KORNBLITT Marcel dit « Martin »

Par Jean-Paul Bedoin

Né le 28 juin 1916 à Budapest (Hongrie), massacré le 12 août 1944 à Périgueux (Dordogne) ; tapissier ; victime civile d’origine juive.

Marcel Kornblitt était le fils de Saja Osias et de Lina Mansdorf et l’époux de Rosina dite Rosette Levensohn. Tapissier, père d’une fille, Danielle, née le 28 mars 1942 à Paris, il était domicilié à Périgueux, 185 route de Lyon, à l’auberge de la Chaumière.
Il fut exécuté à Périgueux, caserne Daumesnil « le 12 août 1944 vers 18 heures », comme l’indique l’acte de décès n° 671, en date du 25 août 1944. Agé de 28 ans, il est « Mort pour la France » (mention faite le 6 août 1945).



Son épouse, Rosina dite Rosette, née Levensohn fut internée à Drancy où elle arriva le 8 avril 1944 en compagnie de son père, Alfred Levensohn, sa mère, Lilly, née Finkler (tante de Raphaël dit Ralph Finkler) et de sa petite sœur, Liliane Levensohn (9 ans).
Elle écrivit et publia en 1989, sous le nom de Rosine Mayan, Pour que jamais tu n’oublies, le récit de sa déportation. Elle y évoque les circonstances de leur arrestation :
« C’est un jour comme les autres, très calme. Soudain, un camion s’arrête près de notre chemin, et aussitôt j’entends des cris, des bruits d’armes qui s’entrechoquent, des ordres en allemand lancés par des voix métalliques et qui ressemblent à des aboiements. La porte de notre maison est ouverte à grands coups de pieds, et notre chambre est remplie d’uniformes allemands qui braquent leurs fusils sur nous en nous ordonnant de ne pas bouger, pendant que d’autres montent le petit escalier qui mène chez mes parents. Comme dans un mauvais rêve, j’entends le bruit que font leurs bottes en montant, puis je vois ma mère, mon père et Nadine redescendre, les mains en l’air, avec chacun un fusil pointé dans le dos.
A ce moment, un homme en civil qui vient d’entrer s’approche de moi, me pousse et me dit en me tutoyant :
- Allez, dépêche-toi, vas préparer quelques affaires indispensables. Pas trop, ajoute-t-il cyniquement, parce que là où tu vas, tu n’en auras pas tellement besoin.
Pendant que je cherche un sac, il avise mon banjo dans un coin de la pièce.
- Tu peux aussi me faire cadeau de ton banjo. Tu sais, entre nous, tu ne reviendras plus, alors autant me le donner.
Il parle français. C’est un Français. Curieusement, je me sens très calme et me contente de le regarder droit dans les yeux en le félicitant pour le comportement héroïque dont il fait preuve en tant que Français, ce qui le laisse parfaitement froid.
Tout en sortant de l’armoire quelques affaires au hasard, je me rends compte que Martin est en train de parlementer avec un officier allemand. Je pense qu’il tente sans doute quelque chose pour essayer de nous sauver tous, mais je n’arrive pas à comprendre, car ils parlent allemand.
Je tourne la tête, et je vois ma petite fille assise dans son lit. Elle regarde tous ces gens, toute cette agitation autour d’elle, en ouvrant de grands yeux. Elle doit sentir que quelque chose d’anormal est en train de se passer, car elle, si bavarde d’habitude, reste là, silencieuse, comme figée. De plus, elle a la tête entourée de pansements suite de l’opération d’une otite quelques jours auparavant.
J’ai fini par réunir quelques affaires dans une petite mallette que je m’apprête à fermer, lorsque les Allemands se remettent à hurler tous à la fois.
Los, los Schweine...
Je me sens tout à coup bousculée dans tous les sens, et je me précipite vers ma fille que je serre dans mes bras, puis je me baisse pour attraper ma valise lorsqu’un grand coup de poing dans le dos me fait arriver en titubant devant la porte.
Avant de sortir, je me retourne un bref instant, et j’aperçois Martin adossé à la fenêtre, pâle comme un linge, les traits crispés. Il me regarde d’un air désespéré.
[Martin n’est pas arrêté au cours de cette rafle car il dispose de faux papiers d’identité]
Au moment de franchir le seuil, sans savoir pourquoi et sans même l’avoir prémédité, je m’adresse au Français qui se trouve tout près de moi.
-  Est-ce que je suis obligée d’emmener la petite ? Je voudrais la laisser ici.
-  Fais ce que tu veux, on s’en fout !
Je n’hésite pas. Comme une folle je donne plusieurs baisers sur le petit visage de mon bébé, je le dépose ensuite par terre, puis je sors sans me retourner.
Je parcourus le petit chemin qui reliait le jardin à la route principale où se trouvait le camion, poussée par des cris et des ordres que j’enregistrais et que j’exécutais machinalement, jusqu’au moment où je me retrouvai moi-même au pied de ce camion. J’essayai vainement d’apercevoir mes parents à l’intérieur puisqu’ils n’étaient pas sur la route, mais je ne voyais que des hommes et des femmes poussés comme du bétail alors qu’ils montaient péniblement par l’arrière. J’y fus poussée à mon tour et je m’accrochai pour me hisser à plusieurs, mains inconnues qui se tendaient vers moi.
Je ressentais une étrange impression, comme si tout cela arrivait à quelqu’un d’autre.
Néanmoins, je pris le temps d’observer les fenêtres et les portes des maisons avoisinantes. Elles étaient closes et silencieuses, comme inhabitées. Cette vision déclencha en moi en une fraction de seconde une terrible pensée : en dehors des gens qui viennent d’être arrêtés, et de ceux qui nous arrêtent, plus âme qui vive.
Le désert. Les voisins ont disparu, nous restons seuls, nous sommes seuls, et personne jamais ne nous aidera !
Soudain, alors que nous allions démarrer, je vis ma mère redescendre du camion en trébuchant. Je la vis s’accrocher aux revers d’un uniforme allemand, je la vis sangloter cependant qu’elle s’adressait à lui :
- Je vous en prie, c’est une mère qui vous parle, vous aussi vous avez une mère quelque part en Allemagne, je vous en prie, laissez ma petite fille retourner à la maison. Cette enfant ne vous sert à rien, prenez ma vie, celle de mon mari si vous voulez, mais pas la petite, c’est une enfant, elle commence à peine à vivre, vous n’avez pas le droit, je vous en prie...
Le soldat, d’un air ennuyé et impatient, essayait de repousser ma mère qui s’accrochait à lui désespérément.
Je ne pus supporter cette scène, elle me faisait mal, et une révolte incontrôlable éclata en moi. Je criai :
Maman, non, arrête, ne t’humilie pas devant ces brutes, ne leur demande rien, ne leur fais pas ce plaisir !
Pourquoi, mais pourquoi ai-je eu ce réflexe à ce moment précis ? Il peut se justifier certes, mais il subsiste un doute dans mon esprit : s’il y avait une chance sur mille pour que ce soldat se laisse fléchir, soit par lassitude, soit parce que ce jour-là, le nombre d’arrestations dépassait leurs prévisions ou se trouvait être largement suffisant, il aurait fini par céder, et ma sœur serait vivante à l’heure actuelle...
Ma mère laissa retomber ses bras, me regarda, le visage baigné de larmes, et remonta dans le camion. La trappe arrière se referma, et le camion démarra brusquement en nous projetant les uns contre les autres. »



Rosina dite Rosette fut déportée le 29 avril 1944 par le convoi n° 72 et fit partie des 1004 déportés du camp de Drancy vers Auschwitz. Elle fit partie des 37 survivants qui, en 1945, revinrent de l’enfer concentrationnaire nazi. Mais sa mère, son père et sa petite sœur de 9 ans furent gazés à leur arrivée.


Voir Périgueux, Mur des Fusillés, Caserne Daumesnil, Rue du 5e Régiment de Chasseurs (5 juin-17 août 1944)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article198536, notice KORNBLITT Marcel dit « Martin » par Jean-Paul Bedoin, version mise en ligne le 27 décembre 2017, dernière modification le 27 décembre 2017.

Par Jean-Paul Bedoin

SOURCES : Bernard Reviriego, Les Juifs en Dordogne, 1939 et 1944, Archives départementales de la Dordogne-Fanlac, Périgueux, 2003, p. 384. — Rosine Mayan, Pour que jamais tu n’oublies, La source, Lausanne,1989. — état civil.

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