COURRIÈRE Antoine, Raymond, Charles, Emmanuel

Par Gilles Morin

Né le 23 janvier 1909 à Cuxac-Cabardès (Aude), mort le 20 septembre 1974 ; notaire ; militant et élu socialiste, président du groupe socialiste du Sénat (1955-1974), secrétaire fédéral de la SFIO, puis du Parti socialiste (1964-1974) ; conseiller général (1937-1974) ; maire de Cuxac-Cabardès (1953-1974) ; conseiller de la République, puis sénateur de l’Aude (1946-1974).

Fils d’un instituteur, Antoine Courrière reçut une éducation sévère qui marqua toute sa vie. Il fit ses études au lycée de Carcassonne, puis à la faculté de droit de Toulouse. Après sa licence de droit, obtenue en juillet 1930, il prêta serment le 21 janvier 1935 et s’établit cette année-là comme notaire dans sa petite bourgade natale située au pied de la montagne.

Membre des Jeunesses socialistes depuis 1925, militant de bonne heure au sein du Parti socialiste, il était secrétaire fédéral des Jeunesses socialistes, lorsqu’il se présenta aux élections législatives de 1936 dans la circonscription de Castelnaudary face au député sortant Jean Mistler. Ce dernier, maire radical-socialiste de la ville, agrégé de l’Université avait été plusieurs fois ministre dans les derniers cabinets en dépit de son jeune âge et jouissait de sympathies multiples dans une région relativement conservatrice en raison de sa personnalité souple et modérée, ainsi que de ses brillantes qualités d’esprit - il fut secrétaire perpétuel de l’Académie française. Un propriétaire des environs de Montréal, Roger Detours, fort connu pour ses sympathies maurrassiennes, était également entré en lice. À l’exception de Narbonne, fief de Léon Blum, les socialistes s’étaient attachés à mettre sur les rangs, dans l’ensemble du département, des candidats aptes par leur jeunesse et par leur dynamisme à effectuer au détriment des radicaux la percée la plus large possible. La campagne fut fort animée. Comme les amis politiques d’Antoine Courrière avaient considérablement perturbé une réunion de J. Mistler, ce dernier, qui présidait une municipalité composée de radicaux et de socialistes, proclama dans un mouvement de colère que cette union ne saurait demeurer et que les conseillers de son parti démissionneraient au plus tôt afin de provoquer de nouvelles élections. Le champion de la cause socialiste recueillit au premier tour 4 435 voix, soit plus de 30 % des suffrages exprimés, alors que celui de 1932, L. Chabbert, en avait obtenu moins de 28 %. J. Mistler totalisait 6 749 voix, R. Detours, 2 879. Comme le maire de Castelnaudary n’avait jamais caché sa répugnance à l’égard du Front populaire, les dirigeants de la section SFIO audoise s’abstinrent de conclure la moindre alliance avec lui en vue du ballottage et retirèrent simplement leur candidat. Mistler, resté face à face avec Detours, l’emporta finalement par 8 538 voix contre 3 379 à son adversaire.

La campagne avait toutefois permis à Antoine Courrière d’acquérir une notoriété certaine dans la région et surtout dans la Montagne Noire. Le 14 février 1937, il réussit à enlever aux radicaux, qui le détenaient de longue date, le siège de conseiller général du Mas-Cabardès, canton qu’il ne devait cesser de représenter depuis lors.

Mobilisé en 1939 au 116e RAL, il combattit sur la ligne Maginot, avant d’être fait prisonnier de guerre le 22 juin 1940 et interné au Stalag VII A. Il devait être libéré le 26 novembre 1941. Quoique ne s’étant pas livré à une résistance active sous l’Occupation, il était connu, selon les Renseignements généraux, pour avoir manifesté des sentiments hostiles au gouvernement de Vichy et à l’occupant.

En avril 1945, Antoine Courrière fut élu conseiller municipal de Cuxac-Cabardès, il devait devenir maire de la ville en 1953. Il retrouva son mandat de conseiller général en septembre 1945. Au sein de l’Assemblée départementale, institution centrale dans la vie politique et sociale de ce département rural, il exerçait les fonctions de président de la commission des finances depuis 1949. Sa compétence en matière budgétaire lui assurait une grande autorité. Il était signalé comme « militant actif et bon orateur » qui « joue un rôle important dans le Parti socialiste du département ». Très attentif au problème du personnel des collectivités locales, il prit en 1953, la présidence du syndicat des communes pour le personnel et fut délégué départemental du Centre de formation des personnels communaux lors de sa création.

Les élections municipales et cantonales de 1945 ayant été marquées par le triomphe des socialistes audois sur leurs vieux adversaires radicaux, A. Courrière fut élu conseiller de la République le 9 décembre 1946, avec 221 voix sur 617 suffrages exprimés, après avoir figuré sans succès sur les listes du Parti socialiste aux deux élections constituantes puis à la législative de novembre 1946 (il figurait en troisième position, Guille et Marius Lacroix étant élus en 1945). Il fut réélu à cinq reprises avec désormais de solides majorités (en 1948, 1955, 1959, 1962 et 1971) et prit rapidement une place importante dans le groupe socialiste de la Haute Assemblée : trésorier jusqu’en 1955, il fut désigné en 1959 comme président du groupe socialiste du Sénat lors de son troisième mandat et conserva cette fonction jusqu’à son décès. En 1948, il protesta fermement à la tribune du palais du Luxembourg contre la désignation comme questeur de la Haute Assemblée d’Édouard Barthe, ancien néo-socialiste élu conseiller de la République RGR, rappelant son rôle à Vichy le 10 juillet 1940. Il siégea à la commission des finances en continuité, mais aussi à celles de la justice, de la défense nationale et de la presse. Très actif, il intervenait régulièrement à la tribune de l’Assemblée, déposait de nombreuses propositions de loi et questions écrites ou orales. Il fut rapporteur du budget de la marine de guerre et de la marine marchande.

Secrétaire de la fédération socialiste de l’Aude de 1964 à 1974, Antoine Courrière confirma celle-ci dans le rôle de la plus forte organisation politique du département, mais aussi d’une des premières fédérations du parti si l’on mesure le nombre de ses adhérents au nombre d’habitants du département. Sa gestion de la fédération subit dans les dernières années des contestations, notamment au moment du renouvellement du conseil général en 1973. Il défendait le programme commun, mais se montrait réservé sur les contacts avec les autres forces de gauche.

Notable socialiste, Antoine Courrière détenait de nombreuses autres fonctions nationales ou locales. Il fut, à partir de 1957, membre du Conseil supérieur des alcools, représentant son département viticole ; il présida le comité départemental d’expansion économique où il succéda à Georges Guille entré au gouvernement en 1956. Sur le plan professionnel il étendit aussi ses réseaux, en présidant la Chambre de notaires de l’Aude de 1963 à 1966, puis de 1968 à 1971.

Patron d’une importante fédération socialiste et élu cumulant de multiples mandats, Antoine Courrière combattit vivement la politique gaulliste puis pompidolienne, défendant âprement son département et la place des socialistes contre les offensives de la majorité. Il exerçait sa plume mordante dans la presse régionale, la Dépêche du Midi et l’Indépendant, et dans le journal fédéral de la SFIO, La République sociale. Il dut, de ce fait, faire face à des contre-offensives qui le visaient personnellement. Ainsi, il gagna un procès contre le délégué de l’UNR qui avait écrit dans L’Indépendant du 20 juillet 1966 que « tous les actes notariés de l’aménagement du littoral passaient par l’étude de M. Courrière ». Il inscrivait son action dans une bipolarisation sans concession. En juin 1968, après l’élection d’un candidat UDR à la députation, il adressa une lettre à des maires de la circonscription, où il déclarait notamment que les communes intéressées devraient s’adresser au nouvel élu en ce qui concerne leurs besoins, ajoutant qu’il se consacrerait essentiellement aux communes qui ont conservé leur confiance à la majorité du conseil général. En 1969, il combattit les projets gaullistes de réforme du Sénat, proclamant que le projet de Sénat nouveau ressemble « à la chambre mussolinienne ». Il fut encore très actif dans la mobilisation contre le projet de fusion des communes voulu par les gouvernements gaullistes, menaçant en 1971 de réduire les subventions du conseil général aux communes qui accepteraient.

Dans son hommage funèbre, André Méric en dressait un portrait sévère mais affectueux. Il le décrivait comme un homme trapu, un « lutteur farouche et rude », au « regard obstinément plissé derrière des lunettes à monture d’écaille », utilisant « un accent de rocaille au service d’un verbe de procureur ». Il s’en prenait régulièrement au ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin et à d’autres personnalités de la majorité, surtout au président de la République. Il n’hésitait pas à écrire par exemple dans L’Indépendant du 14 septembre 1971 : « Il y a quelque chose de pourri à la tête de l’État. Les Français voudraient savoir si la République pure et dure qu’on leur avait promise en 1958 n’est pas en train de sombrer. » Dans le même journal, le 28 juillet 1973, il mettait encore en cause le président Pompidou, pour ses déclarations sur la situation du pays, et ironisait sur son état de santé. Pourtant, lui-même malade, avait des absences prolongées au Sénat. Il devait, lui aussi, décéder d’une longue maladie en 1974.

Marié, Antoine Courrière était père de deux enfants. Son fils, Raymond, lui succéda comme sénateur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20914, notice COURRIÈRE Antoine, Raymond, Charles, Emmanuel par Gilles Morin, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 24 novembre 2008.

Par Gilles Morin

[Sénat]

SOURCES : Arch. Nat., F/7/15498, n° 4058, F/1cII/201, F/1cII/255, F/1cII/270, F/1cII/275, F/1cII/305, F/1cII/307, F/1cII/703. F/1cIV/151. --- Arch. Dép. Aude, 2 et 5 M. — Bulletin intérieur de la SFIO, n° 30, 40, 117. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1967. — Arch. OURS, dossiers Aude. — Les Cahiers d’information du militant, n° 16, mai 1936. — Dictionnaire des parlementaires français, 1940-1958, t. 3. — Enquête auprès de Raymond Courrière. — Hommages, aux sénateurs décédés, intervention d’André Méric. — Notice DBMOF par R. Debant et J. Raymond.

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