HOURS Joseph, Robert, Louis

Par Bernard Comte

Né le 29 mars 1896 à Lyon (Rhône), mort le 17 mars 1963 à Lyon ; historien, professeur ; militant politique, catholique républicain, acteur de la Résistance à Lyon et des débuts du MRP.

Fils d’un courtier en marchandises qui lui transmit foi catholique et convictions libérales avec les usages de la bourgeoisie lyonnaise, Joseph Hours fut élève de l’externat jésuite Saint-Joseph et de l’institution Robin à Vienne, puis étudiant aux Facultés catholiques et à la faculté des Lettres de l’université (licences de droit et d’histoire). Il milita à l’Action française (AF), dont il garda le goût de la politique fondée sur l’étude des réalités plus que sur les entraînements sentimentaux, et l’amour de la nation avec le respect de l’État qui préside à son destin. Mobilisé en 1916, marqué par trois années de guerre et la mort de nombreux amis, il se détacha de l’AF en mariant son catholicisme avec l’esprit républicain et démocratique. Agrégé d’histoire en 1920, il fut professeur de lycée à Toulon, puis à Lyon (1928). Nommé en 1936 à la khâgne du lycée du Parc, il y enseigna jusqu’à sa retraite (1961).

Il occupa dès lors dans le courant démocrate chrétien une position originale de penseur et éducateur politique indépendant (n’adhérant ni au PDP ni à la Jeune République), mais fortement engagé dans les combats des années 1930. Lié à Lyon à la Chronique sociale de Marius Gonin* et aux théologiens jésuites de Fourvière, professeur aux Semaines sociales en 1933, il collabora aux organes démocrates chrétiens (revue Politique, Cahiers de la Nouvelle Journée, L’aube) ainsi qu’à La Vie intellectuelle et Temps présent, et fit de nombreuses conférences, menant son œuvre de réflexion politique nourrie d’histoire avec le souci d’éclairer les catholiques. Action militante indissociable de son enseignement dont l’empreinte sur des générations de khâgneux lyonnais a été souvent soulignée (à commencer par les normaliens Louis Althusser et Maurice Agulhon). Il délaissait les schémas scolaires et l’érudition pour les portraits, les anecdotes signifiantes et le cheminement des courants de pensée par dessus siècles et frontières : ces repères lumineux structuraient le déroulement des faits. Il ouvrait ainsi à l’intelligence de l’actualité par l’analyse de ses fondements historiques, car pour lui l’histoire était la politique d’hier, et la politique l’histoire de demain.

Sa pensée politique s’enracinait dans sa vision de la nation française créatrice d’une culture spécifique, sagesse d’inspiration chrétienne librement développée sous la gouverne d’un État qui assurait son unité et sa souveraineté. La bourgeoisie, régnante à la faveur du message universel de liberté et d’égalité lancé au XVIIIe siècle, puis défaillante au XXe siècle, devait laisser la place à la démocratie du peuple entier, appelé à faire fructifier aujourd’hui cet héritage. Cette démocratie, il la voulait jacobine (l’État fort, face aux « grands intérêts économiques » et aux illusions anarchistes), patriote (défendant la souveraineté nationale contre les impérialismes) et gallicane (contre l’exploitation de la foi par un parti clérical et romain). Sa critique radicale des attitudes passées des catholiques français n’épargnait ni la démocratie chrétienne et le catholicisme social, nostalgiques de la chrétienté, ni le Sillon trop sentimental ; il fallait plutôt assumer franchement l’héritage de la Révolution française (liberté, égalité) et la revendication de justice sociale du mouvement ouvrier.

Dans la décennie 1938-1948, ces réflexions débouchèrent sur une action résolue qui fit de lui, à Lyon et chez les catholiques résistants, un guide influent. Après avoir réclamé la fermeté face à Hitler et dénoncé la tentation d’imiter les fascismes par peur du communisme et la trahison de Munich, il fut un opposant immédiat et radical au régime de Vichy et se consacra à en expliquer les raisons à divers publics. Aux amis de la Chronique sociale, à l’École normale ouvrière de la CFTC, aux militants de la Jeune République, aux amis de Temps nouveau, successeur à Lyon de Temps présent, il donnait des causeries d’histoire et d’analyse politique qui dévoilaient ce que taisait la presse censurée : la marche au pouvoir de Pétain et Laval, les réalités cachées de la « collaboration » et de la stratégie hitlérienne. Présent dans divers cercles sans s’affilier à une organisation, il participa à la fin de 1940 aux réunions chez Emmanuel Mounier* de journalistes et intellectuels, ainsi qu’à la rédaction d’une « Adresse aux Français libres » qui préludait au mouvement Franc-Tireur. Un an après, il encouragea ses amis jésuites à lancer les Cahiers du Témoignage chrétien clandestins, dont il fut un des premiers collaborateurs laïcs, ainsi que de Positions de Roger Radisson. Ayant retrouvé son ami Georges Bidault comme collègue au Parc en 1942-1943, il mena aussi avec Jean Lacroix* une réflexion sur les institutions futures de la France libérée et collabora aux Cahiers politiques du Comité général d’études. Il aida son ancien élève Gilbert Dru, étudiant militant contre le STO, à rédiger un « manifeste » invitant les jeunes chrétiens résistants à se préparer à former un mouvement politique avec les républicains laïques, entre la droite et le Parti communiste. Enfin, lorsque Gilbert Dru organisa à Lyon au printemps 1944 des « cours de formation politique » pour ses jeunes amis engagés dans le Comité de coordination et d’action chrétienne, c’est Joseph Hours qui leur fit clandestinement des causeries hebdomadaires très appréciées. Le futur commissaire de la République Yves Farge lui demanda alors de prendre la direction politique du journal qui devait être attribué aux mouvements chrétiens de résistance.

Il se trouva donc engagé à la Libération dans le lancement du quotidien La Liberté, seule tête politique de la rédaction, pilote et éditorialiste. Il y défendit l’union de toutes les forces de la Résistance autour de Charles de Gaulle, pour la « révolution par la loi » prônée par le nouveau parti MRP, qu’il soutenait en se situant à son aile gauche. D’abord soucieux d’entente avec le PC, dont il appréciait le sens de l’ordre et de l’autorité de l’État, il s’en éloigna en 1945 tout en soutenant le tripartisme. Déçu par le MRP et par la médiocrité du jeu politique, il renonça en 1947 à sa fonction et cessa de collaborer au journal pris en main par le MRP local. Hostile à la « petite Europe » d’inspiration démocrate chrétienne et sous protectorat américain, il signa en 1950 l’Appel de Stockholm. Sa ferveur patriotique et catholique l’a amené ensuite à défendre l’Algérie française, en s’éloignant d’anciennes amitiés pour se rapprocher des catholiques conservateurs, nationalistes ou intégristes (La France catholique, Itinéraires).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87215, notice HOURS Joseph, Robert, Louis par Bernard Comte, version mise en ligne le 2 avril 2010, dernière modification le 19 novembre 2021.

Par Bernard Comte

ŒUVRE : Œuvre et pensée du peuple français, Bloud et Gay, 1945. — Petite histoire du mouvement ouvrier, Éd. Ouvrières, 1948. — Valeur de l’histoire, PUF, 1954. — Nombreux articles, de 1927 (« L’Action française et l’histoire de France », dans Un grand débat catholique et français, Cahiers de la Nouvelle Journée, 10, Bloud et Gay) à 1952 (« Les origines d’une tradition politique : la doctrine de la démocratie chrétienne », dans Libéralisme, traditionalisme, décentralisation, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences politiques, 31, Armand Colin) et 1962 (« La conscience chrétienne devant l’Islam », Itinéraires, n° 60).

SOURCES : Alfred Rambaud, dans Historiens et géographes, juillet 1963. — Yann Moulier Boutang, Louis Althusser. Une biographie, I, Grasset, 1992. — Henri Hours, dans Xavier de Montclos (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 6, Lyon, Beauchesne, 1994. — Delphine Faivre, « La Liberté », quotidien d’information indépendant du Sud-Est (1944-1948), mémoire de maîtrise, Lyon II, dir. Étienne Fouilloux, 1997. — Bernard Comte, Jean-Marie Domenach, Christian et Denise Rendu, Gilbert Dru, un chrétien résistant, Beauchesne, 1998.

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