Par Nicole Racine
Né et mort à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord), 15 janvier 1899-14 octobre 1980 ; écrivain ; responsable du Secours rouge international à Saint-Brieuc (1935-1940) ; secrétaire du Congrès international des écrivains pour la défense de la Culture (1935).
Fils de Louis Marie Guilloux, cordonnier et de Philomène Anne-Marie Marmier, Louis Guilloux, qui naquit et grandit à Saint-Brieuc, fut élevé dans un milieu de militants ; il a évoqué la figure de son père, qui avait été secrétaire de la section socialiste de la ville de 1911 à 1914, dans son premier livre La Maison du Peuple (1927), cette Maison du Peuple qu’il dédia à ses parents, à ses camarades, « à tous les camarades morts ou vivants de l’ancienne section socialiste de Saint-Brieuc ».
De santé fragile, il eut dans sa prime enfance une tuberculose des os. Après le Certificat d’études primaires, il obtint une bourse pour le lycée (1912) ; il resta boursier jusqu’en seconde, puis renonça à sa bourse et demanda à dix-sept ans à être engagé comme surveillant. Il dit plus tard que faire des études c’était, d’une certaine façon, trahir. Il lut Romain Rolland*, Jules Vallès, qui exercèrent une grande influence sur lui ; il se liait d’amitié avec Jean Grenier, du même âge que lui, qu’il rencontra à la bibliothèque municipale. Ce fut au lycée, en classe de 3e, qu’il devint l’élève de Georges Palante, professeur de philosophie, qui allait jouer un grand rôle dans sa vie, à partir de l’été 1917, date à laquelle Guilloux quitta le lycée. De véritables relations intellectuelles s’établirent entre eux ainsi que Guilloux le rapporta dans ses Souvenirs sur G. Palante. G. Palante, qui se suicida en 1925, inspira à Louis Guilloux le personnage de Cripure dans Le Sang Noir.
Après avoir décidé d’abandonner ses études, Guilloux fit plusieurs petits métiers pour vivre (employé de bureau, voyageur de commerce, colporteur), puis partit en 1918 pour Paris où il se fit déménageur, interprète dans une agence de tourisme. Il entra dans le journalisme, à Excelsior puis en 1921 au service étranger de L’Intransigeant en qualité de traducteur de journaux anglais. En 1924, il décidait de se consacrer à la littérature et quittait L’Intransigeant. Il rencontrait Daniel Halévy et se liait avec Max Jacob, André Chamson*, Jean Guéhenno*. Ce fut à D. Halévy que Guilloux envoya son premier livre, La Maison du Peuple, qui parut en 1927 chez Grasset, dans la collection « Les Écrits », dirigée par J. Guéhenno et qui lui valut une bourse Blumenthal. En 1931 paraissait Compagnons, récit de la mort d’un ouvrier ; préfaçant en 1947 une réédition de La Maison du Peuple et de Compagnons, Albert Camus* écrivait « ... j’admire et j’aime l’œuvre de Louis Guilloux qui ne flatte ni ne méprise le peuple dont il parle et qui lui restitue la seule grandeur qu’on ne puisse lui arracher, celle de la vérité ». Par ces deux livres, Guilloux avait voulu signifier son appartenance au monde du prolétariat, à celui de son père. Mais il refusa toujours de faire de la littérature à étiquette, qu’elle soit « populiste » ou « prolétarienne » et n’intervint pas dans les querelles entre écrivains « populistes » et « prolétariens ». Il lui suffisait de faire une œuvre à inspiration largement humaine.
Bien que socialisant et à un moment communisant, Louis Guilloux ne s’inscrivit pas à un parti ; mais il ne se tint pas à l’écart de l’activité politique et sociale. Il milita à Saint-Brieuc où il était retourné en 1930, prenant part, en 1933-1934 notamment, aux luttes bretonnes contre les ventes — saisies, participant à des actions de soutien en faveur des chômeurs. À partir de 1935, il prit nettement place dans le mouvement antifasciste et devint un compagnon de route du PCF. Il fut secrétaire du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui se réunit à Paris du 21 au 25 juin 1935. Responsable du Secours rouge international puis du Secours populaire de France à Saint-Brieuc, de 1935 à 1940, il s’occupa activement de la situation des réfugiés espagnols en Bretagne (toute cette période est évoquée dans les Carnets 1921-1944 et sous forme romanesque dans Le Jeu de Patience). 1935 est l’année où parut Le Sang Noir, son chef-d’œuvre. Le personnage central en était un professeur de philosophie au lycée, surnommé Cripure par ses élèves, dont le destin était placé sous le signe de l’échec total. André Malraux écrivait cependant que la mort était le personnage principal du Sang Noir. L’action du livre tenait en un jour et une nuit de 1917, l’année de la Révolution russe et des mutineries ; le roman pouvait se lire comme une dénonciation de la société bourgeoise, de ses tares, de la guerre. Les contemporains furent frappés par le pessimisme presque désespéré du livre, reproche contre lequel Guilloux se défendit (« Notes sur le roman », Europe, janvier 1936). Le 12 décembre 1935, la Maison de la Culture organisa une manifestation, « Défense du roman français. Ce que signifie le Sang Noir », où parlèrent Eugène Dabit, Louis Aragon, André Gide et André Malraux (voir Commune, janvier 1936).
À l’été 1936, à la demande d’André Gide* qui l’avait choisi comme compagnon de voyage (en même temps que Dabit, Jef Last, Schiffrin), Guilloux partait pour l’URSS. À l’automne 1936, il fut de ceux auxquels André Gide lut son Retour de l’URSS avant de le publier. Bien que d’accord avec André Gide, Guilloux refusa d’écrire sur son voyage en Union Soviétique : « Si j’avais la moindre envie d’écrire pour le public, « quelque chose » sur mon voyage en URSS avec Gide, ce ne sont pas les procès de Moscou, ni la guerre d’Espagne qui m’y inciteraient » écrivait-il dans ses Carnets (p. 165). Mais Guilloux refusa également, malgré les sollicitations d’Aragon et de Jean-Richard Bloch, d’écrire quoi que ce soit contre le livre de André Gide. Guilloux assurait à partir de janvier 1937, à la demande d’Aragon, la responsabilité de la page littéraire de Ce Soir, mais, en août 1937, J.-R. Bloch le remplaçait par un intellectuel communiste, Paul Nizan. Louis Guilloux retrouva Saint-Brieuc où il passa la guerre de 1939-1945. Il obtint en 1942 le prix populiste pour Le Pain des Rêves dans lequel il évoquait son enfance pauvre et la figure de son grand-père. Il entreprenait un long ouvrage, une chronique de Saint-Brieuc durant un demi-siècle, Le Jeu de Patience ; on pouvait y lire notamment des récits ayant trait aux luttes ouvrières du début du siècle, à la Première et à la Seconde Guerre mondiale. Dès 1941, il eut des contacts avec des responsables de la Résistance dans les Côtes-du-Nord, notamment avec l’abbé Chéruel et l’abbé Vallée. Et 1943, il joua un rôle dans l’unification de la Résistance communiste et non communiste. À la Libération, Guilloux adhéra au Front national ; il fut désigné par le Comité départemental de Libération comme interprète auprès des Américains ; puis il s’engagea comme interprète des troupes américaines. Louis Guilloux rappelait une fois encore les années 1934-1936 dans Les Batailles perdues (1960). Il tira une pièce, Cripure, de son roman Le Sang Noir qui fut créée en 1967 par le théâtre du Cothurne à Lyon. Après avoir publié La Confrontation, Louis Guilloux recevait le grand Prix national des lettres (1967). Il publiait encore Coco perdu (1978).
Parfois empreinte de pessimisme, hantée par l’injustice et la misère, l’œuvre de Louis Guilloux reste marquée par un sens profond de la fraternité humaine.
Louis Guilloux s’était marié le 2 août 1924 avec Renée Juliette Catherine Tricoire ; il était père d’une fille, Yvonne.
Par Nicole Racine
ŒUVRE CHOISIE : La Maison du Peuple, Grasset, 1927, 235 p. (édition ultérieure, La Maison du peuple, suivi de Compagnons. Avant-propos d’Albert Camus*, id., 1953, 225 p.). — Lettres de P.-J. Proudhon, choisies et annotées par Daniel Halévy et L. Guilloux, Grasset, 1929, 364 p. — Dossier confidentiel, id., 1930, 240 p. — Compagnons, id., 1931, 121 p. — Souvenirs sur Georges Palante, Saint-Brieuc, Impr. des Presses bretonnes, 1931, 57 p. — Hyménée, Grasset, 1932, 277 p. — Le lecteur écrit. Choix de lettres recueillies par L. Guilloux, Gallimard, 1933, 233 p. — Angelina, Grasset, 1934, 255 p. — Le Sang Noir, Gallimard, 1935, 435 p. — (Éditions ultérieures : Le Sang noir. Préfacé par A. Malraux, Le Club du meilleur livre, 1955, VI-485 p. — Le Sang noir. Suivi de pages inédites du Journal de l’auteur, 1933-1963 et notes de travail, Club français du livre, 1963, 503 p.). — « Notes sur le roman », Europe, janvier 1936. — Histoires de brigands, Édit. Sociales internationales, 1936, 136 p. — Le Pain des rêves, Gallimard, 1942, 319 p. — Le Jeu de Patience, Gallimard, 1949, 813 p. — Absent de Paris, id., 1952, 243 p. — Parpagnacco ou la conjuration, id., 1954, 221 p. — Les Batailles perdues, id., 1960, 611 p. — Cripure, pièce en trois parties, id., 1962, 141 p. — La confrontation, id., 1967, 207 p. — Salido, suivi de OK Joe ! id., 1976. — Coco perdu, id., 1978, 140 p. — Carnets. 1921-1944, id., 1978, 414 p.
SOURCES : Aragon, « Défense du roman français », Commune, janvier 1936, 562-568 (discours prononcé à la manifestation organisée par la Maison de la Culture sur le Sang noir, le 12 décembre 1935 à Paris, à la salle Poissonnière ; voir aussi dans le même numéro, Eugène Dabit*, « À Louis Guilloux »). — État-civil. — Dictionnaire biographique français contemporain, seconde édition, 1954, 708 p. — Louis Guilloux, Textes choisis et présentés par Édouard Prigent, Saint-Brieuc, Presses Universitaires de Bretagne, 1970, 173 p. — Lucie Mazauric, Avec André Chamson*... 1. Ah Dieu ! que la paix est jolie, Plon, 1972, 283 p. — J.H. King, « Guilloux’s working class novels », Modern language Review, janv. 1973, 61-76. — Who’s who in France ?, 1973-1974, J. Lafitte. — Cl. Bonnefoy, T. Cartano, D. Oster, Dictionnaire de littérature française contemporaine, J.-P. Delarge, 1977. — Le Monde, 15 octobre 1980. — Parmi les entretiens de L. Guilloux, on retiendra celui accordé à Politique-Hebdo du 25 au 31 octobre 1976 et celui réalisé par B. Pivot lors de l’émission de télévision « Apostrophes » (Antenne 2) le 2 juin 1978. — « Louis Guilloux », Plein Chant, 11-12 sept.-déc. 1982, 252 p.