ALBERT Marcellin

Né le 29 mars 1851 à Argeliers (Aude), mort le 12 décembre 1921 à Argeliers ; viticulteur et cafetier ; l’un des principaux dirigeants du mouvement viticole du Midi en 1907.

Orphelin de père à l’âge de cinq ans, Marcellin Albert fréquenta l’école primaire d’Argeliers et poursuivit ses études à la pension Montès, à Carcassonne, où il se distingua surtout par ses dons artistiques, puis il revint cultiver la vigne familiale à Argeliers. Le 17 octobre 1870, il s’engagea au 2e régiment de tirailleurs algériens, à Mostaganem, malgré une dispense du service militaire au titre de soutien de famille. Il fut démobilisé en juillet 1871.
Le 29 janvier 1873, il épousa Élise Blanc et le ménage acquit un café sur la place du village d’Argeliers. Marcellin Albert le dirigea et en fit le siège d’une troupe théâtrale locale qu’il fonda. Il mit en scène Marceau ou les Enfants de la République où il tint le rôle principal. On croit savoir en effet, écrit Pierre Sourbes, « qu’entre sa démobilisation et son retour à Argeliers, il a suivi pendant six mois les cours du Conservatoire de Paris ». À 56 ans, trois mois avant de prendre la tête du mouvement viticole, il monta avec un grand luxe Ruy Blas dont il joua lui-même le rôle, qu’il affirmait être seul en France à pouvoir tenir, avec Mounet-Sully.
En 1877, il fut désigné par les républicains pour surveiller les opérations électorales et, en 1881, il fut élu conseiller municipal. À partir de 1900, il donna à Argeliers et dans les villages environnants des conférences de défense viticole qui ne rencontrèrent que peu de succès. Il échoua aussi dans une tentative de créer un cercle d’études sociales à Argeliers. C’est de ces déplacements de village en village, de marché des vins en marché des vins, qu’il rapporta le surnom de « Cigal », sans doute dû à sa propension à monter aux arbres pour haranguer la foule. Pendant toute la période qui va de 1900 à 1905, il était accompagné d’un fidèle, Antoine Marty, un jeune clairon qui sonnait pour lui le rappel des curieux. En 1905, il recueillit 400 signatures dans son village pour réclamer la grève de l’impôt et la démission de tous les corps élus en signe de protestation contre la misère qui allait croissant à la suite de la crise de mévente du vin. Il cessa alors son commerce de cafetier et décida de se consacrer à son rôle de « rédempteur » de la viticulture méridionale. Il multiplia les tournées et les réunions publiques, accompagné par quelques convaincus aux chapeaux ornés de badges imprécis : « Halte à la misère », « Sauvez le Midi », etc...
Le 11 mars 1907 commença la grande aventure : Marcellin Albert parvint à entraîner avec lui 87 habitants d’Argeliers dans une marche à pied sur Narbonne (quarante kilomètres) pour venir déposer devant la commission parlementaire d’enquête sur la fraude qui siégeait à l’hôtel de ville. Elle accepta de le recevoir. À son retour, son prestige en fut grandi. Il constitua un comité de défense viticole (passé dans l’histoire sous le nom de comité d’Argeliers), dont il fut élu président. Le comité rédigea une proclamation interdisant au mouvement naissant de s’occuper de politique et engageant toutes les communes à former leur propre comité. L’agitation s’étendit comme le feu dans une traînée de poudre et Marcellin Albert devint une idole. Les journaux le surnomment « le Roi des Gueux », « l’Empereur du Midi », « l’Apôtre », « le Rédempteur »... À partir du 7 avril, les meetings se succédèrent chaque dimanche, de plus en plus importants. Un journal fut créé : le Tocsin, dont le premier numéro parut le 21 avril. C’est le pharmacien d’Argeliers, Louis Blanc, qui en fut le rédacteur. Pour rallier tout le monde au mouvement, Marcellin Albert et le comité d’Argeliers multiplièrent les conditions impératives pour chaque manifestation : pas de politique, pas de phrase susceptible de blesser qui que ce soit, pas de revendications précises... Seule la formule du « spectacle » semble avoir eu leurs faveurs : « Montrons sans nous lasser notre misère et notre nombre, et on viendra au secours de notre misère », déclarait Marcellin Albert : 5 000 à Coursan le 14 avril, 15 000 à Capestang le 21, « les gueux » sont 30 000 à Lézignan le 28, 80 000 le 5 mai à Narbonne, 150 000 le 12 à Béziers. Ernest Ferroul, le maire socialiste de Narbonne, commença alors à déborder par la gauche Marcellin Albert, en lançant l’idée d’un ultimatum au gouvernement : si aucune mesure n’est prise avant le 10 juin, les corps élus feront grève... À cette époque, Albert était au faîte de sa gloire que chaque numéro du Tocsin chantait en des termes quasi mystiques : « Il parle, sa voix plane sur ces milliers de têtes et se pose sur les fronts ridés, fraîche comme une promesse, ceux qui l’écoutent respirent ses mots comme des fleurs » (26 mai). « Une blonde jeune fille, presque une enfant, portant des fleurs, s’approche, et toute tremblante, dans un geste de candeur adorable, laisse tomber aux pieds de l’apôtre un bouquet de roses pâles et rouges, et celui-ci sourit » (2 juin). « La foule se pressait autour de l’apôtre : des femmes touchaient ses vêtements, des hommes serraient ses mains. On arrachait la fleur qu’il portait à sa boutonnière pour en faire des reliques » (16 juin). Son physique contribuait d’ailleurs à faire de lui un personnage mythique. Pierre Sourbes le dépeint ainsi : « Grand et sec, il porte beau, dans un style très personnel [...] Hiver comme été, on ne le voit que vêtu d’un strict costume noir et d’une chemise blanche et coiffé d’un chapeau cronstadt gris, qu’il ôte fort souvent pour délivrer des saluts empreints d’une noblesse étudiée. Une somptueuse barbe noire encadre un visage mince, de ton ivoire, auquel des yeux enfoncés et très brillants achèvent de donner un je ne sais quoi de prophétique ».
Après le 12 mai, les meetings se poursuivirent dans toutes les grandes « capitales » du Midi : 180 000 personnes, le 19, à Perpignan ; 250 000 à Carcassonne, le 26 ; autant à Nîmes le 2 juin. Le 9, à Montpellier, on évalua la foule à plus de 650 000 manifestants. Rappelant que le délai de son ultimatum était expiré, Ernest Ferroul proclama la démission des municipalités. Le mouvement était passé à sa phase « politique » : Clemenceau allait se saisir de ce changement pour essayer de le briser. Il envoya des troupes pour « rétablir l’ordre », et la police pour arrêter Ernest Ferroul et Marcellin Albert. Le premier fut mis en prison, mais le second réussit à se cacher. L’arrestation du maire de Narbonne déclencha l’émeute : fusillades à Narbonne, bagarres à Béziers et à Montpellier, incendie de la préfecture de Perpignan, mutinerie du 17e régiment d’infanterie cantonné à Béziers. Pendant que la répression s’abattait sur le Midi, Marcellin Albert tentait une démarche en secret auprès de Clemenceau, le 23 juin : le politicien ne fit qu’une bouchée de « l’apôtre », le renvoya dans son pays prêcher le calme et lui prêta cent francs pour payer son voyage. La presse s’empara de l’affaire et discrédita le leader aux yeux de la population en l’accusant d’avoir été acheté. Celui-ci se rendit à la police et fut incarcéré à Montpellier. Lorsqu’il en sortira le 4 août, il manquera se faire lyncher par la foule. Entre-temps, l’agitation s’était apaisée, un nouveau comité d’Argeliers a été formé, Vendémiaire avait remplacé le Tocsin, la Confédération générale des Vignerons du Midi était née. Marcellin Albert n’avait plus de prise sur les événements. Ceux qui l’avaient aidé ou combattu ironisaient à son sujet ; ainsi Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, qui déclara : « Il a été évidemment très mal inspiré ou, du moins, on l’a mal inspiré en lui conseillant de se rendre à Paris. Il n’était pas de taille à lutter avec M. Clemenceau qui a joué avec lui et lui a cassé les reins » ; ou Ernest Ferroul : « C’est un grand enfant [...] Il a fait preuve de sottise et d’imprévoyance [...] Il n’est pas tout à fait responsable de sa conduite... ».
Après 1907, Marcellin Albert ne fit plus guère parler de lui : il reprit sa vie de simple viticulteur dans son village. En novembre 1910, invité par les viticulteurs algériens, il visita tout le vignoble d’Algérie. Ce fut sa dernière manifestation publique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76872, notice ALBERT Marcellin, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 19 septembre 2022.

SOURCES : Pierre Sourbes, « Le printemps de lutte et de sang du Midi viticole » (série d’articles du 20 au 31 mars 1967 dans l’Indépendant). — Le Tocsin. — Vargas, Les Anarchistes et les événements du Midi en 1907.

ICONOGRAPHIE : photographie dans l’Indépendant du 21 mars 1967.

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