur réalisé par les élèves du LEP de Planoise à Besançon, à l’initiative de sa fille Michèle : « Durant ces heures interminables de solitude, j’ai souvent pensé à ce que je ferais plus tard. Contre toute logique, je ne me voyais pas « rester dans la culture ». Le métier idéal me paraissait être celui de maçon. Il m’arrivait aussi de rêver d’être maître d’école ; mais c’était vraiment un rêve car, en dépit de ce que me disaient souvent mes patrons : « que je savais déjà beaucoup de choses pour mon âge », j’avais bien conscience que le fait de manquer la classe entre le 20 mai et le 20 octobre (au moins) ne constituait pas la meilleure des préparations… Vous étonnerai-je en vous disant que dès la mi-octobre, je guettais avec impatience les signes annonçant l’arrivée de la première neige…/… Au bout, il y avait la perspective de retourner en classe mais, foi de berger, c’était une perspective qui me faisait sauter de joie ! ». Henri fut remarqué par son institutrice, Mme Besançon, qui lui fit passer son certificat d’études (1932) et préparer l’EPS (école primaire supérieure) de Champagnole pour laquelle elle lui obtint une bourse. À l’EPS, ses professeurs lui conseillèrent de passer le concours de l’école normale d’instituteurs à Vesoul (Haute-Saône) où ses chances de réussite seraient les meilleures.

Il fut très marqué par cette éducation laïque qui fut à l’origine de son engagement futur à la Libre Pensée. Ses études terminées (1936-1939), brevet supérieur en poche, il fut nommé instituteur en septembre 1939 à Saint-Loup-sur-Semouse (Haute-Saône) où il enseigna l’allemand à l’EPS. Mais durant ses allers-et-retours entre l’EN et le Jura, il rencontra, dans le train Dijon-Frasne, une jeune normalienne, de l’EN de Mâcon, Andrée Buisson (1918-2005). Henri Lecoultre étant mobilisable en 1940, les deux fiancés se marièrent à Gueugnon, où Andrée fut nommée comme institutrice, le 4 janvier 1940. Henri fut appelé en Afrique du Nord peu après. Mais, le 22 juillet, le régime de Vichy revint sur les naturalisations récentes : il perdit la nationalité française, comme son père Boris, et fut révoqué de l’Éducation nationale, mais pas de l’armée française. Il passa 5 ans en Afrique du Nord, participant à la campagne de Tunisie en 1943, puis fut élève officier à Cherchell. Il ne revint à Gueugnon qu’en août 1945. Un événement le marqua durablement : les massacres de Sétif en mai 1945 dont il fut le témoin horrifié. Il fut ensuite un fervent défenseur de l’indépendance de l’Algérie : fin 1954, la Libre Pensée de Dijon édita une affiche appelant au « Cessez le feu » en Algérie… Peut-être une première en métropole ?

En 1948, le couple quitta Gueugnon pour Dijon, afin que leurs deux enfants, Michèle (née en octobre 1940) et Alain (en juillet 1946) ne soient pas contraints, comme leurs parents, à être internes pour continuer leurs études… Nommé à l’Institut Boyer, un internat privé pour enfants abandonnés, il découvrit les abus dont ils étaient victimes. Avant-guerre, il avait été sensible aux campagnes d’Alexis Danan (1890-1979) contre les bagnes d’enfants et avait adhéré au Comité d’action pour la protection de l’enfance malheureuse. Avec l’aide d’un autre couple d’instituteurs, Henri et Marie Louise Dupuis, il obtint la fermeture de l’établissement.

En 1952 Henri et Andrée Lecoultre adhérèrent à la Libre Pensée, début d’un engagement qui ne s’acheva qu’à leur décès. Il fut élu secrétaire de la section de Dijon en 1954, puis secrétaire de la fédération de Côte-d’Or en 1955. Sous son impulsion, la Côte-d’Or se distingua de l’organisation nationale : sans délaisser le terrain laïque, combat contre les lois Marie et Barangé, puis, en 1959 contre la loi Debré, la fédération s’engagea sur le terrain politique. D’abord la lutte contre la guerre d’Algérie, Henri participe au Comité Maurice Audin fondé par Laurent Schwartz et Pierre Vidal-Naquet. Puis, après le 13 mai 1958, contre le retour du Général De Gaulle. En 1961, il créa le bulletin trimestriel La Libre Pensée de Côte d’Or, où il écrivit jusqu’au numéro 145 (2°trimestre 1996). Enfin, en août 1964, la fédération de Côte d’Or organisa à Dijon le congrès national de la Libre Pensée.

À Dijon, la Libre Pensée participa avec les autres organisations de gauche à toutes les grandes luttes sociales et sociétales (pour la contraception et l’avortement entre autres) et fut invitée à chaque premier mai ! À titre personnel, Henri Lecoultre fut co-fondateur du Planning familial de Côte-d’Or, et chaque mois, il partit avec Louis Devance, assistant d’histoire à l’Université de Bourgogne, se procurer, en Suisse, les pilules interdites en France… De même il adhéra au Club pour une gauche unie, fondé par un autre universitaire, Pierre Lévèque, et accepta d’être sur la liste de cette gauche unie pour les élections municipales mais n’adhèrera jamais au PS en raison de l’attitude de la SFIO pendant la guerre d’Algérie. Après mai 1968, il se rapprocha de la Ligue communiste, sans jamais y adhérer (à la différence de son fils Alain) et fut fiché par les Renseignements généraux comme sympathisant.

À la veille de sa retraite de directeur d’école, il accepta de se présenter au poste de secrétaire général de la Fédération nationale de la Libre Pensée. Il fut élu au congrès de Tarbes et il accomplit les deux mandats statutaires (de 1972 à 1978). Pour la première fois, le secrétaire général n’était pas franc-maçon ! Il y mit en pratique les mêmes idées qu’en Côte-d’Or et, sous son mandat, la Libre Pensée nationale fut associée aux diverses initiatives des organisations de gauche : c’est ainsi qu’il prit la parole, à Paris au cirque d’hiver, en 1973, pour protester contre la dissolution de la Ligue communiste et l’incarcération d’Alain Krivine. Autre signe d’ouverture : le siège social national, rue des Fossés-Saint-Jacques, accueillit les réunions du GLH (Groupe de libération homosexuel) en 1975.

Ces deux mandats accomplis, il prit la direction de la revue historique du mouvement, L’Idée libre, fondée en 1911 par André Lorulot*, avec le même esprit d‘ouverture, en y associant des collaborateurs extérieurs et en élargissant les thèmes traités (sciences, luttes sociales, histoire, société). Il était en même temps responsable littéraire du mensuel La Raison où il rendait compte autant des ouvrages théoriques que des romans, ce qui, là encore, était une nouveauté. Il continua à militer activement au sein de la fédération de Côte d’or : un de ses combats fut couronné de succès, après sa mort, lorsque le nom d’un ancien maire de Dijon, socialiste et libre penseur, Henri Barabant, fut donné, par la municipalité de François Rebsamen, au printemps 2001, à une place de la ville, devant le lycée Saint-Joseph. Cette proposition avait toujours été refusée par les précédentes municipalités de droite. Dans le domaine du combat pour la laïcité, Dijon fut une des seules villes de province à connaître une manifestation unitaire, une vingtaine de partis et d’organisations « Pour le respect de la séparation des Églises et de l’État, contre le retour à l’ordre moral » le 21 septembre 1996, quelque mois après son décès. Son épouse, Andrée, se consacra elle à la Mutuelle des Libres Penseurs dont elle fut longtemps vice-présidente nationale et très fière d’avoir contribué à créer la maison de retraite des Libres Penseurs à Saint-Georges-des-Sept-Voies (Maine-et-Loire).

Mais, cet humanisme, doublé d’une ouverture d’esprit qui le portait à faire confiance, se heurta à l’activité fractionnelle des trotskystes lambertistes, bien décidés à prendre le contrôle de la Libre Pensée, une organisation encore importante (15 000 membres selon lui en 1972, dont 350 en Côte-d’Or) mais fort vulnérable à cet entrisme. Henri Lecoultre fut d’abord ravi, comme les autres responsables, de l’afflux de nouveaux militants qui cachaient leur appartenance… Puis, quand il eut compris le danger, il tenta de mettre en garde contre ce noyautage, sans réussir à convaincre les autres dirigeants historiques comme René Labrégère. Trop tard ! De nombreuses fédérations furent prises, ou créées, sans coup férir, et la majorité nationale bascula. Les « historiques » ripostèrent en fondant, en 1995, l’ADLPF (Association de Défense de la Libre Pensée de France) entérinant de fait la scission. Il rédigea un « Appel aux Libres penseurs » qui réunit 420 signatures (dont la quasi-totalité des anciens présidents et secrétaires généraux).

Henri Lecoultre intervint une dernière fois au congrès national de 1995, au congrès national de Lézignan, pour dénoncer cette mainmise des lambertistes, sous les huées et les protestations de la majorité de l’assistance… Affaibli par la maladie, il s’éloigna des activités militantes et décéda le 9 mars 1996. Son épouse Andrée resta militante de base jusqu’à son décès le 3 septembre 2005.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article180116, notice LECOULTRE Henri, Joseph, Léon par Alain Lecoultre, version mise en ligne le 27 avril 2016, dernière modification le 15 mai 2021.

Par Alain Lecoultre

ŒUVRE : Henri Lecoultre a rédigé tous les éditoriaux du bulletin trimestriel de la fédération de Côte d’Or, ainsi que de nombreux autres articles du 1er numéro (1961) jusqu’à son décès. — Nombreuses critiques littéraires (romans, essais, ouvrages scientifiques) dans le mensuel La Raison, où il fut responsable de cette rubrique de 1978 à 1996. — Articles dans la revue trimestrielle L’Idée libre qu’il dirigea de 1978 à 1996. — Tribune dans Le Monde, « Le Pape a raison… et pourtant », à l’occasion de la visite en France de Jean-Paul II, mai 1980.

SOURCES : Les souvenirs d’enfance d’Henri Lecoultre racontés par lui-même sous le pseudonyme de H.J. Léon : « Le bouëbe » (le berger en patois), publiés dans l’ouvrage collectif Derrière le mur édité par le LEP de Planoise à Besançon. — Jean-François Bazin, Les Dépêches du 30 août 1978 à l’occasion de son élection au poste de secrétaire général de la Libre Pensée. — Article, non signé, publié dans Dijon hebdo du 7 octobre 1972 : « L’homme de la semaine, Henri Lecoultre ».
— Nécrologie, La Raison (N°410-avril 1996) par Elizabeth Irubetagoyena. — Arch. Dép. Côte-d’Or, renseignements généraux, 1194 W 235 (24 février 1977), 1194 W 238 (1er septembre 1977). — Jacqueline Lalouette, La Libre Pensée en France.1848-1940, Albin Michel, 1997. —Jacqueline Lalouette, « Anticléricalisme et laïcité », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar, dir., Histoire des gauches en France, tome 2, La Découverte 2004. — Pierre Lévêque, Souvenirs du XX° siècle, L’Harmattan 2012. — Sur l’entrisme à la Libre Pensée, Julien Desachy, L’École Émancipée, n° 67760-mars 2000, « Petites histoires dans la grande histoire). —
Denis Pelletier « Pourquoi l’ADLPF » du 6 septembre 2015, sur le site internet de l’ADLPF : www.libre-penseur-adlpf.com

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