LAMENNAIS Félicité (de) [LAMENNAIS (de) Hugues, Félicité, Robert]

Né à Saint-Malo le 19 juin 1782, mort à Paris le 27 février 1854. Ordonné prêtre à Vannes le 19 mars 1816, il eut dans l’Église une position privilégiée de défenseur de l’ultramontanisme jusque vers 1830. Son passage au libéralisme politique en 1831-1832 prépara sa seconde carrière, celle de démocrate spiritualiste proche de la classe ouvrière, laquelle nous intéresse seule directement.

Félicité de Lamennais
Félicité de Lamennais

Lamennais appartenait à une riche famille de négociants armateurs, à l’esprit ouvert et aux relations étendues. Son père était riche et avait épousé une Irlandaise, morte jeune. Un frère aîné de Félicité, Jean de Lamennais, était prêtre à l’époque révolutionnaire et s’employait à cacher des prêtres réfractaires. Félicité fut abrité des orages du temps dans la belle propriété campagnarde de La Chênaie près de Dinan par les soins de son oncle Robert des Saudraies qui lui fit donner une instruction très complète allant des langues classiques à l’allemand, à l’espagnol, à l’anglais et à l’italien, sans oublier ni les mathématiques, ni la littérature française, ni la philosophie.

La beauté de la nature près de La Chênaie fit d’abord de Lamennais un admirateur de Jean-Jacques Rousseau et, sur le conseil même de Jean de Lamennais, Félicité ne reçut la communion solennelle qu’à vingt-deux ans, en 1804. Singulier premier communiant qui aussitôt collaborait à la Réponse aux objections des athées sur l’existence de Dieu et les bienfaits de la Providence, publiée par son frère Jean cette même année 1804 !
Installé à Paris en 1806, Félicité fréquenta la Congrégation de Saint-Sulpice et y fut tonsuré le 16 mars 1809. Il aidait en 1809 aussi son frère à rédiger des Réflexions sur l’état de l’Église en France pendant le XVIIIe siècle et sur sa situation actuelle. Pour sa part, il préparait un volumineux traité en trois volumes (paru en août 1814) : Tradition de l’Église sur l’institution des évêques. En 1815, il alla en Angleterre comme précepteur et ce n’est que le 18 février 1816, à Saint-Brieuc, après de multiples hésitations, qu’il se décida à prendre le diaconat, et la prêtrise un mois plus tard, à Vannes.

En novembre 1817 paraissait le premier volume de l’Essai sur l’indifférence en matière de religion, qu’un second volume acheva en juillet 1820. Maître ouvrage de l’ultramontanisme, qui valut à son auteur une notoriété considérable. Dans les revues Le Conservateur puis Le Défenseur qui remplaça Le Conservateur le 1er mars 1820, Lamennais pourfendait conjointement l’université napoléonienne et le gallicanisme.

Il alla se présenter au pape Léon XII au printemps 1824. Le pape fut bienveillant, mais prudent : il jugea Lamennais exalté.

En 1825, Lamennais fonda à La Chênaie une Congrégation de Saint-Pierre qui réunissait des prêtres et des laïcs attirés par sa pensée religieuse.
Petit à petit, Lamennais, durant les dernières années de la Restauration, en vint à estimer que le catholicisme romain devait éviter de confondre sa cause avec celle d’une monarchie irréductiblement gallicane, plus simplement avec la cause de la monarchie bourbonienne. Le rapprochement avec le libéralisme et la sympathie pour le mouvement national de la Pologne catholique s’exprimèrent publiquement dans le journal L’Avenir qu’il publia en 1830 et 1831 avec Lacordaire et Montalembert.

La visite que Lamennais, Lacordaire et Montalembert rendirent au pape Grégoire XVI en 1832 n’empêcha pas la condamnation de L’Avenir par l’encyclique Mirari vos. Elle eut pour effet de dissocier le groupe de L’Avenir : le clerc Lacordaire et le laïc Montalembert s’inclinèrent. Lamennais ne s’inclina pas, s’enferma à La Chênaie et prépara Les Paroles d’un croyant.

Le petit volume qui les contenait parut chez Renduel, le 30 avril 1834.

« Lamennais a cinquante-deux ans. Au moment où d’autres songeraient plus à jouir d’une réputation qu’à la remettre en cause, il s’apprête à rayer d’un trait de plume tout son passé. Son œuvre, les idées qu’il a défendues, ses amitiés, tout cela il va l’abandonner pour s’engager sur des chemins qu’il discerne encore mal et recommencer une nouvelle existence. En vérité, l’histoire offre peu d’exemples de changement aussi radical. En quelques années, il combattra tout ce qu’il a servi et défendra ce qu’il a jusqu’alors combattu : on verra l’apologiste de l’ultramontanisme voter contre l’expédition destinée à rétablir le pouvoir temporel du pape, le champion de la liberté de l’enseignement refuser sa voix à la loi qui la proclame et l’auteur de l’Essai sur l’indifférence se désintéresser des querelles dogmatiques. » (René Rémond, Lamennais et la Démocratie, p. 5.)

Dans une prose poétique que l’on peut juger diversement, mais qui ne laisse certainement personne indifférent, Lamennais faisait de l’histoire des hommes une lutte continue entre les rois qui appartiennent à Satan et les peuples qui relèvent de Dieu. Il s’y montrait chrétien, mais détaché du catholicisme, et les écrits qui suivirent Les Paroles d’un croyant non seulement augmentèrent la distance par rapport au catholicisme mais révélèrent dans une certaine mesure le détachement du christianisme même. Le petit ouvrage fut traduit en allemand par Ludwig Börne dès mai 1834 et largement diffusé dans le milieu des artisans et des ouvriers allemands de l’étranger.

Lamennais entra dans le « parti républicain » en figurant en 1835 parmi les défenseurs du procès d’Avril. (Voir Noir Jean, Antoine*). Il devait rédiger par la suite une histoire du procès d’Avril qui ne fut pas publiée de son vivant.

Rédacteur en chef du journal quotidien Le Monde, publié en collaboration avec l’exilé libéral allemand Daniel Pistor, du 10 février au 4 juin 1837, Lamennais obtint un grand succès avec Le Livre du Peuple sorti des presses en décembre 1837. On devait rééditer ce volume à diverses reprises jusqu’en 1848, et ce que l’on nomme « l’esprit quarante-huitard » lui doit beaucoup : Dieu, le Christ, la liberté et l’égalité y cautionnent une morale populaire des droits et des devoirs.

De l’Esclavage moderne (décembre 1839) dénonçait la condition prolétarienne et appelait non pas à la révolution, mais à une prise de conscience du peuple, qui triompherait sans violence. Lamennais était sûr désormais que l’avenir appartenait à la démocratie.

On a parfois prétendu que Lamennais « tournait au communisme », à tout le moins que les termes de « communiste » et de « communisme » faisaient leur apparition sur la scène politique dans les Paroles d’un croyant, ce qui est parfaitement inexact. Voir Louis Racarie*.

Début 1840, Lamennais fit partie du Comité central réformiste de Paris en compagnie de François Arago*, Dornès*, Dupoty*, Lesseré*, Recurt*, etc. Il subit la prison à propos de la publication, le 13 octobre 1840, de son pamphlet Du Pays et du Gouvernement. Le 26 décembre, la cour d’assises de la Seine le condamna à un an de prison, à 2.000 F d’amende et aux frais. Il demeura à Sainte-Pélagie du 4 janvier 1841 au 3 janvier 1842.

Républicain démocrate maintenant connu, Lamennais n’occupait cependant pas parmi les notables du républicanisme la place que l’on pourrait croire. L’ex-prêtre qui avait quitté l’Église sans être excommunié inspirait de la défiance à beaucoup de républicains formalistes, bourgeois, anticléricaux, mais superficiellement émus peut-être par les misères des classes populaires. De son côté il se méfiait. Ainsi, quand il écrit en novembre 1847, après avoir refusé de participer au banquet de Dijon : « La réforme dîne par toute la France et harangue au dessert. Je ne vois pas clairement ce qui pourra sortir de cette éloquence d’automne semée autour de tables bourgeoises et arrosée de vin du cru. Pour ma part je n’ai de foi qu’en la grande joie du peuple, qu’on éloigne soigneusement de ces banquets. »

La révolution de Février, qui fut une « grande joie du peuple », trouva Lamennais disponible effectivement pour son service. Il lance, le 27 février, le quotidien Le Peuple constituant. Il demande des élections immédiates pour faire confiance à la « grande joie du peuple ». Il ne croit pas du tout qu’en retardant les élections, l’action de la presse aidant, et celle des clubs, à laquelle il ne prend aucune part, parviendraient à élever la conscience politique du peuple. Sans cela, d’ailleurs, Vox populi est Vox Dei. Il est élu trente-quatrième et dernier représentant de la Seine, le 23 avril 1848.

Les Journées de Juin, qu’il comprend à sa manière comme le produit de provocations légitimistes et orléanistes, le placent aux côtés des ouvriers de Paris vaincus. Et lorsque les vainqueurs rétablissent le cautionnement pour les journaux politiques, Le Peuple constituant, dans son dernier numéro daté du 11 juillet, imprime : « Le Peuple constituant a commencé avec la République, il finit avec la République. [...] Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or pour jouir du droit de parler. [...] Nous ne sommes pas assez riches. Silence aux pauvres. »

Privé de journal personnel et avant de trouver en 1849 dans La Réforme une nouvelle tribune, Lamennais siégeait désormais parmi les Montagnards, votait contre l’expédition de Rome. Il prendra de même position contre la loi Falloux en 1850.

Lui, qui avait prévu le rétablissement de l’Empire dès la victoire électorale remportée par Louis-Napoléon le 10 décembre 1848, ne fut pas surpris par le coup d’État du 2 décembre 1851. Il vécut désormais dans la retraite.
Le gouvernement impérial exigea que son enterrement civil prévu pour la matinée du 1er mars 1854 eût lieu au petit jour. Cela n’empêcha pas nombre d’hommes du peuple de Paris de se joindre au cortège.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article33228, notice LAMENNAIS Félicité (de) [LAMENNAIS (de) Hugues, Félicité, Robert] , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 25 avril 2018.
Félicité de Lamennais
Félicité de Lamennais

ŒUVRES : Outre ce qui a déjà été cité, signalons les Esquisses d’une philosophie, dont les trois premiers volumes parurent en novembre 1840 et le quatrième en février 1846, la traduction commentée des Évangiles en janvier 1846, et une série de brochures : Du Passé et de l’Avenir du peuple (juin 1841) ; Le deuil de la Pologne, protestations de la Démocratie française et du Socialisme universel et Appel à la Démocratie européenne au nom de la Démocratie française, toutes les deux de décembre 1846 et consacrées à l’annexion de la République de Cracovie par l’Autriche ; La Question du Travail et Projet de Constitution, en 1848.

SOURCES : Christian Maréchal, Lamennais et le Christianisme social. — René Rémond, Lamennais et la Démocratie (collection du Centenaire de la Révolution de 1848), Paris, PUF, 1948. — Jacques Grandjonc, Communisme/ Kommunismus/ Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes, Trier, Karl Marx Haus, 1989, p. 162-163, 213-214, 418. — Note de J. Grandjonc.

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