ADAMOV Arthur

Par Ioana Popa

Né le 23 août 1908 à Kislovodsk (Caucase, Russie), mort le 15 mars 1970 à Paris ; écrivain, dramaturge, promoteur d’un théâtre d’avant-garde et d’un théâtre engagé, traducteur ; sympathisant du Parti communiste.

Arthur Adamov est né dans une très riche famille du Caucase, possédant des réserves importantes de pétrole dans la région de la mer Caspienne. Son père était un industriel, comme d’autres membres de la famille paternelle, tandis que du côté maternel, la famille comptait surtout des médecins et des avocats, dont certains aspiraient à siéger un jour à la Douma. Bien que d’origine arménienne, le père d’Arthur Adamov refusait de soutenir financièrement le mouvement nationaliste. C’est pourquoi il fut agressé par les nationalistes arméniens, qui le menacèrent d’enlever sa fille, Armik, la sœur unique d’Arthur. La maison des Adamov offrait toutefois protection aux petits commerçants arméniens pourchassés et massacrés par les Kurdes.

Arthur Adamov passa sa première enfance, jusqu’à l’âge de six ans, à Bakou, la grande ville du pétrole des bords de la mer Caspienne. Bien qu’entouré d’un « peuple de servantes » et de gouvernantes, dont une « demoiselle » française, il traversait des crises d’angoisse dès l’âge de quatre ans, craignant de devenir un jour pauvre. En juin 1914, la guerre surprit la famille Adamov en Allemagne, où ils voyageaient. Craignant d’être arrêtés en raison de leur passeport russe, les Adamov se réfugièrent en Suisse où ils se rendirent dans la voiture d’une relation de la famille, le roi de Wurtemberg, puis à Genève, où ils s’établirent. Ce changement soudain fut mal vécu par Arthur Adamov, âgé alors de six ans : il ne garda aucun souvenir des deux premières années de son séjour en Suisse, qui en compta huit au total, de 1914 à 1922. En 1916, Arthur Adamov entra à l’école privée Rosset, le choix d’une école publique étant à l’époque inconcevable pour ses parents. Sa scolarité ne fut pas des plus brillantes : si Adamov était le premier en histoire, il était en revanche le dernier en mathématiques et, surtout, absent un jour sur deux. Adamov préférait parfaire ses connaissances de la mythologie grecque et cultiver sa passion pour l’Angleterre, car en pleine guerre, il se déclarait anglophile. La plupart du temps, il restait cependant confiné au cercle familial et, surtout, à la colonie russe et arménienne - « le sale petit ghetto », dit-il dans ses souvenirs - de Genève. L’accueil des étrangers (stigmatisés comme des « macaques ») y était, en effet, peu chaleureux. Arthur Adamov éprouva ainsi douloureusement, très jeune, sa condition d’étranger et fit l’expérience d’une « xénophobie poussée jusqu’à l’outrecuidance ». Celle-ci entraîna d’ailleurs, pour le reste de sa vie, un profond ressentiment à l’égard de la Suisse. Le seul souvenir positif de cette époque fut aussi pour Adamov son premier grand souvenir de théâtre : les Pitoëff, réfugiés à Genève eux aussi, étaient devenus les amis de ses parents et les invitaient à toutes leurs premières, dont celle de Macbeth, qui marqua profondément le jeune garçon.

L’évolution des événements politiques ne facilitait pas la vie des réfugiés. La Révolution bolchevique de 1917 entraîna, un an après, la nationalisation des puits de pétrole des Adamov. Partageant désormais le sort d’une grande partie de l’émigration russe blanche, les Adamov furent réduits à vivre de la vente des bijoux de famille et s’enfoncèrent de plus en plus dans la précarité. En 1922, la famille se replia sur l’Allemagne, d’abord à Wiesbaden, ensuite à Mayence, où Arthur Adamov fut inscrit au Lycée français, tandis que, pour entretenir la famille, sa sœur travaillait au Service des restitutions des objets pris par les Allemands pendant la guerre. Le peu d’argent que la famille possédait était souvent perdu au jeu par le père. Cependant, de cette époque datent à la fois une amitié importante pour Arthur Adamov, celle avec Victor Aranovitch, et ses premiers essais d’écriture.

En 1924, la famille Adamov s’installa en France, d’abord à Paris, dans le XVe arrondissement, ensuite à Bourg-la-Reine (Seine). Arthur Adamov poursuivit sa scolarité comme interne au lycée Lakanal, mais il s’en fit vite renvoyer à cause de ses absences répétées. Les projets ambitieux de son père - l’inscrire à l’école Bréguet pour devenir ingénieur - se heurtèrent aux résistances du fils, qui leur préféra la littérature. Adamov écrivait alors des poèmes surréalistes, qu’il envoyait à Paul Éluard*. Ce dernier l’invita même au café de la Place Blanche, où se réunissait tout le groupe. L’apprenti-poète fut néanmoins recalé à « l’examen du petit surréaliste », car, explique-t-il, il n’était pas assez au goût d’André Breton*. Adamov prolongea ses premiers pas littéraires avec la création, en compagnie de Claude Sernet, de l’éphémère revue Discontinuité, dont le premier numéro parut en juin 1928 : illustrée par Man Ray et Victor Brauner, elle comptait parmi ses collaborateurs, Jacques Prévert*, Benjamin Fondane, Georges Neveux, etc. Adamov voulait définir le programme esthétique de Discontinuité notamment par rapport au Grand Jeu, la revue de Roger Gilbert-Lecomte et René Daumal, qu’il trouvait « plus « sérieuse » » que la sienne. Parallèlement, Adamov et son ami Victor Aranovitch se lancèrent dans une première aventure théâtrale, y voyant surtout un moyen de rencontrer des femmes. En 1928, ils louèrent le studio des Ursulines pour y monter trois pièces, dont les Mains blanches, la première pièce d’Adamov, qui ne durait que cinq minutes. Le rôle féminin y était tenu par Sylvia Maklès, la femme de Georges Bataille* et, mis à part ce dernier, l’on retrouvait parmi les spectateurs, Joan Miro et Roger Gilbert-Lecomte. Lors des représentations, Victor lança dans le public des cartes de visites, avec le slogan « Vive Trotski ! Vive la révolution permanente ! ». Ces débuts théâtraux coïncidaient, en effet, avec la politisation des deux adolescents : ces derniers avaient signé, toujours ensemble, l’article « Nos idées », dans le journal anarchiste L’En dehors (juillet 1926). Ce premier texte fut suivi, entre 1926 et 1927, par d’autres, comme « L’homosexualité en littérature » (décembre 1926) ou « Surréalisme » (mars 1927). Adamov et Aranovitch participèrent aussi à la manifestation communiste pour la libération de Sacco et Vanzetti, à la suite de laquelle Adamov fut arrêté par la police. Par la même occasion, il fut accusé d’avoir publié, à compte d’auteur, avec Claude Sernet et Fernand Lumbroso, une brochure intitulée Mise au point (Éditions Discontinuité, 1929), jugée irrespectueuse car on y insultait le maréchal Foch. Adamov n’échappa à l’expulsion (il n’était pas encore naturalisé français) que grâce à l’intervention d’André Malraux*.

À la fin des années vingt, Arthur Adamov fréquentait assidûment les cafés de Montparnasse, où il se lia d’amitié notamment avec Antonin Artaud, Alberto Giacometti, Roger Blin* ou Marthe Robert*. Avec elle, il découvrit, grâce aux lectures d’un des amis du Dôme, un récit de Kafka, auteur qui allait profondément marquer son parcours intellectuel. Enfin, Adamov y rencontra Méret Oppenheim, une jeune femme peintre et sculpteur, à qui il dédia les Poèmes pour Méret, cinq courts poèmes en prose publiés dans les Cahiers du Sud, en août 1933. Menant une vie de bohème, toujours à court d’argent et habitant dans des chambres d’hôtel bon marché (il ne prit un appartement qu’en 1967), Adamov vécut deux événements particulièrement éprouvants : sa première tentative de suicide, en 1928, due à un amour malheureux qui lui révéla son impuissance sexuelle, et le suicide de son père, en janvier 1933.

Politisé alors qu’il était encore très jeune, Arthur Adamov manqua néanmoins des moments historiques importants : lors du 6 février 1934, il se trouvait en voyage en Slovénie et, au moment de la victoire électorale du Front populaire en 1936, il visitait l’Irlande avec un ami. Il songea à s’engager dans les Brigades internationales et à partir pour l’Espagne, mais il abandonna ce projet. Enfin, pendant la guerre, il ne prit pas part non plus à la Résistance, et en ressentit plus tard des remords. Réfugié en zone Sud, Adamov fut interné, de mai à novembre 1941, dans le camp d’Argelès (Pyrénées-Orientales). Il retourna cependant à Paris en janvier 1942, où, raconta-t-il, il osa encore parler de métaphysique au Dôme. Bien qu’Éluard lui eût déconseillé d’écrire dans une revue collaborationniste, Adamov signa en 1942 quelques articles dans Comoedia (dont certains avec Roger Gilbert-Lecomte), notamment sur le romantisme allemand, Novalis et Hölderlin. Toujours pendant la guerre, Adamov rédigea son premier livre, L’Aveu, inspiré à la fois par la traduction qu’il avait faite du Moi et l’Inconscient de Jung (parue chez Gallimard, en 1938) et par son ami Gilbert-Lecomte, à qui le livre est dédié. Des fragments d’une première version de ce texte, largement autobiographique, parurent pendant la guerre, dans Fontaine (janvier 1942) et La NRF (février 1943), puis à la Libération, dans le premier numéro de L’Heure nouvelle (1945). Créée par Arthur Adamov et Marthe Robert sous le signe d’Arthur Rimbaud, dont elle mettait en exergue une citation (« Oui, l’heure nouvelle est au moins très sévère »), cette revue comptait parmi ses collaborateurs Antonin Artaud, René Char, Roger Gilbert-Lecomte, Noël Roux. Sa parution fut toutefois éphémère (deux numéros uniquement). Ce n’est qu’en 1946 que L’Aveu parut en volume, aux Éditions du Sagittaire, et fut chaleureusement salué par Antonin Artaud dans Les Cahiers de la Pléiade. Adamov fut un de ceux qui combattirent le plus obstinément, peu de temps après, pour faire sortir ce dernier, interné pour troubles psychiques, de l’asile de Rodez. Les deux hommes restèrent d’ailleurs très liés jusqu’au suicide d’Artaud, en 1948. À la même époque, il rencontra sa future compagne, Jacqueline Autrusseau, qu’il appelle dans son journal Le Bison.

À la fin de la guerre, Arthur Adamov rédigea également sa première pièce de théâtre, La Parodie, dédiée à Marthe Robert, et achevée en 1947. Au printemps 1948, Roger Blin*, qui devait en être le metteur en scène, dut arrêter les répétitions, faute d’argent. Cette pièce fut suivie par une deuxième, L’Invasion, dont un des thèmes est, comme dans la précédente, l’absence de communication et l’impossibilité de toute conversation entre les personnages. Se situant au pôle de l’avant-garde théâtrale, Adamov considérait cette pièce comme un « acte de rébellion » et de rupture avec le théâtre psychologique. Dans « L’Avertissement » à la première édition réunissant La Parodie et L’Invasion, parue aux Éditions Charlot en 1950, il déclara que, plus que toute autre, ces pièces avaient été « écrites pour la scène » et fondaient sa vision d’un théâtre lié « entièrement et absolument à la représentation [...] un théâtre vivant, c’est-à-dire un théâtre où les gestes, les attitudes, la vie propre du corps ont le droit de se libérer de la convention du langage, de passer outre aux conventions psychologiques ».

Le premier texte d’Adamov effectivement mis en scène fut cependant une adaptation de Büchner, La Mort de Danton, montée par Jean Vilar* au deuxième Festival d’Avignon, en 1948. Adamov et Vilar s’étaient connus trois ans auparavant. Adamov avait spontanément pris la défense de Vilar quand, à l’occasion du premier Festival d’Avignon, sa mise en scène de Richard II avait été attaquée par le critique de Combat. Enfin, les deux hommes de théâtre partageaient surtout une grande admiration pour August Strindberg (sur l’œuvre duquel Arthur Adamov publia même un essai en 1955, aux éditions de l’Arche). Cependant, à la fin des années quarante, ni Jean Vilar, ni Roger Blin - tous les deux intéressés par la mise en scène de La Parodie et L’Invasion - ne possédaient un théâtre ou les moyens financiers pour les monter. Suivant le conseil de Vilar et avec le concours de Jean Paulhan* notamment, Adamov les fit alors publier avec une présentation de René Char, André Gide* (très enthousiasmé par L’Invasion, qu’Adamov lui avait soumise dès l’été 1949), Jacques Prévert*, Henri Thomas, Jacques Lemarchand, Roger Blin et Jean Vilar lui-même. C’est à cette occasion que ce dernier lança sa phrase provocatrice : « Il est, certes, un autre théâtre : celui qui emprunte aux alcools de la foi et du verbe son efficacité. Posons donc la question : Adamov ou Claudel ? Je réponds : Adamov ». Le « lancement » sembla réussi : en novembre 1950, Jean-Marie Serreau monta, avec peu de moyens, au Théâtre des Noctambules, La Grande et la petite manœuvre, troisième pièce d’Adamov (avec Roger Blin dans le rôle principal). Bien qu’il ait été enthousiasmé à l’époque de sa création, Adamov considéra cette pièce, à la lumière de ses engagements politiques ultérieurs, comme réactionnaire ; il estima d’ailleurs qu’à cette époque, il était non seulement antistalinien, mais antisoviétique. À trois jours d’intervalle, au Studio des Champs-Elysées, eut également lieu la première de L’Invasion, mise en scène par Vilar grâce au mécénat de quelques dames bienfaitrices, convaincues par René Char d’acheter des places à l’avance. Aucune de ces deux pièces n’emporta toutefois le succès escompté : les salles restèrent quasiment vides et la critique fut mitigée. Ce sort fut partagé par La Parodie, qui, toujours faute d’argent, ne put être montée par Roger Blin qu’en 1952, au théâtre Lancry. C’est là qu’on jouait également Les Chaises de Ionesco et Les Amants du métro, de Jean Tardieu. Si les rapports entre Adamov et Ionesco étaient à l’époque cordiaux, ils n’étaient pas moins marqués par une certaine concurrence. L’amitié d’Adamov et Ionesco cessa brusquement, au printemps 1953. Arthur Adamov avait pourtant pris la défense de Ionesco et Tardieu dans un article paru dans Arts (21 mai 1952). L’heure était en effet à la construction d’une nouvelle position théâtrale d’avant-garde, destinée à troubler « la quiétude du vieux théâtre bourgeois  ». La même année, Roger Blin mettait en scène En attendant Godot de Samuel Beckett, l’autre redoutable « concurrent » direct d’Adamov. La « troïka » Adamov-Ionesco-Beckett ne tarda pas à recevoir son étiquette : « théâtre de l’absurde », forgée par le critique Martin Esslin, mais dont aucun des trois dramaturges ne se réclamerait.

Un premier recueil des pièces d’Arthur Adamov parut chez Gallimard, en 1953. La même année, Roger Planchon*, jeune metteur en scène quasi-inconnu alors, qu’il avait rencontré au Théâtre de la Comédie de Lyon, y monta deux nouvelles pièces d’Adamov, Le Professeur Taranne (écrite en transcrivant presque littéralement un de ses rêves et publiée dans la nouvelle revue Théâtre Populaire), et Le Sens de la marche (considérée plus tard par le dramaturge comme un simple décalque de La Grande et la petite manœuvre). La même année, Tous contre tous fut mise en scène cette fois à Paris, au « Mardis du théâtre » du Théâtre de l’Œuvre, par Jean-Marie Serreau et bénéficia d’un meilleur accueil à la fois de la part de la critique et du public. Après avoir estimé que cette pièce l’avait fait sortir de « l’ornière métaphysique », Adamov se reprocha en revanche à son propos, dans la préface au recueil Théâtre II (Gallimard, 1955), un certain didactisme : alors qu’une des idées-forces de la pièce était la désunion des opprimés (en l’occurrence, des réfugiés), il y avait montré la Persécution avec majuscule au lieu d’une situation de persécution possible parmi d’autres. La véritable « transition » vers une nouvelle conception d’un théâtre engagé fut Le Ping-pong, pièce « ambiguë, située entre un certain réalisme et des restes de symbolisme », mise en scène en 1955 par Jacques Mauclair, au Théâtre des Noctambules. La pièce était construite autour de la fascination, voire l’obnubilation qu’un billard électrique, appareil pour le moins insolite, exerçait sur les personnages (dont deux s’appelaient Victor et Arthur). Les critiques marxistes, tel Lucien Goldmann*, y virent tout de suite l’aliénation de l’homme captif du système capitaliste, lecture qui, au pôle de l’avant-garde cette fois, avait fait se récrier Robbe-Grillet. Quant à Roland Barthes, il répondit dans ses Mythologies à la lecture symboliste de l’appareil à sous, faite par les partisans du théâtre « bourgeois » dans les pages de journaux comme Match ou France-Soir  : il voyait le billard électrique générer non pas des situations psychologiques, mais des « situations de langage ». Enfin, Adamov lui-même considéra que c’est en écrivant Le Ping-Pong qu’il avait « entrevu l’imposture de la prétendue « avant-garde », qui escamote la réalité au profit d’un no man’s land éternel, sinistre, consolant, confortable », puisqu’elle ne situe pas les événements dans une société, un lieu et un temps précis. Si avant Le Ping-Pong, il avait lui-même créé des personnages « interchangeables, toujours pareils à eux-mêmes, en un mot, des marionnettes », Adamov entrevit cependant les limites de sa première tentative de passage d’un « théâtre métaphysique » à un « théâtre situé » : il aurait dû examiner les rouages de la grande machine sociale aussi minutieusement qu’il avait exploré les machines à sous dans sa pièce. Le théâtre qu’il espérait faire désormais n’était « nullement un théâtre des « lendemains qui chantent » », mais un théâtre critique, démystifiant, qui dévoilerait la coexistence et l’antagonisme des classes.

Le véritable tournant - pour certains, la rupture - survint avec Paolo Paoli, pièce qui marqua pour Arthur Adamov le moment de politisation et de dépassement, sinon de reniement de la position d’avant-garde qu’il occupait auparavant : sans prôner l’abandon des recherches formelles, Adamov soutint désormais que « les techniques neuves sont nulles et non avenues si l’auteur ne se met pas au service d’une idéologie », en l’occurrence, le marxisme-léninisme. Des différentes techniques utilisées par l’avant-garde, Adamov eut recours dans Paolo Paoli notamment à la dérision : prenant pour thème le mécanisme économique de l’échange et de la circulation de la marchandise en système capitaliste, Adamov l’appliqua au commerce de papillons et des plumes à la Belle Époque. La pièce dérouta d’ailleurs certains de ses défenseurs de gauche par le caractère « marginal » de ses personnages, qui n’étaient pas des industriels comme Krupp ou Schneider. Mais ces réserves n’égalèrent pas les critiques virulentes dont elle fit l’objet dans la presse non-communiste. Véritable « test » politique, selon Adamov, le succès auprès du public dut beaucoup au Parti communiste, aux organisations syndicales et aux groupements progressistes : grâce à leur mobilisation, « le « système » Kemp-Gautier (...) craque partiellement ». Paolo Paoli fut ainsi monté, non sans obstacles (dont une interdiction temporaire à la demande de la Commission des Arts et Lettres) au Théâtre de la Comédie de Lyon en 1958, par Roger Planchon*. La pièce y tint cependant l’affiche pendant plus de trois mois, pour être ensuite reprise au Théâtre du Vieux Colombier. Le spectacle dépassa les trente représentations autorisées par la Commission et il dut s’arrêter à cause des pressions de celle-ci, bien qu’il pût encore faire des entrées. Très enthousiasmé par la pièce, Louis Aragon* proposa à Adamov de rejoindre le comité directeur du Comité national des écrivains. La consécration de l’auteur fut simultanément celle de son metteur en scène : Paolo Paoli fut le premier spectacle de Planchon à Paris. Celui-ci ne fut cependant repris dans aucun autre théâtre parisien, mais mis en scène uniquement en province (au Théâtre Populaire de Lorraine) ou à l’étranger. Il faillit être repris également au Berliner Ensemble, un des vœux les plus chers d’Adamov, qui considérait Brecht comme le plus grand auteur de théâtre du XXe siècle.

Arthur Adamov ne prit jamais la carte du Parti communiste (contrairement à sa compagne, qui y adhéra en 1958). Il préféra rester un « compagnon de route », convaincu qu’il pouvait rendre ainsi au Parti plus de services qu’en tant que membre effectif. Ses prises de position se radicalisèrent pendant la guerre d’Algérie. Participant à de nombreuses manifestations en faveur de l’indépendance, il fit notamment partie des signataires du Manifeste des 121. Le rapprochement d’Adamov avec le Parti communiste entraîna son entrée dans le circuit théâtral, de publication et de consécration, partisan, voire ponctuellement, l’engagement politique direct de son œuvre. Adamov écrivit ainsi trois pièces d’ » agit-prop », réunies avec celles de Maurice Regnaut et Guy Demoy dans une plaquette intitulée Théâtre de Société (scènes d’actualité), parue en 1958 aux Éditions Sociales. La même maison d’édition publia l’année suivante, son Anthologie de la Commune. Adamov fut de plus en plus présent également dans les pages des Lettres Françaises, de La Nouvelle Critique (où, en 1959, il publia même une de ses pièces, Les Apolitiques), de l’Humanité et de France Nouvelle. De même, ses pièces ou ses adaptations théâtrales étaient jouées notamment dans les théâtres des municipalités communistes, que ce soit au Théâtre de la Cité à Villeurbanne, où Planchon mit en scène Les Ames mortes d’après Gogol (1960), au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, où Claude Martin monta Le Printemps 71 (1963) et José Valverde, La Politique des Restes (1967), enfin, au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, où Gabriel Garran mit en scène Off Limits (1969). Toutes ces pièces étaient cependant (re) publiées chez Gallimard, séparément ou dans la série de quatre recueils intitulés Théâtre (parus entre 1953 et 1968). Enfin, le rapprochement avec le Parti communiste offrit à Adamov une ouverture vers les pays de l’Est. De simple invité (comme à Berlin-Est, pour l’anniversaire de la RDA en 1959), il y devint bientôt un auteur mis en scène, en Tchécoslovaquie d’abord. Adamov était d’autant plus empressé d’aller vers un nouveau public qu’à son plus grand regret, les représentations du Printemps 71 (pièce mise en scène à Ljubljana et Bratislava) avaient cessé en France. La mise en scène de cette pièce, qui comptait une quarantaine de personnages, au théâtre de Saint-Denis avait dû être abandonnée. Elle y avait cependant bénéficié une fois de plus du soutien du public communiste - et, surtout, du Parti. Ayant choisi un thème cher à l’historiographie communiste, la Commune, et s’achevant sur les notes de l’Internationale, Adamov avait conçu cette pièce comme son « devoir envers le premier gouvernement de la classe ouvrière dans le monde ». D’un point de vue artistique, après la « chronique marginale » des années 1900-1914 dressée dans Paolo Paoli, il s’agissait pour lui « d’oser écrire » sa première pièce historique.

En 1963, Arthur Adamov fit un long voyage à Cuba. Enthousiasmé par l’expérience du « socialisme sous le soleil », il y retrouva « la gaîté des premiers jours de la Commune de Paris » (L’Homme et l’enfant, 1968). L’année suivante, il fut invité à donner des cours à Cornell University aux États-Unis, occasion également de participer à des manifestations contre la guerre du Vietnam. À partir de 1965, sa santé se dégrada sensiblement. Il avait déjà fait, à la fin des années cinquante, une cure de désintoxication en raison de son héroïnomanie. Invité en Union Soviétique par l’Union des Écrivains en automne 1965, Adamov fut empêché d’y aller par une pneumonie et par un accident de voiture. En même temps, son alcoolisme et ses crises d’angoisse ne cessèrent de s’aggraver : il entama, dès 1964, une psychanalyse, comme d’ailleurs sa compagne (devenue sa femme en 1961). En 1966, il fit plusieurs cures de désintoxication à la Maison d’Épinay et fut interné à l’hôpital Pitié Salpetrière. La même année, il alla néanmoins à Gênes, invité par le Stabile Theatro pour la première de La Politique des Restes, et en Finlande, à un congrès d’écrivains progressistes. « C’est de l’étranger - écrit-il - une fois de plus, que me vient le réconfort », tant « triompher dans son propre pays, le pays dans la langue duquel on écrit » lui paraissait improbable. Il a d’ailleurs maintes fois imputé sa maladie à ses déceptions professionnelles. C’est pourquoi la mise en scène de M. le Modéré, au Théâtre des Mathurins, en 1968 et celle de Off Limits, au Théâtre de la Commune, en 1969 (et presque simultanément, au Piccolo Theatro de Milan) atténua quelque peu son sentiment d’être « biffé, exclu, proscrit » en France. Jusqu’à sa mort, le 15 mars 1970, aucune de ses pièces n’y fut plus jouée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article9684, notice ADAMOV Arthur par Ioana Popa, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Ioana Popa

ŒUVRE : Pièces de théâtre. La Parodie. L’Invasion, Charlot, 1950. — Le Désordre, Éléments, n° 1, janvier 1951 — La grande et la petite Manœuvre, Cahiers de la Pléiade, XI, hiver 1950 — Le Professeur Taranne, Théâtre Populaire, n° 2, juillet-août 1953 — Le Sens de la Marche, Théâtre II, Gallimard, 1955. — Comme nous avons été, La Nouvelle Revue Française, 1re année, n° 3, 1er mars 1953. — Les Retrouvailles, Théâtre II, op. cit.. — Tous contre tous, L’Avant-Scène, n° 78, 25 mai 1953. — Le Ping-Pong, n° 104, mars 1955. — Paolo Paoli, Théâtre Populaire, n° 22, janvier 1957 — Théâtre de société (avec Guy Demoy, Maurice Regnaut), Éditeurs français réunis, 1958. — La Complainte du Ridicule, Clarté, n° 14, octobre-novembre 1958. — Les Apolitiques, La Nouvelle Critique, n° 101, décembre 1958. — En Fiacre, L’Avant-Scène, n° 284, 1er septembre 1963. — Le Printemps 71, Théâtre Populaire, n° 40, 4e trim.1960. — La Politique des restes, Théâtre Populaire, n° 46, 2e trim. 1962. — Sainte Europe, Théâtre III, Gallimard, 1966. — M. le Modéré, Théâtre IV, Gallimard, 1968. — Off Limits, Gallimard, coll. Le Manteau d’Arlequin, 1969. — Si l’été revenait, id.
Autres œuvres. Mises au point (avec Fernand Lumbroso, Claude Sernet), Éditions Discontinuité. — L’Aveu, Éditions du Sagittaire, 1946. — August Strindberg (avec Maurice Gravier), L’Arche, coll. Les grands dramaturges, 1955. — La Commune de Paris, 18 mars-28 mai 1871. Anthologie, Éditions Sociales, 1959. — Ici et Maintenant, Gallimard, coll. Pratique du théâtre, 1964. — L’Homme et l’enfant. Souvenirs. Journal, Gallimard, 1968. — Je... Ils..., Gallimard, 1969.

SOURCES : René Gaudy, Arthur Adamov. Essai et document, Stock, coll. Théâtre ouvert, 1971. — Pierre Mélèse, Adamov, Seghers, coll. Théâtre de tous les temps, 1972. — David Bradby, Adamov, Grant and Cutler Ltd, 1975. — Arthur Adamov, Ici et maintenant, op. cit. — Arthur Adamov, L’homme et l’enfant. Souvenirs. Journal, op. cit.

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