BAŠIĆ Dujo Duje

Par Hervé Lemesle

Né le 10 juin 1919 à Prugovo (au nord de Split, ex-Yougoslavie, aujourd’hui Croatie), mort en 1987 à Split (ex-Yougoslavie, aujourd’hui Croatie) ; peintre en bâtiment ; volontaire en Espagne républicaine, interné en France, militant communiste à partir de 1940 ; résistant en Yougoslavie ; officier de l’armée yougoslave après la guerre.

Dujo Bašić en uniforme de major après la Libération (Source : AJ, dossier personnel)

Né dans une fratrie de sept garçons issue d’une famille de paysans croates très pauvres, Dujo Bašić fréquenta l’école élémentaire de son village jusqu’à 12 ans puis fit un apprentissage de peintre en bâtiment à Split. Menant une existence difficile, confronté à la dureté de son patron et marqué par les événements ibériques, il décida dès l’été 1936 de partir défendre la République espagnole. Il embarqua clandestinement avec six autres volontaires sur un bateau à destination d’Alicante. Parmi eux se trouvait son camarade Mirko Radačić (1916-1936), qui était apprenti avec lui et ne survécut pas au baptême du feu.

Selon son autobiographie, rédigée en 1949, Dujo Bašić serait arrivé dès le 27 juillet 1936 à Alicante et aurait rallié le 5e Régiment avant la création officielle des Brigades internationales (BI), mais dans sa demande de livret militaire de juillet 1937, il avait déclaré être arrivé le 25 octobre 1936. Affecté dans la compagnie balkanique du bataillon « Thälmann » de la 11e BI, il fut blessé à la tête le 30 novembre 1936 sur le front de Casa de Campo à Madrid. Après une convalescence de deux mois, il revint à Albacete, où le responsable du personnel yougoslave Roman Filičev (1895-1941) lui conseilla, vu son âge, de faire une formation. Dujo Bašić déclina la proposition et fut versé dans une unité d’artillerie, considérée comme moins dangereuse que l’infanterie, où les brigadistes étaient utilisés comme troupes de choc. Après une période d’instruction à Almansa près d’Albacete, il fut promu caporal en juillet 1937 et pris part à l’offensive de Brunete au sein de la batterie « Kolarov » attachée au 1e groupe d’artillerie lourde slave. Cette unité fut transférée en août 1937 sur le front de Cordoue en Estrémadure jusqu’à la démobilisation des volontaires étrangers en octobre 1938. Dujo Bašić gagna alors Valence, puis Barcelone en janvier 1939. Il reprit comme de nombreux compatriotes les armes pendant la Retirada et fut interné à Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) en février.

Considéré lors de son séjour en Espagne comme un bon combattant mais politiquement faible et influençable, Dujo Bašić suivit pourtant les directives du Parti communiste de Yougoslavie (KPJ) lors de son internement en France. Alors que de nombreux vétérans, déjà démoralisés avant de revenir en France, étaient très rétifs aux consignes strictes du Parti, Dujo Bašić les suivit rigoureusement : pas d’évasion individuelle, implication dans les activités culturelles et politiques, refus de partir travailler dans les Compagnies de travailleurs étrangers (CTE). Il fit ainsi partie du groupe de 90 internés de Gurs (Basses-Pyrénées) emprisonnés pour s’être opposés au départ dans les CTE le 2 avril 1940. Après 60 jours de détention, il fut transféré au camp du Vernet (Ariège) et fut soumis au régime le plus dur, destiné à mieux contrôler les communistes endurcis. Devenu membre du KPJ, il respecta la nouvelle instruction envoyée fin mai 1941 : s’évader, rejoindre la zone occupée et se déclarer volontaire pour travailler en Allemagne afin de rentrer en Yougoslavie pour encadrer la Résistance aux forces de l’Axe, qui avaient démembré le pays en avril. Un article, citant quelques extraits du témoignage livré par Dujo Bašić en 1960 et publié en mai 2019 sur un site nationaliste serbe, a dénoncé cet « épisode de collaboration spectaculaire et surréaliste ». Or cette interprétation fallacieuse visant à accuser les communistes de Josip Broz dit Tito (1892-1980) d’avoir collaboré avec les nazis, alors que les četnici de Draža Mihailović (1893-1946) auraient mené courageusement la lutte contre les Allemands et les ustaši, ne résiste pas à l’épreuve des faits. Une quarantaine de « durs » internés au Vernet s’évadèrent fin mai 1941, passèrent la ligne de démarcation avec de faux documents, gagnèrent Paris le 2 juin et se portèrent volontaires auprès de l’Arbeitsfront pour aller travailler dans le Reich. Il le firent non pas pour collaborer, mais pour rentrer combattre chez eux. Dujo Bašić fut très clair dans son témoignage de 1960 : « Les forces d’Hitler, avec celles des Italiens, des Hongrois et des Bulgares ont occupé et démembré notre pays. Mais nous nous sommes réjouis parce que nous allions à nouveau nous battre ». 35 laissez-passer furent accordés pour une usine d’essence synthétique à Leipzig. Suite à l’attaque allemande contre l’URSS le 22 juin, une filière d’évasion permit à ces anciens d’Espagne de rejoindre les maquis de Tito.

Dujo Bašić rentra ainsi à Split début septembre 1941 en passant par Maribor alors annexée par le Reich, Zagreb et Mostar aux mains des ustaši. De là, il gagna Sinj, ville de l’arrière-pays de la Dalmatie centrale, puis le village de Vrdovo au pied du massif du Dinara à la limite de la Bosnie. Il prit alors le commandement d’une compagnie du détachement local des partisans, et fut chargé d’infiltrer les unités des četnici voisines pour les rallier. La tâche fut difficile, les partisans dalmates subissant durant l’automne de lourdes pertes liées à la répression de l’occupant italien et à la propagande anticommuniste des fidèles du monarchiste serbe Mihailović et du nationaliste croate Vladko Maček (1879-1964), occasionnèrent des défections. Avec son commissaire politique Božo Bilić (1914-1942), un autre ancien d’Espagne d’origine serbe, Dujo Bašić parvint à renforcer sa compagnie en prenant des armes et des vivres à l’ennemi et en intégrant de nouveaux combattants, mais évita le combat frontal en mars 1942 face aux Italiens bien supérieurs en nombre (4 000 contre 120 partisans). Replié dans les montagnes, il infligea à partir du mois suivant de lourdes pertes à l’ennemi, capturant notamment le commandant du 2e bataillon de la 97e légion de chemises noires, Antonio Vivarelli, qui avait combattu en Espagne du côté de Franco. Promu commandant du 1e bataillon de choc dalmate fin juin 1942 puis de la batterie d’artillerie de la 5e brigade monténégrine en janvier 1943, il devint par la suite commissaire politique de brigade avec le grade de major dans le 8e corps en 1944 et la 4e armée en 1945, respectivement commandées par deux vétérans espagnols, le Monténégrin Vlado Ćetković (1909-1944) et le Serbe de Vojvodine Petar Drapšin (1914-1945). Ces unités libérèrent l’ensemble de la Dalmatie, puis le Littoral croate autour de Rijeka et l’Istrie, et le sud de la Slovénie jusqu’à Trieste. Il fut blessé deux fois, en octobre 1943 lors de l’assaut du monastère d’Ostrog au Monténégro où s’étaient réfugiés des chefs četnici ayant collaboré avec les Italiens, et en mai 1944 lors de l’attaque aéroportée des Allemands contre le QG de Tito à Drvar en Bosnie occidentale.

Après la guerre, Dujo Bašić resta dans l’Armée des peuples de Yougoslavie (JNA). Il suivit les cours du lycée militaire de Sarajevo en 1946-1947, se maria et eut des enfants. Il finit sa carrière militaire comme colonel et passa sa retraite dans sa Dalmatie natale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article230003, notice BAŠIĆ Dujo Duje par Hervé Lemesle, version mise en ligne le 10 juillet 2020, dernière modification le 10 juillet 2020.

Par Hervé Lemesle

Dujo Bašić, commandant de la compagnie de Svilaja, au-dessus du Petrovo polje, février 1942 (Source : Dalmacija 1941-1945, op. cit., photographie n°112)
Dujo Bašić en uniforme de major après la Libération (Source : AJ, dossier personnel)

ŒUVRE : Témoignage sur son évasion du Vernet et son retour en Yougoslavie en 1941, in Boro Leontić, Split 1941, Belgrade, Prosveta, 1960, pp.222-268.

SOURCES : Arch. PPo. (Paris), RG77W 1443, liste de 379 volontaires yougoslaves. — RGASPI (Moscou), 495.277, dossier personnel, demande d’établissement du livret militaire du 8 septembre 1937 ; 545.3.1525, caractéristique n°65 du 4 mars 1941. — Archives de Yougoslavie (AJ, Belgrade), 724-VIII, dossier personnel, questionnaire et autobiographie rédigés en 1949 ; 724-X2/121, remarques sur le projet de recueil de témoignages du 28 janvier 1971. — Dalmacija 1941-1945, Zagreb, Grafički zavod Hrvatske, 1971. — Vicko Krstulović, Memoari jugoslavenskog revolucionera. Dalmacija, I tom, 1905-1943 [Mémoires d’un révolutionnaire yougoslave. Dalmatie], Sarajevo-Zagreb-Belgrade, Mostart-Buybook, 2012. — Milan Četnik, « Narodni heroji u fabrikama vermahta » [Les héros du peuple dans les usines de la Wehrmacht], in4s.net, 5 mai 2019, en ligne. — Arch. PPo., RG77W 1443, liste de 379 volontaires yougoslaves, notes Daniel Grason.

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