TZIGANOK Nicolas

Par Claude Latta

Né le 29 décembre 1930 à Lyon-2e arr. (Rhône), mort le 25 mars 2013 à Montbrison (Loire) ; militant syndical CGT-FO et militant associatif à Montbrison (Loire) ; dessinateur industriel au bureau d’études des usines métallurgiques Chavanne-Brun (devenues SECIM puis CLECIM) à Montbrison ; militant et responsable associatif au Centre social de Montbrison, géré depuis sa fondation par une association d’usagers.

Nicolas Tziganok
Nicolas Tziganok

Nicolas Tziganok était le fils de Georges Tziganok et Maria Dobjankia. Ses parents, d’origine russe, étaient arrivés à Montbrison en 1922 : les usines métallurgiques Chavanne-Brun, installées en 1916, recrutaient de la main d’œuvre à l’étranger. Par l’intermédiaire d’un bureau spécialisé d’Istanbul, l’entreprise fit venir des réfugiés russes. En 1926, le recensement montre la présence de quarante- neuf Russes à Montbrison. Parmi eux, les Tziganok. La mère de Nicolas, Maria Dobjankia, était la fille d’un militaire russe « blanc », officier, chef de musique dans un régiment de l’armée Wrangel. Après la défaite de l’armée Wrangel (repliée en Crimée), les Dobjankia firent partir en Turquie, sur un bateau français, leurs deux filles (la mère de Nicolas et sa sœur). Les deux jeunes filles n’eurent plus, par la suite, de nouvelles de leurs parents. Maria Dobjankia se maria en Turquie avec Georges Tziganok, l’un de ses compatriotes et le suivit quand il vint travailler à Montbrison. Après la séparation de ses parents, Nicolas Tziganok fut élevé par sa mère à Montbrison et, comme elle travaillait une partie de l’année à Vichy, par une famille russe sans enfants, les Pakhonoff qui s’étaient attachés à lui. Il passa son enfance dans les cités ouvrières de la Madeleine, édifiées par Chavanne-Brun. En 1940, sa famille fut victime des mesures qui frappèrent les étrangers « indésirables » qui avaient été « parqués » au 2e étage de la mairie : les enfants, dont Nicolas, avaient seulement le droit de sortir pour aller à l’école Chavassieu. Il fut ensuite élève du collège de Montbrison. Il aurait voulu poursuivre des études au lycée Mimard de Saint-Etienne ou à l’Ecole pratique de Roanne mais les moyens financiers de sa mère ne le permirent pas.
Nicolas Tziganok entra à l’école des apprentis de Chavanne-Brun. Mais ce travail ne lui plaisait pas. Comme il avait fait du dessin industriel au collège, il fut candidat au bureau d’études, passa des tests et, grâce à M. Boulez (père du musicien Pierre Boulez), ingénieur et chef du personnel, fut admis au bureau d’études où il fit toute sa carrière de dessinateur industriel, carrière seulement interrompue par le service militaire au Maroc. Chavanne-Brun, entreprise familiale, devint en 1959 la SECIM puis en 1982 la CLECIM. L’entreprise s’était orientée vers la fabrication de laminoirs et d’équipements pour la sidérurgie, ainsi que la fabrication et le montage de presses hydrauliques pour l’extrusion de l’aluminium et des métaux non ferreux. Le bureau d’études, très étoffé, jouait un rôle important pour ces fabrications. Nicolas Tziganok était un professionnel reconnu qui eut toujours le souci de se perfectionner et de se former et disait : « je voulais être le meilleur dans mon métier pour être reconnu comme syndicaliste ». Il fit souvent des stages et des séjours de formation à Paris.
Nicolas Tziganok fut pendant plus de 30 ans un militant syndical actif. En 1948, il fut à 18 ans l’un des fondateurs chez Chavanne, de la section CGT-Force ouvrière : dans son esprit, c’était une rupture avec le « stalinisme ». Cet événement marqua Nicolas Tziganok et fut sans doute à l’origine de son attachement à la démocratie et particulièrement à la démocratie associative. Il ne craignait pas d’être rebelle aux opinions du moment ou en désaccord avec son milieu : il le fit non seulement en 1947-1948 au moment de la création de la section de la CGT-FO mais aussi pendant la guerre d’Algérie contre laquelle il prit position ; il était isolé dans son milieu de travail mais milita dès le début contre la guerre alors qu’une partie de l’opinion ouvrière condamnait ceux qui s’opposaient à la guerre d’Algérie alors que les soldats du contingent risquaient leur vie.
Nicolas Tziganok a été un militant dont les patrons connaissaient l’aptitude à résister et à réagir. Chez Chavanne-Brun, membre du comité d’entreprise, il a souvent défendu le maintien de son entreprise et de son bureau d’études à Montbrison. Nicolas Tziganok fut défenseur prud’homal, délégué par la CGT-FO, pour les salariés qui portaient leur affaire devant le conseil des prud’hommes. Il exerça ces fonctions de 1980 au début des années 2000. Il conseillait les salariés et plaida pour eux : on venait ainsi souvent le consulter, demander des conseils. Il servit quelquefois d’interprète en Russe.
Les engagements de Nicolas Tziganok furent multiples. Il fut président de l’association local des parents d’élèves des écoles primaires (FCPE, Fédération conseils de parents d’élèves, dite alors « Fédération Cornec ») en 1965. Il fit aussi partie du mouvement coopératif, membre de la Coop de Montbrison, qui avait deux magasins dans la ville. Le mouvement coopératif correspondait bien à son souci de transformer concrètement les rapports économiques et sociaux. Très attaché à l’idée de service public, Nicolas avait été surtout l’animateur de deux comités de défense de l’hôpital qui, à 30 ans d’intervalle, ont défendu avec succès le service public de l’hôpital de Beauregard et le maintien de son indépendance par rapport à la clinique privée de la ville.
Nicolas Tziganok a été aussi membre du comité de gestion du Centre social de Montbrison de 1978 à sa mort en 2013. Il a été membre du bureau puis trésorier de 1979 à 2009. Le Centre social avait été créé en 1973 et sa gestion fut confiée à une association d’usagers. Un long conflit (de 1976 à 1985) avec la Municipalité de droite provoqua la mobilisation de ses militants et de ses bénévoles qui en firent aussi un centre culturel et un lieu de réflexion citoyenne. Progressivement, Nicolas Tziganok avait vu le Centre social prendre toute sa place dans la Cité. Pour lui, le Centre social, portait une part d’utopie sociale, un « esprit » constitutif de son identité. Tout était ou paraissait possible au Centre social : une Université populaire, une revue d’histoire, un groupe de théâtre, une réflexion d’ensemble sur la société et ses problèmes et des activités manuelles ou artistiques, la gymnastique et la marche, les activités pour enfants et les dimanches pour les anciens. Nicolas Tziganok fut engagé à fond dans cette aventure associative, intellectuelle et sociale. Lui-même y avait trouvé sa place : au bureau où il intervenait souvent, dans son poste de trésorier tenu avec rigueur, au comité de gestion dont il animait souvent les discussions. Il avait refusé deux fois d’être président mais était une référence morale.
Nicolas Tziganok était admiré pour la constance de son engagement, pour sa ténacité dans le combat lorsqu’il fallait entrer en action – il ne lâchait rien –, pour sa volonté de faire fonctionner la démocratie et la libre discussion au sein du Centre social. Dans la discussion, il maniait parfois le paradoxe, voire l’esprit de contradiction, pour permettre un approfondissement du débat.
Sportif, Nicolas Tziganok avait été basketteur au BCM (Basket Club Montbrisonnais), le principal club sportif de la ville et jouait dans son équipe 1ère. Le sport (le cyclotourisme et la randonnée) était une part importante de sa vie. A la retraite, il découvrit le monde. Non seulement la Russie où il renoua avec ses racines, mais aussi le Maroc, le Canada et les États-Unis, le Paraguay et le Brésil. Il était curieux de voir comment vivaient les gens, découvrit, par exemple, la misère des villages de l’Atlas marocain et, en Amazonie, la vie des Indiens.

Marié à Marinette Avignant, basketteuse et fille d’un militant de la CGT, Nicolas Tziganok était père d’une fille devenue documentaliste, grand-père de deux garçons, arrière-grand-père de deux petites-filles. Il est décédé à 83 ans à Montbrison le 25 mars 2013. Ce descendant de « Russes blancs » incarnait à Montbrison l’engagement syndical et associatif, désintéressé et ouvert aux autres.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article181278, notice TZIGANOK Nicolas par Claude Latta, version mise en ligne le 30 mai 2016, dernière modification le 29 avril 2022.

Par Claude Latta

Nicolas Tziganok
Nicolas Tziganok

SOURCES : Souvenirs et archives personnels. — Entretiens avec Marinette Tziganok et Dominique Marnat-Tziganok (2013). — Dossiers des comités de défense de l’hôpital (1974 et 2004). — Archives du Centre social de Montbrison. — Maurice Bayle, « De Chavanne-Brun à VAI Clecim », in : Regards sur le passé, Chavanne-Brun (1857-1963), équipementier sidérurgique, n° spécial de Village de Forez, Montbrison, 2004. — Joël Jallon, Centre social de Montbrison, 40 ans (1973-2013), préface de Claude Latta, Montbrison, Centre social, 2013. — Claude Latta (dir.), Hommage à Nicolas Tziganok (1930-2013), Montbrison, Cahiers de Village de Forez, n° 118, 2013. — Documents d’état civil.

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